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SERMON
POUR
LE VENDREDI DE LA IIIe SEMAINE DE CARÊME,
SUR  LE CULTE DU  A DIEU (a).

 

Veri adoratores adorabunt Patrem in spiritu et veritate. Joan. IV, 23.

 

La plus noble qualité de l'homme, c'est d'être l'humble sujet et le religieux adorateur de la nature divine. Nous sommes pressés de toutes parts de rendre nos hommages à ce premier Etre qui nous a produits par sa puissance et nous rappelle à lui-même par l'ordre de sa sagesse et de sa bonté.

Toute la nature veut honorer Dieu et adorer son principe autant qu'elle en est capable. La créature privée de raison et de sentiment n'a point de cœur pour l'aimer ni d'intelligence pour le

 

(a) Prêché probablement dans le Carême de 1660, aux Minimes de la Place-Rloyale.

Les citations latines abondent dans ce sermon, et l'on y retrouve partout les procédés didactiques de l'Ecole.

Le premier éditeur, et par conséquent tous les autres, avaient interverti l'ordre de plusieurs passages dans le premier et dans le dernier point. En même temps que cette interversion brisait la liaison des idées, elle avait forcément amené dans le texte original un grand nombre de phrases supposées.

 

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comprendre. « Ainsi ne pouvant connaître, tout ce qu'elle peut, dit saint Augustin, c'est de se présenter elle-même à nous pour être du moins connue et pour nous faire connaître son divin auteur : » Quœ cùm cognoscere non possit, quasi innotescere velle videtur (1). C’est pour cela qu'elle étale à nos yeux avec tant de magnificence son ordre , ses diverses opérations et ses infinis ornements. Elle ne peut voir, elle se montre; elle ne peut adorer, elle nous y porte ; et ce Dieu qu'elle n'entend pas, elle ne nous permet pas de l'ignorer. C'est ainsi qu'imparfaitement et à sa manière, elle glorifie le Père céleste. Mais l'homme, animal divin, plein de raison et d'intelligence, et capable de connaître Dieu par lui-même et par toutes les créatures , est aussi pressé par lui-même et par toutes les créatures à lui rendre ses adorations. C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, mystérieux abrégé (a) du monde, afin que contemplant l'univers entier et le ramassant en soi-même, il rapporte uniquement à Dieu et soi-même et toutes choses ; si bien qu'il n'est le contemplateur de la nature visible, qu'afin d'être l'adorateur de la nature invisible qui a tout tiré du néant par sa souveraine puissance.

Mais, mes frères, ce n'est pas assez que nous connaissions combien nous devons de culte à cette nature suprême, si nous ne sommes instruits de quelle manière il lui plaît d'être adoré ; c'est pourquoi « le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est venu pour nous l'apprendre (2) ; » et nous en serons parfaitement informés, si nous entendons ce que c'est que cette sublime adoration en esprit et en vérité que Jésus-Christ nous prescrit (b).

Pour rendre à Dieu un culte agréable, il faut observer, Messieurs, deux conditions nécessaires, la première que nous connaissions ce qu'il est, la seconde que nous disposions nos cœurs envers lui d'une façon qui lui plaise. Il me semble que le Sauveur nous a enseigné ces deux conditions dans ces deux paroles de mon texte : « En esprit et en vérité. » Le principe de notre culte, c'est que nous ayons de Dieu des sentiments véritables et que nous le voyions ce qu'il est. La suite de cette croyance, c'est que nous

 

1 De Civit. Dei, lib. XI, cap. XXVII. — 2 Joan., I, 18.

(a) Var. : Industrieux abrégé. — (b) Nous ordonne, — nous commande.

 

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épurions devant lui nos intentions et que nous nous disposions comme il le demande. La première de ces deux choses nous est exprimée par l'adoration en vérité, et la seconde est marquée (a) par l'adoration en esprit. Je veux dire que l'adoration en vérité exclut les fausses impressions qui ravilissent Dieu dans nos esprits, et que l'adoration en esprit bannit les mauvaises dispositions qui l'éloignent de notre cœur, (b) Si bien que l'adoration en vérité fait que nous voyons Dieu tel qu'il est, et l'adoration en esprit fait que Dieu nous voit tels qu'il nous veut. Ainsi toute l'essence de la religion est enfermée en ces deux paroles ; et je prie mon Sauveur de me pardonner si, pour aider votre intelligence, j'en commence l'explication par celle qu'il lui a plu de prononcer la dernière.

 

PREMIER POINT.

 

L'adoration religieuse, c'est une reconnaissance en Dieu de la plus haute souveraineté, et en nous de la plus profonde dépendance. Je dis donc, encore une fois, et je pose pour fondement que le principe de bien adorer, c'est de bien connaître. L'oraison, dit saint Thomas (1), et il faut dire le même de l'adoration dont l'oraison est une partie, est un acte de la raison. Car le propre de l'adoration, c'est de mettre la créature dans son ordre, c'est-à-dire de l'assujettir à Dieu. Or est-il qu'il appartient à la raison (c) d'ordonner les choses; donc la raison est le principe de l'adoration, laquelle par conséquent doit être conduite par la connaissance.

Mais l'effet le plus nécessaire de la connaissance, dans cet acte de     religion, c'est de démêler soigneusement de l'idée que nous nous formons de Dieu toutes les imaginations humaines. Car notre faible entendement ne pouvant porter une idée si haute et si pure (d), attribue toujours, si l'on n'y prend garde, quelque chose du nôtre à ce premier Etre. Quelques-uns plus grossiers lui donnent une forme humaine; mais peu s'empêchent de lui attribuer une manière d'agir conforme à la nôtre. Nous le faisons penser comme

 

1 IIa IIae, Quœst. LXXXIII, art. 1.

 

(a) Var. : Comprise. — (b) Note marg. : Le Fils de Dieu par les bonnes dispositions nous mène à la vérité : in spiritu, bien disposés; in veritate, Dieu bien conçu; il se fait connaîtie aux bien disposés. — (c) Var. : Or est-il que c'est l'ouvrage de la raison... — (d) Si simple et si pure.

 

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nous, nous l'assujettissons (a) à nos règles, et chacun se le représente à sa façon particulière : Toutes ces idées, dit saint Augustin (1), que chacun se forme de Dieu en particulier au gré de son imagination et de ses sens, sont autant d'idoles spirituelles que nous érigeons dans nos cœurs; si bien que nous pouvons dire qu'une grande partie des fidèles (b) sont semblables aux Samaritains que Jésus-Christ reprend dans notre évangile et desquels il est écrit au quatrième livre des Rois « qu'ils craignaient à la vérité le Seigneur, mais qu'ils ne laissaient pas toutefois de servir en même temps leurs idoles : » Timentes quidem Dominum, verumtamen et idolis suis servientes (2). Ainsi beaucoup de chrétiens qui sont bien instruits par l'Eglise, mais à qui leur imagination représente mal ce que l'Eglise leur enseigne, adorent le Dieu véritable que la foi leur fait connaître; et néanmoins l'on peut dire qu'ils lui joignent les idoles qu'ils se sont forgées, c'est-à-dire les images grossières et matérielles qu'ils se sont eux-mêmes formées de cette première essence; on peut juger aisément que pour renverser (c) ces idoles et adorer Dieu en vérité, il n'y a rien de plus nécessaire que de bien connaître ce qu'il est; et c'est pourquoi le Sauveur reprenant la Samaritaine et instruisant les fidèles, a dit dans notre évangile : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, et nous adorons ce que nous connaissons (3) ; » par où il nous prépare la voie à cette adoration en vérité que je dois tâcher aujourd'hui de vous faire entendre.

Concluons donc nécessairement qu'il faut connaître celui que uous adorons ; mais surtout il en faut connaître ce qui est nécessaire pour l'adorer, que je réduis, chrétiens, à ces trois vérités principales : que Dieu est une nature parfaite et dès là incompréhensible, que Dieu est une nature souveraine, que Dieu est une nature bienfaisante. Voilà comme les trois sources et les trois premières notions qui portent l'homme à adorer Dieu (d), parce que nous sommes portes naturellement à révérer ce qui est parfait (e), et que la raison nous enseigne à dépendre de ce qui est souverain,

 

1 Quaest. in Jos., lib. VI. — 2 IV Reg., XVII, 41. — 3 Joan., IV, 22.

 

(a) Var. : Nous le captivons. — (b) La plupart des fidèles. — (c) Il est aisé de comprendre que pour renverser; — il n'y a personne qui ne voie que pour renverser. — (d)  Qui obligent l'homme d'adorer Dieu. — (e) Grand.

 

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et que nos besoins nous inclinent à adhérer à ce qui est bon (a). Il faut donc connaître avant toutes choses que Dieu est incompréhensible et impénétrable, parce qu'il est parfait ; et c'est par là que nous apprenons à séparer (b) de toutes les idées communes la très-simple notion de ce premier Etre. Reddam tibi vota mea, quœ distinxerunt labia mea (1) : « Je vous rendrai mes vœux, dit le Roi-Prophète , que mes lèvres ont distingués ; » c'est-à-dire, selon la pensée de saint Augustin (2), qu'il faut adorer Dieu distinctement. Et qu'est-ce que l'adorer distinctement, sinon le distinguer tout à fait de la créature et ne lui rien attribuer du nôtre ? « Que ne peut-on dire de Dieu, dit saint Augustin ; mais que peut-on dire de Dieu dignement? » Omnia possunt dici de Deo, et nihil digne dicitur de Deo (3). Il est tout ce que nous pouvons penser de grand, et il n'est rien de ce que nous pouvons penser de plus grand, parce que sa perfection est si éminente que nos pensées n'y peuvent atteindre, et que nous ne pouvons pas même dignement comprendre jusqu'à quel point il est incompréhensible, (c) Ego verò cùm hoc de Deo dicitur, indignum aliquid dici arbitrarer, si aliquid dignum inveniretur quod de illo diceretur.

Cette profonde pensée de la haute incompréhensibilité de Dieu est une des causes principales qui nous portent à l'adorer. Nous aimons Dieu, dit saint Grégoire de Nazianze (4), parce que nous le connaissons; mais nous l'adorons, poursuit-il, parce que nous ne le comprenons pas, c'est-à-dire ce que nous connaissons de ses perfections fait que notre cœur s'y attache comme à son souverain bien ; mais parce que c'est un abîme impénétrable que nous ne pouvons sonder, nous nous perdons à ses yeux, nous supprimons devant lui toutes nos pensées, nous nous contentons d'admirer de

 

1 Psal. LXV, 13, 14. — 2 Enarr. in Psal. LXV, n. 19. — 3 Tract. XIII in Joan., n. 5. — 4 Orat. XXXVIII, n. 11.

(a) Var. : Et que nos besoins nous penchent à nous attacher à ce qui est bon. — (b) A démêler. — (c) Note marg. : Cùm verò verba omnia, quibus humana colloquia conseruntur, illius sempiterna virtua et divinitas mirabiliter atque incunctanter excedat, quidquid de illo humaniter dicitur, quod etiam illa quae congruenter in Scripturis sacris de Deo dicta existimat, humanae capacitati aptiora esse quàm divinae sublimitati, ac per hoc etiam ipsa transcendenda esse sereniore intellectu , sicut ista qualicumque transcensa sunt ( Lib. II De Divers, quœst., ad Simpl., quœst. n, n° 1).

 

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loin une si haute majesté, et nous nous laissons pour ainsi dire engloutir par  la grandeur de sa gloire, et c'est là adorer en vérité.

Voilà l'idée véritable ; voyons maintenant l'idole que l'homme abusé se forme. Je. ne veux pas dire, Messieurs, que nous pensions pouvoir comprendre la Divinité ; il y a peu d'hommes assez insensés pour avoir une telle audace. Mais celui que nous confessons être inconcevable dans sa nature, nous ne laissons pas toutefois de le vouloir comprendre dans ses pensées et dans les desseins de sa sagesse. Quelques-uns ont osé reprendre l'ordre du monde et de la nature ; plusieurs se veulent faire conseillers de Dieu, du moins en ce qui regarde les choses humaines ; mais tous, presque sans exception, lui demandent raison pour eux-mêmes et veulent comprendre ses desseins en ce qui les touche. Les hommes se sont formé une certaine idole de fortune que nous accusons tous de nous être injuste; et sous le nom de la fortune, c'est la sagesse, divine dont nous accusons les conseils (a), parce que nous ne pouvons pas en savoir le fond. Nous voulons qu'elle se mesure à nos intérêts et qu'elle se renferme dans nos pensées. Faible et petite partie du grand ouvrage de Dieu, nous prétendons qu'il nous détache du dessein total pour nous traiter à notre mode , au gré de nos fantaisies; comme si cette profonde sagesse composait ses desseins par pièces à la manière des hommes, et nous ne concevons pas que si Dieu n'est pas comme nous, il ne pense pas non plus comme nous, il ne résout pas comme nous, il n'agit pas comme nous ; tellement que ce qui répugne à notre raison s'accorde nécessairement à une raison plus haute que nous devons adorer, et non tenter vainement de la comprendre.

Après avoir bien connu que Dieu est une nature incompréhensible, il faut connaître en second lieu (b) que c'est une nature souveraine , mais d'une souveraineté qui, supérieure infiniment à celles que nous voyons, n'a besoin pour se soutenir d'aucun secours tiré du dehors (c), et qui contient toute sa puissance dans sa seule volonté. Il ne fait que jeter un regard, aussitôt toute la nature est épouvantée et prête à se cacher dans son néant. « J'ai

 

(a) Var. : Desseins. — (b) Encore. — (c) D'aucun secours étranger.

 

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regardé, dit le prophète Jérémie (1), et voilà que devant la face du Seigneur la terre était désolée et ne semblait que de la cendre ; j'ai levé les yeux au ciel, et il avait perdu sa lumière ; j'ai considéré les montagnes, et elles étaient ébranlées terriblement, et toutes les collines se troublaient, et les oiseaux du ciel étaient dissipés, et les hommes n'osaient paraître, et les villes et les forteresses étaient renversées, parce que le Seigneur était en colère. » Le prophète ne nous dit pas, ni qu'il fasse marcher des armées contre ces villes, ni qu'il dresse des machines contre leurs murailles. Il n'a besoin que de lui-même pour faire tout ce qui lui plaît, parce que son empire est établi, non sur un ordre politique, mais sur la nature des choses, dont l'être est à lui en fonds et en tout droit souverain, lui seul les ayant tirées du néant. C'est pourquoi il prononce dans son Ecriture avec une souveraine hauteur : « Tous mes conseils tiendront, et toutes mes volontés seront accomplies : » Consilium meum stabit, et omnis voluntas mea fiet (1).

Donc pour adorer Dieu en vérité, il faut connaître qu'il est souverain ; et à voir comme nous prions, je dis ou que notre esprit ne connaît pas cette vérité, ou que notre cœur dément notre esprit. Considérez, chrétiens, de quelle sorte vous approchez de la sainte majesté de Dieu pour lui faire votre prière. Vous venez à Dieu plein de vos pensées, non pour entrer humblement dans l'ordre de ses conseils (a), mais pour le faire entrer dans vos sentiments (b). Vous prétendez que lui et ses saints épousent vos intérêts, sollicitent pour ainsi dire vos affaires, favorisent votre ambition. Dans l'espérance de ce secours (c), vous lui promettez de le bien servir, et vous voulez qu'il vous achète à ce prix, comme si vous lui étiez nécessaire. C'est méconnaître votre souverain et traiter avec lui d'égal à égal. Car encore que vous ajoutiez : « Votre volonté soit faite, » si vous consultez votre cœur, vous demeurerez convaincu que vous regardez ces paroles, non comme la règle de vos sentiments, mais comme la forme de la requête ; et permettez-moi de le dire ainsi, vous mettez à la fin de la prière : « Votre volonté, »

 

1 Jerem., IV, 23 et seq. — 2 Isa., XLVI, 10.

(a) Var. : Dans ses conseils. — (b) Mais pour le persuader de vos sentiments. — (c) De sa protection.

 

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comme à la fin d'une lettre : « Votre serviteur. » En effet vous sortez de votre oraison, non plus tranquille, ni plus résigné, ni fil us fervent pour la loi de Dieu, mais toujours plus échauffe pour vos intérêts (a). Et si les choses succèdent contre vos désirs, ne vous voit-on pas revenir, non avec ces plaintes respectueuses qu'une douleur soumise répand devant Dieu pour les faire mourir à ses pieds, mais avec de secrets murmures et avec un dégoût qui tient du dédain? Chrétiens, vous vous oubliez. Ce Dieu que vous priez n'est plus qu'une idole dont vous prétendez faire ce que vous voulez, et non le Dieu véritable qui doit faire de vous ce qu'il veut.

L'oraison, dit saint Thomas (1), est «une élévation de l'esprit à Dieu, » ascensus mentis in Deum. Par conséquent il est manifeste, conclut ce docteur angélique, que celui-là ne prie pas qui, bien loin de s'élever à Dieu, demande que Dieu s'abaisse à lui, et qui vient à l'oraison, non point pour exciter l'homme à vouloir ce que Dieu veut, mais seulement pour persuader à Dieu de vouloir ce que veut l'homme. Ce n'est pas que je ne sache que la divine bonté condescend aussi à nos faiblesses; et que, comme dit excellemment saint Grégoire de Nazianze, l'oraison est un commerce où il faut en partie que l'homme s'élève, et en partie aussi que Dieu descende : mais il est vrai toutefois qu'il ne descend jamais à nous que pour nous élever à lui ; et si cette aigle mystique de Moïse s'abaisse tant soit peu pour mettre ses petits sur ses épaules, ce n'est que pour les enlever bientôt avec elle et leur faire percer les nues, c'est-à-dire toute la nature inférieure, par la rapidité de son vol : Et assumpsit eum, atque portant in humeris suis (2). Ainsi vous pouvez sans crainte, et vous devez même exposer à Dieu vos nécessités et vos peines. Vous pouvez dire avec Jésus-Christ, qui l'a dit pour nous donner exemple : « Père, que ce calice passe loin de moi (3) ; » mais croyez, et n'en doutez pas, que ni vous ne connaissez Dieu comme souverain, ni vous ne l'adorez en vérité, jusqu'à ce que vous ayez élevé votre volonté à la sienne et que vous lui ayez dit du fond du cœur avec le même Jésus : « Père, non point

 

1 IIa IIae, Quœst. LXXXIII, art. 1.— 2 Deuter., XXXII, 11 — 3 Matth., XXVI, 39.

 

(a) Var. : Mais vous vous êtes échauffé dans la prière, à force de recommander à Dieu vos intérêts.

 

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ma volonté, mais la vôtre (1) : » — «Votre volonté soit faite : » Fiat.

Cette haute souveraineté de Dieu a son fondement sur sa bonté. Car comme nous venons de dire que son domaine (a) est établi sur le premier de tous ses bienfaits, c'est-à-dire sur l'être qu'il nous a donné, il s'ensuit que la puissance suprême qu'il a sur nous dérive de sa bonté infinie, et qu'en cela même qu'il est parfaitement souverain, il est aussi souverainement bon et bienfaisant. Que s'il nous a donné l'être, à plus forte raison devons-nous croire qu'il nous en donnera toutes les suites jusqu'à la dernière consommation de notre félicité, puisqu'on peut aisément penser qu'une nature infinie et qui n'a pas besoin de nous, pouvait bien nous laisser dans notre néant (b); mais qu'il est tout à fait indigne de lui, ayant commencé son ouvrage, de le laisser imparfait et de n'y mettre pas la dernière main : d'où il s'ensuit que celui-là même qui a bien voulu nous donner l'être, veut aussi nous en donner la perfection, et par conséquent nous rendre heureux, puisque l'idée de la perfection et celle de la félicité sont deux idées qui concourent : celui-là étant tout ensemble heureux aussi bien que parfait, à qui rien ne manque. Et c'est la troisième chose qu'il est nécessaire que nous connaissions de Dieu pour l'adorer en vérité, à savoir qu'il est une nature infiniment bonne et bienfaisante, parce que l'adoration que nous lui rendons n'enferme pas seulement une certaine admiration mêlée d'un respect profond pour sa grandeur incompréhensible, ni une entière dépendance de son absolue souveraineté, mais encore un retour volontaire à sa bonté infinie, comme à celle où nous trouverons dans la perfection de notre être le terme de nos désirs et le repos de notre cœur : Adorabunt Patrem : « un Père ! »

Mais encore qu'il n'y ait rien de plus manifeste que la bonté de Dieu, il est vrai, néanmoins, Messieurs, que nous la méconnaissons souvent. Et certes si nous étions persuadés comme nous devons, que Dieu est essentiellement bon et bienfaisant, nous ne nous plaindrions jamais qu'il nous refuse aucun bien; et lorsque

 

1 Luc, XXII, 42.

(a) Var. : Empire. — (b) Qu'une nature infinie et qui n'a besoin de rien pouvait bien s'empêcher de nous produire.

 

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nous n'obtenons pas ce que nous lui demandons dans nos prières, nous croirions nécessairement de deux choses l'une, ou que ce n'est pas un bien véritable que nous demandons, ou que nous ne sommes pas bien disposés à le recevoir.

Mais comme je prévois dans ce discours un autre lieu plus commode pour traiter cette vérité, maintenant je n'en dirai pas davantage ; et pour conclure le raisonnement de cette première partie, j'ajouterai, chrétiens, qu'encore que je me sois attaché à vous exposer les trois premières notions qui ont principalement porté les hommes à adorer Dieu, à savoir la perfection de son Etre, la souveraineté de sa puissance et la bonté de sa nature , je reconnais toutefois que pour adorer en vérité cette essence infinie, il faut aussi connaître véritablement tous ses autres divins attributs. Cependant comme le traité en serait immense, trouvez bon que je vous renvoie en un mot à la foi de l'Eglise catholique ; et tenez donc pour indubitable que comme l'Eglise catholique est le seul véritable temple de Dieu, catholicum Dei templum, ainsi que Tertullien l'appelle (1), elle est aussi le seul lieu où Dieu est adoré en vérité. Toutes les autres sociétés, de quelque piété qu'elles se vantent et quelque titre qu'elles portent, en se retirant de l'Eglise, ont bien emporté avec elles quelque partie delà vérité, mais elles n'ont pas la plénitude. C'est dans l'Eglise seule que Dieu est connu comme il veut l'être. Nous ne connaissons jamais pleinement ni son essence ni ses attributs, que nous ne les connaissions dans tous les moyens par lesquels il a voulu nous les découvrir.

Par exemple, pour connaître pleinement sa toute-puissance, il faut la connaître dans tous les miracles par lesquels elle se déclare, et n'avoir non plus de peine à croire celui de l'Eucharistie que celui de l'incarnation. Pour connaître sa sainteté, il faut la connaître dans tous les sacrements que Jésus-Christ a institués pour nous l'appliquer, et confesser également celui de la pénitence avec celui du baptême, et ainsi des autres. Pour connaître sa justice, il faut la connaître dans tous les états où il l'exerce, et ne croire pas plutôt la punition des crimes capitaux dans l'enfer que l'expiation des moindres péchés dans le purgatoire. Ainsi pour connaître

 

1 Advers. Marcion., lib. III, n. 21.

 

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sa vérité, il la faut adorer dans toutes les voies par lesquelles elle nous est révélée et la recevoir également, soit qu'elle nous ait été laissée par écrit, soit qu'elle nous ait été donnée par la vive voix : « Gardez, dit l'Apôtre, les traditions (1). » L'Eglise catholique a seule cette plénitude, elle seule n'est pas trompée, elle seule ne trompe jamais. « Quiconque n'est pas dans l'Eglise, dit saint Augustin, ne voit ni n'entend : quiconque est dans l'Eglise, dit le même Père, ne peut être ni sourd ni aveugle : » Extra illam qui est, nec audit nec videt ; in illa qui est, nec surdus nec cœcus est (2). Partant adorons Dieu, chrétiens, dans ce grand et auguste temple où il habite au milieu de nous, je veux dire dans l'Eglise catholique (a) ; adorons-le dans la paix et dans l'unité de l'Eglise catholique, adorons-le dans la foi de l'Eglise catholique ; ainsi toujours assurés de l'adorer en vérité, il ne nous restera plus qu'à nous disposer à l'adorer en esprit : c'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

La raison pour laquelle le Sauveur des âmes nous oblige à rendre à son Père un culte spirituel, est comprise dans ces paroles de notre évangile : « Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit (2). » En effet puisque Dieu nous a fait l'honneur de nous créer à son image, et que le propre de la religion, c'est d'achever (b) dans nos âmes cette divine ressemblance, il est clair que quiconque approche de Dieu doit se rendre conforme à lui ; et par conséquent comme il est esprit, mais esprit très-pur et très-simple, qui est lui-même son être, son intelligence et sa vie, si nous voulons l'adorer, il faut épurer nos cœurs et venir à cet esprit pur avec des dispositions qui soient toutes spirituelles; c'est ce qui s'appelle dans notre évangile adorer Dieu en esprit (c).

Je ne finirai jamais ce discours, si j'entreprends aujourd'hui

 

1 II Thessal., II, 14. — 2 Enarr. in Psal. XLVII, n. 7. — 3 Joan., IV, 24.

 

(a) Var. : Partant adorons Dieu, cette essence souveraine, dans ce grand et auguste temple, je veux dire dans l'Eglise catholique. — (b) Perfectionner. — (c) Note marg. : De tali spiritu emissa esse debet oratio, qualis est spiritus ad quem mittitur... Nemo adversarium recipit : nemo nisi comparem suum admittit (Tertull., De Orat., n. 10, 11).

 

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de vous raconter toutes les saintes dispositions que nous devons apporter au culte sacré de Dieu. Je dirai donc seulement, pour me renfermer dans mon texte, celles que le style de l'Ecriture exprime spécialement sous le mot d'esprit, qui sont la pureté d'intention, le recueillement en soi-même et la ferveur : trois qualités principales de l'adoration spirituelle.

Notre intention sera pure, si nous nous attachons saintement à Dieu pour l'amour du bien éternel qu'il nous a promis, qui n'est autre que lui-même. Vous n'ignorez pas, chrétiens, que l'ancien peuple a été mené par des promesses terrestres, la nature infirme et animale ayant besoin de cet appât sensible et de ce faible rudiment. Mais les principes étant établis (a), l'enfance étant écoulée, le temps de la perfection étant arrivé, Jésus-Christ vient apprendre aux hommes à servir Dieu en esprit par une chaste dilection des biens véritables qui sont les spirituels : Adorabunt Patrem in spiritu.

Les choses étant changées, le Nouveau Testament étant établi, il est temps aussi, chrétiens, que nous disions avec le Sauveur: Dieu est esprit ; mais cet esprit pur nous a donné un esprit fait à l'image du sien. Cultivons donc en nous-mêmes ce qui est semblable à lui, et servons-le saintement, non pour contenter les désirs que nous inspire cette nature dissemblable (b), je veux dire de notre corps, qui n'est pas tant notre nature que notre empêchement et notre fardeau; mais pour assurer la félicité de l'homme invisible et intellectuel, qui étant l'image de Dieu, est capable de le servir et ensuite de le posséder en esprit.

Et c'est ici, chrétiens, que nous ne pouvons assez déplorer notre aveuglement. Car si nous faisions le dénombrement des vœux que l'on apporte aux temples sacrés, ô Dieu! tout est judaïque ; et de cent hommes qui prient, à peine trouverons-nous un seul chrétien qui s'avise (c) de faire des vœux et de demander des prières pour obtenir sa conversion. Démentez-moi, chrétiens, si je ne dis pas la vérité. Ces affaires importantes qu'on

 

(a) Var. : Mais les principes étant établis, les figures étant écoulée», le temps de la perfection étant arrivé ; —mais le temps de la perfection étant arrivé. — (b) Les désirs de cette nature dissemblable.— (c) Et parmi tant d'hommes qui prient, à peine trouverons-nous un chrétien qui s'avise…

 

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recommande de tous côtés dans les sacristies sont toutes affaires du monde; et plût à Dieu du moins qu'elles fussent justes (a), et que si nous ne craignons pas de rendre Dieu ministre de nos intérêts, du moins nous appréhendions de le faire (b) complice de nos crimes ! Nous voyons régner en nous sans inquiétude des passions qui nous tuent, sans jamais prier Dieu qu'il nous en délivre. S'il nous arrive quelque maladie ou quelque affaire fâcheuse, c'est alors que nous commençons à faire des neuvaines à tous les autels et à fatiguer véritablement le Ciel par nos vœux. Car qu'est-ce qui le fatigue davantage que des vœux et des dévotions intéressées? Alors on commence à se souvenir qu'il y a des malheureux qui gémissent dans les prisons, et des pauvres qui meurent de faim et de maladie dans quelque coin ténébreux (c). Alors, charitables par intérêt et pitoyables par force, nous donnons peu à Dieu pour avoir beaucoup ; et très-contents de notre zèle, qui n'est qu'un empressement pour nos intérêts, nous croyons que Dieu nous doit tout, jusqu'à des miracles, pour satisfaire nos désirs et notre amour-propre. O Père éternel, tels sont les adorateurs qui remplissent nos églises ! O Jésus, tels sont ceux qui vous prennent pour médiateur de leurs passions ! Ils vous chargent de leurs affaires, ils vous font entrer dans les intrigues qu'ils méditent pour élever leur fortune, et ils veulent que vous oubliiez que vous avez dit : «J'ai vaincu le monde (1). » Ils vous prient de le rétablir, lui que vous avez non-seulement méprisé, mais vaincu. Oh ! que nous pourrions dire avec raison ce que l'on disait autrefois : « La foule vous accable : » Turbœ te comprimunt (2) ! Tous vous (tressent; aucun ne vous touche, aucun ne vient avec foi pour vous prier de guérir les plaies cachées de son âme. Cette troupe qui environne vos saints tabernacles, est une troupe de Juifs mercenaires qui ne vous demande qu'une terre grasse et des ruisseaux de lait et de miel, c'est-à-dire des biens temporels ; comme si nous étions encore dans une Jérusalem terrestre, dans les déserts de Sina et sur les bords du Jourdain, parmi les ombres de

 

1 Joan., XVI, 33. — 2 Luc, VIII, 45.

 

(a) Var. : Et Dieu veuille qu'elles fussent justes ! — (b) De le vouloir faire. — (c) Dans des greniers.

 

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Moïse, et non dans les lumières et sous l'Evangile de celui dont le royaume n'est pas de ce monde !

O  enfant du Nouveau Testament, ô adorateur véritable , ô juif spirituel et circoncis dans le cœur, chrétien détaché de l'amour du monde, viens adorer en esprit ; viens demander à Dieu la conversion et la liberté de ton cœur qui gémit, ou plutôt qui ne gémit pas, qui se réjouit parmi tant de captivités; viens affligé de tes crimes, ennuyé de tes erreurs (a), détrompé de tes folles espérances, dégoûté des biens périssables, avide de l'éternité et affamé de la justice et du pain de vie. Expose-lui toutefois avec confiance, ô fidèle adorateur, expose avec confiance tes nécessites même corporelles. Il veut bien nourrir ce corps qu'il a fait et entretenir l'édifice qu'il a lui-même bâti ; mais cherche premièrement son royaume, attends sans inquiétude qu'il te donne le reste (b) comme par surcroît (1) ; et bien loin de lui demander qu'il contente tes convoitises, viens saintement résolu à lui sacrifier tout jusqu'à tes besoins.

L'intention de notre fidèle adorateur est suffisamment épurée ; il est temps qu'il vienne au temple en esprit avec le bon Siméon ; Venit in spiritu in templum (2); c'est-à-dire qu'il y vienne attentif et recueilli en Dieu; ou bien, si vous voulez l'expliquer d'une manière plus mystique, mais néanmoins très-solide, qu'il vienne au temple, qu'il rentre en lui-même. Montez donc au temple . ô adorateur spirituel; mais écoutez dans quel temple il vous faut monter. Dieu est esprit et « n'habite pas dans les temples matériels (3); » Dieu est esprit, et c'est dans l'esprit qu’il établit sa demeure. Ainsi rappelez en vous-même toutes vos pensées ; et retiré de vos sens, montez attentif et recueilli en cette haute partie de vous-même où Dieu veut être invoqué et qu'il veut consacrer par sa présence.

Saint Grégoire de Nazianze dit (4) que l'oraison est une espèce de mort, parce que premièrement elle sépare les sens d'avec les objets externes; et ensuite, pour consommer cette mort mystique, elle sépare encore l'esprit d'avec les sens, pour le réunir à Dieu

 

Matth., VI, 33. — 2 Luc, II, 27. — 3 Act., VII, 48. — 4 Orat. XI, n. 17.

 

(a) Var. : Egarements. — (b) Que le reste te soit donné...

 

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qui est son principe. C'est sacrifier saintement et adorer Dieu en esprit, que de s'y unir de la sorte et selon la partie divine et spirituelle; et le véritable adorateur est distingué par ce caractère de celui qui n'adore Dieu que de la posture de son corps ou du mouvement de ses lèvres.

Dieu a réprouvé un tel culte comme une dérision de sa majesté. Ce grand Dieu a dit autrefois parlant des sacrifices des anciens : « Qu'ai-je affaire de vos taureaux et de vos boucs, et de toute la multitude de vos victimes? Je n'en veux plus, j'en suis fatigué, et ils me sont à dégoût (1). » Entendons par là, chrétiens, que dans la nouvelle alliance il demande d'autres sacrifices. Il veut des offrandes spirituelles et des victimes raisonnables. Ainsi donnez-lui l'esprit et le cœur; autrement il vous dira par la bouche de son prophète Amos que, si vous ne chantez en esprit, quelque douce et ravissante que soit la musique que vous faites résonner dans son sacrifice, votre harmonie (a) l'incommode, et que vos accords les plus justes ne font à ses oreilles qu'un bruit importun : Aufer à me tumultum carminum tuorum, et cantica lyrœ tuœ non audiam (2).

Si donc nous lui voulons faire une oraison agréable, il faut pouvoir dire avec David : « O Seigneur, votre serviteur a trouvé son cœur pour vous faire cette prière : » Invenit servus tuus cor suum ut oraret te oratione hàc (3). Oh ! qu'il s'enfuit loin de nous ce cœur vagabond, quand nous approchons de Dieu ! Etrange faiblesse de l'homme ! Je ne dis pas les affaires, mais les moindres divertissements rendent notre esprit attentif; nous ne le pouvons tenir devant Dieu; et outre qu'il ne nous échappe que trop par son propre égarement, nous le promenons encore volontairement deçà et delà. Nous parlons, nous écoutons; et comme si c'était peu d'être détournés par les autres, nous-mêmes nous étourdissons notre esprit par le tumulte intérieur de nos vaines imaginations (b). Chrétiens, où êtes-vous? Venez-vous adorer ou vous moquer? Parlez-vous en cette sorte au moindre mortel? (c) Ah!

 

1 Isa., I, 11, 14. — 2 Amos, X, 23. — 3 II Reg., VII, 27.

 

(a) Var. : Symphonie. — (b) De mille pensées. — (c) Note marg. : Je ne m'étonne pas si vous n'avez que des pensées vaines : vous ne vous entretenez que de vanités, vous flattant par des complaisances mutuelles, etc. Si vous vous remplissiez des saintes vérités de Dieu, ce cercle de votre imagination agitée les ramènerait : heureuses distractions d'un mystère à un antre, d'une vérité à une antre, etc.

 

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rappelez votre cœur, faites revenir ce fugitif ; et s'il vous échappe malgré vous, déplorez devant Dieu ses égarements (a) ; dites-lui avec le Psalmiste : « O Seigneur, mon cœur m'a abandonné : » Cor meum dereliquit me (1). Tâchez toujours de le rappeler, cherchez cet égaré, dit saint Augustin (2); et quand vous l'aurez trouvé avec David, offrez-le tout entier à Dieu, et adorez en esprit celui qui est esprit et vie : Spiritus est Deus (3), etc.

Mais pour arrêter notre esprit et contenir nos pensées, il faut nécessairement échauffer ce cœur. C'est le naturel de l'esprit de rouler toujours en lui-même par un mouvement éternel (b) ; tellement qu'il serait toujours dissipé par sa propre agitation, si Dieu n'avait mis dans la volonté une certaine vertu qui le fixe et qui l'arrête. Mais, mes frères, une volonté languissante n'aura jamais cette force, jamais ne produira un si bel effet. Il faut qu'elle ait de la ferveur, autrement l'esprit lui échappe et elle s'échappe à elle-même, (c) Dieu aussi s'éloigne de nous quand nous ne lui apportons que des désirs faibles. Car, mes frères, il nous faut entendre cette belle doctrine de l'Apôtre, que cet Esprit tout-puissant que nous adorons est le même qui excite en nous les fervents désirs (d) par lesquels nous sommes pressés de l'adorer. Il n'est pas seulement l'objet, mais le principe de notre culte ; je veux dire qu'il nous attire au dehors, et que lui-même nous pousse au dedans. Ecoutez comme parle l'apôtre saint Paul : « Dieu a envoyé en nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie en nous : O Dieu, vous êtes notre Père (4); » et ailleurs : «L'Esprit aide notre infirmité; » et encore : « L'Esprit prie en nous avec des gémissements inexplicables (5). » Cela veut dire, mes frères, que cet Esprit (e) qui procède du Père et du Fils, et que nous adorons en imité avec le Père et le Fils, est le saint et divin auteur de nos

 

1 Psal. XXXIX, 13.— 2 In Psal. LXXXV, n. T.— 3 Joan. IV, 24. — 4 Galat., IV, 6. — 5 Rom., VIII, 26.

 

(aVar. : Vos extravagances. — (b) Mais pour contenir notre esprit, le moyen le plus assuré c’est d'échauffer notre cœur. C'est le naturel de

l'esprit d'être mu d'un mouvement éternel.— (c) Note marg. : Gignit sibi mentis intentio solitudinem ( S. August., De Quaest., lib. II ad Simpl.). — (d) Var. : Les ardents désirs. — (e) Que le Saint-Esprit.

 

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adorations et de nos prières. Mais considérez avec attention qu'il ne nous pousse pas mollement. Il veut crier et gémir, nous dit le saint Apôtre, avec des gémissements inexplicables. Il faut donc que nous répondions par notre ferveur à cette sainte violence ; autrement nous ne prions pas, nous n'adorons pas en esprit. Le Saint-Esprit veut crier en nous; ainsi nous l'affaiblissons, si nous ne lui prêtons qu'une faible voix. Cet Esprit veut gémir en nous; nous dégénérons de sa force, si nous ne lui offrons qu'un cœur languissant. Enfin le Saint-Esprit veut nous échauffer ; et nous laissons éteindre l'esprit, contre le précepte de l'Apôtre (1), si nous ne répondons à son ardeur, en approchant de Dieu de notre part avec cet esprit fervent qui fait la perfection de notre culte : Spiritu ferventes, dit le même apôtre saint Paul (2).

Et certainement Dieu comme bon, d'un naturel communicatif, Esprit qui aime à se répandre et à s'insinuer dans les cœurs.....; donc comme il est avide de se donner, ainsi avides de le recevoir : Sicut urget petere necessitas filium, sic urget charitas dare genitorem (3). A nous notre besoin, et à lui sa charité est un pressement : ne soyons pas moins empressés à recevoir que lui à donner. Il se plaît d'assister les hommes, et autant que sa grâce leur est nécessaire, autant coule-t-elle volontiers sur eux. Il a soif qu'on ait soif de lui, dit saint Grégoire de Nazianze (4) ; recevoir de sa bonté, c'est lui bien faire; exiger de lui, c'est l'obliger; et il aime si fort à donner, que la demande à son égard tient lieu de bienfait. Le moyen le plus assuré pour obtenir son secours, c'est de croire qu'il ne nous manque pas; et j'ai appris de saint Cyprien « qu'il donne toujours à ses serviteurs autant qu'ils, croient recevoir de lui : » Dans credentibus tantùm, quantum se crédit capere qui sumit (5). Ne croyons donc jamais qu'il nous refuse, c'est qu'il nous éprouve ; ou en remettant, il nous fait ce grand bien d'arracher de nous par ce délai de son secours la reconnaissance et la confession de notre faiblesse. Ou nous ne demandons pas bien, ou nous ne sommes pas préparés à bien recevoir, ou ce que nous demandons est tel qu'il n'est pas digne de lui de nous le donner. Les

 

1 I Thessal., V, 19. — 2 Rom., XII, 11.— 3 S. Petr. Chrysol., serm. LXXI Orat. Domin. — 4 Orat. XL, tom. I. — 5 Epist. VIII ad Martyr. et Confess.

 

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hommes sont embarrassés quand on leur demande de grandes choses, parce qu'ils sont petits; et Dieu trouve indécent qu'on s'attache à lui demander de petites choses, parce qu'il est grand. Ne lui demandez rien moins que lui-même (a).

 

 

 

SECONDE PÉRORAISON DE SERMON POUR LE   VENDREDI   DE   LA  IIIe  SEMAINE   DE  CARÊME, CONTRE  LA  PARESSE (b).

 

« Je veux être dévot, je ne puis : » Vult et non vult piger, anima autem operantium impinguabitur (1) Des désirs qui tuent, qui consument toute la force de la foi qui s'évapore toute en ces vains soupirs : Desideria occidunt pigrum : noluerunt enim quidquam manus ejus operari, totâ die concupiscit et desiderat ; qui autem justus est, tribuet et non cessabit (2). Par où commencer? Vous dites : Dégoûtez-vous du monde et vous apprendrez à goûter Dieu; et moi je vous dis : Faites-moi goûter Dieu, et je me dégoûterai du monde. Par où commencer? Ainsi votre salut sera impossible. Je vous donnerai une ouverture, je vous ouvrirai une porte. Votre foi est endormie, mais non pas éteinte; excitez ce peu qui vous en reste. Commencez à supporter les premiers dégoûts, à dévorer les premiers ennuis; vous verrez une étincelle céleste s'allumer au milieu de votre raison. Mais qu'avant que d'avoir tenté vous disiez tout impossible ; qu'au premier ennui qui vous prend, vous quittiez et la lecture et la prière, et que vous désespériez non de vous-même seulement, mais de Dieu et de sa grâce, c'est une lâcheté insupportable. Que ne vous éveillez-vous donc et que n'entreprenez-vous votre salut ? Et ne l'entreprenez

 

1 Prov., XIII, 4. — 2 Ibid., XXI, 25, 26.

 

(a) Note marg. : Contre l'irréligion des hommes, etc. Ceux qui crient contre les hypocrites ont raison ; mais... Voy. Sermon, Ipsum audite. — (b) Cette dernière partie du titre est de Bossuet.

 

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pas d'une manière molle et relâchée. « Car celui qui est mol et lâche dans ses entreprises ressemble à celui qui détruit et qui ravage : » Qui mollis et dissolutus est in opere suo, frater est sua opere dissipantis (1). Commencez donc quelque chose dans cette sainte assemblée, maintenant que vous êtes sous les yeux de Dieu, à la table de sa céleste vérité, sous l'autorité de sa divine parole. Commencez et vous trouverez à la fin la paix de la conscience et le repos qui ne sera qu'un avant-goût de celui que je vous souhaite dans l'éternité, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 

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