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ABRÉGÉ D'UN SERMON
POUR
LE  VENDREDI  DE   LA  SEMAINE  DE  LA   PASSION,
SÛR LA NÉCESSITÉ DE L’AUMÔNE. (a).

 

 PLAN D'UN SERMON  POUR  LE  VENDREDI  DE  LA SEMAINE  DE   LA PASSION,  SUR LA NÉCESSITÉ DE L'AUMONE.

ABRÉGÉ D'UN SERMON  POUR  LE   SAMEDI   DE   LA SEMAINE   DE   LA   PASSION,  SUR LE JUGEMENT DE JÉSUS-CHRIST CONTRE LE MONDE.

 

 

Semper pauperes habetis vobiscum : et cum volueritis, potestis illis benefacere : me autem non semper habetis.

 

L'Eglise appelle à voir Jésus et Marie se perçant de coups mutuels. Comme des miroirs opposés qui se renvoient mutuellement tout ce qu'ils reçoivent, multiplient leurs objets jusqu'à l'infini, leur douleur s'accroit sans mesure, parce que les flots qu'elle élève se repoussent les uns sur les autres par un flux et reflux continuel. Dessein de l'Eglise de nous exciter à la compassion des souffrances de Jésus par cet objet de pitié. Me sentire vim doloris

 

(a) Prêché à Paris, vers 1663.

Ce sermon n'a pas été prononcé, comme l'annoncent toutes les éditions, à l'hôpital général, mais en faveur de cet établissement. Car l'auteur dit dans une note marginale : « Passez à cet hôpital; sortez un peu de la ville, et voyez cette nouvelle ville qu'on a bâtie pour les pauvres, l'asile de tous les misérables, la banque du ciel… » D'un autre côté le prédicateur manifesta, dans le texte principal, des craintes pour l'existence de ce refuge céleste. Or c'est en 1662, et même l'année suivante, qu'il courut les plus grands dangers.

Les additions de Déforis occupaient dans cette esquisse, connue dans celle qui la suit, plus de la moitié de l'espace. On verra que le texte du grand orateur n'avait besoin ni de compléments, ni de commentaires, ni d'explication.

 

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fac, ut tecum lugeam (1). Et l'Eglise de Paris : O passionis mutuœ, Jesu, Maria, conseil, alterna vobis vulnera inferre tandem parcite : « Cessez, ô divins amans, de vous percer jusqu'à l'infini de coups mutuels. C'est à nous qu'est due toute cette amertume, puisqu'elle est la peine de notre crime. Ah ! puisque nous confessons que tout le crime est à nous, donnez une partie de la douleur à ceux qui avouent le crime tout entier : » Quem vos doletis , noster est error furorque criminum : totum scelus fatentibus partent doloris reddite. Mais Jésus, après avoir ébranlé nos cœurs par la compassion de ses souffrances, veut appliquer notre pitié sur d'autres objets (il n'en a pas besoin pour lui-même), sur les pauvres. Marie en est la mère. Ave.

 

Histoire de l'action qui a donné lieu à cette parole (a), en peu de mots.

Jésus-Christ nous apprend que lorsqu'il n'y sera plus, il entend que toutes nos libéralités soient employées au secours des pauvres, ou plutôt dans les pauvres à lui-même. Il est en eux. C'est pourquoi il nous les laisse toujours : Pauperes semper habetis. Vous ne m'aurez pas toujours en moi-même , mais vous me posséderez toujours dans les pauvres. Ames saintes, qui désirez me rendre quelque honneur ou quelques services, vous avez sur qui répandre vos parfums, etc., les pauvres. Je tiens fait pour moi tout ce que vous faites pour eux.

Leçon qu'il nous a donnée peu de jours avant sa mort et que l'Eglise lit avec l'évangile de sa passion. Il a toujours parlé pour les pauvres. Jamais plus efficacement qu'à sa croix; et c'est qu'il emploie ce qu'il a de plus pressant pour nous exciter à faire l'aumône.

La loi de la charité, l'esprit de la charité , l'effet de la charité. La loi de la charité, c'est l'obligation de la faire; l'esprit de la charité, c'est la manière de l'exercer; l'effet de la charité, c'est que le prochain soit secouru. Il fait ces trois choses à la croix. De peur que vous ne croyiez que le devoir de la charité soit peu nécessaire,

 

1 Pros. Stabat Mater.

 

(a) A  la parole citée dans le texte qu  commence le sermon.

 

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il en établit l'obligation. De peur que vous ne la pratiquiez pas comme il veut, il vous en montre la règle. Et de peur que le moyen ne vous manque, il en assigne le fonds. Le croirez-vous, chrétiens, que Jésus-Christ crucifié nous donne à la croix un fonds assuré pour faire subsister les pauvres? Vous le verrez dans ce discours. Ainsi rien ne manque plus à la charité. Afin qu'elle soit obligatoire, il en pose la loi immuable; afin qu'elle soit ordonnée, il en prescrit la manière certaine ; afin qu'elle soit effective, il donne un fonds assuré pour l'entretenir. Et tout cela à la croix, comme j'espère vous le faire voir.

 

PREMIER POINT.

 

Jésus-Christ souffrant, loi des souffrances. Ceux qui ne souffrent pas, quel salut, quelle espérance ? Compatir. Deux seules sources de grâces. La première, source véritable; la seconde, comme un ruisseau, découle de là. On participe à leurs grâces en soutenant leurs souffrances. Rememoramini autem pristinos dies, in quibus illuminati, magnum certamen sustinuistis passionum, et in altero quidem opprobriis et tribulationibus spectaculum facti, in altero autem socii taliter conversantium effecti. Nam et vinctis compassi estis, et rapinam bonorum vestrorum cum gaudio suscepistis (1). Il les met ensemble. Donc ou l'un ou l'autre. Car Jésus à la croix a souffert et a exercé la miséricorde. Donc, sinon l'un , du moins l'autre : c'est le moindre. Dieu nous met à l'épreuve la plus facile ; notre damnation sera donc plus grande. Saint Cyprien : Res grandis et facilis, sine periculo persecutionis, corona pacis (2). — Non coronatur, nisi qui legitimè certaverit (3). Il change la loi en faveur de la charité. Ah ! ce misérable est aux mains avec la faim, avec la soif, avec le froid, avec le chaud, avec les extrémités les plus cruelles. La couronne lui sera bien due. Si vous le soulagez, vous y aurez part. Corona pacis ; couronne dans la paix, victoire sans combats, prix du martyre sans persécution et sans endurer de violence. Combien est grande cette obligation, il paraît par la miséricorde de Jésus-Christ. Miséricorde veut

 

1 Hebr., X, 32, 33, 34. — 2 S. Cyprian., De Oper. et eleemosyn., p. 246. — 3 II Timoth., II, 5.

 

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être honorée par la miséricorde. Deux actes de miséricorde : celle qui prévient, celle qui suit. Par la première Jésus-Christ achète la nôtre : Estote eiséricordes, sicut et Pater vester misericors est (1). — Induite vos, sicut electi Dei sancti et dilecti, viscera misericordiae (2). Par la seconde, il faut que la nôtre l'achète : Beati misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur (3). Enchaînement de miséricorde. Jésus-Christ prévient, obligation de le suivre; nous suivons, il s'oblige à donner le comble. C'est la loi qu'il nous impose, c'est celle qu'il s'est imposée. La grâce , l'indulgence, la rémission, le ciel même est à ce prix. Point de miséricorde, si nous n'en faisons. Sans la charité, nudité de l'âme. Passage d'Isaïe : Cooperit multitudinem peccatorum (4). examiné par saint Cyprien. Point de remèdes pour les péchés. L'oraison, le jeûne, l'aumône.

L'oraison. Ils font comme des gens de bien, ils veulent approcher de Dieu : Me etenim de die in diem quœrunt, et scire vias measvolunt; quasi gens, quae justitiam fecerit, et judicium Dei sui non dereliquerit : rogant me judicia justitiœ ; appropinquare Deo volunt (5).

Le jeûne. Numquid tale est jejunium quod elegi, per diem affligere hominem animam suam (6)? Quel est donc le remède? Dissolve colligationes impietatis, solve fasciculos deprimentes; dimitte eos, qui confracti sunt, liberos, et omne onus dirumpe. Frange esurienti panem tuum, et egenos vagosque indue in domum tuam ; cùm videris nudum, operi eum, et carnem tuam ne despexeris. Tunc erumpet quasi mane lumen tuum, et sanitas tua citiùs orietur, et anteibit faciem tuam justifia tua, et gloria Romini colliget te. Tunc invocabis, et Dominus exaudiet : clamabis, et dicet : Ecce adsum, si abstuleris de medio tul catenam, et desieris extendere digitum, et loqui quod non prodest. Cùm effuderis esurienti animam tuam, et animam afflictam repleveris, orietur in tenebris lux tua, et tenebrœ tuae erunt sicut meridies. Et requiem tibi dabit Dominus semper, et implebit splendoribus animam tuam, et ossa tua liberabit, et erit quasi

 

 

1 Luc., VI, 30. — 2 Coloss., III, 12. — 3 Matth., V, 7. — 4 Petr., IV, 8. — 5 Isa. LVIII, 2. — 6 Ibid., 5.

 

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hortus irriguus, et sicut fons aquarum, cujus non deficient aquœ. Et aedificabuntur in te deserta saeculorum : fundamenta generationis et generationis suscitabis : et vocaberis aedificator sepium, avertens semitas in quietem. Si averteris à sabbato pedem tuum, facere voluntatem tuam in die sancto meo, et vocaveris sabbatum delicatum, et sanctum Domini gloriosum, et glorificaveris eum dùm non facis vias tuas, et non invenitur voluntas tua, ut loquaris sermonem ; tunc delectaberis super Domino, et sustollam te super altitudines terrœ, et cibabo te hœreditate Jacob patris tui (1) « Tel est le jeune que je veux. Déchargez le pauvre de son fardeau ; délivrez les oppressés des liens et de la tyrannie des méchants ; ôtez de dessus les épaules infirmes le fardeau qui les accable; mettez en liberté les captifs et rompez le joug qui les charge. Partagez votre pain avec le pauvre , invitez en votre maison les mendiants et les vagabonds ; quand vous verrez un homme nu, revêtez-le, et respectez en lui votre chair et votre nature. Alors votre lumière se lèvera aussi belle que le point du jour, et votre santé vous sera rendue aussitôt, et votre justice marchera devant vous, et la gloire du Seigneur vous recueillera. Alors vous invoquerez le Seigneur, et il vous exaucera; vous crierez, et il dira : Je suis à vous. Quand vous ôterez les chaînes aux captifs qui sont parmi vous, quand vous cesserez de menacer les malheureux et de leur tenir des discours inutiles, quand vous aurez répandu votre cœur sur les misérables et que vous aurez rempli les âmes affligées, votre lumière se lèvera parmi les ténèbres, et vos ténèbres seront comme le midi. Et le Seigneur vous donnera un repos éternel, et remplira votre âme de ses splendeurs, et il fera reposer vos os en paix, et vous serez comme un jardin bien arrosé et comme une source qui ne tarit pas. » Afin que nous entendions que sans l'aumône tout est inutile : celui qui ferme ses entrailles, Dieu ferme les siennes sur lui.

Ce qui presse le plus, c'est que cette miséricorde est nécessaire au salut des âmes. Jésus-Christ à la croix pour sauver les âmes : entrer dans ses sentiments et tirer nos frères de toutes les extrémités qui mettent leur âme dans un péril évident. Deux conditions

 

1 Isa., LVIII, 6-14.

 

opposées ont pour écueil de leur salut les mêmes extrémités : les premières fortunes et les dernières. Les uns par la présomption, et les autres par le désespoir arrivent à la même fin, de s'abandonner tout à fait au vice. On aime l'oisiveté dans l'un et dans l'autre. Car l'un est si abondant qu'on n'a pas besoin du travail, et l'autre si misérable qu'on croit que le travail est inutile. On ne veut travailler que pour éviter les maux extrêmes : on y est, on n'espère plus, on s'y habitue. Plus de honte, (a) Ce qui est le plus horrible, dans l'un et dans l'autre état on néglige son âme. Là on est poussé par l'applaudissement, on s'oublie soi-même; et ici par le mépris de tout le monde; on se néglige, on ne se croit pas destiné pour rien qui soit grand. La félicité est de manger. Déduit à l'état des bêtes. Tels étaient ces pauvres fainéants, etc.

En ces deux états on oublie Dieu. Les uns par trop de repos, les autres par trop de misères croient qu'il n'y a point de Dieu pour eux. Le premier, point de justice ; le second, point de bonté; tous deux par conséquent, point de Dieu. Ces pauvres savaient-ils qu'il y eût un Dieu? Un peuple d'infidèles parmi les fidèles. Baptisés sans savoir leur baptême. Toujours aux églises sans sacrements. Pour ôter les extrémités également dangereuses de ces deux états, loi de la justice divine que les riches déchargent les pauvres du poids de leur désespoir, que les pauvres déchargent les riches d'une partie de leur excessive abondance. Alter alterius onera portate (1). Passez à cet hôpital, nouvelle ville hors de la ville, (b) Là on tâche d'ôter de la pauvreté toute la malédiction

 

1 Galat., VI, 2.

 

(a) Note marg. : Il ne faut pas blâmer les pauvres honteux : la honte est le moyen pour les exciter au travail et leur l'aire craindre la mendicité. — (b) Prouvez aux pauvres que Dieu est leur Père; prouvez-leur les soins de la Providence. Il est bon, tant de biens qu'il donne, cela ne les touche pas : rien pour eux. Il a commandé de leur donner, rien pour eux : on n'obéit pas. Prouvez donc sensiblement sa bonté en donnant. Les enfants, ils ne les ont que pour faire montre de leur misère: toute leur instruction est de savoir feindre des plaintes. Passez à cet hôpital; sortez un peu hors de la ville , et voyez cette nouvelle ville qu'on a bâtie pour les pauvres, l'asile de tous les misérables, la banque du ciel, le moyen commun proposé à tous d'assurer ses biens et de les multiplier par une céleste usure. Rien n'est égal à cette ville ; non, ni cette superbe Babylone, ni ces villes si renommées que les conquérants ont bâties. Nous ne voyons plus maintenant ce triste spectacle, des hommes morts devant la mort même, chassés, bannis, errants, vagabonds, dont personne n'avait soin, comme s’ils n’eussent aucunement appartenu à la société humaine.

 

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qu'apporte la fainéantise, de faire des pauvres selon l'Evangile. Les enfants sont élevés, les ménages recueillis; les ignorants instruits reçoivent les sacrements. Sachez qu'en les déchargeant vous travaillez aussi à votre décharge. Vous diminuez son fardeau, et il diminue le vôtre ; vous portez le besoin qui le presse, il porte l'abondance qui vous surcharge.

Venez donc offrir ce sacrifice. Deux lieux de sacrifice, l'autel et le tronc. Locuples et dives es, et dominicum celebrare te credis , quœ corban omnino non respicis, quœ in dominicum sine sacrificio venis (1). Ancienne coutume du sacrifice : chacun du pain et du vin pour l'Eucharistie. Le reste pour les pauvres. Comme une continuation du sacrifice chrétien. Quoique l'ordre de la cérémonie soit changé, le fond de la vérité est invariable, et toujours votre aumône doit faire partie de votre sacrifice.

Ne regardez pas seulement le tronc de l'église, ayez-en un pour les pauvres dans votre maison : conseil de saint Chrysostome, (a) fondé sur ces mots de saint Paul : « Que chacun de vous mette à part chez soi, le premier jour de la semaine, ce qu'il voudra, amassant peu a peu selon sa bonne volonté (2). »

Ne prenez pas pour excuse le nombre de vos enfants. N'en avez-vous point quelqu'un qui soit décédé? Ne le comptez-vous plus parmi les vôtres, depuis que Dieu l'a retiré en son sein? Pourquoi donc n'aurait-il pas son partage ? Mais puisque vous survivrez vous-même à votre mort, pourquoi ne voulez-vous pas hériter de quelque partie de vos biens, et pourquoi ne voulez-vous pas compter Jésus-Christ parmi l'un de vos héritiers ? Quand vous laissez vos biens à vos héritiers, vous les quittez, et ils vous oublient. Vous faites tout ensemble des fortunés et des ingrats. Quelle consolation d'aller à celui que vous avez laissé héritier d'une partie de vos biens! Et je ne dis pas pour cela que vous attendiez le temps de la mort. Et si vos enfants vivants vous reviennent? Grave exhortation de saint Cyprien.

Voilà donc, si je ne me trompe, l'obligation établie, et les excuses rejetées qui paraissaient les plus légitimes. Le croyez-vous,

 

1 S. Cyprian., De Oper. et elecmosyn., p. 242. — 2 I Cor., XVI, 2.

 

(a) Note marg. : Voy. Serm. à l'hôpital général.

 

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mes frères? Si vous ne le croyez pas, vous le croirez un jour, quand vous entendrez le Juge n'alléguer pour motif de sa sentence que la dureté à faire l'aumône; si vous le croyez, voyez la manière.

 

SECOND  POINT.

 

Jésus-Christ crucifié nous apprend trois choses : avec pitié, avec joie, avec soumission.

1° La compassion. Non enim habemus pontificem qui non possit compati infirmitatibus nostris (1). — Misereor super turbam (2). La première aumône venait du cœur.

Jésus-Christ perpétue en deux sortes le souvenir de sa passion pour nous y faire compatir : en l'Eucharistie et dans les pauvres. Hoc facite in meam commemorationem, l'aumône aussi bien que la communion. Se souvenir avec douleur de sa passion , en l'un et en l'autre, avec cette seule différence, que là nous recevons de lui la nourriture, ici nous la lui donnons : Hoc facite in meam commemorationem (3). (a) Entrez dans ces grandes salles, (b) Infinie variété de misère par la maladie et par la fortune ! marque de l'infinité de la malice qui est dans le péché. Compassion ébranle le cœur pour ouvrir la source des aumônes.

2° Plaisir. Saint Charles Borromée. Proposito sibi gaudio sustinuit crucem. (4) Quel plaisir parmi cet abîme, etc. ! plaisir de soulager les misérables, plaisir qui le pressait au fond du cœur. Baptismo habeo baptizari, et quomodo coarctor usque dùm perficiatur (5)? dans l'intime au milieu de ses répugnances. Job. Comme il sentait ce plaisir : Si negavi quod volebant pauperibus, et oculos viduœ expectare feci ; si comedi buccellam meam solus, et non comedit pupillus ex eà (quia ab infantià meâ crevit mecum miseratio, et de utero matris meœ egressa est mecum). Si despexi pereuntem, eo quod non habuerit indumentum et absque operimento

 

1 Hebr., IV, 15. — 2 Marc., VIII, 2. — 3 Luc., XXII, 19. — 4 Hebr., XII, 2. — 5 Luc., XII, 50.

 

(a) Note marg. : Image des peines de Jésus-Christ dans les pauvres; soulagez-les donc : Hoc facite in meam commemorationem. Voulez-vous baiser les plaies de Jésus, assistez les pauvres; son côté ouvert nous enseigne la compassion; ce grand cri qu’il fait à la croix, par lequel les pierres sont fendues, nous recommande les pauvres. — (b) Voy. Serm. aux incurables.

 

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pauperem; sinon benedixeruntmihi latera ejus, et de velleribus ovium mearum calefactus est (1). Saint Paul : Gaudium enim magnum habui et consolationem in charitate tuà, quia viscera sanctorum requieverunt per te, frater (2). Ce plaisir a dilaté le cœur de Jésus : il n'a point voulu donner de bornes à cette ardeur d'obliger, à ce désir de bien faire. Donnez-moi que j'entende, ô Jésus-y, l'étendue de votre cœur. Le plaisir d'obliger a fait qu'il a Voulu être le Sauveur de tous. Entrons dans l'étendue de ce cœur. Comme lui tous les péchés, ainsi nous toutes les misères. C'est le dessein de cet hôpital, universalité de tous les maux. Lui tous les nôtres, nous tous les siens ; et nous verrions périr une telle institution !

3° Servir les pauvres avec soumission. Jésus-Christ lave les pieds à ses disciples. Exemplum dedi vobis (3).— Non venit ministrari, sed ministrare , et dare animam suam redemptionem pro multis (4).

« Abraham oublie qu'il est maître :» Viso peregrino, dominum se esse nescivit (5). Ayant tant de serviteurs et une si nombreuse famille, il prenait néanmoins pour son partage le soin et l'obligation de servir les nécessiteux. Aussitôt qu'ils s'approchent de sa maison, lui-même s'avance pour les recevoir, lui-même va choisir dans son troupeau ce qu'il y a de plus délicat et de plus tendre, lui-même prend le soin de servir leur table. Ce père des croyants voyait en esprit Jésus-Christ serviteur des pauvres ; et voyant les pauvres être ses images , il ne songe plus qu'il est le maître. En sa présence sentant ou son autorité cessée devant une telle puissance, ou sa grandeur honteuse de paraître devant une telle humilité , dominum se esse nescivit. C'est ce qu'il nous faut imiter, si nous voulons être enfants d'Abraham. Zachée : Dimidium bonorum meorum do pauperibus; Notre-Seigneur : Eò quòd et ipse filius sit Abrahœ (6). Servons donc les pauvres pour être enfants d'Abraham et suivre les vestiges d'une telle foi. Ne méprisons point nos semblables. Condescendance. Saint Paul : Nunc igitur proficiscar in Jerusalem ministrare sanctis. Probaverunt enim Macedonia

 

1 Job, XXXI, 16-20. — 2 Philem., vers. 7. — 3 Joan., XIII, 15. — 4  Matth. XX, 28.— 5 S. Petr. Chrysol., serm. CXXI De Divit. et Lazar. — 6 Luc., XIX, 8, 9.

 

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et Achaia collationnn aliquam facere in pauperes sanctorum, qui sunt in Jerusalem... Obsecro ergo vos, fratres, per Dominum nostrum Jesum Christum et per charitatem sancti Spiritûs, ut adjuvetis me in orationibus vestris pro me ad Deum, ut libérer ab infidelibus qui sunt in Judaea et obsequii mei oblatio accepta fiat in Jerusalem sanctis (1).

Adoucir leurs esprits, calmer leurs mouvements impétueux : nul mépris, nul dédain; Jésus-Christ en eux. Les servir, vouloir leur plaire (a).

 

TROISIÈME POINT.

 

Le fonds : retranchement des convoitises. Jésus-Christ est-il venu pour découvrir de nouveaux trésors, ouvrir de nouvelles mines, donner de nouvelles richesses? Les présents du Dieu créateur. Mais les passions engloutissent tout. Il les faut réprimer. C'est la grâce du Dieu sauveur, du Dieu crucifié. C'est le fonds qu'il assigne.

Sa croix est le retranchement des passions. Circoncision du cœur. Baptême. Abnégation des pompes du monde.

Excès des convoitises (b) : Colligite quœ superaverunt fragmenta (2).

Retranchement nécessaire, autrement votre aumône n'est pas un sacrifice. Le jeu : Subitò egentes, repente divites. Singulis jactibus statum mutantes; versâtur enim eorum vita ut tessera : « Leur état et leur fortune se changent avec la même volubilité que les dés qu'ils jettent. » Fit ludus de periculo, et de ludo periculum; quot propositiones, tot proscriptiones (3) : « autant de mises, autant de ruines. »

Donnez libéralement : Salomonis sanguisugam in contrarium aemulato : Affer, affer: « Donnez, donnez. » Pourquoi tant d'inutiles magnificences? Amusement et vain spectacle des yeux, qui ne fait qu'imposer vainement et à la folie ambitieuse des uns et à l'aveugle admiration des autres. Cuncta inter furorem edentis et

 

1 Rom., XV, 25, 26, 30, 31.  — 2 Joan., VI, 12. — 3 S. Ambr., lib. De  Tobià, cap. XI, tom. I.

 

(a) Note marg. : Voy. Serm. Erunt novissimi primi. — (b) Voy. Serm. du Mauvais Riche.

 

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spectantis errorem, prodigâ et stultà voluptatum frustrantium vanitate depereunt (1).

Châtiment contre ceux qui excèdent ces bornes (a).

La destruction d'un tel ouvrage (b) crie vengeance devant Dieu : serait-elle impunie? Dieu dénonce sa colère à tous les hommes qui seraient coupables de cette perte. Chacun se détourne, chacun se retire. Quoi donc! dans un si grand crime, si public, si considérable, ne pourra-t-on trouver le coupable? Ah! je vois bien ce que c'est : puisque nul ne l'est en particulier, tous le sont en général. C'est donc un crime commun : en serait-il moins vengé pour cela? Au contraire, ne sont-ce pas de tels crimes qui attirent les grandes vengeances? Est-ce que Dieu craint la multitude ? Cinq villes toutes enflammées, le monde entier, le déluge. S'il arrive donc quelque grand malheur, ne vous en prenez qu'à vous-mêmes. Ah ! faites-vous des amis, qui recipiant vos in œterna tabernacula (2).

 

 

PLAN D'UN SERMON
POUR
LE  VENDREDI  DE  LA SEMAINE  DE   LA PASSION,
SUR LA NÉCESSITÉ DE L'AUMONE.

 

1° Jésus-Christ souffrant dans les pauvres; 2° abandonné dans les pauvres; 3° patient dans les pauvres.

 

PREMIER POINT.

 

Jésus-Christ souffre pour l'expiation des péchés en lui-même, dans les pauvres en Rappliquant. On s'applique la croix en y participant, en recevant les pauvres, en donnant.

Jésus-Christ abandonné des hommes, de Dieu même.

 

1 S. Cyprian., De Oper. et eleemosyn., p. 244. — 2 Luc., XVI, 9.

 

(a) Note marg. : Voy. Serm. Colligite fragmenta ne pereant.— (b) De l'hôpital général.

 

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Guérir les blessures de Jésus-Christ dans les pauvres.

Pauvres, victimes du monde.

Diviserunt sibi vestimenta mea, et super vestem meam miserunt sortem (1). Vous jouez les habits des pauvres, vous partagez entre vous les habits des pauvres et la nourriture des pauvres, in siti meà potaverunt me aceto (2); quand on les rebute, qu'on les traite mal, et celles qui se sacrifient pour quêter pour eux.

Abandonneront de Jésus-Christ, ses disciples : figure d'un autre abandonneront spirituel. Qu'on ne profite point de la passion de Jésus-Christ. Tous les hommes devraient être au pied de la croix pour recueillir ce sang et empêcher qu'il ne tombe à terre. Ainsi des pauvres, pour profiter de leurs larmes, recueillir leurs sueurs, les aider à porter leurs croix.

On va ériger le Calvaire dans toutes les églises, couvrir les plaies du Fils de Dieu. Image, en attendant, en la sainte Vierge et dans les pauvres. Pauvres de Jésus-Christ, mes très-chers et mes très-honorés frères, à vous la parole.

En Jésus-Christ, passion. En Marie, compassion. Partout où je vois Jésus-Christ souffrant, je vois Marie compatissante. Il soutire en lui, dans les pauvres; Marie, elle voit dans les pauvres Jésus-Christ souffrant. Elle a vu son Fils abandonné; notre dureté lui fait voir Jésus-Christ abandonné dans les pauvres. Sa consolation était qu'elle voyait Jésus-Christ patient; ah! plût à Dieu, mes frères, qu'elle voie Jésus-Christ patient dans les pauvres!

Jésus-Christ souffrant dans les pauvres : image de la passion dans l'Eucharistie. Dans les pauvres. Saint Chrysostome : Calicem manu tenes, de quo Christus potaturus est; sali sacerduti fas est calicem tibi prœbere : ergo qui potum des, tu laicus sacerdos factus es (3). En Jésus-Christ nuls péchés, et tous les péchés; nulles misères, et toutes les misères. Salvien : Non eget Deus juxtà omnipotentiam, eget juxtà misericordiam; et ideo quantum ad pietatem pertînet, plus quàm cœteri eget. Omnis enim egens in se et propter se eget; solus Christus in omnium pauperum utilitatem mendicat (4). Il gouffre en même temps les extrémités apposées,

 

1 Psal. XXI, 19.— 2 Psal. LXVIII, 22. — 3 S. Chrysost., homil. XLV in Matth. — 4 Salvian., lib. IV Advert. Avarit., p. 303, 304.

 

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le froid, le chaud. Non-seulement en eux est représentée la vérité des souffrances, mais la cause. Pauvres, victimes du monde : tous méritent d'être ainsi traités. Dieu choisit les pauvres ; décharge sur eux sa colère et épargne les autres. Il faut y participer : à celles de Jésus-Christ en recevant; à celles des pauvres en donnant, en compatissant, empruntant leur croix, aidant à la porter. Nous ne le faisons pas, nous les abandonnons; c'est notre seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Jésus-Christ abandonné des hommes, de Dieu même. Ainsi les pauvres. Des hommes : Tibi derelictus est pauper (1). De Dieu même : Ut quid, Domine, recessisti longé, despicis in opportunitatibus ? dùm sit perbit impius, incenditur pauper (2). Auparavant : Et factus est Dominus refugium pauperi, adjutor in opportunitatibus, in tribulatione (3). Il ne les abandonne pas : pendant qu'il semble abandonner Jésus-Christ, il réconcilie le monde; c'est la gloire de Jésus-Christ : pendant qu'il semble oublier les pauvres, il leur prépare leur récompense ; c'est ce qui doit les exciter à la patience.

Raison pourquoi on les méprise : comme impuissants à faire du bien et à faire du mal. Du bien : Quando mortua est Tabitha, quis eam suscitavit? servi circumsistentes, an mendici (4) ? Du mal (5) : Dieu écoute les malédictions des pauvres : il les écoute et les châtie; l'un par justice contre eux, et l'autre par justice contre nous.

Leurs murmures, justes. Pourquoi cette inégalité de conditions? Tous formés d'une même boue. Description de cette différence : nul moyen de justifier cette conduite, sinon en disant que Dieu a recommandé les pauvres aux riches et leur a assigné leur vie sur leur superflu : Ut fiat œqualitas, dit saint Paul (6).

 

1 Psal. X, H. 15. — 2 Ibid., I, 2. — 3 Psal. IX, 10. —  4 S. Chrysost., homil. XI in Epist. ad Hebr. — 5 Eccli., IV, 4, 5, 6, 8. — 6 II Cor., VIII, 14.

 

 

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TROISIÈME POINT.

 

Patience : exemple de Jésus-Christ. Contribuons à leur patience en les assistant. «Recommandez avec soin à vos enfants, disait aux siens Tobie (1), de faire des œuvres de justice et des aumônes. » Remarquez l'union de la justice et des aumônes.

 

 

ABRÉGÉ D'UN SERMON
POUR
LE   SAMEDI   DE   LA SEMAINE   DE   LA   PASSION,
SUR LE JUGEMENT DE JÉSUS-CHRIST CONTRE LE MONDE (a).

 

Nunc judicium est mundi. Joan., XII, 31.

 

Ce n'est pas ce jugement qui fera l'étonnement de l'univers, l'effroi des impies, l'attente des justes, que je dois vous représenter. Ce n'est pas ce Jésus qui viendra dans les nues du ciel, terrible et majestueux, qui paraîtra dans cette chaire : c'est Jésus jugé devant Caïphe et devant Pilate, Jésus jugé, Jésus condamné. Mais en cet état il juge le monde, et vous le verrez sur sa croix le condamnant souverainement avec ses pompes et ses maximes. O Dieu, donnez-moi des paroles, non de celles qui flattent les oreilles et qui font louer les discours, mais de celles qui pénètrent les

 

1 Tob., XIV, 11.

 

(a) Prêché en 1666, à Saint-Germain-en-Laye, devant la Cour.

Notre esquisse renferme ces mots : « Voilà les honnêtes gens ceux qui ont de grandes vues pour la Cour;» le discours dont elle forme le projet devait donc être prêché «levant le royal auditoire. Or, d'une part, Bossuet n'a prêché que deux Carêmes à la Cour, celui de 1662 et celui de 1666; d'une autre part il prêcha en 1662, le samedi de la semaine de la Passion, le troisième discours sur la Pénitence ; le sermon sur le Jugement contre le monde a donc été prêché en 1666. Remarquons aussi que notre esquisse renvoie, dans une note marginale au discours dont nous venons de parler, le troisième sur la Pénitence ; elle est donc dune date postérieure, et par conséquent de 1666.

 

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cœurs et qui captivent tout entendement sous l'autorité de votre Evangile. Ave.

 

Je ne sais si j'enfanterai ce que je conçois, ni si la bonne parole que le Saint-Esprit me met dans le cœur pourra sortir avec toute son efficace. Je suis attentif à un grand spectacle; je découvre intérieurement Jésus sur sa croix, condamnant de ce tribunal et le inonde et ses maximes. Il est occupé de la pensée de sa passion prochaine; « sa sainte âme en est troublée : » Anima mea turbata est; il semble hésiter : Et quid dicam? A la fin la force prévaut : Pater, clarifica nomen tuum (1). Sur cela une voix comme un tonnerre : Et clarificavi (2). Au bruit de cette voix il semble parler avec une nouvelle force, et il prononce les paroles que j'ai récitées : Nunc judicium est mundi (3); nous enseignant par ce discours que sa croix et sa passion sont le jugement et la condamnation du monde. C'est ce jugement que je vous prêche; et pour vous expliquer en trois mots tout ce que j'ai à vous exposer de ce jugement, je dirai quelle en a été la forme, quelle en a été la matière (a), quelle en doit être l'exécution.

 

PREMIER POINT.

 

Le monde établit des maximes. Elles ont toutes leur fondement sur nos inclinations corrompues; mais le monde leur donne une certaine autorité, ou plutôt leur attribue une tyrannie contre laquelle les chrétiens n'ont pas le courage de s'élever. Ce sont comme des jugements arrêtés et qui passent en force de choses jugées sur les vengeances, sur la fortune, etc.

Jésus-Christ veut condamner ces maximes, et la manière de les condamner est nouvelle et inouïe. Il se laisse juger par le monde, et par l'iniquité de ce jugement il infirme toutes ses sentences (b).

De là il se voit que le monde n'a pas le principe de droiture; et c'est pourquoi ses jugements, 1° sont pleins de bizarreries, 2° n'ont point de stabilité ni de consistance. Mais vous direz que c'est le

 

1 Joan., XII, 27. — 2 Ibid., 28. — 3 Ibid., 31.

 

(a) Var. : Sur quel sujet il a été prononcé. — (b) Note marg. : Voy. Serm. Carême aux Minimes.

 

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peuple emporté : voyons ce que le monde juge dans les formes; écoutons le jugement des pontifes et le jugement de Pilate, ceux qu'on appelle les honnêtes gens. Pilate, condamne un innocent, afin d'être ami de César. Il s'est trompé ; sa disgrâce sera marquée dans l'histoire, et il y aura une tour qui deviendra fameuse par son exil, (a) Voilà pourtant les honnêtes gens, ceux qui ont de grandes vues pour la Cour et pour la fortune ! Ils ont mal jugé du Fils de Dieu, et leur ambition les a corrompus, pour leur faire tremper leurs mains dans le sang du Juste.

Mais les prêtres et les pontifes ont encore un objet plus haut. Ils songent à sauver l'Etat et l'autorité de la nation :...Et non tota gens pereat (1). Sur cela ils sacrifient Jésus-Christ à une chimère d'intérêt public. Mais ce sang qu'ils ont répandu, est sur eux et sur leurs enfants, selon leur parole. Il les poursuit, il les accable, etc. : Ut veniat super vos omnis sanguis justus (2). Ils mettent le comble au crime et à la vengeance. Le dernier trait. Ainsi en jugeant Jésus-Christ, tout le monde s'est trompé. Il s'est laissé juger, et l'extravagance de ce jugement criminel et insensé a fait paraître que le monde ne sait pas juger. Jésus s'est mis au-dessus de tous les jugements humains, et c'est ce qui lui donne une autorité suprême au-dessus de tous les jugements du monde.

Regardé comme un homme, non encore comme Fils de Dieu, (b) il ne juge pas avec une apparence d'autorité; il le fera un jour de cette sorte, lorsqu'il descendra dans la nue : il juge en se laissant condamner, et il remporte la victoire pendant qu'on le juge, ainsi qu'il est écrit au psaume Le : Ut vincas cùm judicaris (3). C'est ce qui autorise son Evangile; c'est ce qui met la perfection à son innocence, à sa sainteté, à sa justice. Platon (ne vous étonnez pas si je cite ce philosophe en cette chaire; le passage que j'ai à vous rapporter a été tant de fois cité par les chrétiens, qu'il a cessé d'être profane en passant si souvent par des mains saintes); il dit que le comble de la malice, c'est de la couvrir si artificieusement qu'elle paraisse être juste (4). Ainsi la perfection de la

 

1 Joan., XI, 50. — 2 Matth., XXIII, 35. — 3 Psal., L, 6. — 4 De Republ., lib. II.

 

(a) Note marg. : Pilate, exilé, se tua à Vienne en Dauphiné.— Voy. Euseb., Hist. Eccle., lib. II, cap. VII; Ado, Chron., œtat sext., an. Christi 40; Tillem., Hist. des Empereurs, an. I, p. 432. — (b) Voy. le Sermon indiqué plus haut.

 

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sainteté c'est d'être juste sans se soucier de le paraître, sans ménager la faveur des hommes ; et au contraire en reprenant tellement les vices, qu'on se fasse maltraiter et crucifier comme un criminel : fondements cachés de la vérité future jetés dans les ténèbres du paganisme. C'est ce qui autorise Jésus-Christ, qui ne dit rien pour ménager la faveur des hommes. Les pharisiens le flattent ; il n'en foudroie pas moins leur orgueil et ne relâche pas pour leurs flatteries sa juste et nécessaire sévérité. Ils le fatiguent, ils l'importunent, ils le persécutent; sa douceur ne s'en aigrit pas : « Race infidèle et maudite , amenez ici votre fils (1). » Ils le crucifient; il prie pour eux, et sa vérité subsiste au-dessus de tant de bizarres jugements des hommes.

Aussi paraît-il en juge ; il brave la majesté des faisceaux romains par l'invincible fermeté de son silence. Le titre de sa royauté est écrit au haut de sa croix, parce qu'il règne sur tout le monde par ce bois infâme, et que ce qui est folie aux gentils devient la sagesse de Dieu pour les fidèles.

Pendant que le monde le condamne, il ne laisse pas d'avoir ses enfants qui le reconnaissent. La sagesse est justifiée par ses enfants. Mais il choisit un autre peuple. Il étend ses bras dans la croix : Omnia traham ad meipsum (2). « Il mesure le monde, dit Lactance (3), et il appelle un nombre infini de nations qui viendront se reposer sous ses ailes. » Ainsi il juge les Juifs et se choisit un autre peuple. Saint Hilaire : Aliis Christus prœdicatur, et ab aliis agnoscitur : (a) aliis nascitur, et ab aliis diligitur, etc. (4) Ainsi pendant que le peuple juif le juge et le condamne, il se choisit un peuple qui se soumet à ses lois et qui consent au jugement souverain qu'il prononce du haut de sa croix, non-seulement contre les Juifs, mais encore contre le monde : Nunc judicium est mundi.

 

SECOND POINT.

 

Pour apprendre maintenant ce que Jésus a condamné dans le monde, considérez seulement ce qu'il a rejeté. Puissance infinie ,

 

1 Matth., XVII, 16. — 2 Joan., XII, 32.— 3 De Divin, institut., lib. IV, cap. XXVI. — 4 Comment., in Matth., n. 7.

 

(a) Note marg. : Voy. Serm. sur la Nativité, où ce passage est rapporté avec quelques extraits.

 

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sagesse infinie : ce qu'il n'a pas eu, c'est par choix, (a) Gloriam sœculi alienam et sibi et suis judicavit ; quam noluit rejecit, quam rejecit damnavit, quam damnavit in pompa diaboli deputavit (1).— Nolite amare temporalia, quia si bene amarentur, amaret ea homo quem suscepit Filius Dei ; nolite timere contumelias, et cruces, et mortem, quia si nocerent homini, non ea pateretur homo quem suscepit Filius Dei (2).

La beauté, la santé, la vie. Si c'étaient des biens, serait-il permis aux hommes furieux? mais serait-il permis aux démons de les ravir au Sauveur? Non est species ei neque decor (3). Retranchez donc l'amour de la vie. Et vous voulez forcer la nature, et rappeler en quelque sorte la jeunesse fugitive ! Cheveux contrefaits, couleurs appliquées.

La puissance, c'est ce qu'on demande ; l'élévation, et pour cela les richesses, principaux instruments de la puissance et de la grandeur. Jésus, si peu de puissance, qu'il se soumet volontairement à la puissance des ténèbres. Pilate a puissance sur lui ; et il l'a reçue d'en haut pour vous faire voir qu'encore que la puissance soit un présent de Dieu, ce n'est ni des principaux, ni des plus grands, puisqu'il le donne à un ennemi contre son propre Fils. Combien devait craindre. Pilate sa propre puissance ; combien les marques de son autorité devaient-elles le faire trembler, s'il eût pu ouvrir les yeux pour voir où l'engagerait le désir de conserver sa puissance! (b) Pendant que Pilate et Caïphe, et tous les ennemis de Jésus, et les démons mêmes sont si puissants contre lui, il s'est dépouillé de tout son pouvoir : Tradebat autem judicanti se injusté (4), sans résister, je ne dis point par des effets, mais par des paroles. Cherchez après cela la puissance, cherchez les richesses , cherchez les plaisirs ! Mais démentez donc le Sauveur, qui nous a fait voir par sa croix, en s'en dépouillant, que ces choses ne sont pas des biens véritables.

La faveur des hommes ? Au contraire, une haine implacable et

 

1 Tertull., De Idololat., n. 18. — 2 S. August., De Agon. Christ., cap. XI, n. 12. — 3 Isa., LIII, 2. — 4 I Petr., II, 23.

 

(a) Note marg. : Voy. Serm. de la Nativité, et Serm. de la Compassion. — (b) Voy. S. August., de Spiritu et litt., lib. III ; et Serm. de l'Ambition et de la puissance, Ier Carêm. du Louvre.

 

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envenimée. Si ses ennemis déclarés, si ses envieux lui eussent rendu le mal pour le mal, ils ne seraient pas innocents. En ne lui rendant pas le bien pour le bien, ils sont injustes et ingrats. Mais ils lui rendent le mal pour le bien : tant d'outrages pour tous ses bienfaits ! Ah ! il n'y a plus de parole parmi les hommes qui puisse exprimer leur fureur.

Peut-être que ses amis du moins lui seront fidèles? Non, mes frères: « Maudit l'homme qui met sa confiance en l'homme (1) ! » Aimez vos amis dans l'ordre de la charité, mais n'y établissez pas votre confiance. Tous ses amis l'abandonnent. Celui qui mangeait le pain avec lui, à qui il avait commis la conduite de sa famille , c'est celui-là qui le trahit, qui le vend, qui le livre à ses ennemis. Celui qu'il a choisi pour être le fondement de son Eglise le suit quelque temps, et puis après le renie : ce commencement de fidélité, cette première chaleur de son zèle ne servant qu'à lui renouveler dans la suite la douleur d'un abandon si universel et si lâche. Ne mettez donc pas votre appui sur vos amis. Jésus a perdu les siens. Que reste-t-il au Sauveur? Rien que Dieu et son innocence ; et encore son innocence lui reste, non pour le mettre à couvert des insultes et des injustices. Dieu lui demeure, non pour le protéger sur la terre. Car au contraire c'est lui qui le livre, c'est lui qui le délaisse et l'abandonne. Il s'en plaindra bientôt par ces paroles : Deus, Deus meus..., ut quid me dereliquisti (2) ? Il ne retrouvera ce Dieu qui l'a délaissé, que quand il rendra le dernier soupir ; alors : In manus tuas commendo spiritum meum (3), afin que nous entendions que la sainteté, l'innocence, Dieu même et tous les biens véritables qu'il donne à ses serviteurs, ne leur sont pas donnés pour la vie présente, mais qu'ils ne regardent que la vie future. O medicinam omnibus consulentem, omnia tumentia comprimentem, omnia tabescentia reficientem, omnia superflua resecantem, omnia necessaria custodientem, omnia perdita reparantem, omnia depravata corrigentem !Quis beatam vitam esse arbitretur in iis quœ contemnenda esse docuit Filius Dei (4) ? N'aimez donc pas le monde, ni ce qui est dans le monde ; n'aimez pas

 

1 Jerem., XVII, 5. — 2 Psal. XXI. 2. — 2 Luc, XXIII, 48. — 3 S. August., De Agon. Christ., cap. XI, n. 12.

 

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même la vertu, parce que le monde l'estime et la considère. Le chrétien est un homme transporté de la terre au ciel : tout ce qui plait au monde, en tant qu'il plait au monde, est condamné à la croix : Nunc judicium est mundi. Le jugement est donné; reste que vous veniez à l'exécution sur vous-même, pour vous-même, contre vous-même.

 

TROISIÈME POINT.

 

Vous vous êtes engagés à cette exécution parle saint baptême : In morte ipsius baptizati sumus (1) : « Nous sommes baptisés en sa mort : » en sa mort, en sa croix, en ses douleurs, en ses infamies et en ses opprobres. Il a répandu pour nous sur le monde toute l'horreur de son supplice, toute l'ignominie de sa croix, tous ses travaux, toutes les pointes de ses épines, toute l'amertume de son fiel : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo (2). Il faut donc exécuter le monde en nous-mêmes et le crucifier pour l'amour de Jésus. Jésus a déshonoré le monde, il l'a crucifié.

Mais nous aimons mieux crucifier Jésus-Christ lui-même et participer au crime des Juifs contre lui, que de suivre l'exemple du Fils de Dieu. Pourquoi Font-ils crucifié, sinon parce qu'il se disait le Fils de Dieu sans contenter leur ambition, sans les faire dominer sur toute la terre, comme ils se le promettaient de leur messie? N'est-ce pas un tel Sauveur que nous désirons qui nous sauve de la pauvreté, de la sujétion et de la douleur, etc.? Et parce qu'il ne le fait pas et qu'il ose avec cela se dire notre Sauveur, nous nous révoltons contre lui.

D'où est née cette troupe de libertins que nous voyons s'élever si hautement, au milieu du christianisme, contre les vérités du christianisme? Ce n'est pas qu'ils soient irrités de ce qu'on leur propose à croire des mystères incroyables, ils n'ont jamais pris la peine de les examiner sérieusement. Que Dieu engendre dans l'éternité, que le Fils soit égal au Père, que les profondeurs du Verbe lait chair soient telles que vous voudrez, ce n'est pas ce qui les tourmente; ils sont prêts à croire ce qu'il vous plaira, pourvu qu'on ne les presse pas sur ce qui leur plait : à la bonne heure,

 

(1) Rom., VI, 3. — 2 Galat., VI, 14.

 

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que les secrets de la prédestination soient impénétrables, que Dieu en un mot soit et fasse tout ce qu'il lui plaira dans le ciel, pourvu qu'il les laisse sur la terre contenter leurs passions à leur aise. Mais Jésus-Christ est venu pour leur faire haïr le monde, etc.; c'est ce qui leur est insupportable, c'est ce qui fait la révolte, c'est ce qui fait qu'ils le crucifient. Prenez donc parti, chrétiens : ou condamnez Jésus-Christ, ou condamnez aujourd'hui le monde : Si Baal est Deus, sequimini illum (1).

Mais, ô Dieu, nous n'osons plus parler de la sorte. On parlait en ces termes, quand la révérence de la religion était encore assez gravée dans les cœurs pour n'oser prendre parti contre Dieu, quand on sera en nécessité de se déclarer. Mais maintenant, mes frères, si nous pressons la plupart de nos auditeurs de se déclarer entre Jésus-Christ et le monde, Jésus perdra sa cause, le monde sera hautement suivi : tant le christianisme est aboli, tant le baptême est oublié. Je ne vous laisse donc point d'option : non, non, la cause est jugée; il n'y a rien à délibérer : Nunc judicium est mundi. Il faut condamner le monde. Voici les jours salutaires où vous approcherez de la sainte table ; c'est là qu'il faut condamner le monde, « de peur, comme dit l'Apôtre, que vous ne soyez damnés avec le monde : » Ne cum hoc mundo damnemur (2); mais ne le condamnez pas à demi, comme vous avez fait jusqu'à présent. Vous ne voulez pas aimer, vous voulez plaire; vous ne voulez pas être asservis, vous voulez asservir les autres et faire perdre à ceux que Jésus a affranchis par son sang une liberté qui a coûté un si grand prix : Lacerata est lex, et non pervenit usque ad finem judicium (3).

Non, non, le monde doit perdre sa cause en tout et partout. Car jamais il n'en fut de plus déplorée. Ne me demandez donc pas jusqu'où vous devez éloigner de vous les vaines superfluités. Quand vous demandez ces bornes, ce n'est pas que vous vouliez aller jusqu'où il le faut nécessairement ; mais c'est que vous craignez d'en faire trop. Craignez-vous d'en faire trop quand vous aimez, trop pour vos parents, trop pour le prince, trop pour la patrie, parce

 

1 III Reg., XVIII, 21. — 2 I Cor., XI, 32. — 3 Habac., I, 4.— Voy. IIIe Serm. de la Madeleine, sur la fin.

 

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qu'il y a quelque image de Dieu? Point de bornes : à plus forte raison pour Dieu même. Ceux qui veulent vous donner des bornes.....On vous trompe, on vous abuse. Vie chrétienne, continuelle circoncision. Ne me demandez pas ce qu'il faut faire. Commencez à retrancher quelque vanité, et le premier retranchement vous éclairera pour les autres, etc. Aimez, voilà votre règle. Ayez la croix de Jésus dans votre cœur, elle fera une perpétuelle circoncision, tant qu'enfin vous soyez réduits à la pure simplicité du christianisme. Oh! que le monde, direz-vous, serait hideux, etc.! C'est ce qu'objectent les païens : Si esset securitas magna nugarum, felicia essent tempora, et magnam felicitatem rébus humanis Christus adtulisset (1).

Condamnez donc le monde sans réserve. Ainsi puissiez-vous éternellement être en Jésus-Christ; ainsi puissiez-vous célébrer avec lui une Pâque sainte ! Pâque, c'est-à-dire passage : puissiez-vous donc passer, non avec le monde, mais passer avec Jésus-Christ , pour aller du monde à Dieu jouir des consolations éternelles que je vous souhaite avec la bénédiction de Monseigneur. Amen.

 

1 S. August., In Psal. CXXXVI, n. 9.

 

 

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