Rameaux II
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SECOND SERMON
POUR
LE  DIMANCHE  DES  RAMEAUX,
SUR LA NÉCESSITÉ DES SOUFFRANCES (a).

 

Per patientiam auramus ad proposition nobis certamen, aspicientes in auctorem fidei nostrae et consummatorem Jesum.

 

Courons par la patience au combat qui nous est proposé, jetant les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi. Hebr., XII, 1, 2.

 

Voici les jours salutaires où l'on érigera le Calvaire dans tous nos temples, où nous verrons couler les ruisseaux de sang de toutes les plaies du Fils de Dieu, où l'Eglise représentera si vivement par ses chants, par ses paroles et par ses mystères, celui de

 

(a) Exorde.— Au Calvaire, trois crucifiés (S. August., serm. XI in Psal. XXXIV.).

Premier point. — Dieu semblable à nous, afin que nous fussions semblables à lui. Incarnation. Esprit de Jésus-Christ, souffrances. Virum dolorum et scientem infirmitatem (Isa., LIII, 3). Nécessité de souffrir.

Second point. — Pénitence dans tes peines. Voleur pénitent : exemple. Souffrance, épreuve de la vertu. Or du sanctuaire. Voleur pénitent : miséricorde, traité par Jésus : aujourd'hui, quelle promptitude ! avec moi, quelle compagnie ! dans le paradis, quel repos !

Troisième point.— Enfer dès ce monde : peine sans pénitence. Deux feux dans les Ecritures. Consolation aux enfants de Dieu dans les afflictions. Distingués des méchants, même quand ils souffrent les mêmes maux. Comparaison : saint Augustin. Exhortation à prendre la médecine.

 

Prêché dans le Carême de 1661, aux Carmélites de la rue Saint-Jacques.

Une note autographe du manuscrit porte: « Aux Carmélites. » Ensuite l'orateur emploie l'allocution : « Ames saintes; » il s'adressait donc à des religieuses. Mais, d'une autre part, il ne prononce pas un mot qui annonce la présence de la reine ni des gens de la Cour : il ne prêchait donc pas au Val-de-Grace ; donc aux Carmélites. Enfin le titre du sermon : Sur la Nécessité des souffrances, rappellerait, lui seul cette malheureuse époque où la France eut tant à souffrir de la disette et de la mortalité, l'année 1661 aussi bien que l'année 1662.

 

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sa passion douloureuse, qu'il n'y aura aucun de ses enfants à qui nous ne puissions dire ce que l'Apôtre disait aux Galates (1), que Jésus-Christ a été crucifié devant ses yeux. Elle commence aujourd'hui à lire dans l'action de son sacrifice (a) l'histoire de la passion de son Rédempteur ; commençons aussi dès ce premier jour à nous en remplir tellement l'esprit, que nous n'en perdions jamais la pensée pendant ces solennités pleines d'une douleur qui console, et d'une tristesse si douce, que pour peu qu'on s'y abandonne elle guérit toutes les autres.

Parmi ces spectacles de mort et de croix qui s'offrent à notre vue, le chrétien sera bien dur, s'il ne suspend du moins durant quelques jours ce tendre amour des plaisirs, pour se rendre capable d'entendre combien les peines de Jésus-Christ lui rendent nécessaire l'amour des souffrances. C'est pourquoi j'ai différé jusqu'à ces saints jours à vous proposer dans cette chaire cette maxime fondamentale de la piété chrétienne. Il m'a semblé, chrétiens, que pour vous entretenir avec efficace d'une doctrine si dure, si contraire aux sens, si considérable à la foi, il fallait attendre le temps dans lequel Jésus-Christ lui-même nous prêche à la croix ; et j'ai cru que je parlerais faiblement, si ma voix n'était soutenue par celle de Jésus mourant, ou plutôt par le cri de son sang, «qui parle mieux, dit saint Paul, et plus fortement que celui d'Abel (2). »

Servons-nous donc, chrétiens, de cette occasion favorable, et tâchons d'imprimer dans les cœurs la loi de la patience, qui est le fondement du christianisme. Mais ne soyons pas assez téméraires pour entreprendre un si grand ouvrage sans avoir imploré le secours du ciel par l'intercession de Marie (b). Ave.

 

1 Galat., III, 1. — 2 Hebr., XII, 24.

 

(a) Var.: Dans son sacrifice. — (b) Parmi les pratiques diverses de la piété chrétienne que j'ai tâché de vous expliquer dans les discours précédents, j'ai du différer jusqu'à ce temps à tous proposer la plus haute, la plus importante, la plus évangélique de toutes, je veux dire l'amour des souffrances. Il m'a semblé, chrétiens, que pour vous entretenir avec efficace d'une doctrine si dure, si répugnante aux sens, si nécessaire à la foi et si peu goûtée dans le siècle, où l'on n'étudie rien avec plus de soin que l'art de vivre avec volupté, il m'a semblé qu'il fallait attendre le temps où le Sauveur lui-même nous prêche à la croix; et que je parlerais faiblement, si ma voix  n'était soutenue de celle de Jésus mourant, ou plutôt du cri de son sang « qui parle mieux, dit l'Apôtre, et plus fortement que celui d'Abel. »

Nous voici arrivés aux jours salutaires où l'on érigera le Calvaire dans tous nos temples, où nous verrons couler les ruisseaux de sang de toutes les plaies du Fils de Dieu; l'Eglise représentera si vivement par ses chants, par ses paroles et par ses mystères, celui de la passion douloureuse, qu'il n'y aura aucun de ses enfants auquel nous ne puissions dire ce que l'Apôtre a dit aux Calâtes, que Jésus-Christ a été crucifié devant ses yeux. Parmi ces spectacles de mort et de croix, le chrétien sera bien dur, s'il ne suspend du moins quelques jours ce tendre amour des plaisirs, pour se rendre capable d'entendre combien les douleurs de Jésus lui doivent rendre considérable l'amour des souffrances.

Servons-nous de ce temps propice, prenons cette occasion favorable pour imprimer dans le cœur des chrétiens le véritable esprit du christianisme. L'Eglise commente aujourd'hui à lire dans les saints mystères l'histoire de la passion; commençons aussi dès ce premier jour à nous en remplir tellement l'esprit, que nous en ayons toujours la pensée présente durant cette sainte semaine, et qu'elle nous inspire des sentiments qui soient dignes de chrétiens. C'est ce que j'espère. Messieurs, s'il plaît à Dieu de nous éclairer des lumières de Jésus-Christ, par l'intercession de Marie. Ave.

 

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Dans les paroles que j'ai rapportées pour servir de sujet à ce discours, vous aurez remarqué, Messieurs, que saint Paul nous propose un combat auquel nous devons courir par la patience ; et en même temps il nous avertit de jeter les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi, c'est-à-dire qui l'inspire et qui la couronne, qui la commence et qui la consomme, qui en pose le fondement et qui lui donne sa perfection. Ce combat dont parle l'Apôtre, est celui que nous devons soutenir contre les afflictions que Dieu nous envoie ; et pour apprendre l'ordre d'un combat où se décide la cause de notre salut, l'Apôtre nous exhorte de la part, de Dieu à regarder Jésus-Christ, mais Jésus-Christ attaché en croix. Car c'est là qu'il veut arrêter nos yeux, et il s'en explique lui-même par ces paroles : « Jetez, dit-il, les yeux sur Jésus qui s'étant proposé la joie, a soutenu la mort de la croix, après avoir méprisé la confusion : » Qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem, confusione contemptà (1).

De là nous devons conclure que pour apprendre l'ordre, la conduite, les lois en un mot de ce combat de la patience, l'école c'est le Calvaire, le maître c'est Jésus-Christ crucifié. C'est laque nous renvoie le divin Apôtre. Suivons son conseil, allons au Calvaire, considérons attentivement ce qui s'y passe.

Le grand objet, chrétiens, qui s'y présente d'abord à la vue ,

 

1 Hebr., XII, 2.

 

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c'est le supplice de trois domines. Voici un mystère admirable : « Nous voyons, dit saint Augustin , trois hommes attachés à la croix : un qui donne le salut, un qui le reçoit, un qui le perd : » In cruce tres homines : unus salvator, alius salvandus, alius damnandus (1). Au milieu l'auteur de la grâce; d'un côté un qui en profite, de l'autre côté un qui la rejette. Au milieu le modèle et l'original; d'un côté un imitateur fidèle, et de l'autre un rebelle et un adversaire sacrilège. Un juste, un pécheur pénitent, et un pécheur endurci. Un juste souffre volontairement, et il mérite par ses souffrances le salut de tous les coupables ; un pécheur souffre avec soumission et se convertit, et il reçoit sur la croix l'assurance du paradis ; un pécheur souffre comme un rebelle, et il commence son enfer dès cette vie. Apprenons aujourd'hui, Messieurs, apprenons de ces trois patients, dont la cause est si différente, trois vérités capitales. Contemplons dans le patient qui souffre étant juste, la nécessité de souffrir imposée à tous les coupables ; apprenons du patient qui se convertit l'utilité des souffrances portées avec soumission; voyons dans le patient endurci la marque certaine de réprobation dans ceux qui souffrent en opiniâtre. Et comme ces trois vérités enferment, si je ne me trompe, toute la doctrine chrétienne touchant les souffrances, j'en ferai aussi le partage et tout le sujet de ce discours (a).

 

1 Serm., II in Psal. XXXIV, n. 1.

 

(a) Var. : Au milieu le modèle et l'original; d'un côté un imitateur fidèle, et de l'autre un rebelle et un adversaire sacrilège. D'un côté un qui endure avec soumission, de l'autre un qui se révolte jusque sous la verge. Discernement, terrible et diversité surprenante ! Tous deux sont en la croix avec Jésus-Christ, tous deux compagnons de son supplice; mais, bêlas! il n'y en a qu'un qui soit compagnon de sa gloire. Voilà le spectacle qui nous doit instruire. Jetons ici les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi; nous le verrons, chrétiens, dans trois fonctions remarquables. Il souffre lui-même avec patience; il couronne celui qui souffre selon son esprit, il condamne celai qui souffre dans l'esprit contraire. Il établit la loi de souffrir, il en couronne le droit usage, il eu condamne l'abus. C'est ce qu'il nous faut méditer, parce que si nous savons entendre ces choses, nous n'avons plus rien à désirer touchant les souffrances.

En effet nous pouvons réduire à trois chefs ce que nous devons savoir dans cette matière importante : quelle est la loi de souffrir, de quelle sorte Jésus-Christ embrasse ceux qui s'unissent à lui parmi le- souffrances, quelle vengeance il exerce sur ceux qui ne s'abaissent pas sous sa main puissante, quand il les frappe et qu'il le corrige; et le Fils de Dieu crucifié nous instruit pleinement touchant ces trois points. Il nous apprend le premier en sa divine personne, le second dans la fin heureuse du larron si saintement converti, le troisième dans la mort funeste de son compagnon infidèle. Je veux dire que comme il est notre original, il nous enseigne, eu souffrant lui-même, qu'il y a nécessité de souffrir; il fait voir dans le bon larron de quelle bonté paternelle il use envers ceux qui soutirent comme ses enfants; enfin il nous montre dans le mauvais quels jugements redoutables il exerce sur ceux qui souffrent comme des rebelles. Et comme ces trois vérités enferment, si je ne me trompe, toute la doctrine chrétienne touchant les souffrances, j'en ferai aussi le partage et tout le sujet de ce discours. — (a) Var. : Ce grand docteur.

 

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PREMIER  POINT.

 

C'était la volonté du Père céleste que les lois des chrétiens fussent écrites premièrement en Jésus-Christ. Nous devons être formés selon l'Evangile, mais l'Evangile a été formé sur lui-même. « Il a fait, dit l'Ecriture (1), avant que de parler; » il a pratiqué premièrement ce qu'il a prescrit : si bien que sa parole est bien notre loi; mais la loi primitive, c'est sa sainte vie. Il est notre Maître et notre Docteur, mais il est premièrement notre modèle.

Pour entendre solidement cette vérité fondamentale, il faut remarquer avant toutes choses que le grand mystère du christianisme, c'est qu'un Dieu a voulu ressembler aux hommes, afin d'imposer aux hommes la loi de lui ressembler. Il a voulu nous imiter dans la vérité de notre nature, afin que nous l'imitassions dans la sainteté de ses mœurs ; il a pris notre chair, afin que nous prenions son esprit; enfin nous avons été son modèle dans le mystère de l'incarnation, afin qu'il soit le nôtre dans toute la suite de sa vie : Simus ut Christus, quoniam Christus quoque sicut nos; efficiamur dii propter ipsum, quoniam ipse quoque propter nos homo (2). Voilà un grand jour qui se découvre pour établir la vérité que je prêche, qui est la nécessité des souffrances : mais il nous importe, Messieurs, qu'elle soit établie sur des fondements inébranlables ; et jamais ils ne seront tels, si nous ne les cherchons dans les Ecritures.

Que dans le mystère de l'incarnation le Fils de Dieu nous ait regardés comme son modèle, je l'ai appris de saint Paul dans la divine Epitre aux Hébreux. « Il a dû, dit cet Apôtre des Gentils (a), se rendre en tout semblable à ses frères : » Debuit per omnia

 

1 Act., I, 1. — 2 S. Greg. Nazianz., Orat. XLI, n. 8.

 

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fratribus similari (1); et encore en termes plus clairs : « Parce que les hommes, dit-il, étaient composés de chair et de sang (a), lui aussi semblablement, similiter, a voulu participer à l'un et à l'autre : » Quia ergo pueri communicaverunt carni et sanguini, et ipse similiter participavit eisdem (2).

Vous voyez donc manifestement que le Fils de Dieu, en venant au monde, a voulu nous regarder comme son modèle dans sa bienheureuse incarnation. Mais pourquoi cela, chrétiens, si ce n'est pour être à son tour notre original et notre exemplaire? Car comme il est naturel aux hommes de recevoir quelque impression de ce qu'ils voient, ayant trouvé parmi nous un Dieu qui a voulu nous être semblable, nous devons désormais être convaincus que nous n'avons plus à choisir un autre modèle. « Il n'a pas pris les anges, mais il a pris la postérité d'Abraham (3), » pour plusieurs raisons, je le sais; mais celle-ci n'est pas la moins importante : « Il n'a pas pris les anges, » parce qu'il n'a pas voulu donner un modèle aux anges; « il a pris la postérité d'Abraham, » parce qu'il a voulu servir d'exemplaire à la race de ce patriarche, « non à sa race selon la chair, mais à la race spirituelle qui devait suivre les vestiges de sa foi (4), » comme dit le même Apôtre en un autre lieu; c'est-à-dire, si nous l'entendons, aux enfants (b) de la nouvelle alliance.

Par conséquent, chrétiens, nous avons en Jésus-Christ une loi vivante et une règle animée. Celui-là ne veut pas être chrétien, qui ne veut pas vivre comme Jésus-Christ. C'est pourquoi toute l'Ecriture nous prêche que sa vie et ses actions sont notre exemple, jusque-là qu'il ne nous est permis d'imiter les saints (c) qu'autant qu'ils ont imité Jésus-Christ; et jamais saint Paul n'aurait osé dire avec cette liberté apostolique (d) : « Soyez mes imitateurs, » s'il n'avait en même temps ajouté : « Comme je le suis de Jésus-Christ : » Imitatores mel estote, sicut et ego Christi (3). Et aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus nos imitateurs : » Imitatores nostri facti estis, « et aussi, ajoute-t-il, de Notre-Seigneur, » et

 

1 Hebr., II, 17.— 2 Ibid., 14. — 3 Ibid., 16. — 4 I Rom., IV, 12.— 5 I Cor., IV, 10; XI, 1.

 

(a) Var. : « Avaient une chair et du sang. » — (b) Au peuple.— (c) Que nous ne pouvons imiter... — (d) N'aurait osé dire :« Soyez mes imitateurs ; »— n'aurait osé dire avec cette hardiesse apostolique : « Soyez..... »

 

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Domini (1), afin de nous faire entendre que quelque grand exemplaire que se propose la vie chrétienne, elle n'est pas encore digne de ce nom, jusqu'à ce qu'elle se forme sur Jésus-Christ même.

Et ne vous persuadez pas que je vous propose (a) en ce lieu une entreprise impossible. Car dans un original de peinture, on considère deux choses, la perfection et les traits (b). La copie, pour être fidèle, doit imiter tous les traits, mais il ne faut pas espérer qu'elle en égale la perfection. Ainsi je ne vous dis pas que vous puissiez atteindre jamais à la perfection de Jésus; il y a un degré suprême qui est toujours réservé à la dignité d'exemplaire; mais je dis que vous le devez copier dans les mêmes traits, que vous devez pratiquer les mêmes choses (c). Et en voici la raison dans la conséquence des mêmes principes : c'est que nous devons suivre, autant qu'il se peut, en ressemblant au Sauveur, la règle qu'il a suivie en nous ressemblant (d). Il s'est rendu en tout semblable à ses frères, et ses frères doivent en tout lui être semblables. « A l'exception du péché, il a pris, dit l'Apôtre (2), toutes nos faiblesses; » nous devons prendre par conséquent toutes ses vertus; il s'est revêtu en vérité de l'intégrité de notre chair; et nous devons nous revêtir en vérité, autant qu'il est permis à des hommes, de la plénitude de son esprit, « parce que, comme dit l'Apôtre, celui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, il n'est pas des siens : » Si quis autem spiritum Christi non habet, hic non est ejus (3).

Il reste maintenant que nous méditions quel est cet esprit de Jésus; mais si peu que nous consultions l'Ecriture sainte, nous remarquerons aisément que l'esprit du Sauveur Jésus est un esprit vigoureux, qui se nourrit de douleurs et qui fait ses délices des afflictions. C'est pourquoi il est appelé par le saint prophète : « Homme de douleurs et qui sait ce que c'est que l'infirmité : » Virum dolorum et scientem infirmitatem (4). Ne diriez-vous pas, chrétiens, que cette sagesse éternelle s'est réduite, en venant au monde, à ne savoir plus que les afflictions? Il parle, si je ne me

 

1 Thessal., I, 6.— 2 Hebr., IV, 15.— 3 Rom., VIII, 9.— 4 Isa., LIII, 3.

 

(a) Var. : Que je vous insinue, — que je vous prescrive. — (b) Car on considéra dans l'original la perfection et les traits.— (c) Vous êtes obligés aux mêmes pratiques.— (d) ..... en imitant Jésus-Christ, la règle qu'il a suivie  en nous imitant.

 

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trompe, de cette science que l'Ecole appelle expérimentale; et il veut dire, si nous l'entendons, que parmi tant d'objets divers (a) qui s'offrent de toutes parts à nos sens, Jésus-Christ n'a rien goûté de ce qui est doux; il n'a voulu savoir par expérience que ce qui était amer et fâcheux, les douleurs et les peines : Virum dolorum et scientem infirmitatem ; et c'est pour cette raison qu'il n'y a aucune partie de lui-même qui n'ait éprouvé la rigueur de quelque supplice exquis, parce qu'il voulait profiter dans cette terrible science qu'il était venu apprendre en ce monde, je veux dire la science des infirmités : Virum dolorum et scientem infirmitatem.

Et certainement, aines saintes, il est tellement véritable qu'il n'est né que pour endurer, et que c'est là tout son emploi, tout son exercice, qu'aussitôt qu'il voit arriver la fin de ses maux, il ne veut plus après cela prolonger sa vie. Je n'avance pas ceci sans raison, et il est aisé de nous en convaincre par une circonstance considérable que saint Jean a remarquée dans sa mort comme témoin oculaire (b). Cet Homme de souffrances étant à la croix tout épuisé, tout mourant, considère qu'il a enduré tout ce qui était prédit par les prophéties, à la réserve du breuvage amer qui lui était promis dans sa soif. Il le demande avec un grand cri, ne voulant pas laisser perdre (c) une seule goutte du calice de sa passion. Sciens Jesus quia consummata sunt, ut consummaretur Scriptura, dixit : Sitio (1). Et après cette aigreur et cette amertume dont ce Juif impitoyable (d) arrosa sa langue, après ce dernier outrage dont la haine insatiable (e) de ses ennemis voulut encore le persécuter (f) dans son agonie, voyant dans les décrets éternels qu'il n'y a plus rien à souffrir : C'en est fait, dit-il, « tout est consommé : » Consummatum est (2) ; je n'ai plus rien à faire en ce monde. Allez, Homme de douleurs et qui êtes venu apprendre nos infirmités, il n'y a plus de souffrances dont vous ayez désormais à faire l'épreuve ; votre science est consommée, vous avez rempli

 

1 Joan., XIX, 28. — 2 Ibid., 30.

 

(a) Var. : A ne savoir plus que les afflictions. Cela veut dire, si nous l'entendons, que parmi tant d'objets divers... — (b) Et il est aisé de le remarquer par une circonstance considérable que saint Jean a observée dans sa mort. — (c) Ne voulant pas perdre... — (d) Inhumain. — (e) Implacable. — (f) L'accabler.

 

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jusqu'au comble toute la mesure, vous avez fourni toute la carrière des peines; mourez maintenant quand il vous plaira, il est temps de terminer votre vie. Et en effet, aussitôt « il rendit son âme : » Et inclinato capite tradidit spiritum (1), mesurant la durée de sa vie (a) mortelle à celle de ses souffrances.

Vous êtes attendris, Messieurs; mais ajoutons encore comme un dernier trait, pour vous faire connaître toute l'étendue de l'ardeur qu'il a de souffrir, c'est qu'il a voulu endurer beaucoup plus que ne demandait la rédemption de notre nature, et en voici la raison. S'il s'était réduit à souffrir ce que la nécessité d'expier nos crimes exigeait de sa patience, il ne nous aurait pas donné l'idée tout entière de l'estime qu'il fait des afflictions (b), et nous aurions pu soupçonner qu'il les aurait regardées plutôt comme un mal nécessaire que comme un bien désirable. C'est pourquoi il ne lui suffit pas de mourir pour nous et de payer à son Père par ce sacrifice ce qu'exigeait sa juste vengeance de la victime publique de tous les pécheurs. Non content d'acquitter ses dettes, il songe aussi à ses délices qui sont les souffrances; et comme dit admirablement ce célèbre (c) piètre de Carthage, «il veut se rassasier, avant que de mourir, par le plaisir d'endurer : » Saginari voluptate patientiœ discessurus volebat (2). Ne diriez-vous pas, chrétiens, que selon le sentiment de ce grand homme toute la vie du Sauveur était un festin dont tous les mets étaient des tourments ; festin étrange selon le siècle, mais que Jésus a trouvé digne de son goût. Sa mort suffisait pour notre salut; mais sa mort ne suffisait pas à cette avidité de douleurs, à cet appétit de souffrances : il a fallu y joindre les fouets, et cette sanglante couronne qui perce sa tête, et ce cruel appareil de supplices presque inconnus; peines nouvelles et inouïes, afin, dit Tertullien, qu'il mourût rassasié pleinement de la volupté de souffrir : Saginari voluptate patientiœ discessurus volebat.

Eh bien, Messieurs, la loi des souffrances vous semble-t-elle écrite sur notre modèle en des caractères assez visibles? Jetez,

 

1 Joan., XIX, 30. — 2 Tertull., De Patient., n. 3.

 

(a) Var. : De sa carrière. — (b) Des douleurs, — des souffrances. — (c) Renommé.

 

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jetez les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi, durant ces jours salutaires consacrés à la mémoire de sa passion ; regardez-le parmi ses souffrances. Chrétiens, c'est de ses blessures que vous êtes nés ; il vous a enfantés à la vie nouvelle parmi ses douleurs immenses (a) ; et la grâce qui vous sanctifie, et l'esprit qui vous régénère, est coulé sur vous avec son sang de ses veines cruellement déchirées. Enfants de sang, enfants de douleur, quoi ! vous pensez vous sauver parmi les délices ! On se fait un certain ait de délicatesse; on en affecte même plus qu'on n'en ressent; c'est un air de qualité de se distinguer du vulgaire par un soin scrupuleux d'éviter les moindres incommodités : cela marque qu'on est nourri dans un esprit de grandeur. O corruption des mœurs chrétiennes ! Quoi ! est-ce que vous prétendez au salut sans porter imprimé sur vous le caractère du Sauveur? N'entendez-vous pas l'apôtre saint Pierre qui vous dit « qu'il a tant souffert, afin que vous suiviez son exemple et que vous marchiez sur ses pas (1) ? » N'entendez-vous pas saint Paul qui vous prêche « qu'il, faut être configuré à sa mort, afin de participer à sa résurrection glorieuse ? » Configuratus morti ejus, si que modo occurram ad resurrectionem quœ est ex mortuis (2). Mais n'entendez-vous pas Jésus-Christ lui-même qui vous dit que pour marcher sous ses étendards, il faut se résoudre à porter sa croix (3), comme lui-même a porté la sienne? Et en voici la raison, qui nous doit convaincre, si nous sommes entrés comme il faut en société avec Jésus-Christ. Ne voyez-vous pas, chrétiens, que l'ardeur qu'il a de souffrir n'est pas satisfaite, s'il ne souffre dans tout son corps et dans tous ses membres? Or c'est nous qui sommes son corps et ses membres : « Nous sommes la chair de sa chair, et les os de ses os (4), » comme dit l'Apôtre ; et c'est pourquoi le même saint Paul ne craint point de dire qu'il manque quelque chose de considérable à la passion de Jésus-Christ (5), s'il ne souffre dans tous les membres de son corps mystique, comme il a voulu endurer dans toutes les parties du corps naturel.

 

1 I Petr., II, 21. — 2 Philipp., III, 10 et 11. — 3 Luc., XIV, 27. — 4 Ephes., V, 30. — 5 Coloss., I, 24.                                                                                             

 

(a) Var. : Inexplicables.

 

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Entendons, Messieurs, un si grand mystère; entrons profondément dans cette pensée. Jésus-Christ souffrant nous porte en lui-même ; nous sommes, si je l'ose dire, plus son corps que son propre corps, plus ses membres que ses propres membres; quiconque a l'esprit de la charité et de la communication chrétienne, entend bien ce que je veux dire. Ce qui se fait en son divin corps, c'est la figure réelle de ce qui se doit accomplir en nous. Ah ! regardez le corps de Jésus; «depuis la plante des pieds jusqu'à la tête, il n'y a rien en lui de sain ni d'entier (1) ; » tout est meurtri, tout est déchiré, tout est couvert de marques sanglantes. Mais avant même que les bourreaux aient mis sur lui leurs mains sacrilèges, voyez dans le jardin des Olives le sang qui se déborde par tous ses pores et coule à terre à grosses gouttes ; toutes les parties de son corps sont teintes de cette sueur mystérieuse ; et cela veut dire, Messieurs, que l'Eglise qui est son corps, que les fidèles qui sont ses membres, doivent de toutes parts dégoutter de sang et porter imprimé sur eux le caractère de sa croix et de ses souffrances.

Eh quoi donc! pour donner du sang à Jésus, faudra-t-il ressusciter les Nérons, les Domitiens et les autres persécuteurs du nom chrétien? Faudra-t-il renouveler ces édits cruels par lesquels les chrétiens étaient immolés à la vengeance publique (a) ? Non, mes hères; à Dieu ne plaise que le monde soit si ennemi de la vérité, que de la persécuter par tant de supplices ! Lorsque nous soutirons humblement les afflictions que Dieu nous envoie, c'est du sang que nous donnons au Sauveur, et notre résignation tient lieu de martyre. Ainsi sans ramener les roues et les chevalets sur lesquels on étendait nos ancêtres, il ne faut pas craindre, Messieurs, que la matière manque jamais à la patience; la nature a assez d'infirmités. Lorsque Dieu nous exerce par des maladies ou par quelque affliction d'une autre nature, notre patience tient lieu de martyre. S'il met la main sur notre famille, en nous ôtant nos parents, nos proches, enfin ce qui nous est cher par quelque autre titre de piété; si nous lui offrons avec soumission un cœur blessé et ensanglanté

 

1 Isa., I, 6.

 

(a) Var. : Qui immolaient les chrétiens innocents à la vengeance publique.

 

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par la perte qu'il a faite de ce qu'il aimait justement, c'est du sang que nous donnons au Sauveur. Et puisque nous voyons dans les saintes Lettres que l'amour des biens corruptibles est appelé tant de fois la chair et le sang, lorsque nous retranchons cet amour qui ne peut être arraché que de vive force, c'est du sang que nous lui donnons.

Les médecins disent, si je ne me trompe, que les larmes et les sueurs naissent de la même matière dont le sang se forme ; je ne recherche pas curieusement si cette opinion est véritable ; mais je sais que devant le Seigneur Jésus, et les larmes et les sueurs tiennent lieu de sang. J'entends par les sueurs, chrétiens, les travaux que nous subissons pour l'amour de lui, non avec une nonchalance molle et paresseuse, mais avec un courage ferme et une noble contention. Travaillons donc pour sa gloire; s'il faut faire quelque établissement pour le bien des pauvres, s'il se présente quelque occasion d'avancer son œuvre, travaillons avec un grand zèle, et tenons pour chose assurée que les sueurs que répandra un si beau travail, c'est du sang que nous lui donnons. Mais sans sortir de nous-mêmes, quel sang est plus agréable au Sauveur Jésus que celui de la pénitence? Ce sang que le regret de nos crimes tire du cœur par les yeux, je veux dire le sang des larmes amères, qui est nommé si élégamment par saint Augustin (1) «le sang de nos âmes, » lorsque nous le versons devant Dieu en pleurant sincèrement nos ingratitudes, n'est-ce pas du sang que nous lui donnons? Mais pourquoi vous marquer avec tant de soin les occasions de souffrir, qui viennent assez d'elles-mêmes ? Non, mes frères, sans ressusciter les tyrans, la matière ne manquera jamais à la patience : la nature a assez d'infirmités, les affaires assez d'embarras, le monde assez d'injustices, sa faveur assez d'inconstance; il y a assez de bizarreries dans le jugement des hommes, et assez d'inégalité dans leur humeur contrariante : si bien que ce n'est pas seulement l'Evangile, mais encore le monde et la nature qui nous imposent la loi des souffrances. Il n'y a plus qu'à nous appliquer à en tirer tout le fruit qui se doit attendre d'un chrétien; et c'est ce qu'il faut vous montrer dans la seconde partie.

 

1 Serm. CCCLI, n. 7.

 

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SECOND  POINT.

 

Lorsque nous verrons, chrétiens, Jésus-Christ sortir du tombeau, couronné d'honneur et de gloire, la lumière d'immortalité qui rejaillira (a) de ses plaies et de là se répandra sur son divin corps, nous fera sensiblement reconnaître les merveilleux avantages que produit le bon usage des afflictions. Toutefois Jésus ne veut point attendre ce jour pour nous apprendre cette vérité par expérience ; et sans sortir de sa croix, il entreprend de nous montrer (b) par un grand exemple quelles sont les consolations de ceux qui souffrent avec patience. Mais comme cet exemple de consolation ne peut nous être donné en sa personne sacrée, qui doit être au contraire jusqu'à la mort l'exemple d'un entier abandonnement, ce que l'ordre de ses mystères ne lui permet pas de nous montrer encore en lui-même, il nous le découvre, Messieurs, dans ce voleur pénitent auquel il inspire parmi les souffrances des sentiments d'une piété toute chrétienne, qu'il couronne aussitôt de sa propre bouche par la promesse d'une récompense éternelle : Hodie mecum eris (1). Je ne m'étendrai pas, chrétiens, à vous prouver par un long discours que Dieu aime d'un amour particulier lésâmes souffrantes. Pour ignorer cette vérité, il faudrait n'avoir aucune teinture des principes du christianisme : mais afin qu'elle vous profite en vos consciences, je tâcherai de vous faire entendre par les Ecritures divines les causes de cet amour ; et la première qui se présente à ma vue, c'est la contrition d'un cœur pénitent.

Il est certain, âmes saintes, qu'un cœur contrit et humilié dans le souvenir de ses fautes, est un grand sacrifice à Dieu et une oblation de bonne odeur plus douce que tous les parfums. Mais ce sacrifice d'humiliation ne s'offre jamais mieux que dans les souffrances. Car nous voyons par expérience qu'une âme dure et impénitente, qui durant ses prospérités n'a peut-être jamais pensé à ses crimes, commence ordinairement à les confesser (c) au milieu des afflictions. Et la raison en est évidente : c'est qu'il y a dans le tond de nos consciences un certain sentiment secret de la justice

 

1 Luc., XXIII,  43.

 

(a) Var. : Qui sortira. — (b) Il veut nous convaincre. — (c) A se réveiller.

 

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divine, qui nous fait connaître manifestement, dans une lumière intérieure qui nous éclaire, que sous un Dieu si bon que le nôtre l'innocence n'a rien à craindre ; et qu'il lui est si naturel d'être bienfaisant à ses créatures, qu'il ne ferait jamais de mal à personne, s'il n'y était forcé par les crimes. De sorte que le pécheur obstiné, lequel ébloui des faveurs du monde, ne pense plus à ses crimes, et parce qu'il n'y pense plus, s'imagine aussi que Dieu les oublie : Oblitus est Deus (1) ; en même temps qu'il se sent frappé, il réveille en sa conscience ce sentiment endormi de la justice divine; et touché de la crainte de ses jugements, il confesse (a) avec amertume les désordres de sa vie passée.

C'est ce que fait à la croix notre voleur converti. Il entend son compagnon qui blasphème, et il s'étonne avec raison que la vengeance présente ne l'ait pas encore abaissé sous la justice divine (b). « Quoi ! dit il, étant condamné, la rigueur du tourment ne t'a pas encore appris à craindre Dieu : » Neque tu times Deum, quòd in eàdem damnatione es (2) !Voyez comme son supplice ramène à son esprit la crainte de Dieu et la vue de ses jugements. C'est ce qui lui fait humblement confesser ses crimes : « Pour nous, continue ce saint patient, si nous sommes punis rigoureusement, nos crimes l'ont bien mérité : » Et nos quidem digna factis recipimus (3). Voyez comme il s'humilie, comme il baise la main qui le frappe, comme il reconnaît et comme il adore la justice qui le châtie. C’est là l'unique moyen de la changer en miséricorde. Car notre Dieu, chrétiens, qui ne se réjouit pas de la perdition des vivants, mais qui repasse sans cesse en son cœur les moyens (c) de les convertir et de les réduire, ne nous frappe durant cette vie, qu'afin de nous abaisser sous sa main puissante par l'humiliation de la pénitence ; et il est bien aise de voir que le respect que nous lui rendons sous les premiers coups, l'empêche d'étendre son bras à la dernière vengeance. Éveillons-nous donc, mes chers frères, dès les premières atteintes de la justice divine ; prosternons-nous devant Dieu, et crions de tout notre cœur :

 

1 Psal., X, H. 11. — 2 Luc., XXIII, 40. — 3 Ibid., 41.

 

(a) Var. : Il repasse. — (b) Ne le fasse pas encore fléchir sous la justice divine. — (c) Mais qui pense en son cœur aux moyens...

 

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Et nos quidem digna factis recipimus. O Dieu, nous le méritons, et vous nous frappez justement : Justus es, Domine (1).

Mais passons encore plus loin : jetons les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi ; imitons notre heureux voleur, qui s'étant considéré comme criminel, tourne ensuite un pieux regard sur l'innocent qui souffre avec lui : « Et celui-ci, dit-il, qu'a-t-il fait ? » Hic verò nihil mali gessit (2). Cette pensée adoucit ses maux. Car pendant que le juste endure, le coupable se doit-il plaindre ? C'est, mes frères, de ces deux objets que nous devons nous occuper parmi les douleurs, j'entends Jésus-Christ et nous-mêmes, notre crime et son innocence. Il a souffert comme nous souffrons; mais il s'est soumis à souffrir par un sentiment de miséricorde, au lieu que nous y sommes obligés par une loi indispensable de la justice (a). Pécheurs, souffrons pour l'amour du juste, pour l'amour de la miséricorde infinie qui nous sauve, qui expose son innocence à tant de rigueurs; souffrons les corrections salutaires de la justice qui nous châtie, qui nous ménage et qui nous épargne. O le sacrifice agréable ! ô l'hostie de bonne senteur ! (b) ces sentiments forceront le ciel, et les portes du paradis nous seront ouvertes : Hodie mecum eris in paradiso.

Mais, mes frères, les afflictions ne nous servent pas seulement pour nous faire connaître nos crimes ; elles sont un feu spirituel où la vertu chrétienne est mise à l'épreuve, où elle est rendue «ligne des yeux de Dieu même et de la perfection du siècle futur. Que la vertu doive être éprouvée comme l'or dans la fournaise, c'est une vérité connue et très-souvent répétée dans les saintes Lettres; mais afin d'en entendre toute l'étendue, il faut ici observer que le feu opère deux choses à l'égard de l'or : il l'éprouve et le fait connaître ; s'il est véritable, il le purifie et le raffine ; et c'est ce que font bien mieux les afflictions à l'égard de la vertu chrétienne. Je ne craindrai point de le dire : jusqu'à ce que la vertu se soit éprouvée dans l'exercice des afflictions, elle n'est jamais assurée. Car comme on ne connaît point un soldat jusqu'à ce qu'il

 

1 Psal. CXVIII, 137. — 2 Luc., XXIII, 41.

 

(a) Var.: Nous y sommes tenus par justice. — (b) Note marg.: Quiconque ne résiste pus à ses volontés, il est injuste au prochain, incommode au monde, outrageux à Dieu.

 

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ait été à là guerre (a) ; ainsi la vertu chrétienne n'étant pas pour la montre ni pour l'apparence, mais pour l'usage et pour le combat, tant qu'elle n'a pas combattu, elle ne se connaît pas elle-même. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul ne lui permet pas d'espérer, jusqu'à ce qu'elle ait passé par l'épreuve : « La patience produit l'épreuve, et l'épreuve, dit-il, produit l'espérance (1). » Et voici la raison solide de cette sentence apostolique, c'est que la vertu véritable attend tout de Dieu; mais elle ne peut rien attendre de Dieu, jusqu'à ce qu'elle soit telle qu'il la juge digne de lui. Or elle ne peut jamais reconnaître si elle est digne de Dieu, si ce n'est par l'épreuve que Dieu nous propose. Cette épreuve, ce sont les souffrances. Par conséquent, chrétiens, jusqu'à ce qu'elle soit éprouvée par l'affliction, son espérance est toujours douteuse ; et son fondement le plus ferme, aussi bien que son espérance la plus assurée, c'est l'exercice des afflictions. Que peut espérer un soldat que son capitaine ne daigne éprouver ? Mais au contraire, quand il l'exerce dans des entreprises laborieuses, il lui donne sujet de prétendre. O piété délicate, qui n'a jamais goûté les afflictions, piété nourrie à l'ombre et dans le repos, je t'entends discourir de la vie future ; tu prétends à la couronne d'immortalité, mais tu ne dois pas renverser l'ordre de l'Apôtre : « La patience produit l'épreuve, et l'épreuve produit l'espérance. » Si donc tu espères la gloire de Dieu, viens que je te mette à l'épreuve que Dieu a proposée à ses serviteurs. Voici une tempête qui s'élève, voici une perte de biens, une insulte, une contrariété, une maladie : quoi! tu te laisses aller au murmure, pauvre piété déconcertée ! tu ne peux plus te soutenir, piété sans force et sans fondement ! Va, tu n'as jamais mérité le nom d'une piété chrétienne ; tu n'en étais qu'un vain simulacre ; tu n'étais qu'un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans le feu, mais qui s'évanouit dans le creuset. Tu n'es propre qu'à tromper les hommes par une vaine apparence, mais tu n'es pas digne de Dieu ni de la pureté du siècle futur.

La véritable vertu chrétienne non-seulement se conserve, mais encore se raffine et se purifie dans le feu des afflictions ; et si nous

 

1 Rom., V, 4.

(a) Var. : Dans le combat.

 

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nous savons connaître nous-mêmes, nous comprendrons aisément combien elle a besoin d'y être épurée. Nous nous plaignons ordinairement pourquoi on nous ôte cet ami intime, pourquoi ce fils, pourquoi cet époux qui faisait toute la douceur de notre vie : quel mal faisions-nous en les aimant, puisque cette amitié est si légitime? Je ne veux point entendre ces plaintes dans la bouche d'un chrétien, parce qu'un chrétien ne peut ignorer combien la chair et le sang se mêlent dans les affections les plus légitimes, combien les intérêts temporels, combien d'inclinations différentes qui naissent en nous de l'amour du monde. Et toutes ces inclinations corrompent la pureté de notre or, je veux dire la perfection de notre vertu, par un indigne mélange. Si tu savais, ô cœur humain ! combien le monde te prend aisément, avec quelle facilité tu t'y engages ; que tu louerais la main charitable qui vient rompre violemment tes liens, en te troublant dans l'usage des biens de la terre ! Il se fait en nous, en les possédant, certains nœuds secrets, certains lacets invisibles, qui engagent même un cœur vertueux insensiblement dans quelque amour déréglé (a) des choses présentes, et cet engagement est plus dangereux en ce qu'il est ordinairement plus imperceptible. Si la vertu s'y conserve, elle perd quasi toute sa beauté par le mélange de cet alliage ; il est temps de la mettre au feu, afin qu'il en fasse la séparation. Et cela de quelle manière? « C'est qu'il faut, dit saint Augustin, que cet homme apprenne, en perdant ces biens, combien il péchait en les aimant. » Qu'on lui dise que cette maison est brûlée, et cette somme perdue sans ressource par une banqueroute imprévue, aussitôt le cœur saignera, la douleur de la plaie lui fera sentir par combien de fibres secrètes ces richesses tenaient au fond de son âme, et combien il s'écartait de la droite voie par cet engagement vicieux : Quantum amando peccaverint, perdendo senserunt (1). D'ailleurs il connaîtra mieux par expérience la fragilité des biens de la terre, dont il ne se voulait laisser convaincre par aucuns discours. Dans ce débris des biens périssables, il s'attachera plus fortement aux biens éternels, qu'il commençait peut-être à trop oublier. Ainsi

 

1 S. August., De Civit. Dei, lib. I, cap. X.

 

(a) Var. : Dans un amour inconsidéré.

 

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ce petit mal guérira les grands, et ce feu des afflictions rendra sa

vertu plus pure en la séparant du mélange (a).

Que si la vertu chrétienne se dégage et se purifie parmi les souffrances, par conséquent, âmes saintes, Dieu qui aime sur toutes choses la simplicité et la réunion parfaite de tous nos désirs en lui seul, n'aura rien de plus agréable que la vertu ainsi éprouvée. Mais afin de le connaître par expérience, jetez les yeux sur Jésus, l'auteur et le consommateur de notre foi ; voyez comme il traite cet heureux voleur dont je vous ai déjà proposé l'exemple. Mais plutôt voyez avant toutes choses à quel degré de perfection sa vertu se trouve élevée par le bon usage qu'il fait de ce moment de souffrances : quoiqu'il n'ait commencé sa conversion qu'à l'extrémité de sa vie, une grâce extraordinaire nous fait voir en lui un modèle accompli de patience et de vertu consommée. Vous lui avez déjà vu confesser et adorer la justice qui le frappe, produire enfin tous les actes d'une pénitence parfaite ; écoutez la suite de son histoire ; ce n'est plus un pénitent qui vous va parler, c'est un saint d'une piété et d'une foi consommée. Non content d'avoir reconnu l'innocence de Jésus-Christ contre lequel il voit tout le monde élevé avec tant de rage, il se tourne à lui, chrétiens, et il lui adresse ses vœux : Domine, memento mei, cùm veneris in regnum tuum (1). Je triomphe de joie, mes frères ; mon cœur est rempli de ravissement, quand je vois la foi de cet homme. Un mourant voit Jésus mourant, et il lui demande la vie. Un crucifié voit Jésus crucifié, et il lui parle de son royaume. Ses yeux n'aperçoivent que des croix, et sa foi ne lui représente qu'un trône. Quelle foi et quelle espérance ! Lorsque nous mourons, chrétiens, nous savons que Jésus-Christ est vivant; et notre foi chancelante a peine de s'y confier. Celui-ci voit mourir Jésus avec lui, et il met en lui son espérance : mais encore en quel temps, Messieurs, et dans quelle rencontre de choses? Dans le temps que tout le monde condamne Jésus, et que même les siens l'abandonnent, lui seul est réservé, dit saint Augustin, pour le glorifier à la croix : « Sa foi a commencé de fleurir, quand la foi même des apôtres a été

 

 

1 Luc., XXIII, 12.

 

(a) Note marg. : Faites donc profiter les afflictions attentivement.

 

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flétrie : » Tunc fides ejus de ligno floruit, quando discipulorum marcuit (1). Les disciples ont délaissé Celui qu'ils savaient être l'auteur de la vie, et celui-ci reconnaît pour maître le compagnon de sa mort et de son supplice, «digne certainement, dit saint Augustin, de tenir un grand rang parmi les martyrs, puisqu'il reste presque seul auprès de Jésus à faire l'office de ceux qui devaient être les chefs de cette armée triomphante. » Vous vous étonnez, chrétiens, de le voir tout d'un coup élevé si haut : mais c'est que dans l'usage des afflictions la foi et la piété font de grands progrès, quand elles se savent servir de cet avantage incroyable de souffrir avec Jésus-Christ. C'est ce qui avance en un moment notre heureux larron à une perfection si éminente ; et c'est ce qui lui attire aussi de la bouche du Fils de Dieu des paroles si pleines de consolation : Amen dico tibi : Hodie mecum eris in paradiso (2). Aujourd'hui, quelle promptitude ! avec moi, quelle compagnie ! dans le paradis, quel repos ! Que je finirais volontiers sur cette aimable promesse et sur cet exemple admirable d'humilité et de patience en ce saint voleur, de bonté et de miséricorde dans le Fils de Dieu! Mais il y a des âmes de fer que les douceurs de la piété n'attendrissent pas; et il faut, pour les émouvoir, leur proposer le terrible exemple de la vengeance exercée sur celui qui souffre la croix avec un cœur endurci et impénitent. C'est par où je m'en vais conclure.

 

TROISIÈME POINT.

 

Il est assuré, chrétiens, et peut-être vous vous souviendrez que je l'ai déjà prêché dans cette chaire, que la prospérité des impies et cette paix qui les enfle et qui les enivre jusqu'à leur faire oublier la mort, est un commencement de vengeance, par laquelle Dieu les livrant à leurs passions brutales et désordonnées, leur laisse « amasser un trésor de haine, comme parle le saint Apôtre, en ce jour d'indignation et de fureur implacable (3). » Mais si nous voyons dans les saintes Lettres que Dieu sait, quand il lui plaît, punir les impies par une félicité apparente, cette même Ecriture,

 

1 S. August., De Animà et ejus orig., lib. I, n.  11. — 2 Luc, XXIII, 43. — 3 Rom., II, 5.

 

 

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qui ne ment jamais, nous enseigne qu'il ne les punit pas toujours en cette manière, et qu'il leur fait sentir quelquefois la pesanteur de son bras par des événements sanglants et tragiques. Cet endurci Pharaon, cette prostituée Jézabel, ce maudit meurtrier Achab, et sans sortir de notre sujet, ce larron impénitent et blasphémateur, rendent témoignage à ce que je dis et nous font bien voir, chrétiens, que la croix qui nous est, si nous le voulons, un gage assuré de miséricorde, peut être tournée par notre malice en un instrument de vengeance : tant il est vrai, dit saint Augustin (1) « qu'il faut considérer, non ce que l'on souffre, mais dans quel esprit on le souffre; » et que les afflictions que Dieu nous envoie (a) peuvent aisément changer de nature, selon l'esprit dont on les reçoit.

Les hommes endurcis et impénitents qui souffrent sans se convertir commencent leur enfer dès cette vie, et ils sont une vive image des horreurs de la damnation. Chrétiens, si vous voulez voir quelque affreuse représentation de ces gouffres où gémissent les esprits dévoyés, n'allez pas rechercher, n'allez pas rappeler les images ni des fournaises ardentes (b), ni de ces monts ensoufrés qui nourrissent dans leurs entrailles des feux immortels (c), qui vomissent des tourbillons d'une flamme obscure et ténébreuse, et que Tertullien appelle élégamment pour cette raison « les cheminées de l'enfer : » Ignis inferni fumariola (2). Voulez- vous voir aujourd'hui une vive peinture de l'enfer et un tableau animé d'une âme condamnée, voyez un homme qui souffre et qui ne songe point à se convertir.

En effet le caractère propre de l'enfer, ce n'est pas seulement la peine, mais la peine sans la pénitence. Car je remarque deux sortes de feux dans les Ecritures divines : « Il y a un feu qui purge et un feu qui consume et qui dévore : » Uniuscujusque opus probabit ignis (3).... Cum igne devorante (4). Ce dernier est appelé dans l'Evangile « un feu qui ne s'éteint pas, » ignis non extinguitur (5),

 

1 De Civit. Dei, lib. I, cap. VIII. — 2 Tertull., De Pœnit., n. 12.— 3 I Cor., III, 13. — 4 Isa., XXXIII, 16. — 5 Marc., IX, 47.

 

(a) Var. : Et que les choses peuvent... — (b) Si vous voulez avoir des peintures de ces goaffres où gémissent les esprits dévoyés, ne vous imaginât ni ces fournais ardentes, ni... — (c) Des embrasements éternels.

 

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pour le distinguer de ce feu qui s'allume pour nous épurer, et qui ne manque jamais de s'éteindre quand il a fait cet office. La peine accompagnée de la pénitence , c'est un feu qui nous purifie ; la peine sans la pénitence, c'est un feu qui nous dévore et qui nous consume, et tel est proprement le feu de l'enfer. C'est pourquoi nous concluons selon ces principes que les flammes du purgatoire purifient les âmes, parce qu'où la peine est jointe à la pénitence, les flammes sont purgatives ou purifiantes (a) ; et au contraire que le feu d'enfer ne fait que dévorer les âmes, parce qu'au lieu de la componction de la pénitence, il ne produit que de la fureur et du désespoir.

Par conséquent, chrétiens, concluons qu'il n'y a rien sur la terre qui doive nous donner plus d'horreur que des hommes frappés de la main de Dieu et impénitents tout ensemble. Non, il n'y a rien de plus horrible, puisqu'ils portent déjà sur eux le caractère essentiel de la damnation.

Tels sont ceux dont David parlait comme d'un prodige, que Dieu avait dissipés, et qui n'étaient pas touchés de componction : Dissipati sunt, nec compuncti (1); serviteurs vraiment rebelles et opiniâtres, qui se révoltent thème sous la verge, frappés et non corrigés, abattus et non humiliés, châtiés et non convertis. Tel était le déloyal Pharaon, qui s'endurcissait tous les jours sous les coups incessamment redoublés de la vengeance divine. Tels sont ceux dont il est écrit dans l’ Apocalypse (2) que Dieu les ayant frappés d'une plaie horrible, de rage ils mordaient leurs langues , et blasphémaient le Dieu du ciel, et ne faisaient point pénitence. Tels hommes ne sont-ils pas comme des damnés, qui commencent leur enfer à la vue du monde pour nous effrayer par leur exemple, et que la croix précipite à la damnation avec ce larron endurci? On leur arrache les biens de cette vie; ils se privent de ceux de la vie future (b) : si bien qu'étant frustrés de toutes parts, pleins de rage et de désespoir et ne sachant à qui s'en prendre, ils élèvent contre Dieu leur langue insolente par leurs murmures et par leurs

 

1 Psal. XXXIV, 16. — 2 Apoc., XVI, 9.

 

(a) Var., : Parce que la peine est jointe aux sentiments de la pénitence, qu'elles ont emportés en sortant du monde. — (b) Ils se privent des biens de l'autre vie, on leur arrache ceux de celle-ci.

 

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blasphèmes; « et il semble, dit Salvien, que leurs crimes se multipliant avec leurs supplices, la peine même de leurs péchés soit la mère de nouveaux désordres : » Ut crederes pœnam ipsorum criminum quasi matrem esse vitiorum (1).

Apprenez donc, ô pécheurs, qu'il ne suffit pas d'endurer beaucoup, et qu'encore que selon la règle ordinaire ceux qui souffrent en cette vie aient raison d'espérer du repos en l'autre, par la dureté de nos cœurs cette règle n'est pas toujours véritable. Plusieurs sont à la croix, qui sont bien éloignés du crucifié; la croix dans les uns est une grâce, la croix dans les autres est une vengeance. De deux hommes mis en croix avec Jésus-Christ, l'un y a trouvé la miséricorde, l'autre les rigueurs de la justice; l'un y a opéré son salut, l'autre y a commencé sa damnation ; la croix a élevé jusqu'au paradis la patience de l'un, et a précipité jusqu'à l'enfer l'impénitence de l'autre. Tremblez donc parmi vos souffrances qu'au lieu d'éprouver maintenant un feu qui vous purge dans le temps, vous n'allumiez par votre faute un feu qui vous dévore dans l'éternité.

Et vous, ô enfants de Dieu, quelque fléau qui tombe sur vous, ne croyez jamais que Dieu vous oublie; et ne vous persuadez pas que vous soyez confondus avec les méchants, quoique vous soyez mêlés avec eux , désolés par les mêmes guerres, emportés par les mêmes pestes, affligés des mêmes disgrâces, battus enfin des mêmes tempêtes. « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (2), » et il sait bien démêler les siens de cette confusion générale. Le même feu fait reluire l'or et fumer la paille : «Le même mouvement, dit saint Augustin (3), fait exhaler la puanteur de la boue et la bonne odeur des parfums ; » et le vin n'est pas confondu avec le marc, quoiqu'ils portent tous deux le poids du même pressoir. Ainsi les mêmes afflictions qui désolent, consument les méchants, purifient les justes ; et quoi que l'on vous reproche, vous ne serez jamais confondus, pourvu que vous ayez le courage (a) de vous discerner.

 

1 Salvian., De Gubern. Dei, lib. VI, n. 13. — 2 II Timoth., II, 19. — 3 De

Civit. Dei, lib. I, cap. VII.

 

(a) Var. : La force.

 

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Prenez la médecine. La main de Dieu invisiblement étendue. Saint Jacques (1) : Si la tentation vous presse, perseverabit usque in finem, quia afflictio non perseverabit usque in finem (2). Mais cet homme m'opprime par ses violences : Et adhuc pusillùm, et non erit peccator (3). Le médecin flatte son malade, mais ce délai est importun : Infirmitas facit diù videri quod citò est (4). Quand un malade demande à boire, chacun se presse pour le servir; lui seul s'imagine que le temps est long. Hodie, «Aujourd'hui, » dit le Fils de Dieu. Ne crains pas, ce sera bientôt. Cette vie passera bien vite; elle s'écoulera comme un jour d'hiver, où le matin et le soir se touchent de près; ce n'est qu'un jour, ce n'est qu'un moment, que l'ennui et l'infirmité fait paraître long. Quand il sera écoulé, vous verrez alors combien il est court. O quand vous serez dans la vie future ! — Mais je gémis dans la vie présente, et je suis accablé de maux. — Eh bien, abandonnez-vous à l'impatience : en serez-vous bien plus soulagé, quand vous aurez ajouté le mal du chagrin et peut-être celui du murmure aux autres qui vous tourmentent? Profitez du moins de votre misère, de peur que vous ne soyez du nombre de ceux auxquels saint Augustin à dit ce beau mot : « Vous perdez l'utilité de vos souffrances : » Perdidistis utilitatem calamitatis, et miserrimi facti estis, et pessimi permansistis (5) : « Vous perdez l'utilité de votre misère, vous êtes devenus misérables, et vous êtes demeurés méchants. »

 

1 Jacob., I, 2, 3, 4, 12. — 2 S. August., Tract, XLV in Joan., n. 13. — 3 Psal., XXXVI, 10. — 4 Serm., I in Psal. XXXVI, n. 10. — 5 De Civit. Dei, lib. I, cap. XXXIII.

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