Vendr. Passion II
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SECOND SERMON
POUR
LE VENDREDI DE LA SEMAINE DE LA PASSION,
SUR LA COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE (a).

 

Dicit Jesus Matri suae : Mulier, ecce filius tuus; deinde dicit discipulo : Ecce mater tua.

 

Jésus dit à sa Mère : Femme, voilà votre fils; après il dit à son disciple : Voilà votre mère. Joan., XIX, 26.

 

Si jamais l'amour est ingénieux, si jamais il produit de grands et de nobles effets, il faut avouer que c'est particulièrement à

 

(a) Marie associée pour nous engendrer à l'amour du Père qui nous adopte, et aux souffrances du Fils qui nous rachète. Nature féconde. Charité féconde. Carne mater capitis nostri, spiritu mater membrorum ejus ( S. August., De Sanct. Virginit., n. 6).

Double fécondité du Père. Toutes deux communiquées à Marie.

Fécondité de charité du Père qui adopte, coûte la mort au Fils véritable et naturel.

Association de charité entre le Père céleste et Marie, qui livrent leur commun Fils à la mort.

Deux enfantements de Marie : l'un sans peine, l'autre douloureux.

Souffrances de Marie à la croix.

Cœur d'une mère. Chananée. (S. Basile de Séleucie.)

Cas Souffrances la rendent féconde. Jésus, en l'associant à la croix, l'associe à la fécondité : Ecce filius tuus.

Enfante comme des mères à qui l'on arrache les enfants par le fer.

Ne obliviscaris gemitus matris tuœ (Eccli., VII, 29).

Jésus-Christ et Marie nous enfantant par la croix, consacrent leurs enfants à la pénitence.

 

Prêché à Metz, vers 1655.

Indices de l'époque de Metz : la longueur de l'exorde ; les interrogations sans la particule ne ; les expressions comme celles-ci : « Le Sauveur Jésus pendu à la croix, santé désespérée par les médecins, déduire la preuve aussi nettement comme elle me semble solide. » D'un autre côté le prédicateur dit, à la fin du premier point : « Le vin nous manque, je veux dire la charité... De là vient que nous nous voyons de tous côtés déchirés par tant de factions différentes. Dieu, par une juste vengeance, voyant que nous refusons de nous unir à sa souveraine bonté par une affection cordiale, nous fait ressentir les malheurs de mille divisions intestines.» Tout le monde verra, dans ce passage, la description des troubles qui agitèrent si cruellement la France sous la minorité de Louis XIV.

On lira dans le milieu du dernier point : « Vous verrez quelquefois une mère qui caressera extraordinairement un enfant, sans en avoir d'antre raison Binon que c'est, à son avis, la vraie peinture du sien : C'est ainsi, dira-t-elle, qu'il pose ses mains, c'est ainsi qu'il porte ses yeux, telle est son action et sa contenance. » Qui ne se rappelle ici les vers de Virgile (Aeneid., lib. III, vers. 489) :

O mihi sola mei super Astyanactis imago !

Sic oculos, sic illc inauus, sic ora ferebat.

 

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l'extrémité de la vie qu'il fait paraître ses plus belles inventions et ses plus généreux transports. Comme l'amitié semble ne vivre que dans la compagnie de l'objet aimé, quand elle se voit menacée d'une séparation éternelle, autant qu'une loi fatale l'éloigné de sa présence, autant elle tache de durer dans le souvenir. C'est pourquoi les amis mêlent ordinairement des actions et des paroles si remarquables parmi les douleurs et les larmes du dernier adieu, que lorsque l'histoire en peut découvrir quelque chose, elle a accoutumé d'en faire ses observations les plus curieuses.

L'Histoire sainte, chrétiens, ne les oublie pas, et vous en voyez une belle preuve dans le texte que j'ai allégué. Saint Jean, le bien-aimé du Sauveur, que nous pouvons appeler l'Evangéliste d'amour, a été soigneux de nous recueillir (a) les dernières paroles dont il a plu à son cher Maitre d'honorer en mourant et sa sainte Mère et son bon ami, c'est-à-dire les deux personnes du monde qu'il aimait le plus. O Dieu ! que ces paroles sont dignes d'être méditées, et qu'elles peuvent servir de matière à de belles réflexions. Car, je vous demande, y a-t-il chose plus agréable que de voir le Sauveur Jésus être libéral même dans son extrême indigence? Hélas ! il a dit plusieurs fois que son bien n'était pas sur

 

(a) Var. : Rapporter.

 

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la terre, il n'y a pas eu seulement de quoi reposer sa tête ; et pendant qu'il est à la croix, je vois l'avare soldat qui partage ses vê-tements et joue à trois dés sa tunique mystérieuse; tellement qu'il semble que la rage de ses bourreaux ne lui laisse pas la moindre chose dont il puisse disposer en faveur des siens. Et cependant, chrétiens, ne croyez pas qu'il sorte de ce monde sans leur laisser quelque précieux gage de son amitié.

L'antiquité a fort remarqué l'action d'un certain philosophe (a), qui ne laissant pas en mourant de quoi entretenir sa famille, s'avisa de léguer à ses amis sa mère et ses enfants par son testament. Ce que la nécessité suggéra à ce philosophe, l'amour le fait faire à mon Maître d'une manière bien plus admirable. Il ne donne pas seulement sa Mère à son ami, il donne encore son ami à sa sainte Mère ; il leur donne à tous deux, et il les donne tous deux ; et l'un et l'autre leur est également profitable : Ecce filius tuus, ecce mater tua. O bienheureuse Marie, ces paroles ayant été prononcées et par votre Fils et par notre Maître, nous ne doutons pas qu'il ne les ait dites et pour vous consoler et pour nous instruire. Nous en espérons l'intelligence par vos prières; et afin que vous nous fassiez entendre les paroles par lesquelles vous êtes devenue mère de saint Jean, nous vous allons adresser une autre parole qui vous a rendue Mère du Sauveur : toutes deux vous ont été portées de la part de Dieu; mais vous reçûtes l'une de la propre bouche de son Fils unique, et l'autre vous fut adressée par le ministère d'un ange qui vous salua en ces termes : Ave, gratia plena.

 

Parmi tant d'objets admirables que la croix du Sauveur Jésus présente à nos yeux, ce que nous fait remarquer saint Jean Chrysostome traitant l'évangile que nous avons lu ce matin, est digne à mon avis d'une considération très-particulière. Ce grand personnage contemplant le Fils de Dieu prêt à rendre l’âme, ne se lasse point d'admirer comme il se possède dans son agonie et comme il paraît absolument maître de ses actions. La veille de sa mort, dit ce saint évêque (1), il sue, il tremble, il frémit : tant

 

1 Homil. LXXXV. in Joan.

 

(a) Eudamidas de Corinthe (Lucian., Dialog. Toxar., seu De Amicitià).

 

 

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l'image de son supplice lui paraît terrible ; et dans le fort des douleurs, vous diriez que ce soit un autre homme, à qui les tourments ne font plus rien. Il s'entretient avec ce bienheureux larron d'un sens rassis et sans s'émouvoir; il considère et reconnaît distinctement ceux des siens qui sont au pied de sa croix, il leur parle, il les console ; enfin ayant remarqué que tout ce qu'il avait à faire était accompli, qu'il avait exécuté de point en point la volonté de son Père, il lui rend son âme avec une action si paisible, si libre, si préméditée, qu'il est aisé à juger que « personne ne la lui ravit, mais qu'il la donne lui-même de son plein gré, » ainsi qu'il l'assure : Nemo tollit eam à me, sed ego pono eam à meipso (1). Qu'est-ce à dire ceci, demande saint Jean Chrysostome? Comment est-ce que l'appréhension du mal l'afflige si fort, puisqu'il semble que le mal même ne le touche pas? Est-ce point que l'économie de notre salut devait être tout ensemble un ouvrage de force et d'infirmité ? Il voulait montrer par sa crainte qu'il était comme nous sensible aux douleurs, et faire voir par sa constance qu'il savait bien maîtriser ses inclinations et les faire céder à la volonté de son Père. Telle est la raison que nous pouvons tirer de saint Jean Chrysostome; et je vous avoue, chrétiens, que je n'aurais pas la hardiesse d'y ajouter mes pensées, si le sujet que je traite ne m'y obligeait.

Je considère donc le Sauveur pendu à la croix, non-seulement comme une victime innocente qui se dévoue volontairement pour notre salut, mais encore comme un père de famille qui sentant approcher son heure dernière, dispose de ses biens par son testament ; et sur une vérité si connue, je fonde cette réflexion que je fais. Un homme est malade en son lit; on le vient avertir de donner ordre à ses affaires au plus tôt, parce que sa santé est désespérée par les médecins; en même temps si abattu qu'il soit par la violence du mal, il fait un dernier effort pour ramasser ses esprits, afin de déclarer sa dernière volonté d'un jugement sain et entier. Il me semble que mon Sauveur a fait quelque chose de semblable sur le lit sanglant de la croix. Ce n'est pas que je veuille dire que la douleur ou l'appréhension de la mort aient jamais pu

 

1 Joan., X, 18.

 

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troubler tellement son esprit, qu'elles lui empêchassent aucune de ses fonctions. Plutôt ma langue demeure à jamais immobile, que de prononcer une parole si téméraire! Mais comme il voulait témoigner à tout le monde qu'il ne faisait rien en cette rencontre qui ne partit d'une mûre délibération, il jugea à propos de se comporter de telle sorte qu'on ne put pas remarquer la moindre émotion en son âme, afin que son testament ne fût sujet à aucun reproche. C'est pourquoi il s'adresse à sa Mère et à son disciple avec une contenance si assurée, parce que ce qu'il avait à leur dire devait faire une des principales clauses de son testament , et en voici le secret.

Le Fils de Dieu n'avait rien qui fût plus à lui que sa Mère ni que ses disciples, puisqu'il se les achetait au prix de son sang : c'est une chose très-assurée, et il en peut disposer comme d'un héritage très-bien acquis. Or, dans cette dernière disgrâce tous ses autres disciples l'ont abandonné, il n'y a que Jean son bien-aimé qui lui reste : tellement que je le considère aujourd'hui comme un homme qui représente tous les fidèles, et partant nous devons être disposés à nous appliquer tout ce qui regardera sa personne. Je vois, ô mon Sauveur, que vous lui donnez votre Mère, et « incontinent il en prend possession comme de son bien : » Et accepit eam discipulus in suâ (1). Entendons ceci, chrétiens. Sans doute nous avons bonne part dans ce legs pieux : c'est à nous que le Fils de Dieu donne la bienheureuse Marie, en même temps qu'il la donne à son cher disciple. Voilà ce mystérieux article du testament de mon Maître que j'ai jugé nécessaire de vous réciter pour en faire ensuite le sujet de notre entretien.

N'attendez pas, ô fidèles, que j'examine en détail toutes les conditions d'un testament, afin d'en faire un rapport exact aux paroles de mon évangile : ne vaut-il pas bien mieux que laissant à part cette subtilité de comparaisons, nous employions tous nos soins à considérer attentivement le bien qu'on nous fait? Jésus regarde sa Mère, dit l'auteur sacré (2) ; ses mains étant clouées, il ne peut la montrer du doigt, il la désigne des yeux ; et par toutes ses actions il se met en état de nous la donner. Celle qu'il nous

 

1 Joan., XIX, 27. — 2 Ibid.,  26.

 

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donne, c'est sa propre Mère ; par conséquent sa protection est puissante, elle a beaucoup de crédit pour nous assister. Mais il nous la donne afin qu'elle soit notre mère ; par conséquent sa tendresse pour nous est extrême, et elle a une grande inclination de nous bien faire. Ce sont les deux points qui composeront ce discours. Afin que nous puissions espérer quelque assistance d'une personne près de la Majesté divine, il est nécessaire et que sa grandeur l'approche de Dieu, et que sa bonté l'approche de nous. Marie étant mère de notre Sauveur, sa qualité l'élève bien haut auprès du Père éternel ; Marie étant notre mère, son affection la rabaisse jusqu'à compatir à notre faiblesse. En un mot, elle peut nous soulager, à cause qu'elle est Mère de Dieu; elle veut nous soulager, à cause qu'elle est notre mère. C'est dans la déduction de ces deux raisonnements que je prétends établir une dévotion raisonnable à la sainte Vierge, sur une doctrine solide et évangélique ; et je demande, fidèles, que vous vous y rendiez attentifs.

 

PREMIER POINT.

 

L'une des plus belles qualités que la sainte Ecriture donne au Fils de Dieu, c'est celle de Médiateur entre Dieu et les hommes. C'est lui qui réconcilie toutes choses en sa personne, il est le nœud des affections du ciel et de la terre ; et la sainte alliance qu'il a contractée avec nous nous rendant son Père propice, nous donne un accès favorable au trône de sa miséricorde. C'est sur cette vérité qu'est appuyée toute l'espérance des enfants de Dieu. Cela étant ainsi, voici comme je raisonne. L'union que nous avons avec le Sauveur, nous fait approcher de la Majesté divine avec confiance. Or quand il a choisi Marie pour sa mère, il a fait pour ainsi dire avec elle un traité tout particulier ; il a contracté une alliance très-étroite, dont les hommes ni les anges ne peuvent concevoir l'excellence (a); et par conséquent l'union qu'elle a avec Dieu, le crédit et la faveur qu'elle a auprès du Père, n'est pas une chose que nous puissions jamais concevoir. Je n'ai point d'autre raisonnement à vous proposer dans cette première partie. Mais afin que nous en puissions pénétrer le fond, je tâcherai de

 

(a) Var. : La grandeur.

 

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déduire par ordre quelques vérités qui nous feront reconnaître la sainte société qui est entre Jésus et Marie ; d'où nous conclurons qu'il n'y a rien dans l'ordre des créatures qui soit plus uni à la Majesté divine que la sainte Vierge.

Je dis donc avant toutes choses qu'il n'y eut jamais mère qui chérit son fils avec une telle tendresse que faisait Marie ; je dis qu'il n'y eut jamais fils qui chérit sa mère avec une affection si puissante (a) que faisait Jésus. J'en tire la preuve des choses les plus connues. Interrogez une mère d'où vient que souvent en la présence de son fils elle fait paraître une émotion si visible ; elle vous répondra que le sang ne se peut démentir, que son fils c'est sa chair et son sang , que c'est là ce qui émeut ses entrailles et cause ces tendres mouvements à son cœur; l'Apôtre même ayant dit que « personne ne peut haïr sa chair : » Nemo enim unquam carnem suam odio habuit (1). Que si ce que je viens de dire est véritable des autres mères, il l'est encore beaucoup plus de la sainte Vierge, parce qu'ayant conçu de la vertu du Très-Haut, elle seule a fourni toute la matière dont la sainte chair du Sauveur a été formée. Et de là je tire une autre considération.

Ne vous semble-t-il pas, chrétiens, que la nature a distribué avec quelque sorte d'égalité l'amour des enfants entre le père et la mère ? C'est pourquoi elle donne ordinairement au père une affection plus forte, et imprime dans le cœur de la mère je ne sais quelle inclination plus sensible. Et ne serait-ce point peut-être pour cette raison que quand l'un des deux a été enlevé par la mort, l'autre se sent obligé par un sentiment naturel à redoubler ses affections et ses soins ? Cela, ce me semble, est dans l'usage commun de la vie humaine ; si bien que la très-pure Marie n'ayant à partager avec aucun homme ce tendre et violent amour qu'elle avait pour son Fils Jésus, vous ne sauriez assez vous imaginer jusqu'à quel point elle en était transportée, et combien elle y ressentait de douceurs. Ceci toutefois n'est encore qu'un commencement de ce que j'ai à vous dire.

Certes il est véritable que l'amour des enfants est si naturel,

 

1 Ephes., V, 29.

 

(a) Var. : Si sincère.

 

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qu'il faut avoir dépouillé tout sentiment d'humanité pour ne l'avoir pas. Vous m'avouerez néanmoins qu'il s'y mêle quelquefois certaines circonstances qui portent l'affection des parents à l'extrémité. Par exemple, notre père Abraham n'avait jamais cru avoir des enfants de Sara ; elle était stérile, ils étaient tous deux dans un âge décrépit et caduc; Dieu ne laisse pas de les visiter et leur donne un fils. Sans doute cette rencontre fit qu'Abraham le tenait plus cher sans comparaison. Il le considérait, non tant comme son fils que comme le « fils de la promesse » divine, promissionis filius (1), que sa foi lui avait obtenu du ciel lorsqu'il y pensait le moins. Aussi voyons-nous qu'on l'appelle Isaac, c'est-à-dire Ris (2) parce que venant en un temps où ses parents ne l'espéraient plus, il devait être après cela toutes leurs délices. Et qui ne sait que Joseph et Benjamin étaient les bien-aimés et toute la joie de Jacob, à cause qu'il les avait eus dans son extrême vieillesse d'une femme que la main de Dieu avait rendue féconde sur le déclin de sa vie? Par où il paraît que la manière dont on a les enfants, quand elle est surprenante ou miraculeuse, les rend de beaucoup plus aimables. Ici, chrétiens, quels discours assez ardents pourraient vous dépeindre les saintes affections de Marie ? Toutes les fois qu'elle regardait ce cher Fils, ô Dieu ! disait-elle, mon Fils, comment est-ce que vous êtes mon Fils? Qui l'aurait jamais pu croire, que je dusse demeurer vierge et avoir un Fils si aimable? Quelle main vous a formé dans mes entrailles? Comment y êtes-vous entré, comment en êtes-vous sorti, sans laisser de façon ni d'autre aucun vestige de votre passage? Je vous laisse à considérer jusqu'à quel point elle s'estimait bienheureuse, et quels devaient être ses transports dans ces ravissantes pensées. Car vous remarquerez, s'il vous plaît, qu'il n'y eut jamais vierge qui aimât sa virginité avec un sentiment si déliait. Vous verrez tout à l'heure où va cette réflexion.

C'est peu de vous dire qu'elle était à l'épreuve de toutes les promesses des hommes; j'ose encore avancer qu'elle était à l'épreuve même des promesses de Dieu. Cela vous parait étrange sans doute; mais il n'y a qu'à regarder l'histoire de l'Evangile. Gabriel aborde Marie et lui annonce qu'elle concevra dans ses entrailles le Fils

 

1 Rom., IX, 9. — 2 Genes., XXI, (6).

 

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du Très-Haut (1), le Roi et le Restaurateur d'Israël. Voilà d'admirables promesses. Qui pourrait s'imaginer qu'une femme dût être troublée d'une si heureuse nouvelle, et quelle vierge n'oublierait pas le soin de sa pureté dans une si belle espérance? Il n'en est pas ainsi de Marie. Au contraire elle y forme des difficultés. « Comment se peut-il faire, dit-elle (2), que je conçoive ce Fils dont vous me parlez, moi qui ai résolu de ne connaître aucun homme? » Comme si elle eût dit : Ce m'est beaucoup d'honneur, à la vérité, d'être mère du Messie; mais si je la suis, que deviendra ma virginité? Apprenez, apprenez, chrétiens, à l'exemple de la sainte Vierge, l'estime que vous devez faire de la pureté. Hélas! que nous faisons ordinairement peu de cas d'un si beau trésor! Le plus souvent parmi nous on l'abandonne au premier venu, et qui le demande l'emporte. Et voici que l'on fait à Marie les plus magnifiques promesses qui puissent jamais être faites à une créature, et c'est un ange qui les lui fait de la part de Dieu, remarquez toutes ces circonstances; elle craint toutefois, elle hésite; elle est prête à dire que la chose ne se peut faire, parce qu'il lui semble que sa virginité est intéressée dans cette proposition : tant sa pureté lui est précieuse. Quand donc elle vit le miracle de son enfantement, ô mon Sauveur! quelles étaient ses joies, et quelles ses affections î Ce fut alors qu'elle s'estima véritablement bénie entre toutes les femmes, parce qu'elle seule avait évité toutes les malédictions de son sexe. Elle avait évité la malédiction des stériles par sa fécondité bienheureuse ; elle avait évité la malédiction des mères, parce qu'elle avait enfanté sans douleur, comme elle avait conçu sans corruption. Avec quel ravissement embrassait-elle son Fils, le plus aimable des fils, et en cela plus aimable qu'elle le reconnaissait pour son Fils sans que son intégrité en fût offensée?

Les saints Pères ont assuré (3) qu'un cœur virginal est la matière la plus propre à être embrasée de l'amour de notre Sauveur : cela est certain, chrétiens, et ils l'ont tiré de saint Paul. Quel de voit donc être l'amour de la sainte Vierge ? Elle savait bien que c'était particulièrement à cause de sa pureté que Dieu l'avait destinée à son Fils unique : cela même, n'en doutez pas, cela même lui

 

1 Luc., I, 31, 32. — 2 Ibid., 34. — 3 S. Bernard., serm. XXIX in Cantic., n. 8.

 

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faisait aimer sa virginité beaucoup davantage; et d'autre part l'amour qu'elle avait pour sa sainte virginité , lui faisait trouver mille douceurs dans les embrassements de son Fils qui la lui avait si soigneusement conservée. Elle considérait Jésus-Christ comme une fleur que son intégrité avait poussée ; et dans ce sentiment elle lui donnait des baisers plus que d'une mère, parce que c'étaient des baisers d'une mère vierge. Voulez-vous quelque chose de plus pour comprendre l'excès de son saint amour, voici une dernière considération que je vous propose, tirée des mêmes principes.

L'antiquité nous rapporte (1) qu'une reine des Amazones souhaita passionnément d'avoir un fils de la race d'Alexandre ; mais laissons ces histoires profanes et cherchons plutôt des exemples dans l'Histoire sainte. Nous disions tout à l'heure que le patriarche Jacob préférait Joseph à tous ses autres enfants. Outre la raison que nous en avons apportée, il y en a encore une autre qui le touchait fort, c'est qu'il l'avait eu de Rachel, qui était sa bien-aimée : cela le touchait au vif. Et saint Jean Chrysostome nous rapportant dans le premier livre du Sacerdoce les paroles caressantes et affectueuses dont sa mère l'entretenait, remarque ce discours entre beaucoup d'autres : « Je ne pouvais, disait-elle, ô mon fils, me lasser de vous regarder, parce qu'il me semblait voir sur votre visage une image vivante de feu mon mari (2). » Que veux-je dire par tous ces exemples? Je prétends faire voir qu'une des choses qui augmente autant l'affection envers les enfants c'est quand on considère la personne dont on les a eus, et cela est bien naturel. Demandez maintenant à Marie de qui elle a eu ce cher Fils. Vient-il d'une race mortelle? A-t-il pas fallu qu'elle fût couverte de la vertu du Très-Haut? Est-ce pas le Saint-Esprit qui l'a remplie d'un germe céleste parmi les délices de ses chastes embrassements, et qui se coulant sur son corps très-pur d'une manière ineffable, y a formé celui qui devait être la consolation d'Israël et l'attente des nations? C'est pourquoi l'admirable saint Grégoire dépeint en ces termes la conception du Sauveur : Lorsque le doigt de Dieu composait la chair de son Fils du sangle plus pur de Marie, « la concupiscence, dit-il, n'osant approcher,

 

1 Quint. Curt., lib. VI. — 2 De Sacerd., lib. I, n. 5.

 

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regardait de loin avec étonnement un spectacle si nouveau, et la nature s'arrêta toute surprise de voir son Seigneur et son Maître dont la seule vertu agissait sur cette chair virginale : » Stetit natura contra et concupiscentia longe, Dominum naturœ intuentes in corpore mirabiliter operantem (1).

Et n'est-ce pas ce que la Vierge elle-même chante avec une telle allégresse dans ces paroles de son cantique : Fecit mihi magna qui potens est (2) : « Le Tout-Puissant m'a fait de grandes choses? » Et que vous a-t-il fait, ô Marie? Certes elle ne peut nous le dire ; seulement elle s'écrie toute transportée qu'il lui a fait de grandes choses : Fecit mihi magna qui potens est. C'est qu'elle se sentait enceinte du Saint-Esprit. Elle voyait qu'elle a voit un Fils qui était d'une race divine; elle ne savait comment faire, ni pour célébrer la munificence divine, ni pour témoigner assez son ravissement d'avoir conçu un Fils qui n'eût point d'autre Père que Dieu. Que si elle ne peut elle-même nous exprimer ses transports, qui suis-je, chrétiens, pour vous décrire ici la tendresse extrême et l'impétuosité de son amour maternel, qui était enflammé par des considérations si pressantes? Que les autres mères mettent si haut qu'il leur plaira cette inclination si naturelle qu'elles ressentent pour leurs enfants ; je crois que tout ce qu'elles en disent est très-véritable , et nous en voyons des effets qui passent de bien loin tout ce que l'on pourrait s'en imaginer. Mais je soutiens, et je vous prie de considérer cette vérité, que l'affection d'une bonne mère n'a pas tant d'avantage par-dessus les amitiés ordinaires, que l'amour de Marie surpasse celui de toutes les autres mères. Pour quelle raison? C'est parce qu'étant mère d'une façon toute miraculeuse et avec des circonstances tout à fait extraordinaires, son amour doit être d'un rang tout particulier ; et comme l'on dit, et je pense qu'il est véritable, qu'il faudrait avoir le cœur d'une mère pour bien concevoir quelle est l'affection d'une mère ; je dis tout de même qu'il faudrait avoir le cœur de la sainte Vierge pour bien concevoir l'amour de la sainte Vierge.

Et que dirai-je maintenant de celui de notre Sauveur? Certes, je l'avoue, chrétiens, je me trouve bien plus empêché à dépeindre

 

1 Serm. II in Annunt. B. Virgin. Mariae, inter Oper. S. Greg. Thaumat.—2 Luc, I, 49.

 

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l'affection du Fils que je ne l'ai été à vous représenter celle de la Mère. Car je suis certain qu'autant que Notre-Seigneur surpasse la sainte Vierge en toute autre chose, d'autant est-il meilleur Fils qu'elle n'était bonne Mère. Il n'y a rien qui me touche plus dans l'histoire de l'Evangile, que de voir jusqu'à quel excès le Sauveur Jésus a aimé la nature humaine. Il n'a rien dédaigné de tout ce qui était de l'homme : il a tout pris, excepté le péché, tout jusqu'aux moindres choses, tout jusqu'aux plus grandes infirmités. Que j'aille au jardin des Olives, je le vois dans la crainte, dans la tristesse, dans une telle consternation, qu'il sue sang et eau dans la seule considération de son supplice. Je n'ai jamais ouï dire que cet accident fût arrivé à autre personne qu'à lui; ce qui m'oblige de croire que jamais homme n'a eu les passions ni si délicates ni si fortes que mon Sauveur. Quoi donc! ô mon Maître, vous vous êtes revêtu si franchement de ces sentiments de faiblesse qui semblaient même être indignes de votre personne ; vous les avez pris si purs, si entiers, si sincères : que sera-ce après cela de l'amour envers les parents, étant certain qu'il n'y a rien dans la nature de plus naturel, de plus équitable, de plus nécessaire, vu particulièrement qu'elle est votre Mère, non par un événement fortuit, mais que l'on vous l'a prédestinée dès l'éternité, préparée et sanctifiée dans le temps, promise par tant d'oracles divins, que vous-même vous l'avez choisie comme celle qui vous plaisait le plus parmi toutes les créatures ?

Et à ce propos j'ose assurer une chose qui n'est pas moins véritable qu'elle vous paraîtra peut-être d'abord extraordinaire. Je sais bien que toute la gloire de la sainte Vierge vient de ce qu'elle est mère du Sauveur; et je dis de plus qu'il y a beaucoup de gloire au Sauveur d'être le fils de la Vierge. N'appréhendez pas, chrétiens, que je veuille déroger à la grandeur de mon Maître par cette proposition. Mais quand je vois les saints Pères parlant de Notre-Seigneur, prendre plaisir à l'appeler par honneur le Fils d'une vierge, je ne puis plus douter qu'ils n'aient estimé que ce titre lui plaisait fort et qu'il lui était extrêmement honorable. Sur quoi j'apprends une chose de saint Augustin (1), qui donne à mon

 

(1) De Peccat. merit. et remiss., lib. II, n. 59.

 

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avis un grand poids à cette pensée : La concupiscence, dit-il, qui se mêle, comme vous savez, dans les générations communes, corrompt tellement la matière qui se ramasse pour former nos corps, que la chair qui en est composée en contracte une corruption nécessaire. Je ne m'étends point à éclaircir cette vérité ; je me contente de dire que vous la trouverez dans mille beaux endroits de saint Augustin. Que si ce commerce ordinaire ayant quelque chose d'impur, fait passer en nos corps un mélange d'impureté , je puis assurer au contraire que le fruit d'une chair virginale tirera d'une racine si pure une pureté sans égale. Cette conséquence est certaine et suit évidemment des principes de saint Augustin. Et comme le corps du Sauveur devait être plus pur que les rayons du soleil, de là vient, dit ce grand évêque, « qu'il s'est choisi dès l'éternité une mère vierge : » Ideo virginem matrem...., pià fide sanctum germen in se fieri promentem..., de quà crearetur elegit (1). Car il était bienséant (a) que la sainte chair du Sauveur fût pour ainsi dire embellie de toute la pureté d'un sang virginal (b), afin qu'elle fût digne d'être unie au Verbe divin et d'être présentée au Père éternel comme une victime vivante pour l'expiation de nos fautes. Tellement que la pureté qui est dans la chair de Jésus, est dérivée en partie de cette pureté angélique que le Saint-Esprit coula dans le corps de la Vierge, lorsque, charmé de son intégrité inviolable, il la sanctifia par sa présence et la consacra comme un temple vivant au Fils du Dieu vivant.

Faites maintenant avec moi cette réflexion, chrétiens. Mon Sauveur, c'est l'amant et le chaste Epoux des vierges : il se glorifie d'être appelé le Fils d'une vierge, il veut absolument qu'on lui amène les vierges, il les a toujours en sa compagnie, elles suivent cet Agneau sans tache partout où il va. Que s'il aime si passionnément les vierges dont il a purifié la chair par son sang, quelle sera sa tendresse pour cette Vierge incomparable qu'il a élue dès l'éternité, pour en tirer la pureté de sa chair et de son sang ? Concluons donc de tout ce discours que l'amitié réciproque du Fils et de la Mère est inconcevable, et que nous pouvons bien

 

1 S. August., De Peccat. merit. et remiss., lib. II, cap. XXIV, n. 38.

 

(a) Var.: Il fallait. — (b) Fût formée du sang d'une vierge.

 

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avoir quelque idée grossière de cette liaison merveilleuse. Mais de comprendre quelle est l'ardeur et quelle la véhémence de ces torrents de flammes qui de Jésus vont déborder sur Marie, et de Marie retournent continuellement à Jésus, croyez-moi, les séraphins tout brûlants qu'ils sont, ne le sauraient faire. Mais d'autant que quelques-uns pourraient se persuader que cette sainte société n'a point d'autres liens que la chair, il me sera aisé de vous faire voir, selon que je l'ai promis et par les vérités que j'ai déjà établies, avec quels avantages la sainte Vierge est entrée dans l'alliance de Dieu par sa maternité glorieuse, et de là je vous laisserai à conclure quel est son crédit auprès du Père éternel.

Pour cela, je vous prie de considérer que cet amour de la Vierge dont je vous parlais tout à l'heure, ne s'arrêtait pas à la seule humanité de son Fils. Non, certes ; il allait plus avant ; et par l'humanité comme par un moyen d'union , il passait à la nature divine qui en est inséparable. Et pour vous expliquer ma pensée, j'ai à vous proposer une doctrine sur laquelle il est nécessaire d'aller pas à pas, de peur de tomber dans l'erreur ; et plût à Dieu que je pusse la déduire aussi nettement comme elle me semble solide ! Voici donc comme je raisonne. Une bonne mère aime tout ce qui touche la personne de son fils. Je sais bien qu'elle va quelquefois plus avant, qu'elle porte son amitié jusqu'à ses amis et généralement à toutes les choses qui lui appartiennent ; mais particulièrement pour ce qui regarde la propre personne de son fils, vous savez qu'elle y est sensible au dernier point (a). Je vous demande maintenant : Qu'était la divinité au Fils de Marie ? Comment touchait-elle à sa personne? Lui était-elle étrangère? Je ne veux point ici vous faire de questions extraordinaires ; j'interpelle seulement votre foi : qu'elle me réponde. Vous dites tous les jours en récitant le Symbole, que vous croyez en Jésus-Christ Fils de Dieu, qui est né de la Vierge Marie. Celui que vous reconnaissez pour le Fils de Dieu tout-puissant, et celui qui est né de la Vierge, sont-ce deux personnes ? Sans doute ce n'est pas ainsi que vous l'entendez. C'est le même qui étant Dieu et homme, selon la nature divine est le Fils de Dieu, et selon l'humanité le Fils de

 

(a) Var. : Vous savez combien elle est sensible.

 

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Marie. C'est pourquoi nos saints Pères ont enseigné que la Vierge est Mère de Dieu. C'est cette foi, chrétiens, qui a triomphé des blasphèmes de Nestorius, et qui jusqu'à la consommation des siècles fera trembler les démons. Si je dis après cela que la bienheureuse Marie aime son Fils tout entier, qui pourra désavouer une vérité si plausible (a) ? Par conséquent ce Fils qu'elle chéris-soit tant, elle le chérissait comme un Homme-Dieu. Et d'autant, que ce mystère n'a rien de semblable sur la terre, je suis contraint d'élever bien haut mon esprit pour avoir recours (b) à un grand exemple, je veux dire à l'exemple du Père éternel.

Depuis que l'humanité a été unie à la personne du Verbe, elle est devenue l'objet nécessaire des complaisances du Père. Ces vérités sont hautes, je l'avoue ; mais comme ce sont des maximes fondamentales du christianisme, il est important qu'elles soient entendues de tous les fidèles, et je ne veux rien avancer que je n'en allègue la preuve par les Ecritures. Dites-moi, s'il vous plaît, chrétiens, quand cette voix miraculeuse éclata sur le Thabor de la part de Dieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans lequel je me suis plu (1), » de qui pensez-vous que parlât le Père éternel? N'était-ce pas de ce Dieu revêtu de chair , qui paraissait tout resplendissant aux yeux des apôtres ? Cela étant ainsi, vous voyez bien par une déclaration si authentique, qu'il étend son amour paternel jusqu'à l'humanité de son Fils ; et qu'ayant uni si étroitement la nature humaine avec la divine, il ne les veut plus séparer dans son affection. Aussi est-ce là, si nous l'entendons bien, tout le fondement de notre espérance, quand nous considérons que Jésus, qui est homme tout ainsi que nous, est reconnu et aimé de Dieu comme son Fils propre.

Ne vous offensez pas si je, dis qu'il y a quelque chose de pareil dans l'affection de la sainte Vierge, et que son amour embrasse tout ensemble la divinité et l'humanité de son Fils, que la main puissante de Dieu a si bien unies. Car Dieu, par un conseil admirable, ayant jugé à propos que la Vierge engendrât dans le temps

 

1 Matth., XVII, 5.

 

(a) Var. : Quelqu'un de la compagnie pourra-t-il désavouer une vérité si certaine ?— (b) Je suis contraint d'avoir recours.

 

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celui qu'il engendre continuellement dans l'éternité, il l'a par ce moyen associée en quelque façon à sa génération éternelle. Fidèles, entendez ce mystère. C'est l'associer à sa génération, que de la faire mère d'un même Fils avec lui. Partant, puisqu'il l'a comme associée à sa génération éternelle, il était convenable qu'il coulât en même temps dans son sein quelque étincelle de cet amour infini qu'il a pour son Fils; cela est bien digne de sa sagesse. Comme sa providence dispose toutes choses avec une justesse admirable, il fallait qu'il imprimât dans le cœur de la sainte Vierge une affection qui passât de bien loin la nature et qui allât jusqu'au dernier degré de la grâce, afin qu'elle eût pour son Fils des sentiments dignes d'une Mère de Dieu et dignes d'un Homme-Dieu.

Après cela, ô Marie, quand j'aurais l'esprit d'un ange, et de la plus sublime hiérarchie, mes conceptions seraient trop ravalées pour comprendre l'union très-parfaite du Père éternel avec vous. « Dieu a tant aimé le monde, dit notre Sauveur, qu'il lui a donné son Fils unique (1) » Et en effet, comme remarque l'Apôtre (2), «nous donnant son Fils, ne nous a-t-il pas donné toute sorte de biens avec lui? » Que s'il nous a fait paraître une affection si sincère, parce qu'il nous l'a 'donné comme Maître et comme Sauveur, l'amour ineffable qu'il avait pour vous lui a fait concevoir bien d'autres desseins en votre faveur. Il a ordonné qu'il fût à vous en la même qualité qu'il lui appartient ; et pour établir avec vous une société éternelle, il a voulu que vous fussiez la Mère de son Fils unique , et être le Père du vôtre. O prodige ! ô abîme de charité ! quel esprit ne se perdrait pas dans la considération de ces complaisances incompréhensibles qu'il a eues pour vous, depuis que vous lui touchez de si près par ce commun Fils, le nœud inviolable de votre sainte alliance, le gage de vos affections mutuelles, que vous vous êtes donné amoureusement l'un à l'autre, lui plein d'une divinité impassible, vous revêtu pour lui obéir d'une chair mortelle. Intercédez pour nous, ô bienheureuse Marie ; vous avez en vos mains, si je l'ose dire, la clef des bénédictions divines. C'est votre Fils qui est cette clef mystérieuse par laquelle sont ouverts

 

1 Joan., III, 16. — 2 Rom., VIII, 32.

 

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les coffres du Père éternel. Il ferme, et personne n'ouvre ; il ouvre, et personne ne ferme. C'est son sang innocent qui fait inonder sur nous les trésors des grâces célestes. Et à quel autre donnera-t-il plus de droit sur ce sang, qu'à celle dont il a tiré tout son sang ? Sa chair est votre chair, ô Marie , son sang est votre sang ; et il me semble que ce sang précieux prenait plaisir de ruisseler pour vous à gros bouillons sur la croix, sentant bien que vous étiez la source dont il découlait. Au reste vous vivez avec lui dans une amitié si parfaite, qu'il est impossible que vous n'en soyez pas exaucée. C'est pourquoi votre dévot saint Bernard a fort bonne grâce, lorsqu'il vous prie de parler au cœur de notre Seigneur Jésus-Christ : Loquatur ad cor Domini nostri Jesu Christi ?

Quelle est sa pensée, chrétiens? qu'est-ce à dire, parler au cœur? C'est qu'il la considère « dans ce midi éternel, je veux dire dans les secrets embrassements de son Fils, » parmi les ardeurs d'une charité consommée : In meridie sempiterno, in secretissimis amplexibus amantissimi Filii. Il voit qu'elle aime et qu'elle est aimée, que les autres passions peuvent bien parler aux oreilles, mais que l'amour seul a droit de parler au cœur. Dans cette pensée n'a-t-il pas raison de demander à la Vierge qu'elle parle au cœur de son Fils : Loquatur ad cor Domini nostri Jesu Christi?

Combien de fois, ô fidèles, cette bonne Mère a-t-elle parlé au cœur de son bien-aimé ! Elle parla véritablement à son cœur, lorsque touchée de la confusion de ces pauvres gens de Cana qui manquaient de vin dans un festin nuptial, elle le sollicita de soulager leur nécessité. Le Fils de Dieu en cette rencontre semble la rebuter de parole, bien qu'il eût résolu de la favoriser en effet. « Femme, lui dit-il, que nous importe à vous et à moi? Mon heure n'est pas encore venue (2). » Ce discours paraît bien rude, et tout autre que Marie aurait pris cela pour un refus. Je vois néanmoins que, sans s'étonner, elle donne ordre aux serviteurs de faire ce que le Sauveur leur commandera : « Faites tout ce qu'il vous ordonnera (3) » leur dit-elle, comme étant assurée qu'il lui a accordé sa requête. D'où lui vient, à votre avis, cette confiance après

 

1 Serm. Panegyr., Ad Beat. Virgin., n. 7, inter Oper. S. Bernard.— 2  Joan., I, 14. — 3 Ibid., 5.

 

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une réponse si peu favorable? Chrétiens, elle savait bien que c'était au cœur qu'elle avait parlé (a) ; et c'est pour cette raison qu'elle ne prit pas garde à ce que la bouche avait répondu. En effet elle ne fut point trompée dans son espérance ; et le Fils de Dieu, selon la belle réflexion de saint Jean Chrysostome (1), jugea à propos d'avancer le temps de son premier miracle, à la considération de sa sainte Mère.

Prions-la donc, ô fidèles, qu'elle parle pour nous de la bonne sorte au cœur de son Fils; elle y a une fidèle correspondance. €'est l'amour filial qui s'avancera pour recevoir l'amour maternel, et qui préviendra ses désirs. Ne vous apercevez-vous pas que le vin nous manque ; je veux dire la charité, ce vin nouveau delà loi nouvelle, qui réjouit le cœur de l'homme, dont l’âme des fidèles doit être enivrée ? De là vient que nos festins sont si tristes, que nous prenons avec si peu de goût la nourriture céleste de la sainte parole de Dieu. De là vient que nous nous voyons de tous côtés déchirés par tant de factions différentes. Dieu, par une juste vengeance, voyant que nous refusons de nous unir à sa souveraine bonté par une affection cordiale, nous fait ressentir les malheurs de mille divisions intestines. Sainte Vierge, impétrez-nous la charité, qui est mère de la paix, qui adoucit, tempère et réconcilie les esprits. Nous avons une grande confiance en votre faveur, parce qu'étant Mère de Dieu, nous sommes persuadés que vous avez beaucoup de pouvoir ; et comme vous êtes la nôtre, nous ne serons point trompés si nous attendons quelque grand effet de votre tendresse. C'est ce qui me reste à traiter dans cette seconde partie.

 

SECOND  POINT.

 

C'est avec beaucoup de sujet que nous réclamons dans nos oraisons la très-heureuse Marie comme étant la mère commune de tous les fidèles. Nous avons reçu cette tradition de nos pères. Ils nous ont appris que le genre humain ayant été précipité dans une mort éternelle par un homme et par une femme, Dieu avait prédestiné

 

1 Homil. XXII in Joan.

 

(a) Var. : Elle savait bien qu'elle avait parlé au cœur.

 

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une nouvelle Eve, aussi bien qu'un nouvel Adam, afin de nous faire renaître. Et de cette doctrine , que tous les anciens ont enseignée d'un consentement unanime, il me serait aisé de conclure que comme la première Eve est la mère de tous les mortels, ainsi la seconde, qui est la très-sainte Vierge, doit être estimée la mère de tous les fidèles. Ce que je pourrais confirmer par une telle pensée de saint Epiphane (1) qui assure « que cette première Eve est appelée dans la Genèse « mère des vivants, » en énigme, c'est-à-dire, ainsi qu'il l'expose lui-même, en figure et comme étant la représentation de Marie. » A quoi j'aurais encore à ajouter un passage célèbre de saint Augustin dans le livre de la Sainte Virginité, où ce grand docteur nous enseigne que la Vierge, « selon le corps est mère du Sauveur qui est notre chef, et selon l'esprit des fidèles qui sont ses membres : » Carne mater capitis nostri, spiritu mater membrorum ejus (2). Mais d'autant que je me sens obligé de réduire en «peu de mots ce que je me suis proposé de vous dire, afin de laisser le temps qui est nécessaire pour le reste du service divin, je passe beaucoup de choses que je pourrais tirer des saints Pères sur ce sujet; et sans examiner tous les titres par lesquels la sainte Vierge est appelée à bon droit la mère des chrétiens, je tâcherai seulement de vous faire voir, et c'est à mon avis ce qui vous doit toucher davantage, qu'elle est mère par le sentiment, je veux dire qu'elle a pour nous une tendresse véritablement maternelle. Pour le comprendre, vous n'avez, s'il vous plaît, qu'à suivre ce raisonnement.

Ayant présupposé, et sur la foi de l'Eglise et sur la doctrine des Pères, encore que je l'aie seulement touché en passant; ayant, dis-je, présupposé que Marie est véritablement notre mère, si je vous demandais, chrétiens, quand elle a commencé à avoir cette qualité, vous me répondriez sans doute que Notre-Seigneur vraisemblablement la fit notre mère lorsqu'il lui donna saint Jean pour son fils. En effet nous y trouvons toutes les convenances imaginables (a). Car je vous ai avertis dès l'entrée de ce discours, et il n'est pas hors de propos de vous en faire ressouvenir, que

 

1 Advers. Haeres., lib. III, Haeres. LXXVIII, n. 18. — 2 De Sanct. Virginit., n. 6.

 

(a) Var. : En effet l'assurance y est tout entière.

 

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saint Jean ayant été conduit par la main de Dieu au pied de la croix, y avait tenu la personne de tous les fidèles, et j'en ai touché une raison qui me semble fort apparente. C'est, s'il vous en souvient, que tous les autres disciples de Notre-Seigneur ayant été dispersés, la Providence n'avait retenu près de lui que le bien-aimé de son cœur, afin qu'il y put représenter tous les autres et recevoir en leur nom les dernières volontés de leur Maître. Sur quoi considérant qu'il y a peu d'apparence que le Fils de Dieu, dont toutes les paroles et les actions sont mystérieuses, en une occasion si importante ne l'ait considéré que comme un homme particulier, nous avons inféré, ce me semble avec beaucoup de raison, qu'il a reçu la parole qui s'adressait à nous tous, que c'est en notre nom qu'il s'est mis incontinent en possession de Marie, et par conséquent c'est là proprement qu'elle est devenue notre mère.

Cela étant ainsi résolu, j'ai une autre proposition à vous faire. D'où vient, à votre avis, que Notre-Seigneur attend cette heure dernière pour nous donner à Marie comme ses enfants? Vous me direz peut-être qu'il a pitié d'une Mère désolée qui perd le meilleur Fils du monde, et que pour la consoler il lui donne une postérité éternelle. Cette raison est bonne et solide. Mais j'en ai une autre à vous dire, que peut-être vous ne désapprouverez pas. Je pense que le dessein du Fils de Dieu est de lui inspirer pour nous dans cette rencontre une tendresse de mère. Comment cela, direz-vous? Nous ne voyons pas bien cette conséquence. Il me semble pourtant, chrétiens, qu'elle n'est pas extrêmement éloignée. Marie était au pied de la croix, elle voyait ce cher Fis tout couvert de plaies, étendant ses bras à un peuple incrédule et impitoyable, son sang qui débordait de tous côtés par ses veines déchirées. Qui pourrait vous dire quelle était l'émotion du sang maternel ? Non, il est certain, elle ne sentit jamais mieux qu'elle était mère; toutes les souffrances de son Fils le lui faisaient sentir au vif.

Que fera ici le Sauveur? Vous allez voir, chrétiens, qu'il sait parfaitement le secret d'émouvoir les affections. Quand l’âme est une fois prévenue de quelque passion violente touchant quelque objet, elle reçoit aisément les mêmes impressions pour toutes les autres qui se présentent. Par exemple, vous êtes possédés d'un

 

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mouvement de colère; il sera difficile que tous ceux qui approcheront de vous, si innocents qu'ils puissent être, n'en ressentent quelques effets. Et de là vient que dans les séditions populaires un homme adroit, qui saura manier et ménager avec art les esprits de la populace, lui fera quelquefois tourner sa fureur contre ceux auxquels on pensait le moins ; ce qui rend ces sortes de mutineries extrêmement dangereuses. Il en est de même de toutes les autres passions, parce que l’âme étant déjà excitée, il ne reste plus qu'à l'appliquer sur d'autres objets; à quoi son propre mouvement la rend extrêmement disposée.

C'est pourquoi le Fils de Dieu qui avait résolu de nous donner la sainte Vierge pour mère, afin d'être notre frère en toute façon (admirez son amour, chrétiens), voyant du haut de sa croix combien l’âme de sa Mère était attendrie, et que son cœur ébranlé faisait inonder par ses yeux un torrent de larmes amères ; comme si c'eût été là qu'il l'eût attendue, il prit son temps de lui dire, lui montrant saint Jean : « Femme, voilà ton fils : » Ecce filius tuus. Fidèles, ce sont ses mots; et voici son sens, si nous le savons bien pénétrer : O femme affligée (a), à qui un amour infortuné fait éprouver à présent jusqu'où peut aller la compassion d'une mère, cette même tendresse dont vous êtes à présent touchée si vivement pour moi, ayez-la pour Jean mon disciple et mon bien-aimé (b) ; ayez-la pour tous mes fidèles, que je vous recommande en sa personne, parce qu'ils sont tous mes disciples et mes bien-aimés : Ecce filius tuus. De vous dire combien ces paroles poussées du cœur du Fils, descendirent profondément au cœur de la Mère, et l'impression qu'elles y firent, c'est une chose que je n'oserais pas entreprendre. Songez seulement que celui qui parle opère toutes choses par sa parole toute-puissante, qu'elle doit avoir un effet merveilleux, surtout sur sa sainte Mère; et que pour lui donner plus de force, il l'a animée de son sang et l'a proférée d'une voix mourante, presque avec les derniers soupirs. Tout cela joint ensemble, il n'est pas croyable ce qu'elle était capable de

 

(a) Var. : O femme affligée, dit-il, à qui.... — (b) ... jusqu'où peut aller la violence d'une compassion maternelle, ces mêmes sentiments que vous avez maintenant pour moi, ayez-les pour Jean...

 

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faire dans l’âme de la sainte Vierge. Il n'a pas plutôt lâché le mot à saint Jean (a) pour lui dire que Marie est sa mère, qu'incontinent ce disciple se sent possédé de toutes les affections d'un bon fils : Et accepit eam discipulus in suâ (1) ; à plus forte raison sa parole doit-elle avoir agi sur l’âme de sa sainte Mère et y avoir fait entrer bien avant un amour extrême pour nous comme pour ses véritables enfants.

Il me souvient à ce propos de ces mères misérables à qui on déchire les entrailles par le fer, pour en tirer leurs enfants au monde par violence. Il vous est arrivé quelque chose de semblable, ô bienheureuse Marie. C'est par le cœur que vous nous avez enfantés, parce que vous nous avez enfantés par la charité : Cooperata est charitate, ut filii Dei in Ecclesià nascerentur, dit saint Augustin (2). Et j'ose dire que ces paroles de votre Fils, qui étaient son dernier adieu, entrèrent en votre cœur ainsi qu'un glaive tranchant, et y portèrent jusqu'au fond, avec une douleur excessive, une inclination de mère pour tous les fidèles. Ainsi vous nous avez pour ainsi dire enfantés d'un cœur déchiré parmi la véhémence d'une affliction infinie. Et toutes les fois que les chrétiens paraissent devant vos yeux, vous vous souvenez de cette dernière parole, et vos entrailles s'émeuvent sur nous comme sur les enfants de votre douleur et de votre amour; d'autant plus que vous ne sauriez jeter sur nous vos regards , que nous ne représentions à votre cœur ce Fils que vous aimez tant, dont le Saint-Esprit prend plaisir de graver la ressemblance dans l'esprit de tous les fidèles (b).

C'est une doctrine que je tiens des Ecritures divines, et qui est bien puissante pour nous exciter à la vertu, outre qu'elle fait beaucoup à éclaircir la vérité que je traite. C'est pourquoi il est à propos (c) de vous la déduire. Car j'apprends de l'apôtre saint

 

1 Joan., XIX, 27. — 2 De Sanct. Virginit., n. 6.

 

(a) Var. : C'est une chose que je n'oserais pas entreprendre de vous expliquer. Comprenez seulement que celui qui parle est le Fils de Dieu, qui fait toutes choses par la force de sa parole. Il n'a pas plutôt lâché  le mot à saint Jean... (b) Note marg. : D'autant plus que vous nous voyez, tout autant que nous sommes chrétiens, tout couverts du sang du Sauveur dont nous sommes teints et blanchis en nous ses mêmes linéaments.—(c) Var. : C'est pourquoi je prendrai grand plaisir...

 

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Paul, et cette doctrine, ô fidèles, est bien digne de votre audience, que tous les chrétiens, dont la vie répond à la profession qu'ils ont faite, portent imprimés en leur âme les traits naturels et la véritable image de Notre-Seigneur. Comment cela se fait-il? Certainement la manière en est admirable. Vivre chrétiennement, c'est se conformer à la doctrine du Fils de Dieu. Or je dis que la doctrine du Fils de Dieu est un tableau qui est tiré sur sa sainte vie (a) : la doctrine est la copie, et lui-même est l'original; en quoi il diffère beaucoup des autres docteurs qui se mêlent d'enseigner à bien vivre. Car ceux-ci ne seront jamais assez téméraires pour former sur leurs actions les règles de la bonne vie ; mais ils ont accoutumé de se figurer de belles idées, ils établissent certaines règles sur lesquelles ils tâchent eux-mêmes de se composer. Tout au contraire, le Fils de Dieu étant envoyé au monde pour y être un exemplaire achevé de la plus haute perfection, ses enseignements étaient dérivés de ses mœurs; il enseignait les choses parce qu'il les pratiquait, sa parole n'était qu'une image de sa conduite. Que fait donc le Saint-Esprit dans l’âme d'un bon chrétien? Il fait que l'Evangile est son conseil dans tous ses desseins et l'unique règle qu'il regarde dans ses actions. Insensiblement la doctrine du Fils de Dieu passe dans ses mœurs, il devient pour ainsi dire un Evangile vivant : tout y sent le Maître dont il a reçu les leçons , il en prend tout l'esprit ; et si vous pénétriez dans l'intérieur de sa conscience, vous y verriez les mêmes linéaments, les mêmes affections, les mêmes façons de  faire qu'en  notre Sauveur.

Et c'est ce qui touche sensiblement la bienheureuse Marie, comme il m'est aisé de l'éclaircir par un exemple familier. Vous verrez quelquefois une mère qui caressera extraordinairement un enfant, sans en avoir d'autre raison, sinon que c'est, à son avis, la vraie peinture du sien. C'est ainsi, dira-t-elle, qu'il pose ses mains, c'est ainsi qu'il porte ses yeux, telle est son action et sa contenance. Les mères sont ingénieuses à observer jusqu'aux moindres choses. Et qu'est-ce que cela, sinon comme une course, si on peut parler de la sorte, que fait l'affection d'une mère , qui

 

(a) Var. : Est un vrai portrait de sa vie.

 

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se contentant pas d'aimer son fils en sa propre personne, le va chercher partout où elle peut en découvrir quelque chose? Que si elles sont si fort émues de quelque ressemblance ébauchée, que dirons-nous de Marie, lorsqu'elle voit dans l’âme des chrétiens des traits immortels de la parfaite beauté de son Fils, que le doigt de Dieu a si bien formés dans leur âme ?

Mais il y a plus. Nous ne sommes pas seulement les images vivantes du Fils de Dieu, nous sommes encore ses membres, et nous composons avec lui un corps dont il est le chef; nous sommes son corps et sa plénitude, comme enseigne l'Apôtre ; qualité qui nous unit de telle sorte avec lui (a), que quiconque aime le Sauveur,

 

(a) Var. : Mais il y a plus. Nous ne sommes pas seulement les images du Fils de Dieu; nous sommes les os de ses os et la chair de sa chair, ainsi que parle saint Paul ; nous sommes sou corps et sa plénitude, comme l'enseigne le même Apôtre ; qualité qui nous unit de telle sorte avec lui, que quiconque aime le Sauveur, il faut par nécessité que par le même mouvement d'amour, il aime tous les fidèles. De cette doctrine, si je n'étais pressé de finir bientôt ce discours, que j'aurais à vous déduire de puissantes considérations pour vous faire voir que Marie a pour nous toute la bonté d'une mère! et pour en toucher quelques principes en abrégé, je vous prie de vous souvenir d'une vérité que j'ai établie dans la première partie.

J'ai prouvé, parle témoignage évident des Ecritures divines, que Dieu étend son affection paternelle jusqu'à l’humanité de son Fils, c'est-à-dire, comme nous lavons exposé, que l'objet de ses complaisances est un Homme-Dieu, que son affection ne sépare pas la nature humaine d'avec la nature divine, depuis qu'une miraculeuse union les a rendues inséparables. A cette proposition j'en ajoute maintenant une autre, et je dis que le Père éternel nous aime du même amour qu'il a pour son Fils ; ce que je n'oserais assurer, si je ne l'apprenais de la propre bouche du Sauveur dans cette belle oraison qu'il adressa pour nous à son Père : Dilectio, quâ dilexisti me, in ipsis sit : et ego in eis (Joan., XVII, 26) : « Mon Père, dit-il, je suis en eux parce qu'ils sont mes membres; je vous prie que l'affection par laquelle vous m'avez aimé soit en eux. » O parole d'une charité ineffable ! Notre-Seigneur ne peut souffrir qu'on le sépare de nous, il a peur que son Père ne fasse trop de différence entre le chef et ses membres; il veut qu'il embrasse et le Maître et les disciples par le même amour. De là que conclurons-nous à l'avantage de l'affection de Marie? Une conséquence admirable, qui suit évidemment de quelques maximes que je pense avoir solidement établies dans le premier point, et qui vous étant proposées pour honorer les merveilles de la main de Dieu dans la bienheureuse Marie, sont certainement très-dignes de votre audience. Je vous ai dit, chrétiens, que la maternité de la Vierge, n'ayant point d'exemple sur la terre, son amour maternel en était de même, qu'il surpassait de bien loin la nature et s'allait régler sur l'amour même du Père éternel. Je vous ai fait voir par une considération plus sensible, qu'étant la meilleure mère qui puisse jamais être au monde, elle étend son affection maternelle à tout ce qui regarde la personne de son Fils. Joignez maintenant ces choses à ce que je viens de vous dire. Nous touchons de si près au Sauveur, qu'à peine se peut-on figurer une plus étroite union. Il est en nous et nous en lui ; autant qu'il y a de fidèles, c'est pour ainsi dire autant de Jésus-Christs sur la terre, pourvu qu'ils ne démentent pas leur profession, et c'est un point capital de la doctrine chrétienne. Nous sommes tellement mêlés et confondus, si j'ose parler de la sorte, avec le Sauveur, que Dieu même qui a distingué tous les êtres par une si aimable variété, ne nous distingue plus d'avec lui, et répand volontiers sur nous toute la douceur de ses affections paternelles. Partant, ô fidèles, allez à la bonne heure à Marie; elle a au souverain degré toute la tendresse que demande cette qualité.

 

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il faut par nécessité que par le même mouvement d'amour, il aime tous les fidèles. C'est ce qui attire si puissamment sur nous les affections de la sainte Vierge, qu'il n'y a point de mère qui puisse aller à l'égal ; ce qu'il me serait aisé de vous faire voir par des raisonnements invincibles, si je n'étais pressé de finir bientôt ce discours. Et pour vous en convaincre, je ne veux seulement que vous proposer en abrégé les principes, après avoir repassé légèrement sur quelques vérités que j'ai tâché d'établir dans ma première partie, dont il est nécessaire que vous ayez mémoire pour l'intelligence de ce qui me reste à vous dire.

Je vous ai dit, chrétiens, que la maternité de la Vierge n'ayant point d'exemple sur la terre, il en est de même de l'affection qu'elle a pour son Fils ; et comme elle a cet honneur d'être la Mère d'un Fils qui n'a point d'autre Pèse que Dieu, de là vient que laissant bien loin au-dessous de nous toute la nature , nous lui avons été chercher la règle de son amour dans le sein du Père éternel. Car de même que Dieu le Père voyant que la nature humaine touche de si près à son Fils unique, étend son amour paternel à l'humanité du Sauveur et fait de cet Homme-Dieu l'unique objet de ses complaisances, comme nous l'avons prouvé par le témoignage des Ecritures, ainsi avons-nous dit que la bienheureuse Marie ne séparait plus la divinité d'avec l'humanité de son Fils, mais qu'elle les embrassait en quelque façon toutes deux par un même amour. Ce sont les vérités sur lesquelles nous avons établi l'union de Marie avec Dieu ; en voici quelques autres qui vous feront bien voir sa charité envers nous.

Les mêmes Ecritures qui m'apprennent que Dieu aime en quelque façon par un même amour la divinité et l'humanité de son Fils, à cause de leur société inséparable en la personne adorable de notre Seigneur Jésus-Christ, m'enseignent aussi qu'il

 

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nous aime par le même amour qu'il a pour son Fils unique et bien-aimé, à cause que nous lui sommes unis comme les membres de son corps ; et c'est de toutes les maximes du christianisme celle qui doit porter le plus haut nos courages et nos espérances. En voulez-vous un beau témoignage de la bouche même de Notre-Seigneur, écoutez ces belles paroles qu'il adresse à son Père, le priant pour nous : Dilectio, quâ dilexisti me, in ipsis sit : et ego in eis (1) : « Mon Père, dit-il, je suis en eux, parce qu'ils sont mes membres; je vous prie que l'affection par laquelle vous m'aimez soit en eux. » Voyez, voyez, chrétiens, et réjouissez-vous. Notre Sauveur craint que l'amour de son Père ne fasse quelque différence entre le chef et les membres; et connaissez par là combien nous sommes unis avec le Sauveur, puisque Dieu même, qui a distingué tous les êtres par une si aimable variété, ne nous distingue plus d'avec lui et répand volontiers sur nous toutes les douceurs de son affection paternelle. Que s'il est vrai que Marie ne règle son amour que sur celui du Père éternel, allez, ô fidèles, allez à la bonne heure à cette Mère incomparable. Croyez qu'elle ne vous discernera plus d'avec son cher Fils : elle vous considérera comme « la chair de sa chair, et comme les os de ses os (2), » ainsi que parle l'Apôtre , comme des personnes sur lesquelles et dans lesquelles son sang a coulé ; et pour dire quelque chose de plus, elle vous regardera comme autant de Jésus-Christs sur la terre. L'amour qu'elle a pour son Fils sera la mesure de celui qu'elle aura pour vous, et partant ne craignez point de l'appeler votre mère; elle a au souverain degré toute la tendresse que cette qualité demande.

C'est, si je ne me trompe, ce que je m'étais proposé de prouver dans cette seconde partie ; et je loue Dieu de ce qu'il nous a fait la grâce d'établir une dévotion sincère à la sainte Vierge sur des maximes qui me semblent si chrétiennes. Mais prenez garde que ces mêmes raisonnements, qui doivent nous donner une grande confiance sur l'intercession de la Vierge, ruinent en même temps une confiance téméraire à laquelle quelques esprits inconsidérés se laissent aveuglément emporter. Car vous devez avoir reconnu

 

1 Joan., XVII, 26. — 2 Ephes., V, 30.

 

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par tout ce discours que la dévotion de la Vierge ne se peut jamais rencontrer que dans une vie chrétienne. Et combien y en a-t-il qui abusés d'une créance superstitieuse, se croient dévots à la Vierge quand ils s'acquittent de certaines petites pratiques, sans se mettre en peine de corriger la licence ni le débordement de leurs mœurs? Que s'il y avait quelqu'un dans la compagnie qui fût imbu d'une si folle persuasion, qu'il sache, qu'il sache que puisque son cœur est éloigné de Jésus, Marie a en exécration toutes ses prières. En vain tâchez-vous de la contenter de quelques grimaces, en vain l'appelez-vous votre mère par une piété simulée. Quoi! auriez-vous bien l'insolence de croire que ce lait virginal dût couler sur des lèvres souillées de tant de péchés ; qu'elle voulût embrasser l'ennemi de son bien-aimé de ces mêmes bras dont elle le portait dans sa tendre enfance; qu'étant si contraire au Sauveur, elle voulût vous donner pour frère au Sauveur ? Plutôt, plutôt sachez que son cœur se soulève, que sa face se couvre de confusion, lorsque vous l'appelez votre mère.

Car ne pensez pas, chrétiens, qu'elle admette tout le monde indifféremment au nombre de ses enfants. Il faut passer par une épreuve bien difficile avant que de mériter cette qualité. Savez-vous ce que fait la bienheureuse Marie, lorsque quelqu'un des fidèles l'appelle sa mère ? Elle l'amène en présence de notre Sauveur : Çà, dit-elle, si vous êtes mon fils, il faut que vous ressembliez à Jésus mon bien-aimé. Les enfants, même parmi les hommes, portent souvent imprimés sur leurs corps les objets qui ont possédé l'imagination de leurs mères. La bienheureuse Marie est entièrement possédée du Sauveur Jésus ; c'est lui seul qui domine .en son cœur, lui seul règne sur tous ses désirs, lui seul occupe et entretient toutes ses pensées. Elle ne pourra jamais croire que vous soyez ses enfants, si vous n'avez en votre âme quelques linéaments de son Fils. Que si, après vous avoir considérés attentivement, elle ne trouve sur vous aucun trait qui ait rapport à son Fils, ô Dieu! quelle sera votre confusion, lorsque vous vous verrez honteusement rebutés de devant sa face et qu'elle vous déclarera que n'ayant rien de son Fils , et ce qui est plus horrible, étant opposés à son Fils, vous lui êtes insupportables !

 

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Au contraire, elle verra une personne (descendons dans quelque exemple particulier) qui pendant les calamités publiques, telles que sont celles où nous nous voyons à présent, considérant tant de pauvres gens réduits à d'étranges extrémités, en ressent son âme attendrie, et ouvrant son cœur sur la misère du pauvre par une compassion véritable, élargit en même temps ses mains pour le soulager : Oh ! dit-elle incontinent en soi-même , il a pris cela de mon Fils, qui ne vit jamais de misérable qu'il n'en eût pitié. « J'ai compassion de cette troupe (1), » disait-il ; et à même temps il leur faisait donner tout ce que ses apôtres lui avaient gardé pour sa, subsistance, qu'il multiplie même par un miracle, afin de les assister plus abondamment. Elle verra un jeune homme qui aura la modestie peinte sur le visage; quand il est devant Dieu, c'est avec une action toute recueillie; lui parle-t-on de quelque chose qui regarde la gloire de Dieu, il ne cherche point de vaines défaites, il s'y porte incontinent avec cœur : Oh! qu'il est aimable ! dit la bienheureuse Marie ; ainsi était mon Fils lorsqu'il était en son âge, toujours recueilli devant Dieu; dès l'âge de douze ans, il quittait parents et amis pour aller vaquer, disait-il, aux affaires de son Père (2). Surtout elle en verra quelque autre dont le soin principal sera de conserver son corps et son âme dans une pureté très-entière ; il n'a que de chastes plaisirs, il n'a que des amours innocents ; Jésus possède son cœur, il en fait toutes les délices. Parlez-lui d'une parole d'impureté, c'est un coup de poignard à son âme, vous verrez incontinent qu'il s'arme de pudeur et de modestie contre de telles propositions. Voilà, chrétiens, voilà un enfant de la Vierge : comme elle s'en réjouit ! comme elle s'en glorifie! comme elle en triomphe ! Avec quelle joie elle le présente à son bien-aimé, qui est par-dessus toutes choses passionné pour les aines pures!

C'est pourquoi excitez-vous, chrétiens, à l'amour de la pureté, vous particulièrement qu'une sainte affection pour Marie a attirés dans une société qui s'assemble sous son nom, pour se perfectionner dans la vie chrétienne. C'est votre zèle qui a aujourd'hui orné ce temple sacré dans lequel nous célébrons les grandeurs de la

 

1 Marc., VIII, 2. — 2 Luc., II, 49.

 

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Majesté divine. Mais considérez que vous avez un autre temple à parer, dans lequel Jésus habite, sur lequel le Saint-Esprit se repose. Ce sont vos corps, mes chers frères, que le Sauveur a sanctifiés, afin que vous eussiez du respect pour eux ; sur lesquels il a versé son sang, afin que vous les tinssiez nets de toute souillure ; qu'il a consacrés pour en faire les temples vivants de son Saint-Esprit, afin que les ayant ornés en ce monde d'innocence et d'intégrité, il les ornât en l'autre d'immortalité et de gloire.

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