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QUATRIÈME SERMON
POUR
LE  JOUR  DE  PAQUES (a).

 

Christus resurgens ex mortuis jam non moritur.

Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus. Rom., VI, 9.

 

Avoir à prêcher le plus glorieux des mystères de Jésus-Christ et la fête la plus solennelle de son Eglise devant le plus grand de tous les rois et la Cour la plus auguste de l'univers; reprendre la parole après tant d'années d'un perpétuel silence, et avoir à contenter la délicatesse d'un auditoire qui ne souffre rien que d'exquis; mais qui, permettez-moi de le dire, sans songer autant qu'il faudrait à se convertir, souvent ne veut être ému qu'autant qu'il le faut pour éviter la langueur d'un discours sans force; et plus soigneux de son plaisir que de son salut, lorsqu'il s'agit de sa guérison, veut qu'on cherche de nouveaux moyens de flatter son goût raffiné : ce serait une chose à craindre, si celui qui doit annoncer dans l'assemblée des fidèles la gloire de Jésus-Christ ressuscité et y faire entendre la voix immortelle de ce Dieu sorti du tombeau,

 

(a) Prêché en 1681, à Versailles, devant le roi.

La Gazette de France, mars 1681, dit : « Le jour de Pâques, Leurs Majestés entendirent la prédication de l'ancien évêque de Condom, à Saint-Germain. » L'historien de Bossuet recule faussement notre date à 1680; c'est Bourdaloue qui prêcha cette année-là devant le roi.

On sait que Bossuet, de 1670 à 1680, pendant qu'il fut précepteur du Dauphin, ne parut qu'à de rares intervalles dans la chaire évangélique; voilà pourquoi il dit, dès les premiers mots de notre sermon : « Reprendre la parole après tant d'aunées d'un perpétuel silence... » Il dit pareillement en 1675, à la vêture de Madame de la Vallière : « Faire entendre une voix que les chaires ne commissent plus. »

Le lecteur trouvera, vers le milieu du troisième point, un passage en faveur de la communion fréquente; le prédicateur condamne ces homme* « qui n'ont plus de chrétien qu'un taux respect pour les sacrements, qui fait qu'ils les abandonnent de peur de les profaner. »

Lutin on peut voir au commencement du premier volume, dans les Remarques historiques, quelques-unes des nombreuses corrections qu'a subies ce chef-d'œuvre.

 

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beau, avait à craindre autre chose que de ne pas assez soutenir la force et la majesté de sa parole. Mais ici ce qui fait craindre soutient : cette parole divine révérée du ciel, de la terre et des enfers, est ferme et toute-puissante par elle-même ; et l'on ne peut l'affaiblir lorsque toujours autant éloigné d'une excessive rigueur qui se détourne a la droite, que d'une extrême condescendance qui se détourne vers la gauche (a), on propose cette parole dans sa pureté naturelle, telle qu'elle est sortie de la bouche de Jésus-Christ et de ses apôtres, fidèles et incorruptibles témoins de sa résurrection et de toutes les obligations qu'elle nous impose. Alors il ne reste plus qu'une seule crainte vraiment juste, vraiment raisonnable , mais qui est commune à ceux qui écoutent avec celui qui parle : c'est de ne profiter pas de cette parole, qui maintenant nous instruit et un jour nous doit juger; c'est de n'ouvrir pas le cœur assez promptement à la vertu qui l'accompagne et de prendre plus garde à l'homme qui parle au dehors qu'au prédicateur invisible qui sollicite les cœurs de se rendre à lui. Que si vous écoutez au dedans ce céleste prédicateur, qui jamais n'a rien de faible ni de languissant, et dont les vives lumières pénètrent les replis les plus cachés (b) des consciences, que de miracles nouveaux nous verrons paraître! que de morts sortiront du tombeau! que de ressuscites viendront honorer la résurrection de Jésus-Christ, et que leur inébranlable persévérance rendra un beau témoignage à l'immortelle vertu qu'un Dieu ressuscité pour ne mourir plus, répand dans les cœurs de ses fidèles! Pour commencer un si grand ouvrage, prosternés avec Madeleine et les autres femmes pieuses aux pieds de ce Dieu vainqueur de la mort, demandons-lui tous ensemble ses grâces vivifiantes par les prières de celle qui les a reçues de plus près et avec le plus d'abondance. Ave.

 

« Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus, » comme nous ;i dit saint Paul; et non-seulement il ne meurt plus, mais encore, à consulter la règle éternelle de la justice divine, il ne devait jamais

 

(a) Var. : Lorsque sans se détourner ni à la droite ni à la gauche. — (b) Les plus profonds.

 

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mourir. « La mort, dit le même Apôtre, est entrée dans le monde par le péché (1) ; » et encore : « La mort est le châtiment du péché (2) . » Puisque la mort est le châtiment du péché, l'immortalité devait être la compagne inséparable de l'innocence ; et si l'homme eût vécu éternellement affranchi des lois de la mort en conservant la justice, combien plutôt Jésus-Christ qui était la sainteté même, devait-il être toujours vivant et toujours heureux? Ajoutons à cette raison qu'en Jésus-Christ la nature humaine unie au Verbe divin, qui est la vie par essence, puisait la vie dans la source; de sorte que la mort n'avait point de lieu où la vie se trouvait dans la plénitude; et si Jésus-Christ avait à mourir, ce ne pouvait pas être pour lui-même ni pour satisfaire à une loi qui le regardât; mais pour nous et pour expier nos crimes dont il s'était volontairement chargé. Il a satisfait à ce devoir; et compté parmi les méchants (3), comme disait Isaïe, il a expiré sur la croix entre deux voleurs : « Il est mort une fois au péché, » dit le saint Apôtre; c'est-à-dire il en a porté toute la peine : Peccato mortuus est semel; et maintenant « il vit à Dieu, » vivit Deo (4). Il commence une vie toute divine, et la glorieuse immortalité lui est assurée. Vivez, Seigneur Jésus, vivez à jamais: la vie qui ne vous a pas été arrachée par force, mais que vous avez donnée de vous-même pour le salut des pécheurs, vous devait être rendue. Il était juste; et comme chantent dans l'Apocalypse tous les bienheureux esprits, « l'Agneau qui s'est immolé volontairement pour les pécheurs, est digne de recevoir, pour la mort qu'il a endurée par obéissance, la vertu, la force, la divinité (5) ; » c'est-à-dire il est digne de ressusciter, afin qu'une vie divine se répande sur toute sa personne, et qu'il soit éternellement par sa gloire l'admiration des hommes et des anges, comme il en est l'invisible soutien par sa puissance. Voilà en peu de mots le fond du mystère : il fallait poser ce fondement. Mais comme les mystères du christianisme, outre le fond qui fait l'objet de notre foi, ont leurs effets salutaires qu'il faut encore considérer pour notre instruction, revenons au premier principe, et disons encore une fois avec l'Apôtre : « Jésus-

 

1 Rom., V, 12. — 2 Ibid., VI, 23. — 3 Isa., LIII, 12. — 4 Rom., VI,  10. — 5 Apoc., V, 12.

 

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Christ ressuscité ne meurt plus : » de quelque côté qu'on le considère, tout est vie en lui et la mort n'y a plus de part. De là vient que la loi évangélique, qu'il envoie annoncer à tout l'univers par ses apôtres après sa glorieuse résurrection, a une éternelle nouveauté. Ce n'est pas comme la loi de Moïse, qui devait vieillir et mourir : la loi de Jésus-Christ est toujours nouvelle; la loi nouvelle, c'est son nom, c'est son propre caractère; et fondée, comme vous verrez, sur l'autorité d'un Dieu ressuscité pour ne mourir plus, elle a une éternelle vigueur. Mais à cette loi toujours vivante et toujours nouvelle, il fallait pour l'annoncer et la pratiquer, une Eglise d'une immortelle durée. La Synagogue, qui devait mourir, a été fondée par Moïse , qui à l'entrée de la terre sainte, où elle devait s'établir, meurt pour ne revivre qu'à la fin du monde avec le reste des hommes. Mais Jésus-Christ au contraire, après avoir enfanté son Eglise par sa mort, ressuscite pour lui donner sa dernière forme; et cette Eglise, qu'il associe à son immortalité, ne meurt plus non plus que lui. Voilà une double immortalité que personne ne peut ravir à Jésus-Christ : l'immortalité de la loi nouvelle, avec l'immortalité de cette Eglise répandue par toute la terre (a). Mais voici une troisième immortalité que Jésus-Christ ne veut recevoir que de nous. Il veut vivre en nous comme dans ses membres, et n'y perdre jamais la vie qu'il y a reprise par la pénitence. Car nous devons comme lui une fois mourir au péché, comme lui ne mourir plus après notre résurrection : regarder le péché comme la mort, n'y retomber jamais et honorer par une fidèle persévérance le mystère de Jésus-Christ ressuscité. Ah! Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus : auteur d'une loi toujours nouvelle, fondateur d'une Eglise toujours immuable, chef de membres toujours vivants : que de merveilleux effets de la résurrection de Jésus-Christ! Mais que de devoirs pressants pour tous les fidèles, puisque nous devons, écoutez, à cette loi toujours nouvelle, un perpétuel renouvellement de nos mœurs; à cette Eglise toujours immuable, un inviolable attachement; à ce Chef, qui nous veut avoir pour ses membres toujours vivants, une horreur du péché si vive, qu'elle nous le fasse

 

(a) Var. : Avec une plus ferme volonté de l'établir par toute la terre.

 

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éternellement détester plus que la mort : voilà le fruit du mystère, et les trois points de ce discours. Ecoutez, croyez, profitez : je vous romps le pain de vie, nourrissez-vous.

 

PREMIER POINT.

 

Ce fut une doctrine bien nouvelle au monde, lorsque saint Paul écrivit ces mots : « Vivez comme des morts ressuscités (1); » mais il explique plus clairement ce que c'est que de vivre en ressuscites, et à quelle nouveauté de vie nous oblige une si nouvelle manière de s'exprimer, lorsqu'il dit en un autre endroit : Si consurrexistis cum Christo, quœ sursum sunt quœrite, ubi Christus est in dexterà Dei sedens ; quœ sursum sunt sapite, non quœ super terram (2). « Si vous êtes ressuscites avec Jésus-Christ, cherchez les choses d'en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de son Père; goûtez les choses d'en haut, et non pas les choses de la terre. » Cette doctrine qui est une suite de la résurrection de Jésus-Christ, nous apprend le vrai caractère de la loi nouvelle. L'ancienne loi ne nous tirait pas de la terre, puisqu'elle nous proposaitdes récompenses temporelles et plus propres à soutenir les infirmes qu'à satisfaire les forts; comme elle était appuyée sur des promesses de biens périssables, elle ne posait pas encore un fondement qui pût demeurer. Mais Jésus-Christ ressuscité rompt tout d'un coup tous les liens de la chair et du sang, lorsqu'il nous fait dire par son saint Apôtre : Quœ sursum sunt quœrite: « Cherchez les choses d'en haut : » Quœ sursum sunt tapite: « Goûtez les choses d'en haut. » C'est là que Jésus-Christ vous a précédés, et où il doit avoir emporté avec, lui tous vos d sirs. Ensuite de cette doctrine, le sacrifice très-véritable que nous célébrons tous les jours sur ces saints autels, commence par ces paroles : Sursum corda : « Le cœur en haut, le cœur en haut; » et quand nous y répondons : Habemus ad Dominum : « Nous élevons nos cœurs à Dieu, » nous reconnaissons tous ensemble que le véritable culte du Nouveau Testament, c'est de nous sentir faits pour le ciel et de n'avoir que le ciel en vue. Mais j'entends vos malheureuses réponses : — Je ne suis que

 

1 Rom., VI. 13. — 2 Coloss., III, 1, 2.

 

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terre, et vous voulez que je ne respire que le ciel ; je ne sens que la mort en moi, et vous voulez que je ne pense qu'immortalité ! Mais les biens que vous poursuivez sont si peu de chose. Peu de chose, je le confesse, et encore moins, si vous le voulez; mais aussi que peut rechercher un rien comme moi, que des biens proportionnés au peu qu'il est? — Saintes vérités du christianisme; fidèle et irréprochable témoignage que les apôtres ont rendu au péril de tout à leur Maître ressuscité; mystère d'immortalité que nous célébrons, attesté par le sang de ceux qui l'ont vu et confirmé par tant de prodiges, par tant de prophéties, par tant de martyrs, par tant de conversions, par un si soudain changement du monde et par une si longue suite de siècles, n'avez-vous pu encore élever les hommes aux objets éternels? Et faut-il au milieu du christianisme faire de nouveaux efforts pour montrer aux enfants de Dieu, qu'ils ne sont pas si peu de chose qu'ils se l'imaginent? Nous demandons un témoin revenu de l'autre monde pour nous en apprendre les merveilles : Jésus-Christ qui est né dans la gloire éternelle et qui y retourne, « Jésus-Christ, témoin fidèle et le premier né d'entre les morts (1) » comme il est écrit dans l'Apocalypse; Jésus-Christ qui s'y glorifie d'avoir « la clef de l'enfer et de la mort (2), » qui en effet est descendu non-seulement dans le tombeau, mais encore dans les enfers où il a délivré nos pères et fait trembler Satan avec tous ses anges par son approche glorieuse : ce Jésus-Christ sort victorieux de la mort et de l'enfer pour nous annoncer une autre vie, et nous ne voulons pas l'en croire : nous voudrions qu'il renouvelât aux yeux de chacun de nous tous ses miracles, que tous les jours il ressuscitât pour nous convaincre ; et le témoignage qu'il a une fois rendu au genre humain, encore qu'il le continue, comme vous verrez, dune manière si miraculeuse dans son Eglise catholique, ne nous suffit pas !

A Dieu ne plaise ! dites-vous; je suis chrétien : ne me traitez pas d'impie : ne me dites rien des libertins : je les connais : tous les jours je les entends discourir ; et je ne remarque dans tous leurs discours qu'une fausse capacité, une curiosité vague et superficielle, ou pour parler franchement une vanité toute pure;

 

1 Apoc., I, 5. — 2 Ibid., 18.

 

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et pour fond des passions indomptables, qui de peur d'être réprimées par une trop grande autorité, attaquent l'autorité de la loi de Dieu, que par une erreur naturelle à l'esprit humain ils croient avoir renversé à force de le désirer. — Je les reconnais à ces paroles; vous ne pouviez pas me peindre (a) plus au naturel leur caractère léger et leurs bizarres pensées : j'entends ce que me dit votre bouche ; mais que me disent vos œuvres? Vous les détestez, dites-vous; pourquoi donc les imitez-vous? Pourquoi marchez-vous dans les mêmes voies? Pourquoi vous vois-je aussi éblouis (b) des grandeurs humaines, aussi enivrés de la faveur, et aussi touchés de son ombre, aussi délicats sur le point d'honneur, aussi entêtés de folles amours, aussi occupés de votre plaisir et, ce qui en est une suite, aussi durs à la misère des autres, aussi jaloux en secret du progrès de ceux que vous trouvez à propos de caresser en public, aussi prêts à sacrifier votre conscience à quelque grand intérêt, après l'avoir défendue peut-être pour la montre et pour l'apparence dans des intérêts médiocres. Avouons la vérité; faibles chrétiens ou libertins déclarés, nous marchons également dans les voies de perdition, et tous ensemble nous renonçons par notre conduite à l'espérance de la vie future.

Venez, venez, chrétiens, que je vous parle : cette vie éternelle, qui entre encore si peu dans votre esprit, la désirez-vous du moins ? Est-ce trop demander à des chrétiens que de vouloir que vous désiriez la vie éternelle ? Mais si vous la désirez, vous l'acquérez par ce désir en le fortifiant; et sans tourner davantage (c), sans fatiguer votre esprit par une longue suite de raisonnements, vous avez dans cet instinct d'immortalité le témoignage secret de l'éternité pour laquelle vous êtes nés, la preuve qui vous la démontre, le gage du Saint-Esprit qui vous en assure et le moyen infaillible de la recouvrer. Dites seulement avec David, David un homme comme vous, mais un homme assis sur le trône et environné de plaisirs, mais un roi victorieux et comblé de gloire; dites seulement avec lui : « Mon bien, c'est de m'attacher à Dieu : » Mihi autem adhœrere Deo bonum est (1). Un trône est caduc, la

 

1 Psal. LXXII, 28.

 

(a) Var. : Représenter. — (b) Enchantés. — (c) Sans aller plus loin.

 

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grandeur s'envole, la gloire n'est qu'une fumée, la vie n'est qu'un songe : « mon bien c'est d'avoir mon Dieu, c'est de m'y tenir attaché ; » et encore : « Qu'est-ce que je veux dans le ciel et qu'est-ce que je vous demande sur la terre ? Vous êtes le Dieu de mon cœur et mon Dieu, mon partage éternellement (1). »

Mais il faut pousser ce désir avec toute la pureté de la nouveauté chrétienne. Je m'explique. Les Juifs qui n'entendaient pas les mystères de Jésus-Christ ni, comme parle l'Apôtre, « la vertu de sa résurrection et les richesses inestimables du siècle futur (2) » ne laissaient pas de préférer Dieu aux fausses divinités ; mais ils voulaient obtenir de lui des félicités temporelles. Moi, Seigneur, je ne veux que vous ; mon Dieu, mon partage éternellement ; ni dans le ciel ni dans la terre je ne veux que vous. Tout ce qui n'est pas éternel, fût-ce une couronne, n'est digne ni de votre libéralité ni de mon courage; et puisque vous avez voulu que je connusse faiblement à la vérité, eu égard à votre immense grandeur, mais enfin avec une certitude qui ne me laisse aucun doute, votre éternité tout entière et votre infinie perfection, j'ai droit de ne me contenter pas d'un moindre objet : je ne veux que vous sur la terre, et je ne veux que vous même dans le ciel; et si vous n'étiez vous-même le don précieux que vous nous y faites, tout ce que vous y donnez d'ailleurs avec tant de profusion ne me serait rien. Que si vous pouvez former ce désir avec un David, avec un saint Paul, avec tant de saints martyrs et tant de saints pénitents, hommes comme vous ; si vous pouvez dire à leur exemple : Mon Dieu, je vous veux, il est à vous : car ni la bonté de Dieu ne lui permet jamais de se refuser à un cœur qui le désire (a), ni une force majeure ne le peut ravir à qui le possède, ni il n'est lui-même un ami changeant que le temps dégoûte. Quoi! mes frères, que de cette main bienfaisante lui-même il arrache ses propres enfants de ce sein paternel où ils veulent vivre! Il n'y a rien qui soit moins de lui; et de toutes les vérités la plus certaine, la mieux établie, la plus immuable, c'est que Dieu ne peut manquer à qui le désire; et que nul ne peut perdre Dieu,

 

1 Psal. LXXII, 25, 26. — 2 Philip., III, 10; Hebr., VI, 5.

 

(a) Var. : Qui l'aime.

 

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que celui qui s'en éloigne le premier par sa propre volonté. Qui ne l'entend pas, c'est un aveugle ; qui le nie, qu'il soit anathème.

Que sentez-vous, chrétiens, à ces paroles? Saint Paul n'a-t-il pas eu raison de vous exciter à chercher les choses célestes, puisqu'en les cherchant vous les acquérez ? Ses paroles ont-elles piqué votre cœur du vrai désir de la vie? Ai-je trouvé en les expliquant ce bienheureux fonds que Dieu mit dans votre âme pour la rappeler à lui quand il la fît à son image, que le péché vous avait fait perdre et que Jésus-Christ ressuscité vient renouveler? Car enfin d'où vous vient cette idée d'immortalité? d'où vous en vient le désir, si ce n'est de Dieu? N'est-ce pas le Père de tous les esprits, qui sollicite le vôtre de s'unir au sien pour y trouver la vraie vie? Peut-il ne pas contenter un désir qu'il inspire, et ne veut-il que nous tourmenter par une vue stérile d'immortalité? Ah ! je ne m'étonne pas si nous ne sentons rien d'immortel en nous. Nous ne désirons même pas l'immortalité; nous cherchons des félicités que le temps emporte et une fortune qu'un souffle renverse. Ainsi étant nés pour l'éternité, nous nous mettons volontairement sous le joug du temps, qui brise et ravage tout par son invincible rapidité ; et la mort que nous cherchons par tous nos désirs, puisque nous ne désirons rien que de mortel, nous domine de toutes parts. Sursum corda, sursum corda : « Le cœur en haut, le cœur en haut : » Quœ sursum sunt quœrite : « Cherchez ce qui est en haut : » c'est là que Jésus-Christ est assis à la droite de son Père, c'est de là qu'il vous envoie ce désir d'immortalité, et c'est là qu'il vous attend pour le satisfaire. Voilà l'abrégé de la loi nouvelle; voilà cette loi qui ne change plus, parce qu'elle a l'éternité pour objet; et c'est là uniquement que nous devons tendre.

Mais en marchant dans cette voie, apprenons de saint Augustin qu'elle exclut trois sortes de personnes. «Elle exclut premièrement ceux qui s'égarent ; » et qui, las d'une vie réglée qu'ils trouvent trop unie et trop contraignante, se jettent dans les voies d'iniquité, où une riante diversité égaie les passions et les sens. « Elle exclut en second lieu ceux qui retournent en arrière, et qui sans sortir de la voie, abandonnent les pratiques de piété qu'ils avaient

 

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embrassées. Elle exclut enfin ceux qui s'arrêtent et qui croyant avoir assez fait, ne songent pas à s'avancer dans la vertu (1). » Ceux qui sortent de la voie des commandements, après y être rentrés parla pénitence, et qui retombent dans leurs premiers crimes, hélas! c'est le plus grand nombre, c'est à eux que je dois parler à la fin de ce discours ; et plût à Dieu que je leur parle avec cette voix de tonnerre que Dieu donne aux prédicateurs, quand il veut briser les rochers et fendre les cœurs de pierre !

Mais je ne vous oublierai pas, ô petit nombre choisi de Dieu : vous, mes frères, qui fidèles à la pénitence, craignez de rentrer dans les voies de perdition où vous avez autrefois marché avec une si aveugle confiance, vous avez encore deux choses à craindre, apprenez-les de Jésus-Christ même : l'une de retourner en arrière et l'autre de vous arrêter un seul moment. Vous faites un pas en arrière, lorsque sans retourner au péché mortel, vous vous relâchez de l'attention que vous aviez sur vous-mêmes, que vous prodiguez le temps que vous ménagiez, que vous ôtez à la piété ses meilleures heures : et vous, lorsque tentée de relever par quelque parure cette modestie qui commence à vous paraître trop nue, vous vous dégoûtez de cette sainte simplicité, que vous regardiez auparavant comme la vraie marque de la pudeur (a), sans jamais vouloir songer à cette parole de Jésus-Christ qui foudroie votre négligence : « Celui qui met la main à la charrue, » qui commence à cultiver son âme comme une terre fertile , « et qui retourne en arrière, » qui se relâche des saintes pratiques qu'il avait choisies, que prononce le Fils de Dieu? quoi? peut-être qu'il n'atteindra pas à la perfection? Non, Messieurs; sa sentence est bien plus terrible : « Il n'est pas propre, dit-il, au royaume de Dieu (2), » et il n'a que faire d'y prétendre : c'est Jésus-Christ qui le dit, croyez donc à sa parole et tremblez.

Et comment se sauveront ceux qui reculent en arrière, puisque, ceux qui n'avancent pas dans la vertu sont dans un péril manifeste? Vous vous trompez, mon frère, si dans la vie chrétienne vous croyez pouvoir demeurer dans un même point; il faut dans

 

1 Serm. de Cantic. novo, n. 4. — 2 Luc, IX, 62.

 

(a) Var. : Que vous louiez auparavant comme le vrai ornement de la pudeur.

 

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cette route monter ou descendre. Saint Paul ne cesse de crier du troisième ciel : « Renouvelez-vous, renouvelez-vous (1) » Vous vous êtes renouvelés par la pénitence, renouvelez-vous encore : et Origène a raison de dire sur cette parole de saint Paul : « Ne croyez pas qu'il suffise de s'être renouvelé une fois, il faut renouveler la nouveauté même (2). » Car au point où vous croyez avoir assez fait, l'orgueil qui vous surprendra vous fera tout perdre, et vos forces seront dissipées par le repos qui relâchera votre attention. Ne proférez (a) donc jamais cette parole indigne d'une bouche chrétienne : Je laisse la perfection aux religieux et aux solitaires, trop heureux d'éviter la damnation éternelle. Non, non, non, vous vous abusez : qui ne tend point à la perfection, tombe bientôt dans le vice : qui grimpe sur une hauteur, s'il cesse de s'élever par un continuel effort, est entraîné (b) par la pente même, et son propre poids le précipite : c'est pourquoi toute l'Ecriture nous défend de nous arrêter un seul moment. Si selon l'apôtre saint Paul, la vie vertueuse est une course (3), il faut comme cet Apôtre s'avancer toujours, oublier ce qu'on a fait, courir sans relâche et n'imaginer de repos qu'à la fin de la carrière, où le prix de la course nous attend (4). « Si la vie vertueuse est une milice, » comme dit le saint homme Job (5) ou, comme parle saint Paul, « une lutte continuelle (6)» contre un ennemi également attentif et fort, se ralentir tant soit peu après même l'avoir atterré, c'est lui faire reprendre ses forces, et une victoire mal poursuivie ne devient pas moins funeste par l'événement qu'une bataille perdue.

Dans la guerre qu'avait David avec la maison de Saül, écoutez ce que remarque le texte sacré : « David croissait tous les jours, et s'élevait de plus en plus au-dessus de lui-même : au contraire la maison de Saul allait toujours décroissant, » et ses forces se diminuaient : David proficiscens et semper seipso robustior, domus autem Saül decrescens quotidie (7). Quel fut donc l'événement de cette guerre? Evénement heureux à David, dont le trône fut affermi pour jamais : mais événement funeste au malheureux

 

1 Ephes., IV, 23. — 2 In Epist. ad Rom., lib. V, n. 8. — 3 I Cor., IX, 24 — 4 Philip., III, 13. — 5 Job., VII, 1. — 6 Ephes., VI, 12. —  7 II Reg., III, 1.

 

(a) Ne dites. — (b) Emporté.

 

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Isboseth et à la maison de Saul, qui se vit bientôt sans ressource. Isboseth, qui se négligea et jamais ne s'aperçut qu'il diminuait, parce qu'il diminuait peu à peu, à la fin demeure sans force. Ses soldats l'abandonnent; Abner, qui soutenait le parti et par ses conseils et par sa valeur, se donne à son ennemi : le malheureux prince est assassiné dans son lit par des parricides à qui sa mollesse fit tout entreprendre; et pour avoir négligé d'imiter David qui croissait toujours, à force de déchoir il se trouva sans y penser au fond de l'abîme. Chrétien qui ne veux pas t'élever sans cesse dans le chemin de la vertu, voilà ta figure ; tout ce que tu avais de bons désirs te quittera l'un après l'autre, et ta perte est infaillible.

Eveillez-vous donc, chrétiens, comme l'ange disait au prophète ; éveillez-vous et marchez. « Car vous avez encore à faire un grand voyage : » Grandis enim tibi restat via (1). Cette voie, dit saint Augustin, veut « des hommes qui marchent toujours, » ambulantes quaerit (2). La crainte de l'enfer et de ses peines éternelles vous a ébranlés, c'est un bon commencement; mais il est temps d'ouvrir votre cœur aux chastes douceurs de l'amour de Dieu, sans lequel il n'y a point de christianisme. Vous avez pu renoncer au crime et aux plaisirs qui vous menaçaient d'irrémédiables douleurs, et peut-être même dès cette vie : la plaie n'est pas bien fermée, et ce cœur ensanglanté soupire encore en secret après ses joies corrompues : épurez vos intentions : fortifiez votre volonté par des réflexions sérieuses et par des prières ferventes. Car la prière assidue et persévérante est le seul soutien de notre impuissance. Vous avez commencé à goûter Dieu; car aussi comment peut-on être chrétien, si on n'aime et si on ne goûte ce bien infini? Apprenez peu à peu à le goûter seul et modérez ce goût du plaisir sensible, qui ne laisse pas d'être dangereux , lors même qu'il semble innocent. Autrement vous éprouverez par une chute imprévue la vérité de cette sentence : « Qui se néglige tombe peu à peu (3) ; » et quoique vous nous vantiez l'innocence de vos désirs encore trop sensuels, je ne laisse pas de trembler pour vous, parce qu'enfin.

 

1 III Reg., XIX, 7. — 2 Serm. de Cantic. novo, ubi suprà. — 3 Eccli., XIX, 1.

 

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quoi que vous disiez, du plaisir au plaisir il n'y a pas loin et du sensible au sensible la chute n'est que trop aisée. Il faut donc travailler sans cesse à cet édifice caduc, où toujours quelque chose se dément. Il faut toujours s'élever, si on ne veut pas retomber trop vite. A quelque point que nous soyons, saint Paul nous excite à monter plus haut (1). Après que nous sommes ressuscites avec Jésus-Christ, il faut encore avec lui monter jusqu'au plus haut des cieux et jusqu'à la droite du Père céleste. Car si cette ambition que le monde veut appeler noble, inspire à un grand courage une ardeur infatigable, qui fait qu'étant arrivé par mille travaux et mille périls aux premiers honneurs, il oublie tout ce qu'il a fait pour augmenter une gloire qui n'est après tout qu'un bruit agréable autour de nous et un mélange de voix confuses, que ne doit-on entreprendre pour la véritable gloire que Dieu réserve à ses enfants? Quelle activité et quelle vigueur ne de-mande-t-elle pas? Ne faut-il pas être toujours agissant à l'exemple de Jésus-Christ? « Mon Père, dit-il, opère toujours et moi j'opère avec lui (2). » Mais voyons-le opérer dans sa sainte Eglise : ce nous sera un nouveau motif de nous soumettre à l'opération de la grâce qui nous renouvelle.

 

SECOND POINT.

 

Nous avons vu que le Fils de Dieu en ressuscitant a voit dessein de nous attirer à cette « cité permanente (3), » comme l'appelle saint Paul, où il va prendre sa place et où nous devons jouir avec lui d'une paix inaltérable. Mais comme au milieu de l'agitation où nous sommes, nous avons peine à comprendre qu'il y ait pour nous quelque chose d'immuable, écoutez ce qu'il inédite. — O homme, tu ne veux pas croire, ou tu ne peux pas t'imaginer que je t'aie bâti dans le ciel une cité permanente, où tu seras éternellement heureux : et je m'en vais entreprendre un ouvrage sur la terre, qui te donnera une idée de ce que je puis, et de ce que je te prépare. Cet ouvrage, c'est son Eglise catholique. Venite et videte opera Domini, quœ posuit prodigia super terram (4). « O homme, viens voir les merveilles de la main de Dieu; et dans les prodiges qu'il

 

1 Coloss., III, I, 2. — 2 Joan., V, 17. — 3 Hebr., XIII, 14. — 4 Psal. XLV, 9.

 

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fait sur la terre, » juge des ouvrages immortels qu'il entreprend pour le ciel.

Approchons-nous donc de plus près, et regardons travailler le grand architecte. Il a travaillé à son Eglise durant sa vie, à sa mort, à sa glorieuse résurrection, mais toujours sur le même plan : et s'il nous faut assigner à chacun de ces états son ouvrage propre, il a commencé à former son Eglise par sa doctrine durant sa vie, il lui a donné la vie par sa mort, et par sa résurrection il lui a donné avec sa dernière forme le caractère d'immortalité. Mais plus nous entrerons dans le détail, plus la grandeur du dessein et la merveille de l'exécution nous paraîtra surprenante. L'Esprit invincible et tout-puissant qu'il a promis à ses apôtres étant mortel , il l'envoie ressuscité et monté aux cieux, afin pour ainsi parler qu'il coule toujours d'une vive source. Mais appliquons-nous à regarder la structure de son Eglise.

Durant les jours de sa vie mortelle, il a choisi ses apôtres; et il a dit à Pierre que « sur cette pierre il bâtirait son Eglise, contre laquelle l'enfer serait toujours faible (1). » Vous voyez les matériaux déjà préparés : les apôtres sont appelés et Pierre est mis à leur tête, Jésus-Christ ne sera pas plutôt ressuscité que nous le verrons commencer à élever l'édifice, mais toujours sur les mêmes fondements. Car écoutez ce que dit l'ange aux pieuses femmes : « Allez dire à ses disciples et à Pierre (2). » Dieu commence à réveiller la foi des apôtres, et il réveille principalement Pierre , qui était le premier de tous ; Pierre qui pour cette même raison devait être le plus fort et qui d'abord le plus infidèle, puisqu'il avait su renier son maître, devait ensuite confirmer ses frères, « afin, comme dit l'Apôtre, que la force fût perfectionnée dans l'infirmité et que la main de Jésus-Christ parût partout (3). »

Tout s'avance dans le même ordre : Pierre et Jean courent au tombeau (4) : Jean arrive le premier; mais le respect le retient, et il n'ose entrer devant Pierre dans les profondeurs : c'est Pierre qui voit le premier les linges de la sépulture posés à un coin du tombeau sacré, et les premières dépouilles de la mort vaincue. Voyez

 

1 Matth., XVI, 18. — 2 Marc., XVI, 7. — 3 II Cor., XII, 9. — 4 Joan., XX , 3 et seq.

 

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comme l'Eglise se forme avec toute sa bienheureuse subordination au tombeau (a) de Jésus-Christ ressuscité; et voyez en même temps comme les apôtres sortent peu à peu de leur erreur : Dieu les en tirant pas à pas, afin qu'une profonde réflexion sur tous leurs torts leur fasse entendre que Jésus-Christ seul avait pu ressusciter leur foi éteinte. Mais il faut avancer l'ouvrage, et il est temps que Jésus-Christ paroisse aux apôtres : tout se fera sur le même plan sur lequel on a commencé. Saint Paul, fidèle témoin, nous apprend que « Jésus-Christ apparut à Pierre et après aux onze (1). » Saints apôtres, le temps est venu que Jésus-Christ vous veut rendre les dignes témoins de sa résurrection; et afin que tout le corps soit inébranlable, il commence par affermir celui qu'il a mis à la tête : c'est aussi lui qui doit porter la parole au nom de vous tous. Pierre, qui a dit le premier : « Vous êtes Christ, Fils de Dieu vivant (2) » a aussi prêché le premier : Vous êtes le Christ ressuscité et le premier né d'entre les morts, et l'Eglise va être fondée autant sur la foi de la résurrection de Jésus -Christ que sur celle de sa génération éternelle.

Mais que fait Jésus-Christ un peu après pour donner la dernière forme à son Eglise? Environné de ses apôtres qui ne se lassaient point de le regarder, il dit à Simon Pierre : « Simon, fils de Jouas, m'aimez-vous, m'aimez-vous; encore une fois, m'aimez-vous plus que ceux-ci? » Vous qui êtes le premier en dignité, êtes-vous le premier en amour (b)? «Paissez mes agneaux, paissez mes brebis (3) ; » paissez les petits, paissez les mères; enfin avec le troupeau paissez aussi les pasteurs, qui à votre égard seront des brebis ; et aimez plus que tous les autres, puisque mon choix vous élève au-dessus d'eux tous. Ainsi s'achève l'Eglise : le corps des apôtres reçoit sa dernière forme, en recevant de la main de Jésus-Christ ressuscité un chef qui le représente sur la terre. L'Eglise est distinguée éternellement de toutes les sociétés schismatiques, qui faute de reconnaitre un chef établi de Dieu de cette sorte, ne sont que confusion; et le mystère de l'unité, par lequel l'Eglise est inébranlable, se consomme.

 

1 I Cor., XV, 5. — 2 Matth., XVI, 10. — 3 Joan., XXI, 15, 16, 17.

 

(a) Var. : Sépulcre. — (b) Vous qui excellez en dignité, excellez-vous en amour?

 

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Il reste pourtant encore un dernier ouvrage : il faut que cette Eglise ainsi formée avec ses divers ministères, reçoive la promesse d'immortalité de cette bouche immortelle, d'où le genre humain en suspens attendra un jour sa dernière et irrévocable sentence. Jésus-Christ assemble donc ses saints apôtres ; et prêt à monter aux deux, écoutez comme il leur parle (a) : « Toute puissance, dit-il, m'est donnée dans le ciel et dans la terre; il est temps de partir : allez, marchez à la conquête du monde; prêchez l'Evangile à toute créature; enseignez, toutes les nations et les baptisez au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (1). » Et quel en sera l'effet? Effet admirable, effet éternel et digne de Jésus-Christ ressuscité : « Je suis, dit-il, avec vous jusqu'à la consommation des siècles (2) : » digne parole de l'Epoux céleste, qui engage sa foi pour jamais à sa sainte Eglise. — Ne craignez point, mes apôtres, ni vous qui succéderez à un si saint ministère : moi ressuscité, moi immortel, je serai toujours avec vous : vainqueur de l'enfer et de la mort (b), je vous ferai triompher de l'un et de l'autre ; et l'Eglise que je formerai par votre sacré ministère, comme moi sera immortelle : ma parole, qui soutient le monde qu'elle a tiré du néant, soutiendra aussi mon Eglise : Ecce ego vobiscum sum. — Si depuis ce temps, chrétiens. l'Eglise a cessé un seul moment; si elle a un seul moment ressenti la mort d'où Jésus-Christ l'a tirée, (c) doutez des promesses de la vie future. Mais vous voyez au contraire que cette Eglise née dans les opprobres et parmi les contradictions, chargée de la haine publique, persécutée avec une fureur inouïe premièrement en Jésus-Christ qui était son chef et ensuite dans tous ses membres, environnée d'ennemis, pleine de faux frères et un néant, comme dit saint. Paul, dans ses commencements (d), attaquée encore plus vivement par le dehors et plus dangereusement divisée au dedans par les hérésies dans son progrès, dans la suite presque abandonnée par le déplorable relâchement de sa discipline; avec sa doctrine rebutante, dure à pratiquer, dure à entendre,

 

1 Matth., XXVIII, 18, 19. — 2 Ibid., 20.

 

(a) Var. : Et prêt à monter aux deux : « Toute puissance, dit-il.....— (b) Et du tombeau. — (c) Note marg. : Et que cette Eglise de Jésus-Christ unie à Pierre n'ait pas conservé avec l'unité et l'autorité une fermeté invincible. — (d) Var. Dans sa naissance.

 

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impénétrable à l'esprit, contraire aux sens, ennemie du monde dont elle combat toutes les maximes, demeure ferme et inébranlable.

Et pour venir au particulier de l'institution de Jésus-Christ, car il est beau de considérer dans des promesses circonstanciées un accomplissement précis, vous voyez que la doctrine de l'Evangile subsiste toujours dans les successeurs des apôtres; que Pierre, toujours à leur tête, n'a cessé d'enseigner les peuples et de « confirmer ses frères (1), » et comme disent les six cent trente évêques au grand concile de Chalcédoine, « qu'il est toujours vivant dans son propre siège (2) ; » que toutes les hérésies qui ont osé s'élever contre la science de Dieu, ont senti leurs têtes superbes frappées (a) par des anathèmes dont elles n'ont pu soutenir la force : qu'elles n'ont fait que languir depuis ce coup, et viennent tout à la fois tomber aux pieds de l'Eglise et de Pierre qui les foudroie par ses successeurs : que cependant cette Eglise ne se diminue jamais d'un côté qu'elle ne s'étende de l'autre, conformément à cette parole que Jésus-Christ adresse lui-même à l'Eglise d'Ephèse : Movebo candelabrum tuum de loco suo (3) : « Je remuerai de sa place votre chandelier, » je vous ôterai la lumière de la foi : prenez garde, je ne l'éteindrai pas, je la remuerai et la changerai de place, afin que l'Eglise regagne tout ce qu'elle perd, une vertu invisible réparant ses pertes; et plutôt que de la laisser sans enfants, Dieu faisant, selon la parole de Jésus-Christ, « des pierres mêmes et des peuples les plus infidèles naître les enfants d'Abraham (4) : » en sorte que dans sa vieillesse, si toutefois elle peut vieillir elle qui est immortelle, et lorsqu'on la croit stérile, elle soit aussi féconde que jamais et demeure toujours au-dessus de la ruine qui menace les choses humaines.

Lisez l'histoire des siècles passés, et considérez l'état du nôtre : vous verrez que par la vertu qui anime le corps de l'Eglise, lorsque l'Orient s'en est séparé, le Nord converti a rempli sa place : que le Nord en un autre temps soulevé par les séditieuses prédications de Luther, a vu sa foi non pas tant éteinte que transportée à

 

1 Luc, XXII, 32. — 2 S. Leo, Serm. II, cap. III. — 3 Apoc, II, 5. — 4 Matth., III, 9.

 

(a) Var. : On va frapper leurs têtes par...

 

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d'autres climats, et passée pour ainsi parler à de nouveaux mondes; et qu'enfin dans les pays même où l'hérésie règne, pour marque des ténèbres auxquelles elle est condamnée, elle tombe dans un désordre visible par un mélange confus de toutes sortes d'erreurs dont elle ne peut arrêter le cours; parce qu'à force de vouloir combattre l'autorité de l'Eglise qu'il a fallu, pour la contredire, appeler humaine, les hérésiarques n'ont pu s'en laisser aucune ni réelle ni apparente : ce qui fait que la plus superbe hérésie, la plus fière et la plus menaçante qui fut jamais, est devenue elle-même cette Babylone qu'elle se vantait de quitter. Et pour lui donner le dernier coup, Dieu suscite un autre Cyrus, un prince aussi magnanime, aussi modéré, aussi bienfaisant que lui, aussi grand dans ses conseils et aussi redoutable par ses armes ; mais plus religieux, puisqu'au lieu que Cyrus était infidèle, le prince que Dieu nous suscite tient à gloire d'être lui-même le plus zélé et le plus soumis de tous les enfants de l'Eglise, comme il est sans contestation le premier autant en mérite qu'en dignité (a) ; Dieu, dis-je, suscite ce nouveau Cyrus pour détruire cette Babylone et réparer les ruines de Jérusalem : de sorte que l'Eglise toujours victorieuse, quoiqu'en différentes manières, tantôt malgré les puissances conjurées contre elle et tantôt par leur secours que Dieu lui procure, triomphe de ses ennemis pour leur salut et pour le bien universel du monde, où seule elle fait reluire parmi les ténèbres la vérité toute pure et la droite règle des mœurs également éloignée de toutes les extrémités.

« O Eglise, les forces me manquent à raconter vos louanges : » Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei (1) : « Oh! vraiment, Eglise de Dieu, sainte cité de l'Eternel et la mère de ses enfants, vraiment on a dit de vous des choses bien glorieuses; » et je ne m'étonne pas de l'état heureux et permanent qui vous est prédestiné dans le ciel : déjà par la vertu de celui qui vous a promis d'être avec vous, vous avez tant de majesté et tant de solidité sur la terre. Mais, mes frères, remarquez-vous que cette promesse d'immortalité, qui soutient l'Eglise, s'adresse aux apôtres et aux successeurs

 

1 Psal. LXXXVI, 3.

 

(a) Var. : Le premier en mérite aussi bien qu'en dignité.

 

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des apôtres? «Allez, enseignez, baptisez; et moi, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles : » avec vous à qui la chaire a été donnée, avec vous à qui sont commis les saints sacrements, avec vous qui devez éclairer les autres. C'est parles apôtres et leurs successeurs que l'Eglise doit être immortelle. Si donc les successeurs des apôtres ne sont fidèles à leur ministère, combien d'âmes périront ! O merveilleuse importance de ces charges redoutables ! ô péril de ceux qui les exercent, péril de ceux qui les demandent, et péril encore plus grand de ceux qui les donnent ! Mais comme ceux qui les exercent, chargés d'instruire les autres, n'ont besoin que de leurs propres lumières; et que ce grand prince qui les donne entre dans les besoins de l'Eglise avec une circonspection si religieuse que nous sommes assurés d'un bon choix, pourvu que chacun s'applique à lui former en lui-même ou dans sa famille de dignes sujets, c'est à vous que j'ai à parler, à vous, Messieurs, à vous qui demandez tous les jours ou pour vous ou pour les autres ces redoutables (a) dignités.

Ah! Messieurs, je vous en conjure par la foi que vous devez à Dieu, par l'attachement inviolable que vous devez à l'Eglise, à qui vous voulez donner des pasteurs selon votre cœur plutôt que selon le cœur de Dieu, et, si tout cela ne vous touche pas, par le soin que vous devez à votre salut : ah! ne jetez pas vos amis, vos proches, vos propres enfants, vous-mêmes, qui présumez tout de votre capacité sans qu'elle ait jamais été éprouvée; ah ! pour Dieu, ne vous jetez pas volontairement dans un péril manifeste. Ne proposez plus à une jeunesse imprudente les dignités de l'Eglise comme un moyen de piquer son ambition, ou comme la juste couronne des études de cinq ou six ans, qui ne sont qu'un faible commencement de leurs exercices. Qu'ils apprennent plutôt à fuir, à trembler et du moins à travailler pour l'Eglise, avant que de gouverner l'Eglise. Car voici la règle de saint Paul, règle infaillible , règle invariable, puisque c'est la règle du Saint-Esprit : « Qu'ils soient éprouvés et puis qu'ils servent (1) ; » et encore : « C'est en servant bien dans les places inférieures qu'on peut s'élever à

 

1 I Tim., III, 10.

(a) Var. : Ces terribles.

 

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un plus haut rang (1) : » et cette règle est fondée sur la conduite de Jésus-Christ. Trois ans entiers il tient ses apôtres sous sa discipline : instruits par sa doctrine, par ses miracles, par l'exemple de sa vie et de sa mort, il ne les envoie pas encore exercer leur ministère : il revient des enfers et sort du tombeau pour leur donner durant quarante jours de nouvelles instructions : et encore après tant de soins, de peur de les exposer trop tôt, il les envoie se cacher dans Jérusalem : « Renfermez-vous, dit il; ne sortez pas jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (1). » Il les jette dans une retraite profonde, sans laquelle le Saint-Esprit, leur conducteur nécessaire, ne viendra pas. Voilà comme sont formés ceux qui ont appris sous Jésus-Christ.

Et nous, Messieurs, sans avoir rien fait, nous entreprenons de remplir leurs places. Si l'ordre ecclésiastique est une milice (3), comme disent tous les saints Pères et tous les conciles après saint Paul, espère-t-on commander, mais le peut-on sans hasarder tout, lorsqu'on n'a jamais obéi, jamais servi sous les autres? Et quel ordre, quelle discipline y aura-t-il dans la guerre, si on peut seulement prétendre de s'élever autrement que par les degrés ! Ou bien est-ce que la milice ecclésiastique, où il faut combattre tous les vices, toutes les passions, toutes les faiblesses humaines, toutes les mauvaises coutumes, toutes les maximes du monde , tous les artifices des hérétiques, toutes les entreprises des impies, en un mot tous les démons et tout l'enfer, ne demande pas autant de sagesse, autant d'art, autant d'expérience et enfin autant de courage, quoique d'une autre manière, que la milice du monde? Quel spectacle, lorsque ceux qui devaient combattre à la tête, ne savent par où commencer, qu'un conducteur secret remue avec peine sa faible machine, et que celui qui devait payer de sa personne paie à peine de mine et de contenance ! O malheur, ô désolation, ô ravage inévitable de tout le troupeau! Car ignorez-vous cette juste mais redoutable sentence que Jésus-Christ prononce de sa propre bouche : « Si un aveugle mène un autre aveugle, tous deux tomberont dans le précipice (4)? » Tous deux, tous deux tomberont;

 

1 I Tim., III, 13. — 2 Luc., XXIV, 49. — 3 I Timoth., I, 18. — 4 Matth., XV, 14.

 

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« et non-seulement, dit saint Augustin (1), l'aveugle qui mène, mais encore l'aveugle qui suit ! » ils tomberont l'un sur l'autre ; mais certes l'aveugle qui mène tombe d'autant plus dangereusement, qu'il entraîne les autres dans sa chute, et que Dieu redemandera de sa main le sang de son frère qu'il a perdu. Et pour voir un effet terrible de cette menace, considérez tant de royaumes arrachés du sein de l'Eglise par l'hérésie de ces derniers siècles. Recherchez les causes de tous ces malheurs, il s'élèvera autour de vous du creux des enfers comme un cri lamentable des peuples précipités dans l'abîme : C'est nos indignes pasteurs qui nous ont jetés dans ce lieu de tourment où nous sommes : leur inutilité et leur ignorance nous les a fait mépriser : leur vanité et leur corruption nous les a fait haïr injustement, il est vrai, car il fallait respecter Jésus-Christ en eux et les promesses faites à l'Eglise; mais enfin ils ont donné lieu aux spécieuses déclamations qui nous ont séduits; ces sentinelles endormies ont laissé entrer l'ennemi, et la foi ancienne s'est anéantie par la négligence de ceux qui en étaient les dépositaires.

O sainte Eglise gallicane, pleine de science, pleine de vertus, pleine de force, jamais, jamais, je l'espère, tu n'éprouveras un tel malheur (a) : la postérité te verra telle que t'ont vue les siècles passés, l'ornement de la chrétienté et la lumière du monde, toujours une des plus vives et des plus illustres parties de cette Eglise éternellement vivante, que Jésus-Christ ressuscité a répandue par toute la terre.

Mais nous, mes frères, voulons-nous mourir? Si nous ne commençons à vivre pour ne mourir plus, que nous sert d'être les membres d'un chef immortel et d'un corps, d'une Eglise qui ne doit jamais avoir de fin? C'est par cette considération qu'il faut finir ce discours.

 

TROISIÈME  POINT.

 

Etrange impression qui s'est mise dans l'esprit des hommes, qui, pourvu qu'ils aient un recours fréquent aux sacrements de

 

1 S. August., Serm. XLVI, n. 21.

 

(a) Var. : Pleine de vie, pleine de force, jamais tu ne verras un tel malheur.

 

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l'Eglise, croient que les péchés qu'ils ne cessent de commettre ne leur font pas tout le mal qu'ils leur pourraient faire ; et s'imaginent être chrétiens, parce qu'aussi souvent confessés qu'ils sont pécheurs, ils soutiennent dans une vie toute corrompue une apparence de vie chrétienne. Ce n'est pas là la doctrine que Jésus-Christ et ses apôtres nous ont enseignée. « Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus (1); » et de là que conclut saint Paul? « Ainsi vous devez penser que vous êtes morts au péché pour vivre à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ; » et encore avec plus de force : « Si, dit-il, nous sommes morts au péché, comment pourrons-nous y vivre dorénavant (3)? » Quomodo? Comment? comment le pourrons-nous? Parole d'étonnement, qui fait voir l'Apôtre saisi de frayeur à la seule vue d'une rechute ! Déplorable dépravation des chrétiens ! Nous nous étonnons maintenant, quand ceux qui fréquentent les saints sacrements gardent les résolutions qu'ils y ont prises; et saint Paul s'étonnait alors comment ceux qui les recevaient et qui étaient morts au péché, pouvaient y vivre. Si, dit-il, nous sommes morts au péché de bonne foi; si de bonne foi nous avons renoncé à ces abominables impuretés, à cette aigreur implacable d'un cœur ulcéré qui songe à se satisfaire par une vengeance éclatante, ou qui goûtant en lui-même une vengeance cachée, triomphe (a) secrètement de la simplicité d'un ennemi déçu; à ces meurtres que vous fait faire tous les jours une langue envenimée (b) ; à cette malignité dangereuse qui vous fait empoisonner si habilement et avec tant d'imperceptibles détours une conduite innocente; à cette fureur d'un jeu ruineux où votre famille change d'état à chaque coup, tantôt relevée pour un moment et tantôt précipitée dans l'abîme (c) : si nous avons renoncé à toutes ces choses et aux autres désordres de notre vie, comment pouvons-nous y vivre et nous replonger volontairement dans cette horreur?

Mais procédons par principes : les hommes ne reviennent que par là. Voici donc le fondement que je pose. Quand Dieu daigne se communiquer à sa créature, son intention n'est pas de se

 

1 Hom., VI, 9. — 2 Ibid., 11. — 3 Ibid., 2.

 

(a) Var. : Se rit.— (b) Bouche envenimée. — (c) Entièrement animée.

 

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communiquer en passant : « Mon Père et moi, nous viendrons à eux, dit le Fils de Dieu, et nous ferons en eux notre demeure (1); » et encore : « Le Saint-Esprit demeurera en vous et il y sera (2) ; » et encore : « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (3). » Une demeure réciproque ! En un mot l'Esprit de Dieu veut demeurer; car il est stable, constant, immuable de sa nature : il ne veut pas être en passant dans les âmes, il y veut avoir une demeure fixe; et s'il ne trouve dans votre conduite quelque chose de ferme et de résolu, il se retire : ou, pour vous dire tout votre mal, s'il ne trouve rien de repaie et de résolu dans votre conduite, craignez qu'il ne se soit déjà profondément retiré de vous, et que vous ne soyez celui dont il est écrit : « Vous avez le nom de vivant, et vous êtes mort (4). » Ne dites pas que ce n'est que fragilité : car si la fragilité qui est la grande maladie de notre nature, n'a point de remède dans l'Evangile, Jésus-Christ est mort et ressuscité en vain : en vain Dieu emploie à nous convertir, comme dit saint Paul, « la même vertu par laquelle il a ressuscité Jésus-Christ, » une vertu divine et surnaturelle : In quo et resurrexistis per fidem operationis Dei, qui suscitavit illum à mortuis (5). Et croire qu'on prenne toujours dans les sacrements une vertu miraculeuse et toute-puissante en demeurant toujours également faible, de sorte qu'on puisse toujours mourir au péché et toujours y vivre, c'est une erreur manifeste.

Ce n'est pas que je veuille dire qu'on ne puisse perdre la grâce recouvrée, et même la recouvrer plusieurs fois dans le sacrement de pénitence. Il faut détester (a) tous les excès : celui-ci est rejeté par toute l'Eglise et condamné manifestement dans toutes les Ecritures, qui n'ont point donné de bornes à la divine miséricorde ni à la vertu des saints sacrements. Mais comme je vous avoue que la vie chrétienne peut commencer quelquefois par l'infirmité, je dis qu'il en faut venir à la consistance. Un fruit n'est pas mûr d'abord et sa crudité offense le goût : mais s'il ne vient à maturité, ce n'est pas du fruit, c'est du poison. Ainsi le pécheur qui

 

1 Joan., XIV, 23. — 2 Ibid., 17. — 3 Ibid., VI, 57.— 4 Apoc., III, 1. — 5 Coloss., II, 12.

 

(a) Je déteste.

 

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se convertit, pourvu qu'il déplore sa fragilité et qu'au lieu d'en être confus il ne s'en fasse pas une excuse, peut ne la pas vaincre d'abord; et les fruits de sa pénitence, quoique amers et désagréables, ne laissent pas d'être supportés par l'espérance qu'ils donnent. Mais que jamais nous ne produisions ces dignes fruits de pénitence tant recommandés dans l'Evangile (1), c'est-à-dire « une conversion solide et durable, » pœnitentiam stabilem (2), comme l'appelle saint Paul (a) ; que notre pénitence ne soit qu'un amusement et, pour parler comme un saint concile d'Espagne, notre communion qu'un jeu sacrilège où nous nous jouons de ce que le ciel et la terre ont de plus saint, ludere de dominicâ communione (3); que notre vie, toute partagée entre la vertu et le crime, ne prenne jamais un parti de bonne foi; ou plutôt qu'en ne gardant plus que le seul nom de vertu, nous prenions ouvertement le parti du crime, le faisant régner en nous malgré les sacrements tant de fois reçus, c'est un prodige inouï dans l'Evangile, c'est un monstre dans la doctrine des mœurs.

Faites-moi venir un philosophe, un Socrate, un Aristote, qui vous voudrez : il vous dira que la vertu ne consiste pas dans un sentiment passager, mais que c'est une habitude constante et un état permanent. Que nous ayons une moindre idée de la vertu chrétienne, et qu'à cause que Jésus-Christ nous a ouvert dans les sacrements une source inépuisable pour laver nos crimes; plus aveugles que les philosophes qui ont cherché la stabilité dans la vertu, nous croyons être chrétiens lorsque nous passons toute notre vie dans une inconstance perpétuelle ; aujourd'hui dans les eaux de la pénitence et demain dans nos premières ordures; aujourd'hui à la sainte table avec Jésus-Christ et demain avec Déliai et dans toute la corruption passée : peut-on déshonorer davantage le christianisme, et n'est-ce pas faire de Jésus-Christ même, chose abominable, un défenseur des mauvaises habitudes? Ce n'est pas ainsi qu'il a parlé des rechutes (b), lui qui trouvant l'arbre cultivé et toujours infructueux, s'étonne de le voir encore

 

1 Luc, III, 8. — 2 II Cor., VII, 10. — 3 Concil. Eliberit., can. XLVII. Labb., tom. I, col. 975.

 

(a) Var. : Comme dit saint Paul. — (b) Ce n'est pas ainsi que Jésus-Christ en a parlé.

 

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sur la terre et prononce qu'il n'est plus bon que pour le feu (1). Quel effet attendez-vous de vos confessions stériles? Ne voyez-vous pas que vous vous trompez vous-mêmes (a) ; et qu'ennemis non pas du péché, mais du reproche de vos consciences qui vous inquiète, c'est de cette inquiétude, et non du péché, que vous voulez vous défaire; de sorte que (b) le fruit de vos pénitences, c'est d'étouffer le remords et de vous faire trouver la tranquillité (c) dans le crime ?

— Ah ! il est vrai, vous me convainquez : dans la faiblesse où je suis, jamais je n'approcherai (d) des saints sacrements.—J'avais prévu cette malheureuse conséquence. Nous voici donc dans ces temps dont parle saint Paul, « où les hommes ne peuvent plus soutenir la saine doctrine (2). » Prêchez-leur la miséricorde toujours prête à les recevoir, au lieu d'être attendris par cette bonté, ils ne cesseront d'en abuser jusqu'à ce qu'ils la rebutent et la changent en fureur; faites-leur voir le péril où les précipite le mépris des saints sacrements, il n'y a plus de sacrements pour eux. Combien en effet en connaissons-nous qui n'ont plus rien de chrétien que ce faux respect pour les sacrements, qui fait qu'ils les abandonnent, de peur, disent-ils, de les profaner! Le beau reste de christianisme (e), comme si on pouvait faire, pour ainsi parler, un plus grand outrage aux remèdes que d'en être environné sans daigner les prendre, douter de leur vertu et les laisser inutiles !

O Jésus-Christ ressuscité, parlez vous-même. Vous avez dit de votre bouche sacrée, que « les morts qui seraient gisants dans les tombeaux entendraient la voix du Fils de l'homme, et sortiraient des ombres de la mort (3). » O vous plus morts que les morts, morts de quatre jours, dont les entrailles déjà corrompues par des habitudes invétérées font horreur aux sens; « squelettes décharnés, os desséchés, » où il n'y a plus de suc ni aucun reste de l'ancienne forme; quoiqu'une pierre pesante vous couvre, et que rien ne semble capable de forcer la dureté de votre cœur, « Ecoutez

 

1 Luc, XIII, 6 et seq. — 2 II Tim., IV, 3. — 3 Joan., V, 25, 28.

 

(a) Var. : Ne voyons-nous pas que nous nous trompons nous-mêmes, etc. — (b) En sorte que. — (c) La sécurité. — (d) Je me garderai bien d'approcher. — (e) De piété.

 

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la voix du Fils de l'homme : » Ossa arida, audite verbum Domini (1). Est-ce en vain que saint Paul a dit que Dieu emploie pour vous convertir, et qu'il a mis dans ses sacrements « la même vertu par laquelle il a ressuscité Jésus-Christ, » secundùm operationem potentiœ virtutis ejus, quam operatus est in Christo, suscitans illum à mortuis (2); par conséquent une vertu infinie, une vertu miraculeuse, une vertu qui ressuscite les morts ? Pourquoi donc voulez-vous périr ?

— Ah! j'ai trop abusé des grâces, et j'ai épuisé tous les remèdes. — Mais pourquoi accusez-vous les remèdes que vous n'avez jamais pris qu'avec négligence ? Avez-vous gémi ? avez-vous prié ? Après avoir découvert vos plaies cachées à un sage médecin, avez-vous vécu dans le régime nécessaire, épargnant à votre faiblesse jusqu'aux occasions les moins dangereuses, et songeant plutôt à éviter les tentations qu'à les combattre ? — Mais cette vie est trop ennuyeuse, et on ne peut la souffrir. — Songez, songez non pas aux ennuis, mais aux douleurs et au désespoir d'une éternité malheureuse. Ce n'est pas ce qu'il nous faut faire pour notre salut qui doit nous sembler difficile, mais ce qui nous arrivera si nous en abandonnons le soin. Faites donc un dernier effort. Vous consultez trop longtemps. Ecoutez le conseil de saint Augustin ; il a été dans la peine où je vous vois (a), et saura bien vous conseiller ce qu'il y faut faire. Nolite libenter colloqui cum cupiditatibus vestris (3) : « Cessez, dit ce pécheur si parfaitement converti, cessez de discourir avec vos passions et avec vos faiblesses. » Vous écoutez trop leurs vaines excuses, les délais qu'elles vous proposent, les mauvais exemples qui les entretiennent, la mauvaise honte qu'elles vous remettent continuellement devant les yeux, et enfin les mauvaises compagnies qui vous entraînent au mal comme malgré vous. Ne voyez-vous pas l'erreur des hommes, qui ne trouvant dans leurs plaisirs qu'une joie trompeuse et jamais le repos qu'ils cherchent, s'étourdissent les uns les autres et s'encouragent mutuellement à mal faire, toujours plus déterminés en compagnie qu'en particulier ; marque visible

 

1 Ezech., XXXVII, 4. — 2 Coloss., II, 12. — 3 In Psal. CXXXVI, n. 21.

 

(a) Var. : Il a passé par cette épreuve.

 

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d'égarement, et que leurs plaisirs destitués de la vraie nature du bien et toujours suivis du dégoût, ont besoin pour se soutenir du tumulte qui offusque la réflexion. Cessez de les écouter, si vous ne voulez, périr avec eux. Une grande résolution se doit prendre par quelque chose de vif et avec un soudain effort : demain, c'est trop tard ; sortez aujourd'hui de l'abîme où vous périssez et où peut-être vous vous déplaisez depuis si longtemps. On n'aura pas demain un autre Evangile, un autre enfer, ni un autre Dieu et un autre Jésus-Christ à vous prêcher : l'Eglise a fait ses derniers efforts dans cette fête, et a épuisé toutes ses menaces. La vieillesse, où vous mettez votre confiance, ne fera que vous affaiblir l'esprit et le cœur, et répandre sur vos passions un ridicule qui vous rendra la fable du monde, mais qui n'opérera pas votre conversion. La mort, qui la suit de près, vous fera jouer peut-être le personnage de pénitent comme à un Antiochus : vous serez alarmés et non convertis : votre âme sera jetée dans un trouble irrémédiable; et incapable dans sa frayeur de se posséder elle-même, elle vous fera rouler sur les lèvres des actes de foi suggérés, comme l'eau court (a) sur la pierre sans la pénétrer ; ainsi il n'y aura plus pour vous de miséricorde.

« Ah ! mes frères, j'espère de vous de meilleures choses, encore que je parle ainsi : » Confidimus autem de vobis, dilectissimi, meliora et viciniora saluti, tametsi ita loquimur (1). Car pourquoi voulez-vous mourir, maison d'Israël, peuple béni, peuple bien-aimé, autrefois enfants de colère et maintenant enfants d'adoption et de dilection éternelle; vous pour qui toutes les chaires retentissent d'avertissements salutaires, pour qui coulent toutes les grâces dans les sacrements, pour qui toute l'Eglise est en travail et s'efforce de vous enfanter en Jésus-Christ; mais pour qui Jésus-Christ est mort, pour qui ce Sauveur ressuscité ne cesse d'intercéder auprès de son Père par ses plaies, pourquoi voulez-vous mourir? Vivez, vivez plutôt, mes chers frères, c'est Dieu même qui vous le demande, qui vous y exhorte, qui vous l'ordonne, qui vous en prie : et nous, indignes interprètes de ses volontés et ministres tels quels de sa

 

1 Hebr., VI, 9.

 

(a) Var. : Coule.

 

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parole, nous secondons le dessein de sa miséricorde, et de cette même bouche dont nous vous consacrons les divins mystères, « nous vous conjurons pour Jésus-Christ avec l'Apôtre, réconciliez-vous à Dieu : » Obsecramus pro Christo, reconciliamini Deo (1); et encore avec le prophète : « Convertissez-vous, et vivez (2) ; » mais afin de vivre pour ne mourir plus, vivez dans les précautions nécessaires à la faiblesse. » Souvenez-vous, dit Jésus-Christ, de la femme de Lot (3), » et de la suite funeste d'un regard fugitif, et du monument éternel que Dieu nous y donne des châtiments qui suivent les moindres retours vers les objets qu'il faut quitter (a). Le grand mal des Israélites sous Achab et celui qui les fit périr sans ressource, c'est que parmi les dieux étrangers dont ils encensaient les autels, « ils furent, dit l'Ecriture, si abominables qu'ils adorèrent les dieux des Amorrhéens que Dieu avait mis en fuite devant eux (4). » Ces dieux vaincus, ces dieux renversés avec les peuples qui les servaient , furent révérés   des Israélites et devinrent l'objet de leur culte; ce fut le comble de leurs maux et le pas le plus prochain vers la perdition. Craignez une semblable aventure : que ces idoles abattues ne voient jamais redresser leurs abominables autels; que la pensée de la mort efface tout l'éclat qui vous éblouit ; que la résurrection de Jésus-Christ ouvre vos yeux aux biens éternels, et enfin que jamais le monde vaincu ne redevienne vainqueur.

Sire, quel autre sait mieux (b) que vous assurer une victoire? Et de qui pouvons-nous apprendre avec plus de fruit les véritables effets d'un triomphe entier que de cette main invincible sous laquelle tant d'ennemis abattus ont vu tomber tout ensemble et leurs forces et leur courage ; et malgré leur secret dépit, ont perdu avec l'espérance de se relever jusqu'à l'envie de combattre ? Jamais le monde ne sera tout à fait vaincu par les chrétiens, jusqu'à ce qu'il soit atterré de cette sorte et qu'à force de le vaincre, nous l'ayons réduit à désespérer pour jamais de rétablir dans nos

 

1 II Cor., V, 20. — 2 Ezech., XVIII, 32. — 3 Luc, XVII, 32. — 4 III Reg.,

XXI, 26.

 

(a) Var.: Souvenez-vous, dit Jésus-Christ, de la femme de Lot, nomment éternel de la punition de ceux qui tournent les yeux vers les objets qu'ils ont quittés. — (b) Qui sait mieux.

 

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cœurs son empire renversé. Mais Sire, Votre Majesté, après la victoire si pleine et si assurée, a donné la paix à ses ennemis domptés (a) ; et cette paix tant vantée, mais qui ne l'est pas encore assez, fait le comble de votre gloire. Dans la guerre que les chrétiens ont à soutenir, il n'y a ni paix ni trêve, puisque si le monde cesse quelquefois de nous attaquer par le dehors, nous-mêmes nous ne cessons par de continuels combats de mettre notre salut en péril : de sorte que (b) l'ennemi est toujours aux portes et que le moindre relâchement, le moindre retour, enfin (c) le moindre regard vers la conduite passée, peut en un moment faire évanouir toutes nos victoires et rendre nos engagements plus dangereux que jamais. Il faut donc s'armer de nouveau après le triomphe. Prenez, Sire, ces armes salutaires dont parle saint Paul (1), la foi, la prière, le zèle, l'humilité, la ferveur : c'est par là qu'on peut (d) s'assurer la victoire parmi les infirmités et dans les tentations de cette vie. Arbitre de l'univers et supérieur même à la fortune, si la fortune était quelque chose, c'est ici la seule occasion où vous pouvez craindre sans honte, et il n'y a plus pour vous qu'un seul ennemi à redouter, vous-même, Sire, vous-même ; vos victoires, votre propre gloire, cette puissance sans bornes (e) si nécessaire à conduire un Etat, si dangereuse à se conduire soi-même : voilà le seul ennemi dont vous ayez à vous défier (f). Qui peut tout ne peut pas assez ; qui peut tout ordinairement tourne sa puissance contre lui-même; et quand le monde nous accorde tout, il n'est que trop malaisé de se refuser quelque chose. Mais aussi c'est la grande gloire et la parfaite vertu de savoir, comme vous, se donner des bornes et demeurer dans la règle, quand la règle même semble nous céder.

Pour vivre dans cette règle qui soumet à Dieu toute créature, il faut, Sire, quelquefois descendre du trône. L'exemple de Jésus-Christ nous fait assez voir que « celui qui descend, c'est celui qui monte. Celui qui est descendu, dit saint Paul, jusqu'aux profondeurs de la terre, c'est celui qui est monté au plus haut des cieux (2) : »

 

1 Ephes., VI, 11 et suiv. — 2 Ephes., IV, 9, 10.

 

(a) Var. : Vaincus. — (b) En sorte que. — (c) En un mot. — (d) Qu'on peut assurer sa victoire...... (e) Votre puissance sans bornes. — (f) Dont vous ayez à vous garder; — que vous avez à combattre.

 

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il faut donc descendre avec lui, quelque grand qu'on soit; descendre pour s'humilier, descendre pour se soumettre, descendre pour compatir, pour écouter de plus près la voix de la misère qui perce le cœur et lui apporter un soulagement digne d'une si grande puissance. Voilà comme Jésus-Christ est descendu. Qui descend ainsi remonte bientôt. C'est, Sire, l'élévation que je vous souhaite. Ainsi votre grandeur sera éternelle ; votre Etat ne manquera jamais : nous vous verrons toujours roi, toujours couronné, toujours vainqueur et en ce monde et en l'autre, par la grâce et la bénédiction du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

 

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