Pentecôte III
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TROISIÈME SERMON
POUR
LE JOUR DE  LA  PENTECOTE (a).

 

Cùm tenerit Paracletus, arguet mundum de peccato.

 

Quand l'Esprit de vérité viendra, il convaincra le monde de péché. Joan., XVI, 8.

 

Comme les hommes ingrats ont péché dès le commencement (b) du monde contre Dieu qui les a créés, Dieu aussi les a convaincus de péché dès le commencement du monde. Il a convaincu les pécheurs (c), lorsqu'il a chassé nos premiers parents du paradis de délices; lorsqu'écoutant la voix du sang d'Abel, il a fait errer par tout l'univers le parricide Caïn, toujours fugitif et toujours tremblant; lorsque par un déluge universel il a puni une corruption universelle. Dieu a repris les pécheurs d'une manière plus convaincante (d), lorsqu'il a donné sa loi à son peuple par l'entremise de Moïse, et lorsque dans l'Ancien Testament il a exercé tant

 

(a)  Prêché en 1672, à Saint-Germain, devant la reine Marie-Thérèse.

Dans la péroraison, l'orateur dit : « Ce grand royaume que le roi a mis entre vos mains avec une confiance si absolue. » Et un peu plus loin : « Puissions-nous bientôt changer eu actions de grâces les vœux continuels que nous faisons pour votre heureux accouchement! » Or la reine donna un nouveau prince à la France en 1672 et fut nommée régente du royaume la même année, comme le roi devait partir pour la guerre de Hollande. La Gazette de France dit aussi que l'évêque de Condom prêcha le jour de la Pentecôte, en 1672, à Saint-Germain, devant la reine, «avec beaucoup d'éloquence et d'applaudissements. » Enfin les passages abrégés qu'on trouve dans notre discours, indiquent une époque où le prédicateur était sûr de lui-même et de sa parole.

(b)   Var.: Dès l'origine. — (c) Il a convaincu le monde de péché. —(d) Il a convaincu les pécheurs par une lumière plus claire.

 

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de fois une justice si rigoureuse contre ceux qui ont transgressé (a) une loi si sainte et si juste. Comme les hommes avaient rejeté ce que Dieu avait commandé par la bouche de Moïse et des prophètes, il a enfin envoyé son propre Fils, qui est venu en personne pour condamner les péchés du monde, et par sa doctrine céleste, et par l'exemple fie sa vie irréprochable, et par une autorité qui est autant au-dessus de celle de Moïse et des prophètes que la dignité du fils surpasse la condition des serviteurs. Après que le Père et le Fils avaient condamné les pécheurs, il fallait que le Saint-Esprit vînt encore les convaincre; et Jésus-Christ nous enseigne qu'il est descendu en ce jour pour accomplir cet ouvrage : « Quand cet Esprit, dit-il, sera venu, il convaincra le monde de péché. » J'ai dessein de vous expliquer ce qu'a fait aujourd'hui le Saint-Esprit pour convaincre les pécheurs, quelle est cette façon particulière de reprendre les péchés, qui lui est attribuée dans notre évangile, et de quel châtiment sera suivie une conviction si manifeste. Mais pour traiter avec fruit (b) une matière si importante, j'ai besoin des lumières de ce même Esprit, que je vous prie de demander avec moi par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

 

L'ouvrage du Saint-Esprit, celui que les saintes Ecritures lui attribuent en particulier, c'est d'agir secrètement dans nos cœurs (c), de nous changer au dedans, de nous renouveler dans l'intérieur et de réformer par ce moyen nos actions extérieures. J'ai dessein de vous faire voir que l'opération du Saint-Esprit dans les apôtres et dans les premiers chrétiens, convainc le monde de péché. Mais comme nous ne connaissons ce qui se passe dans les cœurs que par les œuvres (d), et qu'il serait malaisé de vous faire ici le dénombrement de tous les effets de la grâce, je m'attacherai , Messieurs, à deux effets principaux que la grâce du Saint-Esprit produit dans les hommes qu'elle renouvelle, et qui ont éclaté principalement après la descente du Saint-Esprit dans les premiers chrétiens et dans l'Eglise naissante.

 

(a) Var. : Méprisé. — (b) Fructueusement : heureusement. — (c) Dans les cœurs. — (d) Les effets.

 

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Les hommes naturellement se laissent amollir par les plaisirs, ou affaiblir par la crainte et par la douleur. Mais ces hommes spirituels que le Saint-Esprit a formés, je veux dire les apôtres, les premiers fidèles timides auparavant, ils ont abandonné lâchement leur Maître par une fuite honteuse, et le plus hardi de tous a eu la faiblesse de le renier. Aujourd'hui que le Saint-Esprit les a revêtus de force, ce sont des hommes nouveaux, que ni la crainte, ni la douleur, ni les plus dures épreuves, ni la violence des coups, ni l'indignité des affronts ne sont plus capables d'émouvoir, et d'empêcher de rendre (a) à la face de tout l'univers un glorieux témoignage à Jésus-Christ ressuscité. Tel est le premier caractère des hommes spirituels que je dois aujourd'hui vous représenter : ils sont pleins d'un esprit de force, qui triomphe du monde et de sa puissance.

Mais voici un second effet qui n'est pas moins merveilleux. Au lieu qu'on voit ordinairement les hommes si attachés à leurs intérêts, que pourvu qu'ils soient à leur aise (b), ils regardent les maux des autres avec une souveraine tranquillité, les apôtres et les premiers chrétiens, ces créatures nouvelles que le Saint-Esprit a formées, attendris par la charité qu'il a répandue dans les cœurs, ne sont plus « qu'un cœur et qu'une âme : » Cor unum et anima una (1), comme il est écrit dans les Actes; et touchés des maux qu'endurent les pauvres, ils ne craignent pas de vendre leurs biens, pour établir parmi eux une communauté bienheureuse. Tels sont les deux caractères dont le Saint-Esprit a marqué les hommes qu'il forme en ce jour. Invincibles, inébranlables, insensibles en quelque sorte à leurs propres maux par l'esprit de force qui les a remplis, sensibles aux maux de leurs frères par les entrailles de la charité fraternelle, ils condamnent notre faiblesse qui ne veut rien souffrir pour l'amour de Dieu, ils convainquent notre dureté qui nous rend insensibles aux maux de nos frères. Ainsi par l'opération du Saint-Esprit le monde est convaincu de péché. Considérons attentivement cette double conviction; et

 

(a) Var. : Que ni la crainte, ni la douleur, ni les plus rudes extrémités ne peuvent plus empêcher de rendre... — (b) En repos.

 

1 Act., IV, 32.

 

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voyons avant toutes choses notre faiblesse condamnée par cet esprit de force et de fermeté qui paraît dans les apôtres et dans l'Eglise naissante.

 

PREMIER POINT.

 

Que l'esprit du christianisme soit un esprit de courage et de force, un esprit de fermeté et de vigueur, nous le comprendrons aisément, si nous considérons que la vie chrétienne est un combat continuel. Double combat, double guerre, comme dans un champ de bataille, pour combattre mille ennemis découverts et mille ennemis invisibles. Si la vie chrétienne est un combat continuel, donc l'esprit du christianisme est un esprit de force. Persécution au dehors, persécution intérieure. La nature contre la grâce. La chair contre l'esprit. Les plaisirs contre le devoir. L'habitude (a) contre la raison. Les sens contre la foi. Les attraits présents contre l'espérance. L'usage corrompu du monde contre la pureté de la loi de Dieu. « Qui ne sent point ce combat, dit saint Augustin, c'est qu'il est déjà vaincu, c'est qu'il a donné les mains à l'ennemi qui règne sans résistance : » Si nihil in te alteri resistit, vide totum ubi sit. Si spiritus tuus à carne contra concupiscente non dissentit, vide ne forte carni ments tota consentiat : vide ne forte ideo non sit bellum, quia pax perversa est (1). Qui suit le courant d'un fleuve, n'en sent la rapidité que par la force qui l'emporte avec le courant. Pouvons-nous vaincre dans ce combat, sans être revêtus d'un esprit de force? C'est pour cela que le Fils de Dieu, sachant que la force et la fermeté étaient comme le fondement de toute la vie chrétienne, a voulu faire paraître cet esprit avec un si grand éclat dès l'origine du christianisme, (b) Vous allez voir, chrétiens, de quelle sorte cet Esprit de

 

1 Serm. XXX, n. 4.

 

(a) Var. : La coutume.

(b) Note marg. : Dieu ayant choisi les apôtres pour convaincre le monde par leur ministère de ce qu'il ne croyait pas en son Fils, deux choses étaient nécessaires pour rendre leur déposition convaincante : la première, que le fait dont ils déposaient fût constamment de leur connaissance ; la seconde, qu'on fut assuré de la sincérité de leur cœur. Vous verrez bientôt, chrétiens, combien l’opération du Saint-Esprit était nécessaire pour ce grand ouvrage.

Pour établir le premier, Jésus-Christ leur avait paru. Vu, touché, etc. C’était à la vérité un grand avantage qu'ils pussent dire au monde : Non possumus quae vidimus et audivimus non loqui (Act., IV, 20). Mais cela ne suffisait pas; car combien avaient-ils vu de miracles? Et cependant, fui, tremblé, renié. Aussi leur défend-il de sortir, quoudusque induamini virtute ex alto (Luc, XXIV, 49). Il faut pousser jusqu'à a mort ce beau témoignage, cette importante déposition sur laquelle la foi de tout l'univers devait un jour se reposer, sans varier, sans être affaiblis, lorsque tous les intérêts cessent, que toutes les espérances humaines s'évanouissent. Nos témoins mis à la torture contre l'ordinaire... La preuve est complète; le Saint-Esprit a achevé la conviction. Cherchez, désirez ce qu'il faut pour rendre un témoignage convaincant...

 

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force qui a rempli les apôtres, convainc d'infidélité , et les Juifs qui n'ont pas cru à leur parole, et les chrétiens qui ont dégénéré de leur fermeté : Arguet mundum de peccato..., quia non crediderunt in me (1).

Simon, fils de Jonas, c'est-à-dire fils de la colombe, régénéré au dedans par le Saint-Esprit, Simon que ce même Esprit rend digne aujourd'hui du titre de Pierre par la fermeté qu'il vous donne, c'est à vous à parler pour vos frères, puisque vous êtes le chef du collège apostolique. Parlez donc, ô disciple, autrefois le plus hardi à promettre et le plus faible à exécuter (a), qui vouliez mourir, disiez-vous, et qui reniiez trois fois votre Maître ; c'est à vous à réparer votre faute. Il ne connaissait pas Jésus; écoutez maintenant comme il prêche ce Jésus, l'objet de la haine publique. Mes Frères, qu'il est changé ! Il n'était fort alors que par une téméraire confiance en lui-même; aujourd'hui qu'il est fort par le Saint-Esprit, écoutez quelles paroles ce divin Esprit met dans sa bouche : « Nous vous prêchons Jésus de Nazareth, etc. Sache donc toute la maison d'Israël, que le Dieu de nos pères a ressuscité et qu'il a fait asseoir à sa droite ce Jésus que vous avez crucifié (2). Car Pilate, ajoute-t-il, l'a voulu sauver, l'ayant jugé innocent; mais c'est vous qui l'avez mis en croix (3). » Et voyez comme il exagère leur crime : « Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé la grâce d'un voleur et d'un meurtrier, et vous avez fait mourir l'auteur de la vie (4). » Quelle force ! quelle véhémence ! Car que peut-on imaginer de plus fort pour confondre leur ingratitude que de leur remettre devant les yeux toute l'horreur de cette injustice, d'avoir conservé la vie à Barabbas qui l'ôtait aux autres par ses homicides, et tout ensemble de l'avoir ravie (b) à

 

1 Joan., XVI, 8, 9. — 2 Act., II, 22, 36. — 3  Act., III, 13. — 4 Ibid., 14, 15.

 

(a) Var. : Dans l'action. — (b) Otée.

 

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Jésus qui l'offrait à tous par sa grâce? Non, mes Frères, ce n'est pas un homme qui parle ; c'est le Saint-Esprit habitant en lui qui convainc le monde de péché, parce qu'il n'a pas cru en Jésus-Christ.

Mais voyons passer les apôtres des discours aux actions , du témoignage de la parole au témoignage des œuvres et du sang : sans fierté, sans emportement, sans ces violents efforts que fait une âme étonnée, mais qui s'excite par force, comme des hommes qui sentent la force de la vérité qui se soutient de son propre poids, ibant gaudentes (1). Quel est ce nouveau sujet de joie dans une si cruelle persécution? De ce qu'on les avait jugés dignes, de quelle récompense, ou de quelle gloire? dignes d'être maltraités et battus de verges pour le saint nom de Jésus. On les cite encore une fois, on les cite devant le conseil des pontifes , on les met en prison, on les bat de verges (a) par main de bourreau avec cruauté et ignominie, on leur défend sur de grandes peines de ne plus prêcher en ce nom ; car, Messieurs, c'est ainsi qu'ils parlent : Ne prêchez pas en ce nom, en ce nom odieux au monde, et qu'ils craignent même de prononcer, tant ils l'ont en exécration. A cela que répondront les apôtres? Une parole de force et de fermeté : « Nous ne pouvons pas nous taire, ne pas dire ce que nous avons vu et ce que nous avons ouï (2). » « Remarquez, dit ici saint Jean Chrysostome, de quelle manière ils s'expriment. S'ils disaient simplement : Nous ne voulons pas; comme la volonté de l'homme n'est que trop changeante (b), on aurait pu espérer de vaincre leur résolution. Mais de peur qu'on n'attende d'eux quelque foi-blesse indigne de leur ministère : Nous ne pouvons pas, disent-ils, et ne tentez pas l'impossible : » Non possumus. Et pourquoi ne pouvez-vous pas? n'êtes-vous pas les mêmes? — C'est que les choses ont été changées : un feu divin (c) est tombé sur nous, une loi a été écrite en nos cœurs, un Esprit tout-puissant nous fortifie et nous presse : touchés par ses divines inspirations (d), nous nous sommes imposé nous-mêmes une bienheureuse nécessite

 

1 Act., V, 41. —  2 Act., IV, 20.

 

(a) Var. : On les fouette. — (b) Trop variable : trop muable. — (c) Céleste. — (d) Pressés de ses divines inspirations.

 

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d'aimer Jésus-Christ plus que notre vie : c'est pourquoi nous ne pouvons plus obéir au monde; nous pouvons souffrir, nous pouvons mourir; mais nous ne pouvons plus trahir l'Evangile, ni dissimuler ce que nous savons par des voies si indubitables : Non possumus.

Mais admirez, chrétiens, l'efficace du Saint-Esprit dans cette parole : les pontifes et les magistrats du temple, étourdis et frappés de cette réponse (a) comme d'un coup de tonnerre, consultent ce qu'ils feront, et malgré toute leur fureur, elle arrache cet aveu de leur impuissance ; car écoutez comme ils parlent : Quid faciemus hominibus istis (1)? « Que ferons-nous à ces hommes? » Quel nouveau genre d'hommes nous paraît ici! aussitôt qu'ils professent la foi de Jésus, ils commencent à jeter leurs biens, et ils sont prêts à donner leurs âmes ; les promesses ne les gagnent pas, les injures ne les troublent pas, les menaces les encouragent, les supplices les réjouissent : Quid faciemus? « Que leur ferons-nous? » Eglise de Jésus-Christ, je n'ai pas de peine à comprendre qu'en prêchant, en souffrant, en mourant, tes fidèles couvriront un jour leurs tyrans de honte, et que leur patience forcera le monde à changer les lois qui les condamnaient, puisque je vois que dès ta naissance tu confonds tous les magistrats et toutes les puissances de Jérusalem par la seule fermeté de cette parole : Non possumus : « Nous ne pouvons pas. » Arguet mundum de peccato : Il a donc convaincu le monde de n'avoir pas cru en Jésus-Christ; mais ce même esprit nous va convaincre d'infidélité.

Car, mes Frères, je vous en prie, pensez un peu à vous-mêmes; mais pensons-y tous ensemble, et rougissons devant les autels de notre délicatesse. S'il est nécessaire d'avoir de la force pour avoir l'esprit du christianisme, quand mériterons-nous d'être appelés chrétiens, nous qui bien loin de rien endurer pour le Fils de Dieu qui a tant enduré pour nous, nous nous piquons au contraire de n'être pas endurants ? Nous nous faisons un honneur d'être délicats, et nous mettons une partie de cet esprit de grandeur mondaine dans cette délicatesse ; sensibles au moindre mot et offensés

 

1 Act., IV, 16.

 

(a) Var. : Les pontifes et les pharisiens frappés de cette réponse.

 

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à l'extrémité si on ne nous ménage avec précaution non-seulement dans nos intérêts, mais encore dans nos fantaisies et dans nos humeurs ; et comme si la nature même était obligée de nous épargner, nous nous regardons, ce semble, comme des personnes privilégiées que les maux n'osent approcher ; tant nous paraissons étonnés d'en souffrir les moindres atteintes, n'osant presque nous avouer à nous-mêmes que nous sommes des créatures mortelles; et ce qui est plus indigne encore, oubliant que nous sommes chrétiens, c'est-à-dire des hommes qui ont professé dans le saint baptême d'embrasser la croix de Jésus-Christ, d'éteindre en eux-mêmes l'amour des plaisirs par la mortification de leurs sens et l'étude de la pénitence.

Venez, venez, chrétiens, qui avez oublié le christianisme. Remontez à votre origine ; contemplez dans l'établissement de l'Eglise quel est l'esprit du christianisme et de l'Evangile. Approchez-vous des apôtres, et souffrez que le Saint-Esprit vous convainque d'infidélité par leur exemple. Je dis d'infidélité; car qu'eussions-nous fait, je vous prie, faibles et délicates créatures, si nous eussions vécu dans ces premiers temps, « où il fallait, dit Tertullien (1), acheter au prix de son sang la liberté de professer le christianisme? » Que de chutes! que de faiblesses! que d'apostasies !

Mais quoique ces sanglantes persécutions soient cessées, une autre persécution s'est élevée dans l'Eglise même. Persécution du monde, ses maximes, ses lois tyranniques, l'autorité qu'il se donne ; ses armes dans ses traits piquants, dans ses railleries... Qu'il faut s'avancer nécessairement, s'il se peut, par les bonnes voies, sinon s'avancer par quelque façon; s'il le faut, par des complaisances honteuses ; s'il est besoin, même par le crime, et que c'est manquer de courage que de modérer son ambition. Au reste à qui veut fortement les choses, nul obstacle n'est invincible. Un génie appliqué perce tout, se fait faire place, arrive enfin à son but. Ainsi, mon Sauveur, on s'applique tant aux espérances du monde, qu'on oublie et son devoir et votre Evangile.

C'est encore une maxime du monde, que qui pardonne une

 

1 De fug. in persec., n. 12; ad Scapul., n. 1.

 

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injure en attire une autre, qu'il se faut venger pour se faire craindre ; dissimuler quelquefois par nécessité, mais éclater quand on peut par quelque coup d'importance; bon ami, bon ennemi ; servir les autres dans leurs passions pour les engager dans les nôtres. Et quand achèverais-je ce discours? etc.

Il est vrai, ces dangereuses maximes ont leur principe caché dans nos inclinations corrompues ; mais c'est l'usage du monde qui les érige en lois souveraines, qu'on n'ose pas contredire. Car pour abattre ceux qui lui résistent, le monde est armé de traits piquants, je veux dire de railleries, tantôt fines, tantôt grossières; les unes plus accablantes par leur insolence outrageuse (a), les autres plus insinuantes parleur apparente douceur. Voyez jusqu'à quel point le monde veut triompher de Jésus-Christ; il pousse sa victoire jusqu'à l'insulte, tant il la croit pleine et entière ; et il se moque hautement de ceux qui résistent, comme s'il avait tellement raison qu'on ne put lui résister sans extravagance. Que la foi lui paraît simple et malhabile ! que la sincérité lui paraît grossière ! que la piété chrétienne lui semble être de l'autre monde ! que la vertu est faible à ses yeux avec ses mesures réglées, avec ses lois contraignantes (b) ! Qui l'eût cru, qui l'eût pensé, qu'au milieu du christianisme on eût honte de la piété ? Le monde ne menace point de nous bannir ; mais l'abandon est quelque espèce d'exil. Il ne fait pas mourir; mais il ôte les plaisirs et les honneurs, sans lesquels la vie nous serait à charge, (c) Ainsi une âme bien née, qui peut-être entrait dans le monde avec de bonnes inclinations, est entraînée par nécessité, ou dans la fausse galanterie sans laquelle on n'a point d'esprit, ou dans des pensées ambitieuses sans lesquelles on n'est pas du monde.

Dans cette dépravation générale, on ne sait qui corrompt les autres ; nous nous corrompons mutuellement, et chacun est étourdi en particulier par le bruit que nous faisons tous ensemble : ainsi nous sommes de tous les crimes, de toutes les médisances, de toutes les railleries contre Dieu, contre le prochain, moins par inclination que par complaisance. Faibles créatures que nous

 

(a) Var. : Par leurs moqueries. — (b) Avec son impuissante médiocrité. — (c) Note marg. : Ses traits piquants. La vertu étouffée, accablée par les moqueries.

 

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sommes, quand dirons nous (a) avec les apôtres ce généreux « Nous ne pouvons pas? » Mais cette vigueur chrétienne ne se trouve plus parmi nous. Il n'est rien que nous ne puissions pour satisfaire notre ambition et nos passions déréglées. Ne faut-il que trahir notre conscience, ne faut-il que violer les plus saints devoirs que la religion nous impose, ne faut-il qu'abandonner nos amis; Possumus, possumus ; nous le pouvons : l'honneur du monde y résiste un peu; mais enfin on nous trouvera des expédients : on tendra de loin des pièges subtils à sa simplicité innocente; il périra, et il aura tort. C'en est fait : Possumus, nous le pouvons; nous pouvons tout pour notre fortune, nous pouvons tout pour notre plaisir. Mais s'il faut expier nos crimes par les saintes pratiques de la pénitence, s'il faut briser ces liens trop doux, et abandonner ces occasions dans lesquelles notre intégrité a tant de fois fait naufrage, tout nous devient impossible, nous ne pouvons. S'il faut surmonter ce désir de plaire, qui nous rend esclaves volontaires des erreurs d'autrui, malgré les nobles sentiments de la liberté chrétienne, et contre le précepte de l'Apôtre , qui nous crie si hautement : « Vous avez été achetés d'un grand prix, ne vous rendez pas esclaves des hommes (1), » tout nous devient impossible. Le Saint-Esprit nous convainc de péché ; les apôtres et les premiers chrétiens , dont nous nous glorifions en vain d'être les enfants, si nous n'en sommes les imitateurs, confondent notre lâcheté et notre mollesse. Il n'y a point d'excuse contre Jésus-Christ, il n'y a point de raison contre l'Evangile. Ne dites plus désormais : Le monde le veut ainsi. La foi ne reconnait point de pareilles nécessités. Y allât-il de la fortune, y allât-il de la vie, y allât-il de l'honneur, que vous vous vantez faussement peut-être de préférer à la vie ; dût le ciel se mêler avec la terre, et toute la nature se confondre; « il ne peut jamais y avoir aucune nécessité de pécher, puisqu'il n'y a parmi les fidèles qu'une seule nécessité, qui est celle de ne pécher pas : » Nulla est necessitas delinquendi, quibus est necessitas non delinquendi (2).

 

1 I Cor., VI, 20; VII, 23.— 2 Tertull. De Coron., n. 11.

 

(a) Var. : Quand disons-nous.

 

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SECOND POINT.

 

Vous craignez peut-être, Messieurs, que ces hommes intrépides aient (a) quelque chose de rude pour les autres ; et il est assez ordinaire que ces âmes fortes que ni leurs périls n'alarment, ni les maux qu'on leur fait sentir n'abattent, aient quelque chose d'insensible et soient peu disposées à plaindre les autres. Au contraire le chrétien , cet homme spirituel que je vous représente , que le Saint-Esprit a rempli, compage charitatis summis simul et infimis junctus. La nature de la charité. Unie à Dieu. Par son union, insensible pour elle-même ; par sa dilatation, mêlée avec tous les autres. Exemple. Saint Paul (1) : « Que faites-vous, pleurant et me brisant le cœur? Car, pour moi, je suis préparé non-seulement à être lié, mais encore à souffrir la mort en Jérusalem. » Quelle fermeté et quelle tendresse ! la mort ne l'étonné pas, et il ne peut voir pleurer ses frères. Couler son sang, et non couler leurs larmes. Ce même saint Paul : « Je sais avoir faim , je sais avoir soif (2), » etc. Quis infirmatur (3), etc. Flere cum flentibus (4).

Raison profonde : ce qui nous rend insensibles aux maux des autres, c'est d'être pleins de nous-mêmes : enchanté de ses plaisirs, enivré du bon succès de ses espérances; tout va bien, c'est assez, je suis à mon aise. (b) Or on s'aime toujours soi-même, et on n'aime que soi-même, jusqu'à ce qu'on ait aimé quelque chose de plus que soi-même ; et ce ne peut être que Dieu. Voulez-vous donc être capables d'aimer sincèrement?.... Mais, Messieurs, qu'on ne me mêle point dans ce discours des pensées profanes, ni des idées de cet amour qui ne doit pas même être nommé dans cette chaire. Car appellerai-je aimer ce transport d'une âme emportée qui cherche à se satisfaire, et qui de quelque nom qu'il s'appelle et de quelque couleur qu'il se déguise, a toujours la sensualité pour son fond ? Je veux vous apprendre un amour chaste, un amour sincère, un amour tendre par la chante. Mais il faut un objet au-dessus de nous, qui nous attire hors de nous; ce n'est

 

1 Act., XXI, 13. — 2 Philipp., IV, 12. — 3 II Cor., XI, 29. — 4 Rom., XII, 15.

 

(a) Var. : Vous croyez peut-être, Messieurs, que ces hommes intrépides ont. — (b) Note marg. : Voyez IIe Carême du Louvre, sermon sur l'amitié et la charité fraternelle.

 

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pas assez, il faut une force intérieure qui nous pousse hors de nous-mêmes, qui ébranlant jusqu'aux fondements cet amour-propre, nous arrache à nous-mêmes : alors aimant Dieu plus que nous-mêmes, nous pourrons devenir capables d'aimer le prochain comme nous-mêmes. C'est pourquoi ce divin Esprit ayant rempli les apôtres, les ayant transportés hors d'eux-mêmes en les attachant à Dieu par Jésus-Christ, ou plutôt à Dieu en Jésus-Christ (car qu'est-ce que Jésus-Christ, sinon Dieu en nous, Dieu se donnant à nous? ) la ligne de séparation étant ôtée, le parois mitoyen étant renversé, il a fait cette bienheureuse unité de cœur : Multitudinis cor unum et anima una. Et parce que Dieu est peu aimé, de là vient aussi que la charité fraternelle ne paraît point sur la terre : Arguet mundum de peccato. Le monde n'aime rien : (a) Habitatio tua in medio fraudis ; vir fratrem suum deridebit (1). Esprit de moquerie secrète répandu dans le monde, etc. Je ne parle ici ni des vengeances implacables, ni des inimitiés déclarées, ni des aigreurs invincibles; je représente seulement les choses dont on ne fait pas même scrupule, et qui font voir toutefois que ni l'amour de Dieu n'est en nous, ni la charité fraternelle, ni enfin la moindre étincelle du Saint-Esprit, ni la première teinture du christianisme.

Mais il y a deux péchés principaux que le Saint-Esprit reprend, l'envie et l'esprit d'intérêt et d'avarice. C'est convaincre l'infidélité des Juifs, que de l'attaquer ainsi par la racine. Car la cause secrète et profonde qui a empêché les pharisiens, c'est l'envie et l'intérêt; mais il reprend aussi les chrétiens.

« L'envie, le poison de tous les cœurs : (saint Grégoire de Nazianze (2) ); la plus juste et la plus injuste de toutes les passions : » la plus injuste sans doute, car elle attaque les innocents; mais la plus juste tout ensemble, car elle punit le coupable, et fait le juste et insupportable supplice de celui qui la nourrit dans son cœur. Peut-elle subsister dans cette unité, si nous nous regardons comme un en Jésus-Christ? Si la main a voit son sentiment propre, envierait-elle à l'œil de ce qu'il éclaire, puisqu'il éclaire

 

1 Jerem., IX, 5, 6. — 2 Orat. XXVII, n. 8.

 

(a) Note marg. ; Voyez le même sermon et le discours de l'amitié chrétienne.

 

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pour tout le corps ? et l'œil envierait-il à la main et sa force et son adresse, qui l'a lui-même tant de fois sauvé? (a) Quel est le sujet de votre envie? Elle plaît, elle est plus chérie. O Dieu , si vous songiez ce que c'est que de plaire de cette sorte, et quel est le fond de ces agréments ! Mais venons à quelque chose que le monde estime plus important. Vous enviez à cet homme son élévation : s'il ne s'acquitte dignement d'un si grand emploi, n'est-il pas plus digne de pitié que d'envie ? et pouvez-vous lui envier une élévation qui découvre à tout l'univers ses faiblesses déplorables, ou ses emportements furieux, ou ses ignorances grossières? Que s'il fait bien dans un grand emploi, pourquoi portez-vous envie au soleil de ce qu'il vous éclaire avec tous les autres? Venez plutôt profiter du bien qu'il fait à tout l'univers; profitez de cette belle fontaine qui arrose vos terres, aussi bien que celles de vos voisins, au lieu de songer à en faire tarir la source. Les apôtres auparavant disputaient de la primauté; aujourd'hui ils parlent tous par la bouche de saint Pierre, ils croient présider avec lui ; si son ombre guérit, toute l'Eglise s'en glorifie en Notre-Seigneur.

Esprit d'intérêt et d'avarice. Cette unité : Nec quisquam eorum quœ possidebat aliquid suum esse dicebat ; sed erant illis omnia communia (1). — Qui animo animàque miscemur, nihil de rei communicatione dubitamus (2). Misérables aumônes, que les prédicateurs nous arrachent à force de crier contre la dureté de cœur ! faible et misérable secours d'une extrême nécessité, que nous laissons tomber d'une main avare comme une goutte d'eau dans un grand brasier! Quiconque est plein de la charité, ressent les maux du prochain, souffre avec lui, et le soulage comme se soulageant soi-même. On n'entend point cette unité; et cependant c'est là le fond du christianisme. Membres du même corps par le Saint-Esprit. Et quand est-ce que nous serons capables de le pratiquer, si nous ne sommes pas même capables de l'entendre? Le monde répond qu'on ne peut pas; on a tant de charges. La réponse de saint Pierre à Ananias : « Vous mentez au Saint-Esprit (3). » Il

 

1 Act., IV, 32. — 2 Tert., Apol., n. 39. — 3 Act., V, 3.

 

(a) Note marg. : Voyez le sermon : Spiritum nolite extinguere, pour la Pentecôte.

 

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voulait avoir l'honneur d'une bonne action qu'il ne faisait pas ; vous en savez le châtiment. Vous voulez avoir l'honneur de la charité sans l'exercer, en vous excusant sur votre impuissance ; et moi, je vous découvrirai un fonds inépuisable pour la charité-le fonds du Dieu créateur : argent, terre, pierreries, tua sunt omnia; et ensuite: Quœ de manu tuà accepimus, dedimus tibi (1). Sed adhuc excellentiorem viam vobis demonstro (2) : « Mais je vous montre encore une voie plus excellente : » le fonds du Dieu Sauveur, du Dieu crucifié , du Dieu dépouillé, qui vous apprend à vous dépouiller devant lui. Fonds pour la charité, sur le retranchement de la vanité. Pauvres intérieurs, passions insatiables : jamais. C'est assez. Rien pour les pauvres. Circoncision. Quelle règle? Je ne puis la proposer en cette chaire ; car elle n'est peut-être pas la même pour tous : mais que chacun s'applique à considérer le néant du monde, et sa figure qui passe. Peregrini sumus coràm te et advenœ; dies nostri quasi umbra super terram, et nulla est mora (3). Voyez quelle est cette pauvreté qui fait qu'on n'est riche que parle dehors. Quand vous vous appliquez quelque ornement, songez qu'il ne durera guère et que peut-être il restera après vous. Telle est la nature des choses que vous dites vôtres ; les véritables richesses, vous n'avez aucun soin de les amasser... De là naîtra un dégoût de ces richesses empruntées, qui tiennent si peu à votre personne : de là cette circoncision du cœur plus grande de jour en jour. L'esprit du monde, toujours augmenter et accroître ses folles dépenses. L'esprit du christianisme, toujours diminuer ses besoins. Double utilité : vous vous enrichirez au dedans, et vous serez en état d'exercer la charité fraternelle. Tel est l'esprit du christianisme ; Messieurs, « n'éteignez pas cet esprit : » Spiritum nolite extinguere (4).

Madame, Votre Majesté est née avec un éclat qui lui fait voir tout l'univers au-dessous d'elle. Vous êtes la digne épouse d'un roi, qui par la sagesse de ses conseils, par la hauteur de ses entreprises, par la grandeur de sa puissance , pourrait être l'effroi de l'Europe si par sa générosité il n'aimait mieux en être l'appui.

 

1 Paral., XXIX, 14. — 2 I Cor., XII, 30.—  3 I Paral., XXIX, 15.— 4 Thess., V, 19.

 

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Mais , Madame , la moindre pensée du christianisme, le moindre sentiment de piété, la moindre étincelle du Saint-Esprit, vaut mieux sans comparaison que ce grand royaume que le roi a mis entre vos mains avec une confiance si absolue. Laissez-vous donc posséder à cet esprit du christianisme. Remplissez-vous de l'esprit de force, pour combattre en vous-même sans relâche tous ces restes de faiblesse humaine dont les fortunes les plus relevées ne sont pas exemptes. Remplissez-vous de l'esprit de charité fraternelle, et n'usez de votre pouvoir que pour soulager les pauvres et les misérables. Ainsi puissions-nous bientôt changer en actions de grâces les vœux continuels que nous faisons pour votre heureux accouchement ! Puisse ce jeune prince, le digne objet de votre tendresse, croître visiblement sous votre conduite; puisse-t-il apprendre de vous cet abrégé des sciences, la soumission envers Dieu et la bonté envers les peuples! Mais puissions-nous tous ensemble pratiquer les saintes maximes de l'Evangile et vivre selon l'esprit du christianisme, afin que nous puissions aussi tous ensemble, maîtres et serviteurs, princes et sujets, jouir de la félicité éternelle : au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.

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