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XVe
SEMAINE. LA NATIVITÉ DU SAINT PRÉCURSEUR.
PREMIÈRE ÉLÉVATION.
IIe ÉLÉVATION. La circoncision du saint précurseur et le nom qui lui est donne.
IIIe ÉLÉVATION. Le cantique de Zacharie : première partie : quels sont les
ennemis dont Jésus-Christ nous délivre et quelle est la justice qu'il nous
donne.
IVe ÉLÉVATION. Sur quoi toutes ces grâces sont fondées.
Ve ÉLÉVATION. Quel est le serment de Dieu et ce qu'il opère.
VIe ÉLÉVATION. Seconde partie de La prophétie du saint cantique qui regarde
saint Jean-Baptiste.
VIIe ÉLÉVATION. Saint Jean au désert dès son enfance.
On accourt des environs. « Le
terme d'Elisabeth étant accompli, les voisins et ses parents accoururent pour
célébrer la miséricorde que Dieu avait exercée» en lui ôtant sa stérilité « et
s'en réjouir avec elle (1). » Les vraies congratulations des amis et des parents
chrétiens doivent avoir pour objet la miséricorde que Dieu nous a faite : sans
cela les compliments n'ont rien de solide ni de sincère et ne sont qu'un
amusement.
Dieu dispose avec un ordre
admirable tout le tissu de ses desseins. Il voulait rendre célèbre la naissance
de saint Jean-Baptiste, où celle de son Fils de voit aussi être célébrée par la
prophétie de Zacharie ; et il importait aux desseins de Dieu que celui qu'il
envoyait pour montrer son Fils au monde, fut illustré dès sa naissance : et
voilà que sous le prétexte d'une civilité ordinaire, Dieu amasse ceux qui
devaient être témoins de la gloire de Jean-Baptiste , la répandre et s'en
souvenir. Car « tout le monde était en admiration, » et les merveilles qu'on vit
paraître à la naissance de Jean-Baptiste, « se répandirent dans tout le pays
voisin : et tous ceux qui en ouïrent le récit le mirent dans leur cœur, en
disant : Que pensez-vous que sera cet enfant? Car la main de Dieu est
visiblement avec lui (2). » Accoutumons-nous à remarquer que les actions qui
paraissent les plus communes, sont secrètement dirigées par l'ordre de Dieu, et
servent à ses desseins sans qu'on y pense ; en sorte que rien n'arrive
fortuitement.
1 Luc., I, 57, 58. — 2 Ibid., 65, 66.
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« Le huitième jour on vint
circoncire l'enfant ; et ils lui donnaient le nom de son père, Zacharie; mais
Elisabeth répondit que son nom était Jean. On lui remontrait que personne
n'avait ce nom dans leur parenté, et en même temps ils demandèrent par signes à
son père quel nom il lui voulait donner; et il écrivit sur des tablettes que
Jean était son nom (1). » On connut donc par le concours du père et de la mère à
lui donner ce nom extraordinaire dans la famille, qu'il était venu d'en haut, «
et tout le monde était étonné. » Le nom de Jean signifie grâce, piété,
miséricorde; et Dieu avait destiné ce nom au précurseur de sa grâce et de sa
miséricorde.
Il paraît que Zacharie, à qui on
ne parlait que « par signes (2), » n'était pas seulement devenu muet par son
incrédulité, mais que l'ange l'avait encore frappé de surdité : mais l'ouïe lui
fut tout à coup rendue avec la parole, quand il eut obéi à l'ange, en donnant à
son fils le nom de Jean. L'obéissance guérit le mal que l'incrédulité avait
causé : à l'instant celui qui n'entendait rien que par signes et ne parloit
qu'en écrivant, « eut la bouche ouverte » et entonna ce divin cantique.
« Béni soit le Seigneur Dieu
d'Israël (3). » C'est après être demeuré longtemps muet, une soudaine
exclamation pour exprimer les merveilles qu'il avait été contraint de resserrer
en lui-même,
1 Luc., I, 59-63. — 2 Ibid.,
I, 62, 64. — 3 Ibid., 68.
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touchant le règne du Christ qui était venu et qui bientôt
allait paraître. C'est ce qu'il voit dans son transport, et voit en môme temps
la part qu'aura son fils à ce grand ouvrage, qui sont les deux parties de cet
admirable cantique.
C'est pour la gloire de
Jésus-Christ le témoignage d'un prêtre célèbre parmi le peuple, et aussi savant
que pieux. C'est pourquoi toutes les paroles de son cantique ont de doctes et
secrets rapports aux promesses faites à nos pères, et aux anciennes prophéties.
Il commence donc par bénir ce
Dieu, « parce qu'il a visité son peuple, et en a opéré la rédemption, » en lui
envoyant son Fils, en qui « il nous a élevé un puissant Sauveur dans la maison
de David son serviteur (1). » Voilà comme tout le monde connaissait que le Fils
de Marie par elle sortait de David et en héritait la royauté.
Le mot de corne dont il
se sert, est un mot de magnificence et de terreur, qui dans le style de
l'Ecriture signifie la gloire, et en même temps une force incomparable pour
dissiper nos ennemis. C'est ce que devait faire le Sauveur, sorti de David, pour
la rédemption du genre humain.
Le saint prêtre nous fait voir deux choses dans cette
rédemption : la première sont les maux dont elle nous affranchit, et la seconde
sont les grâces qu'elle nous apporte.
Premièrement donc « il avait
promis par la bouche de ses prophètes qu'il nous délivrerait de nos ennemis (2).
» Quels sont les ennemis dont nous devons être délivrés? Ce sont avant toutes
choses les ennemis invisibles, qui nous tenaient captifs par le péché, par nos
vices et par tous nos mauvais désirs : ce sont là nos vrais ennemis, qui seuls
aussi peuvent nous perdre. Jésus-Christ nous délivre aussi des ennemis visibles,
en nous apprenant non-seulement à ne les craindre plus, mais encore à les
vaincre par la charité et par la patience, selon ce que dit saint Paul (3) : «
Ne vous laissez pas vaincre par le mauvais, mais surmontez le mauvais par
l'abondance du bien : » soigneux de gagner par la charité vos frères qui vous
persécutent, « et entassant des
1 Luc., I, 68, 69. — 2 Ibid.,
70, 71.— 3 Rom., XII,
20, 21.
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charbons sur leurs têtes» pour les échauffer et fondre la
glace de leurs cœurs endurcis.
C'est ainsi que le Sauveur nous
apprend à vaincre nos ennemis. Mais s'il faut qu'ils soient vaincus
manifestement, Dieu les mettra à nos pieds d'une autre sorte, comme il y a mis
les tyrans persécuteurs de l'Eglise. Et si les Juifs avaient été fidèles à leur
Messie, je ne doute pas que Dieu ne les eût tirés de leur servitude d'une
manière éclatante , pour les faire marcher sans crainte et servir Dieu en paix.
Quand donc Dieu fait prospérer
son peuple contre les ennemis qui les oppriment, qu'ils regardent ces heureux
succès comme une grâce du libérateur qui leur est venu, et qu'ils en profitent
pour mieux servir Dieu : autrement, et s'ils en abusent pour mener une vie plus
licencieuse, la paix n'est pas une paix sainte et chrétienne, mais un fléau de
Dieu plus terrible que la guerre même.
Mais les véritables ennemis dont
la défaite nous est promise par le Sauveur, sont les démons nos vainqueurs dès
l'origine du monde, et nos convoitises qui nous font la guerre dans nos membres
, et nos péchés qui nous accablent, et nos faiblesses qui nous tuent, et les
terreurs de la conscience qui ne nous laissent aucun repos. Voilà les vrais
ennemis, les vrais maux dont Jésus-Christ nous délivre, « pour nous faire
marcher sans crainte en sa présence (1).»
Ce n'est pas assez de nous
délivrer des maux : le règne de Jésus-Christ nous apporte la sainteté qui doit
avoir deux qualités. La première est exprimée par ces paroles : « Afin que nous
servions en sainteté et en justice devant lui
(2) ; » c'est-à-dire dans une parfaite et véritable sainteté qui ne soit
point extérieure et aux yeux des hommes, mais aux yeux de Dieu. Car dans le
règne de Jésus-Christ, il ne s'agit pas de purifications extérieures, ni de
vaines cérémonies, ni d'une justice superficielle (3) : il faut être saint à
fond, se tenir sous les yeux de Dieu, faire tout uniquement pour celui qui sonde
le fond des cœurs, et ne songer qu'à lui plaire. Ce n'est pas assez : il faut
persévérer dans cet état : une vertu passagère
1 Luc., I, 74. — 2 Ibid.,
75. — 3 Matth., XV et XXIII.
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n'est pas digne de Jésus-Christ. Ceux qui, transportés par
la douceur d'une dévotion nouvelle, se retirent à la première tentation sont
ceux qu'il appelle « temporels (1), » ou justes pour un certain temps, et non
pour toujours. La preuve du vrai chrétien est la persévérance ; et la grâce que
Jésus-Christ nous apporte est une grâce qui premièrement nous fait vraiment
justes devant Dieu, et secondement nous fait justes, persévérants, marchant
courageusement et humblement à la fois sous les yeux de Dieu durant toute la
suite de nos jours.
Commençons donc une vie nouvelle
sous le règne de Jésus-Christ : soyons justes à ses yeux, en exterminant pour
l'amour de lui toute tache qui offenserait ses regards, et pratiquant une vertu
ferme et sévère qui ne se relâche jamais ni en rien.
« Pour exercer sa miséricorde
envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu'il avait juré à
Abraham notre père (2). » Il semble qu'il fallait dire que Dieu exerçait ses
miséricordes sur nous en mémoire de nos pères. Mais pour nous ôter davantage
toute vue de notre propre justice et nous faire mieux sentir que nous sommes
sauvés par grâce, le saint prêtre aime mieux dire qu'il exerce sa miséricorde
envers nos pères qui lui ont plu qu'envers leurs enfants ingrats ; qu'il nous
sauve par sa bonté et non à cause de nos mérites ; et pour satisfaire à sa
promesse plutôt qu'en ayant égard à nos œuvres qui sont si mauvaises.
Ce n'est pas qu'il ne faille croire que Dieu donne des
mérites à ses saints ; mais c'est que ces mérites sont des grâces : c'est que la
grâce qui nous les donne nous est donnée sans mérite : on a des mérites, quand
on est saint ; mais pour être saint, il n'y a point de mérite : la récompense
est due après la promesse, mais la
1 Marc., IV, 16, 17. — 2 Luc., I, 72, 73.
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promesse a été faite par pure bonté : la récompense est due
encore une fois à ceux qui font de bonnes œuvres, mais la grâce qui n'est point
due précède afin qu'on les fasse. Enfans de grâce et de promesse, vivez dans
cette foi : c'est la nouvelle alliance que Dieu a faite avec nous : « Que nulle
chair ne se glorifie en sa présence , et que celui qui se glorifie se glorifie
en Notre-Seigneur ».
« Selon qu'il avait juré à notre
père Abraham (2). » Je ne puis mieux exprimer le mystère de ce serment que par
ces paroles de l’Epitre aux Hébreux : « Dans la promesse que Dieu fit à Abraham
, n'ayant point de plus grand que lui par qui il put jurer, il jura par lui-même
(3), » comme il est écrit : «J'ai juré par moi-même , dit le Seigneur ; » et
ajouta : « Si je ne vous comble de bénédictions, et si je ne multiplie votre
race jusqu'à l'infini (4);» suppléez : je serai un menteur, moi qui suis la
vérité même. « Abraham ayant attendu avec patience, a obtenu l'effet de cette
promesse ; car comme les hommes jurent par celui qui est plus grand qu'eux, et
que le serment » où ils font entrer la toute-puissance et la vérité de Dieu dans
leur engagement, « est la plus grande assurance qu'ils puissent donner pour
terminer tous leurs différends, » dont aussi le serment est la décision : « Dieu
voulant aussi faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse la
fermeté immuable de sa résolution, a ajouté le serment» à sa parole : «afin
qu'étant appuyés sur ces deux choses inébranlables, par lesquelles il est
impossible que Dieu nous trompe, » c'est-à-dire sur la parole de Dieu et sur le
jurement qui la confirme, «nous ayons une puissante consolation, nous qui avons
mis notre refuge dans la possession des biens proposés à notre espérance (5). »
1 I Cor., I, 29, 31. — 2 Luc.,
I, 73. — 3 Hebr., VI, 13, 14, 17. — 4 Genes., XXII, 16-18. — 5 Hebr.,
VI, 15-18.
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Il ne faut point ici de
commentaire : il n'y a qu'à écouter toutes ces paroles, et nous en laisser
pénétrer. Prenons garde seulement qu'en nous attachant à la promesse , nous ne
présumions pas plus qu'il ne nous est promis : Dieu a promis à la pénitence la
rémission des péchés ; mais il n'a pas promis le temps de faire pénitence à ceux
qui ne cessent d'en abuser.
« Et vous, enfant, vous serez
appelé le prophète du Très-Haut (1) : » son prophète particulier et par
excellence : prophète « et plus que prophète (2), » comme l'appelle le Sauveur,
puisque non-seulement vous l'annoncerez comme celui qui va venir à l'instant,
mais encore que vous le montrerez au milieu du peuple comme celui qui est venu
(3) : « Vous marcherez devant le Seigneur pour lui préparer ses voies (4) »
Voilà donc comme Zacharie appelle Jésus-Christ « le Très-Haut » et « le
Seigneur, » c'est-à-dire dans un seul verset l'appelle par deux fois « Dieu. »
Voilà donc le caractère de la prophétie de saint Jean-Baptiste, marqué
distinctement par Zacharie, qui est de marcher devant le Seigneur pour lui
préparer sa voie. Et ce caractère est tiré de deux anciennes prophéties. L'une
d'Isaïe : «Une voix est entendue dans le désert : préparez la voie du Seigneur
et faites ses sentiers droits (5). » L'autre de Malachie en confirmation : «
J'enverrai mon ange , mon envoyé paraîtra et préparera les voies devant moi ; et
le Seigneur que vous cherchez viendra dans son temple (6). »
C'est ainsi que ce docte prêtre
établit par les prophètes la mission de son fils et le propre caractère de son
envoi, qui est de préparer les voies du Seigneur; mais il nous va encore
expliquer ce
1 Luc., I, 76. — 5 Matth.,
XI, 9. — 3 Joan., I, 15, 26, 27, 29 et seq. — 4 Luc., I, 76.— 5
Isa., XL, 3; Matth., III, 3; Marc, I, 3; Luc., III,
4. — 5 Malach., III,
1 ; Matth., XI, 10; Marc, I, 2; Luc., VIII, 27.
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que c'est que préparer les voies du Seigneur : c'est,
dit-il, « de donner à son peuple la science du salut pour la rémission de leurs
péchés (1), » qui est le propre ministère de saint Jean-Baptiste , dont saint
Paul a dit dans les Actes après les évangélistes, « que Jean avait baptisé le
peuple du baptême de pénitence ; leur disant de croire en celui qui allait
venir, c'est-à-dire en Jésus (2). »
Venons donc apprendre la grande
science, qui est la science du salut ; et apprenons qu'elle consiste
principalement dans la rémission des péchés, dont nous avons besoin toute notre
vie ; en sorte que notre justice est plutôt dans la rémission des péchés que
dans la perfection des vertus.
C'est ce qui fait dire à saint
Paul après David : « Bienheureux ceux dont sont remises les iniquités, et dont
les péchés sont couverts : bienheureux à qui le Seigneur n'impute point de péché
(3), » afin que nous entendions que ne pouvant être sans péché, notre vraie
science est celle qui nous apprend à nous en purifier de plus en plus tous les
jours, en disant avec David : « Lavez-moi de plus en plus de mon péché (4). »
Cette science est en
Jésus-Christ, dont il est écrit : « Mon serviteur en justifiera plusieurs dans
sa science, et il portera leurs iniquités (5). » Voilà donc en Jésus-Christ la
vraie science de la rémission des péchés, dont il fait l'expiation par son sang,
en les portant sur lui comme une victime ; mais Jean marche devant lui pour
montrer au peuple que c'est en lui que les péchés sont remis.
Passons donc toute notre vie
dans la pénitence, puisque la science du salut consiste dans la rémission des
péchés; et ne nous glorifions point d'une justice aussi imparfaite que la nôtre
: non qu'elle ne soit véritable et parfaite à sa manière, mais parce que la plus
parfaite en cette vie doit craindre d'être accablée parla multitude des péchés,
si elle ne prend un soin continuel de les expier par la pénitence et par les
aumônes. C'est la science que prêchait saint Jean, en criant dans le désert et
faisant retentir toute la Judée de cette voix :« Faites de dignes fruits de
pénitence (6).»
1 Luc., I, 77. — 2 Act.,
XIX, 4 ; Matth., III, 11; Marc., I, 4 ; Luc., III, 8;
Joan. I, 26, 31. — 3 Rom.,
IV, 7, 8; Psal. XXXI, 1, 2. — 4 Psal. L, 3. — 5 Isa., LIII,
11. — 6 Matth., III, 8.
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« Par les entrailles de la
miséricorde de notre Dieu (1), » c'est uniquement par là que nous trouvons la
rémission de nos péchés ; c'est par là, poursuit Zacharie, que « l'Orient nous a
visités d'en haut. » C'est là un des noms de Jésus-Christ qu'un prophète appelle
en la personne de Zorobabel : « Un homme viendra et son nom est l'Orient (2). »
Ce prophète, c'est Zacharie; et Zacharie, père de saint Jean en répète et en
explique l'oracle. Jésus-Christ est le vrai Orient, lui a qui fait lever sur
nous le vrai soleil de justice (3), » comme disait Malachie : « Pour éclairer
ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, pour dresser
nos pas dans la voie de la paix (4). »
Encore qu'on ne vous parle que
de la rémission de vos péchés, et qu'elle soit toujours nécessaire durant tout
le cours de cette vie, ne croyez pas que la justice ne soit pas infuse dans vos
cœurs par Jésus-Christ. Il n'a pris le nom d'Orient que pour nous montrer qu'il
est pour nous éclairer une lumière naissante : « Il était la véritable lumière ,
qui éclaire tout homme venant au monde (5). » Quand cette lumière commence à
paraître, elle s'appelle Orient, et c'est un des noms de Jésus-Christ. Comme
donc le soleil levant ne dissipe les ténèbres, qu'en répandant la lumière dont
il embellit l'univers, ainsi le vrai Orient, qui se lève maintenant d'en haut
lorsqu'il sort du sein de son Père pour nous éclairer, ne nous remet nos péchés
qu'en nous remplissant de la lumière de la justice , par laquelle nous sommes
nous-mêmes « lumière en notre Seigneur : car vous étiez, dit saint Paul, les
ténèbres » mêmes, « mais à présent vous êtes lumière (6) ; » non point toutefois
en vous-mêmes, mais en Jésus-Christ qui vous apprend à marcher toujours les yeux
ouverts , et à dresser incessamment vos regards vers lui, par une bonne et
droite intention dont s'ensuivra dans tout votre corps, dans toute votre
personne, une lumière éternelle et un flambeau lumineux dont vous serez éclairé.
« Pour dresser nos pas dans le
chemin de la paix (7). » O paix, le cher objet de mon cœur ; ô Jésus, qui « êtes
» ma « paix (8), » qui me mettez en paix avec Dieu, avec moi-même , avec tout le
1 Luc., I, 78. — 2 Zachar., VI,
12. —3 Malach., IV, 2.— 4 Luc., I, 79; Isa., IX, 1.
2. — 5 Joan., I, 9. — 6 Ephes., V, 8. — 7 Luc., I, 79. — 8
Ephes., II, 14.
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monde , « qui » par ce moyen « pacifiez le ciel et la terre
(1), » quand sera-ce, ô Jésus , quand sera-ce que , par la foi de la rémission
des péchés, par la tranquillité de ma conscience, par une douce confiance de
votre faveur et par un entier acquiescement, ou plutôt un attachement, une
complaisance pour vos éternelles volontés dans tous les événements de la vie, je
posséderai cette paix qui est en vous, qui vient de vous et que vous êtes
vous-même?
« L'enfant croissait, et son
esprit se fortifiait, et il était dans le désert jusqu'au jour de sa
manifestation dans Israël (2). » Ce que Dieu fait dans cet enfant est inouï.
Celui qui dès le sein de sa mère avait commencé à éclairer saint Jean-Baptiste
et à le remplir de son Saint-Esprit, se saisit de lui dès son enfance ; et il
paraît que dès lors il se retira dans le désert, sans qu'on puisse dire à quel
âge. Que ne faut-il point penser d'un jeune enfant, qu'on voit tout d'un coup
après le grand éclat que fit sa naissance miraculeuse, disparaître de la maison
de son père pour être seul avec Dieu, et Dieu avec lui? Loin du commerce des
hommes, il n'en avait aucun qu'avec le ciel; il se retire de si bonne heure
d'une maison sainte, d'une maison sacerdotale , d'avec des parents d'une
sainteté si éminente, élevés au rang des prophètes, dont il devait être la
consolation ; mais les saints n'en ont point d'autre que de tout sacrifier à
Dieu.
Qui n'admirerait cette profonde
retraite de saint Jean-Baptiste? Que ne lui disait pas ce Dieu qui était en lui,
et pour qui dès son enfance il quittait tout? Que ne lui disait-il point dans ce
silence où il se mettait pour n'écouter que lui seul ? « La langue , dit saint
Jacques, est la source de toute iniquité (3) : » qui veut fuir le péché doit
fuir la conversation. Ce fut l'esprit de saint Jean-Baptiste qui s'est perpétué
dans les solitaires. Une voix fut portée à saint Arsène : « Fuis les hommes, »
oui, si tu veux fuir le péché
1 Coloss., I, 20. — 2 Luc.,
I, 80. — 3 Jacob., III, 6.
258
et ne pécher point en ta langue. Mais à qui cette parole
a-t-elle été dite plus tôt qu'à saint Jean-Baptiste, poussé au dedans par le
Saint-Esprit à se retirer dès son enfance dans le désert ?
Tout le reste suivit. Cet homme
dès son enfance, d'une retraite et d'un silence si prodigieux, mène une vie si
étonnante : n'ayant pour tout habit «qu'un » rude «cilice de poils de chameaux,
une ceinture » aussi affreuse « sur ses reins, pour toute nourriture des
sauterelles, » sans qu'on explique comment il les rendait propres à sustenter sa
vie, « et du miel sauvage (1), » et dans sa soif de l'eau pure. Le désert lui
fournissait tout ; et sans rien emprunter des villes ni des bourgades, il n'eut
aucune société avec les hommes mauvais, dont il venait reprendre les vices et
réprimer les scandales.
Cette vie rude et rigoureuse
n'était pas inconnue dans l'ancienne loi : on y voit dans ses prophètes les
nazaréens qui ne buvaient point de vin (2) : on y voit dans Jérémie (3) les
réchabites qui, non contents de se priver de cette liqueur, ne labouraient, ni
ne semaient, ni ne cultivaient la vigne, ni ne bâtissaient de maison, mais
habitaient dans des tentes : le Seigneur les loue par son prophète Jérémie
d'avoir été fidèles au commandement de leur père Jonadab ; et leur promet en
récompense que leur institut ne cesserait jamais : les esséens, du temps même du
Sauveur, en tenaient beaucoup : la vie prophétique qui paraît dans Elie, dans
Elisée, dans tous les prophètes, était pleine d'austérités semblables à celle de
Jean-Baptiste, et se passait dans le désert, où ils vivaient pourtant en société
avec leur famille. Mais que jamais on se fût séquestré du monde et dévoué à une
rigoureuse solitude autant et d'aussi bonne heure que Jean-Baptiste, avec une
nourriture si affreuse, exposé aux injures de l'air et n'ayant de retraite que
dans les rochers ; car on ne nous parle point de tentes ni de pavillons ; sans
secours, sans serviteurs et sans aucun entretien, c'est de quoi on n'avait
encore aucun exemple.
C'est une autre sorte de prodige
que Jean-Baptiste, qui avait senti sur la terre le Verbe incarné dès le sein de
sa mère, et à qui
1 Matth., III, 4. — 2 Num., VI, 1 et seq.;
Jud., XIII, 5, 1 ; Thren., IV, 1; Amos, II, 11; I Machab.,
III, 49. — 3 Jerem., XXXV, 5-7 et seq.
209
son père avait prédit qu'il en serait le prophète et lui
devait préparer les voies, ne quitta point son désert pour l'aller voir parmi
les hommes. Il le connaissait si peu, qu'il fallut que le Saint-Esprit lui
donnât un signe pour le connaître, quand le temps fut arrivé de le manifester au
monde. Pousser la retraite jusqu'à se priver de la vue et de la conversation de
Jésus-Christ, c'est une sorte d'abstinence plus divine et plus admirable que
toutes celles que nous avons vues dans saint Jean-Baptiste. Il savait que le
Verbe opère invisiblement, et de loin comme de près : il s'occupait de ses
grandeurs qu'il devait prêcher : il l'adorait dans le silence , avant que de
l'annoncer par sa parole : il l'écoutait au dedans : il s'enrichissait de son
abondance, de sa plénitude, avant que d'apprendre aux hommes à s'en approcher.
Que ne pensait-il point en attendant ce « Dieu » que « personne n'avait vu, mais
» que « son Fils unique qui était dans son sein » venait « annoncer (1) ? »
C'est ce que saint Jean devait prêcher : c'est ce qu'il contemple en secret, et
ne demande à voir ce Fils unique que dans le temps que Dieu le ferait paraître
pour le montrer et lui préparer les voies. Ainsi attaché aux ordres de Dieu,
sans s'ingérer de quoi que ce soit, sans aucun empressement de paraître, il
passa sa vie dans le désert jusqu'à ce que l'heure destinée de Dieu pour sa
manifestation en Israël fût arrivée.
Mourez, orgueil humain ; mourez, curiosité , empressement,
désir de paraître : si vous voulez préparer la voie à Jésus et l'introduire dans
vos cœurs, mourez tous à la gloire humaine : mourez-y principalement, solitaires
sacrés, imitateurs de saint Jean-Baptiste et des prophètes : puissiez-vous aimer
la vie séparée : quitter les villes : aimer le désert, vous en faire un dans les
villes mêmes, et recevoir la bénédiction des enfants de Jonadab fidèles aux
institutions de leur père. Mais nous, fidèles, soyons-le donc à plus forte
raison aux commandements sortis de la bouche de Dieu. Si les réchabites, si les
moines ont avec raison tant de scrupule, tant de honte de manquer à leurs
règles, combien devons-nous trembler à manquer à la loi de Dieu, dit le Seigneur
par la bouche de son prophète Jérémie (2) !
1 Joan., I, 18. — 2 Jerem.,
XXXV, 13, 14 et seq.
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