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ABRÉGÉ D'UN SERMON
POUR LE VENDREDI
DE LA PREMIÈRE SEMAINE DE CARÊME.
Erat autem ager triginta octo annos habens in
infirmitate suâ. Joan., V, 5.
Par ce malade est fort bien
représenté le pécheur endurci qui vieillit dans sa maladie et dans sa
corruption. C'est la plus dangereuse maladie des chrétiens, et par conséquent
qui a besoin d'être traitée avec une très-grande et très-exacte diligence. Or
pour traiter une maladie , il faut premièrement en connaître les principes et la
nature ; ensuite il en faut remarquer et découvrir les suites ; et enfin il faut
choisir les remèdes les plus convenables.
PREMIER POINT.
La nature du péché d'habitude.
Le péché a cela de propre, qu'il imprime une tache à l’âme qui va défigurant en
elle toute sa beauté, et passe l'éponge sur les traits de l'image du Créateur
qui s'y est représenté lui-même. Mais un péché réitéré, outre cette tache,
produit encore dans l’âme une pente et une forte inclination au mal, à cause
qu'entrant dans le fond de l’âme, il ruine toutes ses bonnes inclinations et
l'entraîne par son propre poids aux objets de la terre. L'Ecriture se sert de
trois comparaisons puissantes pour exprimer le danger de cette maladie :
Induit maledictionem sicut vestimentum, et intravit sicut aqua in interiora
ejus, et sicut oleum in ossibus ejus (1).
La malédiction est dans le
pécheur par habitude comme le vêtement, parce qu'elle emplit tout son extérieur,
toutes ses actions, toutes ses paroles ; sa langue ne fait que débiter le
mensonge; elle entre comme l'eau dans son intérieur et y va corrompre ses
pensées, en sorte qu'il n'en a plus que celles de son ambition, etc.; et enfin
elle pénètre comme l'huile dans ses os, c'est-à-dire dans ce
1 Psal. CVIII, 18.
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qui soutient son âme et lui donne sa solidité. Il étouffe
tous les sentiments de la foi, car enfin tout s'évanouit dans ces grandes
attaches qu'il a au péché ; il ruine l'espérance, car tout son espoir est dans
la terre ; il étouffe la charité, car l'amour de Dieu ne peut point s'accorder
avec l'amour des créatures. Ou bien le vêtement marque la tyrannie, l'eau
l'impétuosité, l'huile une tache qui se répand partout et ne s'efface quasi
jamais. C'est donc une grande maladie que le péché d'habitude. Et pour
reconnaître si elle est en nous cette maladie, si nous péchons par habitude, il
faut peser trois choses, mais sans se flatter.
Premièrement, si vous faites le
mal avec plaisir. Car tout plaisir est conformité à quelque nature; or il est
certain que le péché n'a pas de soi cette conformité avec votre nature ; il faut
donc que la réitération du péché ait fait en vous une autre nature, et cette
autre nature c'est la coutume. Qui pèche donc souvent et avec plaisir, celui-là
pèche d'un péché d'habitude, c'est un pécheur endurci.
Secondement, péchez-vous sans
remords de conscience? Car le remords de conscience est une suite de la
réflexion; or pécher souvent sans réflexion, c'est marque de la grande
inclination qu'on y a et que la face du péché ne nous semble plus farouche ;
nous y sommes accoutumés. Exemple : David a fait deux grands crimes ; l'un, le
dénombrement de son peuple : dans celui-là il ne péchait pas par habitude ; car
il ne l'a fait qu'une fois. C'est pourquoi incontinent « il sentit un remords
dans son cœur, » Percussit cor David eum (1) : voilà le remords. Mais
dans son adultère qui dura un an, son cœur ne le frappe plus; au contraire ,
l'adultère attire l'homicide et l'homicide avec le ravissement de l'honneur
d'Urie ; car commandant à Joab de le faire mourir, il lui donne sujet de songer
qu'il l'avait mérité. Aussi dit-il en cet état que « la lumière de ses yeux
l'avait abandonné : » Lumen oculorum meorum et ipsum non est mecum 2). Il
ne dit pas que ses yeux l'eussent abandonné, car la connaissance lui demeurait,
mais la lumière de ses yeux. Quelle est la lumière des yeux de la connaissance?
La réflexion qui l'éclairé et qui la conduit elle-même, qui
1 II Reg., XXIV, 10.— 5 Psal.
XXXVII, 11.
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découvre et conduit le reste de l'homme. Il ne faisait donc
pas de réflexion sur son péché ; par conséquent point de remords, car le remords
naît de la réflexion. C'est donc une marque de l'accoutumance au péché, que de
pécher sans remords.
Troisièmement, il faut voir si
vous péchez sans résistance. Car pécher sans résistance c'est une marque que la
force de l’âme est abattue, ce qui ne se fait que par la coutume. Dereliquit
me virtus mea (1), dit David, décrivant son endurcissement.
SECOND POINT.
Les suites du péché d'habitude.
La première est que quand on commet deux fois un même péché, le second est
toujours plus grand que le premier, à cause que le péché s'augmente ou à raison
de la grandeur de la matière en laquelle on pèche, ou à raison de la force avec
laquelle on s'y attache. Le second péché est plus grand que le premier à raison
de la matière : vous avez volé les particuliers, dans deux jours vous volerez le
prince, si l'occasion s'en présente. Par les moindres péchés vous vous disposez
aux plus grands. Achab ayant fait mourir un de ses sujets pour avoir son bien,
le prophète lui dit de la part de Dieu : « Tu as volé et tu as tué, tu feras
encore pis : » Et addes (2). Mais ce n'est pas tout : la première fois
vous péchez avec moins d'inclination et d'attache; mais la seconde elle
augmente, et par suite vous aimez plus votre crime, vous vous y portez avec plus
de force. Votre péché est donc plus grand : comme l'amour de Dieu s'accroît par
les actions de vertu, aussi l'amour des créatures par les actions vicieuses. Il
s'ensuit donc qu'au lieu qu'on pense s'excuser en disant : Je pèche, mais c'est
par coutume, on s'accuse davantage.
Je sais bien ce que disent les
méchants pour défendre ces excuses : premièrement, que la coutume ôte la
réflexion; qu'on va plus à l'aveugle, et qu'ainsi l’âme ayant moins de secours,
elle est moins blâmable de se laisser vaincre ; secondement, que la coutume
apporte une inclination puissante qui vous empêche, et si elle vous empêche il y
a moins de volontaire, et le péché suit et est égal au volontaire. Mais j'oppose
deux choses à ces deux raisons.
1 Psal. XXXVII, 11. — 2 III
Reg., XXI, 19.
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En premier lieu que le manque de secours n'excuse jamais
lorsque c'est une punition de notre faute, et que nous nous l'ôtons
volontairement nous-mêmes. On avertit un capitaine : Prenez garde, les ennemis
vous surprendront pendant la nuit ; pour les empêcher faites allumer des
flambeaux par toute la ville. Ce capitaine, au lieu de suivre cet avis, fait
éteindre tous les flambeaux, et est surpris à la faveur des ténèbres. Son excuse
semble raisonnable s'il dit : J'ai été surpris, il est vrai, mais c'est pendant
les ténèbres : non certainement, car on l'avait averti de se garder des
ténèbres. Tout de même on nous avertit : Donnez-vous garde, le prince des
ténèbres vous surprendra parmi l'obscurité ; si donc ensuite vous éteignez
vous-mêmes les lumières de la raison et si vous en corrompez l'usage par la
multitude de vos péchés, le défaut de lumière ne pourra pas vous servir
d'excuse. Voilà pour la première opposition.
A la seconde, je dis qu'il y a
deux sortes d'emportements : l'un est l'emportement d'une volonté prévenue,
l'autre est l'emportement d'une volonté persuadée. Vous êtes tourmenté d'une
forte tentation, sa force divertit celles de votre raison, vous péchez quasi
sans y penser : voilà une volonté prévenue et emportée de cet emportement de
surprise, et celui-là sans doute peut diminuer le péché. Mais l'emportement
d'une volonté persuadée ne le peut pas diminuer, à cause que l'inclination y est
plus grande, l'application plus forte, la victoire de la chair et du péché plus
pleine et plus entière. Partant c'est une fort mauvaise conséquence, de vouloir
inférer qu'une faute est petite, parce qu'on y tombe par coutume. La seconde
mauvaise suite est la nécessité de pécher.
TROISIÈME POINT.
Deus impossibilia non jubet;
sed jubendo admonet et facere quod possis et petere quod non possis (1). Il
y a ici des choses que vous pouvez faire, il y en a que vous ne pouvez pas
faire. Je veux bien croire que dans la présence de l'objet et dans une occasion
pressante, vous ne pouvez pas résister; mais du moins vous pouvez éviter
l'occasion : voilà quant à ce que vous pouvez, facere
1 S. August., lib. De Natur. et grat., cap. XLIII,
n. 50.
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quod possis. Mais quant à ce que vous ne pouvez pas,
que faut-il faire? Demander instamment à Dieu qu'il surmonte en vous par sa
grâce le péché qui est depuis si longtemps le maître, qu'il surmonte vos
mauvaises inclinations par de bonnes : petite (1), demandez avec instance ; et
s'il rejette vos demandes, quœrite, cherchez les moyens de l'apaiser;
employez les justes, employez les bienheureux, employez la mort de Dieu,
employez Jésus-Christ même ; pulsate, frappez à sa justice et dites-lui :
Ah! justice de mon Dieu, vous ne punissez pas nos fautes à la rigueur en ce
monde; frappez à la sagesse et dites-lui : Ah! sagesse de mon Dieu, vous savez
tant de moyens de vaincre mon vice. Criez à Dieu, mais criez du fond de l’âme,
De profundis (2), et Dieu écoutera à la fin votre oraison.
1 Matth., VII, 7. — 2 Psal. CXXIX, 1.
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