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JÉRÉMIE
ET JONAS FIGURES DE JÉSUS-CHRIST.
XCVIIIe JOURNÉE. Jérémie figure de Jésus-Christ. Prédictions de ce prophète.
XCIXe JOURNÉE. Les souffrances de Jérémie.
Ce JOURNÉE. Jérémie persécuté par ses disciples. Autorité publique.
CIe JOURNÉE. Jérémie dans le cachot ténébreux.
CIIe JOURNÉE. Jérémie figure de Jésus-Christ par sa patience.
CIIIe JOURNÉE. Patience de Jérémie dans le cachot.
CIVe JOURNÉE. Jérémie priant avec larmes pour son peuple qui l'outrage, figure
de Jésus-Christ.
CVe JOURNÉE. Jérémie excuse au moins son peuple, n'osant prier pour lui.
CVIe JOURNÉE. Les Juifs mêmes reconnaissent Jérémie pour leur intercesseur.
CVIIe JOURNÉE. Dieu rejette l'intercession de ce prophète.
CVIIIe JOURNÉE. Regrets de Jérémie de n'être au monde que pour annoncer des
malheurs.
CIXe JOURNÉE. Jérémie annonce à son peuple sa délivrance.
CXe JOURNÉE. Jonas dans le ventre de la baleine; autre figure de Jésus-Christ.
CXIe JOURNÉE. Prédication de Jonas à Ninive.
« Lequel des prophètes vos pères
n'ont-ils point persécuté (2)? » Un de ceux qu'ils ont le plus persécutés, pour
leur avoir dit la vérité et qui par là s'est rendu une des plus illustres
figures de Jésus-Christ, continuellement persécuté pour le même sujet, c'est le
prophète Jérémie. C'a été un des plus saints hommes de l'ancienne loi : c'est le
seul de tous les prophètes dont il est écrit : « Je t'ai connu avant que de
t'avoir formé dans le sein de ta mère, et avant que tu en sortisses, je t'ai
sanctifié (3). » Une sainteté avancée dans ce prophète, a été une des figures
les plus excellentes de celle du Saint des saints : mais comme Dieu voulait
donner à Jérémie une grande part à la sainteté de Jésus-Christ, il lui en a
donné une très-grande à ses persécutions et à sa croix.
Dieu avait choisi Jérémie pour
annoncer à son peuple deux terribles vérités : l'une, que la cité sainte et le
temple même allaient être détruits et réduits en cendre par l'armée de
Nabuchodonosor : l'autre, que le seul moyen qui restait au peuple, aux princes,
au roi même, d'éviter le dernier coup, était de se soumettre volontairement à ce
roi que Dieu avait choisi pour son vengeur : en sorte qu'il ne voulait pas qu'on
lui résistât, mais qu'on subit volontairement le joug que Dieu avait mis entre
ses mains pour l'imposer au roi de Judée et à tout son peuple.
2 Act., VII, 52. — 3 Jerem., I, 5.
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Jérémie par ordre de Dieu annonçait ces vérités : « Quoi,
je ne visiterai pas les iniquités de ce peuple, dit le Seigneur? Je ferai de
Jérusalem un monceau de sable, la retraite des serpents; et les villes de Juda
seront désolées et sans habitants (1). Voici ce que dit le Seigneur, »
s'écrie-t-il en un autre endroit : « J'amènerai sur cette ville des maux
horribles, en sorte que tous ceux qui les écouteront, leurs oreilles leur
tinteront d'étonnement et de frayeur. Elle sera un sujet d'étonnement, de
dérision et de sifflement à toute la terre : et tu briseras en leur présence un
pot de terre ; et tu diras: Ainsi je briserai mon peuple, et je mettrai cette
ville en pièces, comme on y met un pot de terre (2) : » ce ne sera pas comme on
brise un vaisseau d'or, ou d'étain, ou de quelque autre métal qu'on peut
refondre et ressouder : « mais ce sera comme on casse, et on met en pièces un
pot de terre qu'on ne peut plus raccommoder : et ils seront ensevelis dans
Tophet, » lieu abominable, parce que toute la ville sera ruinée, et les environs
seront remplis de ses ruines ; « et il ne restera pour les ensevelir que cette
exécrable vallée, » infâme à jamais par les sacrifices impies qu'y ont offerts
les Israélites, en brûlant leurs fils et leurs filles à Moloch : « Ainsi je
ferai à cette ville et à tous ses liai titans : elle sera déserte et abominable
comme Tophet. » Et pour ce qui regardait le temple : « Ne vous fiez point,
disait-il, en ces paroles de mensonge, en disant : Le temple du Seigneur, le
temple du Seigneur, le temple du Seigneur : » comme si la sainteté de ce temple
était capable de vous sauver seule : « car je ferai à cette maison en laquelle
mon nom a été invoqué, comme j'ai fait à Silo, ancienne demeure de l'arche que
j'ai détruite et rejetée (3). » Et le Seigneur dit encore à Jérémie : « Va-t'en
à l'entrée de la maison du Seigneur : » car c'est là que je veux que tu en
annonces la ruine ; « et tu leur diras : Je ferai que cette maison sera comme
Silo un lieu désert et abandonné, et je ferai que cette ville sera en
malédiction à tous les habitants de la terre (4). »
Il n'épargnait pas les rois : «
Voici ce que dit le Seigneur à Joachim, fils de Josias, roi de Juda : on ne
pleurera point à sa
1 Jerem., IX, 9, 11. — 2 Jerem.,
XIX, 3, 8, 10, 11. — 4 Jerem., VII, 4, 12, 14. — 5 Jerem., XXVI,
2, 6.
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sépulture et ses sœurs ne diront pas : Hélas! mon frère :
ni elles ne se plaindront les unes les autres, en disant : Hélas ! ma sœur : on
ne criera point en pleurant : Hélas ! Prince : hélas ! Seigneur : Il sera
enseveli de la sépulture d'un âne ; il est pourri, et on l'a jeté hors des
portes de Jérusalem. » Son fds ne sera pas plus heureux : « Quand Jéchonias, fds
de Joachim, roi de Juda, serait comme un anneau dans ma main droite, je l'en
arracherai, dit le Seigneur : Je te livrerai entre les mains du roi de Babylone
; et je t'enverrai toi et ta mère qui t'a porté dans ses entrailles, dans une
terre étrangère, et vous y mourrez. Terre, terre, terre, écoute la parole du
Seigneur : Voici ce que dit le Seigneur : Ecris que cet homme sera stérile et
n'aura aucune prospérité durant ses jours, » parce qu'encore qu'il doive avoir
des enfants, « il n'en aura point qui lui succède, ni qui soit assis sur le
trône de David (1). »
Il ne prédisait pas à Sédécias
une plus heureuse destinée : « Voici ce qu'a dit le Seigneur au roi qui est
assis sur le trône de David et à tout le peuple : Je vous enverrai le glaive et
la famine et la peste : et vous serez en étonnement, en sifflement et en horreur
à tous les peuples du monde (2). Sédécias roi de Juda n'évitera pas les mains
des Chaldéens et du roi de Babylone (3), » et le reste qu'il prophétisa
publiquement et en présence du roi, durant que la ville était assiégée (4).
Jérémie était devenu odieux aux
rois, aux sacrificateurs, aux prophètes et à tout le peuple, à cause qu'il
annonçait ces vérités. Et ce qui les animait davantage, c'est qu'il leur disait
que c'était à cause de leurs péchés, de leurs idolâtries, de leurs injustices,
de leurs violences, de leurs fraudes, de leur avarice, de leurs impudicités et
de leurs adultères, de leur endurcissement et de leur impénitence, que tous ces
maux leur arriveraient, sans qu'il y eut pour eux aucune ressource : « Voici ce
que dit le Seigneur : Ne vous trompez pas vous-mêmes, en disant : Les Chaldéens
se retireront : » car ils reviendront bientôt; « et ne se retireront plus: et
ils prendront, et ils brûleront cette ville. Et quand vous auriez défait toute
leur armée et taillé en pièces vos ennemis, en sorte
1 Jerem., XXII, 18, 19, 24-20,
20, 30. — 2 Jerem., XXIX, 10, 18. — 3 Jerem. XXXII, 4. — 4
Jerem., XXXIV, 1, 2, 4.
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qu'il n'y reste qu'un petit nombre de blessés, ils
sortiront de leurs tentes un à un, et ils brûleront cette ville (1). » La seule
ressource qu'il leur annonçait, était de se rendre aux ennemis : « Tu diras à ce
peuple : Voici ce que dit le Seigneur : Je mets devant vous la voie de la vie et
la voie de la mort. Celui qui demeurera en cette ville mourra de l'épée, de la
famine et de la peste : mais celui qui en sortira et se rendra aux Chaldéens qui
vous assiègent, vivra et son âme lui sera comme une dépouille qu'il aura sauvée
des mains des ennemis : car j'ai mis ma face contre cette ville en mal, et non
pas en bien : et il faut qu'elle soit livrée au roi de Babylone et qu'il la
consume par le feu (2) : » ce qu'il répéta encore à Sédécias (3).
Telles étaient les dures vérités
que Dieu mettait en la bouche du prophète Jérémie, et ce qu'il souffrit à ce
sujet durant quarante-cinq ans que dura son ministère est inouï. Il avait à
souffrir mille indignités, qui lui faisaient dire: « J'ai été en dérision à tout
mon peuple, le sujet de leurs chansons tout du long du jour et l'objet de leur
moquerie. Il m'a rempli d'amertume : il m'a enivré d'absinthe : je ne connais
plus le repos : j'ai oublié tous les biens. » On en venait jusqu'aux coups : et
il disait : « Le solitaire s'assiéra, et se taira : il baisera la terre et
mettra sa bouche dans la poudre, pour voir s'il lui restera quelque espérance »
d'être écouté dans ses prières : « il livrera sa joue aux coups : il sera
rassasié d'opprobres. » On voit dans ce dernier trait une image expresse du Fils
de Dieu. Et un peu après : « O Seigneur, vous m'avez mis au milieu du peuple
comme un arbre déraciné : » comme le mépris de tous les hommes : « Tous mes
ennemis ont ouvert impunément la bouche contre moi (4). » Ce fut dans sa patrie,
dans la
1 Jerem., XXXVII, 8, 9. — 2 Jerem., XXI,
8-10. — 3 Jerem., XXXVIII, 17, 18 et suiv. — 4 Lament., III, 14,
15, 17, 28-30, 45, 46.
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ville d'Anathoth, ville sainte et sacerdotale, qu'il eut le
plus à souffrir de ses citoyens et des sacrificateurs ses compagnons : on y
conspira contre sa vie : « Et j'étais, dit-il, comme un agneau innocent et doux
qu'on porte au sacrifice : et je ne savais pas ce qu'ils machinaient contre moi,
en disant : Mettons dans son pain un bois » empoisonné : « effaçons-le du nombre
des vivants, et qu'on ne parle plus de lui sur la terre. » Et ils lui disaient :
« Ne prophétisez plus au nom du Seigneur, si vous ne voulez mourir entre nos
mains: » mais il fallut obéir à Dieu, et il prophétisa contre Anathoth d'une
manière terrible : «Je visiterai les habitons d'Anathoth : leurs jeunes gens
mourront de l'épée, dit le Seigneur des armées : leurs jeunes enfants et leurs
filles mourront de faim et de peste : et il ne restera rien de cette ville :
j'amènerai tout le mal sur Anathoth et l'an de sa visite sera plein d'effroi
(1). »
Ainsi en arriva-t-il à notre
Sauveur dans Nazareth. « Il ne pouvait y faire beaucoup de miracles à cause de
leur incrédulité : car ils se disaient l'un à l'autre : N'est-ce pas là ce
charpentier fils de Marie, frère de Jacques et de Jean ? Et n'avons-nous pas ses
sœurs parmi nous ? Et ils le méprisèrent (2). » Il éprouva, comme Jérémie, la
vérité de ce proverbe : « Le prophète n'est point reçu dans sa patrie : » il
s'en plaignit. « Et ses citoyens remplis de colère le traînèrent hors de leur
ville, au plus haut de la montagne où leur ville était bâtie, pour le précipiter
du haut en bas (3). »
Ce n'était pas seulement ses
concitoyens qui machinaient contre lui à cause de ses prophéties : tous les
peuples s'encourageaient à le perdre et ils se disaient les uns aux autres : «
Venez, entreprenons contre Jérémie : il n'est pas le seul prophète, ni le seul
sacrificateur, ni le seul sage : venez, frappons-le avec la langue et ne prenons
pas garde à tous ses discours. Vous savez, Seigneur, tout ce qu'ils ont
entrepris contre ma vie : ils creusaient des abîmes sous mes pieds; partout ils
me tendaient des pièges (4). Ses meilleurs amis, qui semblaient le garder,
entraient dans ces pernicieux conseils : tous ne songeaient qu'à le tromper et à
se venger de lui (5), » parce qu'il leur prophétisait des malheurs. Ainsi à
chaque
1 Jerem., XI, 19, 21-23. — 2 Marc., VI, 3-5.
— 3 Marc., VI, 4 ; Luc., IV, 24, 28, 29. — 4 Jerem., XVIII,
18, 22, 23. — 5 Jerem., XX, 10
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pas du Sauveur, il trouvait des entreprises contre sa
personne. On l'appelait démoniaque, imposteur : on le chargeait de toute sorte
d'injures, pour animer contre lui la haine publique : et par deux fois en
très-peu de jours, on leva des pierres pour le lapider: ses frères mêmes ne
croyaient pas en lui (1), et il fut livré par un de ses disciples.
Venons à ce que souffrit
Jérémie, non plus seulement par de secrets complots, mais par l'autorité
publique : « Phassur, sacrificateur, fils d'Emmer, qui était prince dans la
maison du Seigneur, entendit les discours de Jérémie; et il frappa ce prophète,
» comme le prince des prêtres fit frapper le visage de saint Paul; « et il mit
Jérémie dans les entraves; et il l'en tira le matin (2) » et le prophète qu'il
avait injustement maltraité, lui annonça sa destinée et celle de tout le peuple.
Une autre fois, comme Jérémie venait de prophétiser la ruine du temple devant le
temple même, « les sacrificateurs et les prophètes, et tout le peuple se
saisirent de lui ; et ils disaient tous ensemble : Il faut qu'il meure : » et
ils le déférèrent «aux princes de la maison de Juda, en disant: Cet homme doit
être condamné à mort, parce qu'il a prophétisé contre cette ville et contre le
temple, et qu'il a dit que le Seigneur en ferait comme de Silo (3). » Jésus fut
accusé du même crime (4) : on lui imputait d'être le destructeur du temple : les
sacrificateurs étaient à la tête de ses ennemis; et comme un autre Phassur, Anne
et Caïphe les souverains sacrificateurs le persécutaient et prophétisèrent
contre lui : « Vous ne savez rien, dit Caïphe; et vous ne pensez pas qu'il faut
qu'un homme meure pour tout le peuple, et que la nation ne périsse pas (5) : »
et les sacrificateurs et les docteurs de la loi prononcèrent l'un api es
l'autre, comme ils avaient
1 Joan., VIII, 50; X, 31.— 2
Jerem. XX, 1-3. — 3 Jerem., XXVI, 2, 6-9, 11. — 4 Matth.,
XXVI, 57, 59, 61. — 5 Joan., XI, 47, 49, 50.
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fait autrefois contre Jérémie : « Cet homme est coupable de
mort (1). » Mais Dieu ne voulait pas que Jérémie mourût selon leurs désirs: et
la sentence des pontifes contre Jésus-Christ fut exécutée.
Jérémie fut fait prisonnier du
temps du roi Joachim à cause de ses prophéties : mais, comme dit saint Paul, «
la parole de Dieu n'est point liée, » l'ordre de Dieu vint à ce prophète
d'écrire au roi Joachim ce qu'il avait prophétisé de vive voix : il manda
Baruch, fils de Nérias, et il lui dicta ce qui devait arriver au roi et au
peuple; puis il lui dit : « Je suis prisonnier et je ne puis entrer dans la
maison du Seigneur : allez-y donc, et lisez au peuple, au jour du jeune
solennel, les paroles de Dieu que vous venez d'ouïr de ma bouche : » et le
discours fut porté au roi, et un secrétaire le mit en pièces, et le roi le fit
brûler : et Jérémie dicta de nouveau tout ce qui était contenu dedans, et ajouta
beaucoup d'autres choses encore plus terribles (2). Jérémie fut fidèle à Dieu,
et continua à annoncer constamment sa parole.
Après que le saint prophète eut
été mis en liberté, il allait dans la terre de Benjamin pour quelques affaires,
comme Dieu le lui avait ordonné : et comme il avait prophétisé qu'il n'y avait
de salut que de se rendre au roi de Babylone qui assiégeait Jérusalem, on le
soupçonna de s'y aller rendre lui-même, et il répondit : « Il n'est pas vrai :
je ne vais point me livrer aux Chaldéens : » car il fallait que cela se fit par
autorité publique et que le roi lui-même en donnât l'ordre. On ne voulut pas
croire le saint prophète; et les princes après l'avoir fait battre de verges, le
jetèrent dans le cachot (3) noir et profond, dont le fond était de la boue.
Jérémie y fut descendu avec des cordes, et on l'y laissa longtemps, afin qu'il y
mourût : car il n'y avait plus de pain dans la ville et on le laissait
1 Joan., XVIII, 13, 14; Matth.,
XXVI, 66. — 2 Jerem., XXXVI, 2, 4-6, 8, 13, 21, 23, 28, 32. — 3 Jerem.,
XXXVII, 4, 11-15.
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soit mourir de faim : et les princes dirent au roi : « Nous
vous prions que cet homme meure : car il abat le courage de ce qui reste dans
cette ville de gens courageux, en disant qu'il faut se rendre (1). » Le voilà
donc accusé de crime d'état par les seigneurs : et le roi acquiesça à leur
sentiment : mais Dieu lui changea le cœur, et trente hommes tirèrent Jérémie du
lac de boue par son ordre.
Lorsque le prophète fut jeté
dans le cachot ténébreux, il fit cette lamentation : « Je vois maintenant toute
ma misère, et je sens la verge de la colère de Dieu dont il me frappe. Il m'a
éloigné de la lumière : il m'a jeté dans les ténèbres : ma peau s'est desséchée
: ma chair est sans suc : mes os sont rompus : un épais bâtiment me serre : je
suis environné de fiel et de travail : il m'a mis dans les ténèbres, comme les
morts qui ne sortiront jamais de leur cercueil : je suis resserré de tous côtés.
Mes entraves sont appesanties : je suis enfermé dans un cachot de pierres
taillées et il n'y a point de sortie. » On ne me donne que du pain rempli de
pierre : « je ne suis nourri que de cendre » et de poussière : « je suis enfoncé
dans le lac et on a mis sur moi une pierre : les eaux » d'un lieu si humide «
sont tombées sur moi; j'ai dit : Je suis perdu (2). »
Telles furent les souffrances de
Jérémie, pour avoir dit la vérité : c'est ainsi qu'il porta les traits de celles
du Sauveur qui, comme lui, fut accusé d'être un séducteur et de soulever le
peuple contre l'empereur et contre l'empire; en sorte qu'il fallait le perdre
comme un séditieux et comme ennemi du prince. Jérémie eut part à cet opprobre du
Sauveur. Mais il en est encore plus la digne figure par sa douceur et sa
patience que par les cruautés qu'on exerça sur lui injustement. Lorsque les
sacrificateurs et les prophètes
1 Jerem., XXXVIII, 4-6, 9, 10. — 2 Lament.,
III, 1, 2,4-7, 9, 16, 53, 54.
294
et le peuple le voulaient traîner à la mort, et criaient
avec fureur qu'il le fallait faire mourir, il dit aux princes et au peuple qui
l'allaient juger : «Le Seigneur m'a envoyé pour prophétiser toutes les choses
que j'ai prédites à ce temple et à cette ville : maintenant donc corrigez-vous
et changez vos mauvaises inclinations, et écoutez la voix du Seigneur votre
Dieu; et peut-être que le Seigneur se repentira du mal qu'il a prononcé contre
vous. Pour moi je suis entre vos mains : faites de moi ce qu'il vous plaira :
mais sachez et apprenez que si vous me faites mourir, vous livrerez un sang
innocent contre vous-même et contre cette ville et ses habitants: car en vérité,
le Seigneur m'a envoyé à vous, afin de faire entendre toutes ces paroles à vos
oreilles (1). » Dieu permit qu'il les apaisât par des paroles si douces. On y
voit une disposition admirable, puisque par lui-même prêt à mourir comme à
vivre, il ne craint dans sa mort que les châtiments qu'elle attirera sur tout le
peuple : et il dit à Sédécias dans ce même esprit : « Que vous ai-je fait, et
qu'ai je fait à vos serviteurs et à tout le peuple, » que vous m'avez jeté dans
le cachot ? « Où sont vos prophètes qui vous disaient que le roi de Babylone ne
viendrait point? »Le voilà à vos portes, et je n'ai fait que vous annoncer ce
que Dieu avait résolu. « Ne me renvoyez » donc « point dans » ce lac, « de peur
que je n'y meure (2) : » où il faut suppléer ce qu'il avait dit ailleurs : « et
que Dieu ne vous redemande un sang innocent (3). » Car pour lui la mort ne le
touchait pas, et surtout après la perte de sa patrie, puisqu'il disait : « Ne
plaignez point le mort et ne versez point de larmes sur lui; mais pleurez celui
qui sort de son pays, parce qu'il ne retournera plus et ne verra jamais sa terre
natale (4). » Un prophète nommé Hananias prêchait tout le contraire de ce que
prêchait Jérémie et ne donnait que « deux ans » au peuple, après lesquels on
rapporterait à Jérusalem tous les vaisseaux qui avaient été enlevés du temple :
et « Jérémie » entendant ces belles promesses, sans contredire davantage le faux
prophète, lui « dit , devant tous les prêtres et devant le peuple: Ainsi
soit-il, Hananias! Que le Seigneur fasse comme vous dites : puissent vos paroles
1 Jerem., XXVI, 11-15.— 2
Jerem., XXXVII, 17, 18. — 3 Jerem., XXVI, 15. — 4 Jerem.,
XXII, 10.
295
être accomplies » plutôt que les miennes, « et que nous
voyions revenir les vaisseaux sacrés et tous nos frères qui ont été transportés
à Babylone ! Mais écoutez ces paroles que je vous annonce et à tout le peuple :
Les prophètes qui ont été avant vous et avant moi, ont été reconnus pour tels
quand leur prédiction a été accomplie, et alors on a vu qui était celui que le
Seigneur avait envoyé en vérité. Et en même temps Hananias ôta du col de Jérémie
la chaîne de bois » que ce prophète y avait mise par ordre de Dieu, en figure de
la captivité future de plusieurs peuples : « et Hananias la mit en pièces et il
dit : Ainsi Dieu brisera dans deux ans le joug que Nabuchodonosor, roi de
Babylone, a imposé à tous les peuples. Et Jérémie, » sans rien répliquer, « se
retirait » tranquillement : « mais la parole du Seigneur lui fut adressée, et il
lui fut dit : Va et tu diras à Hananias : Ecoute, Hananias : le Seigneur ne t'a
pas envoyé et tu as donné à ce peuple une confiance trompeuse : pour cela voici
ce que dit le Seigneur : Je t'ôterai de dessus la terre : tu mourras dans l'an,
parce que tu as parlé contre le Seigneur : et le prophète Hananias mourut dans
l'an au septième mois (1). » Ainsi Jérémie toujours patient et par lui-même prêt
à céder à tous ceux qui parlaient au nom du Seigneur, ne disait des choses
fortes que lorsque le Seigneur le faisait parler, et se montrait tout ensemble
le plus doux et le plus ferme de tous les hommes de son temps, en figure de
Jésus-Christ qui disait, lorsqu'on lui donnait un soufflet : « Si j'ai mal dit,
convainquez-moi : si j'ai bien dit, pourquoi me frappez-vous (2)? » Et ailleurs
: « Je ne suis point un possédé, mais je glorifie mon Père (3); » et encore : «
Vous cherchez à me tuer, moi qui vous ai dit la vérité : Abraham dont vous vous
vantez d'être les enfants, n'a pas fait ainsi *. » C'est ainsi que, sans armer
sa justice, il leur reprochait leurs sanguinaires desseins : et encore qu'il eût
en main la vengeance de leur incrédulité, personne n'a été frappé de mort, comme
le fut Hananias pour avoir contredit Jérémie. Il n'a eu que de la douceur pour
ses ennemis; et pour épargner les hommes, il n'a montré la puissance qui lui
était donnée pour punir, que
1 Jerem., XXVIII, I et seq. — 2
Joan., XVIII, 23. — 3 Joan., VIII, 49. — 4 Ibid., 40.
296
sur cet arbre qui fut desséché à sa voix ; car il fallait
que sa bonté
éclatât au-dessus de celle de Jérémie, et nul homme ne
devait
périr à ses yeux ni à sa parole.
§Il est vrai qu'il apprend aux Juifs avec indignation le
châtiment inévitable de leur infidélité. Et vous, allez, disait-il,
«accomplissez la mesure de vos pères : Serpents, engeance de vipères, comment
éviterez-vous la damnation de la géhenne, c'est à-dire l'enfer (1)?» Mais tout
cela qu'était-ce autre chose, que leur prédire leurs malheurs, afin qu'ils les
évitassent? «Je vous envoie, disait-il, des prophètes et des sages et des
docteurs : vous en tuerez et crucifierez quelques-uns; vous en flagellerez
d'autres et vous les poursuivrez de ville en ville, afin que tout le sang
innocent tombe sur vous, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de
Zacharie, fils de Zarachie, que vous avez fait mourir entre le temple et l'autel
(2). » N'était-ce pas leur faire voir leur perte future, et cependant autant
qu'il pouvait, épargner leur sang? Ce qui fait même qu'en leur faisant voir la
tempête qui les menaçait, il leur montre le sur asile qu'ils pouvaient trouver
sous ses ailes : « Jérusalem, Jérusalem, qui fais mourir les prophètes, et qui
lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes
enfants sous mes ailes, comme la poule renferme son nid sous les siennes: et tu
n'as pas voulu (3). » N'impute donc tes malheurs qu'à toi-même : et si tu veux
les éviter, reviens à moi ; il est encore temps, et je suis prêt à te recevoir.
Mais l'endroit où Jérémie fit le
mieux paraître l'image de la douceur et de la patience qui devait reluire dans
la passion du Sauveur, fut celui où on le mit dans le cachot. Car alors sans
murmurer, sans se plaindre, au milieu de tant de douleurs et de tant
d'angoisses, il parla en cette sorte : « Mon âme a dit : Le Seigneur
1 Matth., XXIII, 32, 33. — 2 Ibid., 34, 35. —
3 Ibid., 37.
207
est mon partage : j'attendrai ses miséricordes, sans
lesquelles nous serions déjà tous consumés : le Seigneur est bon à celui qui
espère en lui et à l’âme qui le cherche : il est bon d'attendre en silence le
salut que Dieu envoie. » Loin de se plaindre de la longue suite des maux qu'il
avait eu à souffrir : « Il est bon à l'homme, disait-il, de porter le joug » et
d'être exercé par les souffrances « dès sa jeunesse. Le solitaire s'assiéra et
demeurera dans le silence ; » il ne s'agitera pas et ne criera pas dans ses
douleurs, « parce qu'il lèvera» ce joug salutaire et le mettra « sur lui-même. »
Quelque rebuté qu'il se sente par un Dieu qui semble le frapper sans
miséricorde, il baisera la terre et « mettant sa bouche dans la poussière, » il
attendra humblement « s'il y a encore quelque chose à espérer. » Loin de
s'irriter contre ses persécuteurs, « il donnera sa joue à qui le voudra frapper
et se rassasiera d'opprobres (1). » C'est ainsi que ce solitaire, cet homme
accoutumé à se retirer sous les yeux de Dieu et à répandre son cœur devant lui,
porte en patience les injustes persécutions que lui fait son peuple et ne se
laisse aigrir par aucune injure.
Loin de s'arrêter à la main des
hommes qui, à ne regarder que l'extérieur, semble seule le frapper, il lève les
yeux au ciel : « Et, dit-il, qui est celui qui osera dire que les maux puissent
arriver autrement que par l'ordre du Seigneur? Et qui dira : Le bien et le mal
ne sortent point de la bouche du Très-Haut? Ou pourquoi l'homme murmurer a-t-il
de ce qui lui est imposé pour ses péchés? Recherchons nos voies dans le fond de
nos consciences, et cherchons le Seigneur, et retournons à lui. Levons nos cœurs
et nos mains au ciel vers le Seigneur, et disons-lui : Nous avons péché, et nous
avons irrité votre colère : c'est pour cela que vous êtes inexorable : vous nous
avez couverts de votre fureur : vous nous avez frappés sans miséricorde : et
vous avez mis un nuage entre vous et nous, pour empêcher notre prière de passer
jusqu'à vous (2). »
C'est ainsi que ce saint prêtre,
à la manière des sacrificateurs infirmes, qui sont eux-mêmes revêtus de
faiblesse, priait pour ses péchés et pour ceux du peuple, laissant au vrai
sacrificateur selon l'ordre de Melchisédech la gloire de ne prier et ne gémir
1 Lament., III, 22, 24-30. — 2 ibid., 37-44.
298
que pour les autres. Et pour imiter le « gémissement qu'il
a fait pour nous à la croix avec un grand cri et beaucoup de larmes (1) » ce
saint prophète dans ce lac affreux , dans ce cachot plein de boue, où le jour
n'entra jamais, sous cette pierre qui le couvrait par en haut et au milieu de
ces tristes et impénétrables murailles, où il avait à peine la liberté de
respirer : dans la faim qui le pres-soit, prêt à rendre les derniers soupirs,
déplorait les calamités de son peuple plus que les siennes (2) : Hélas,
disait-il, « mes tristes prophéties nous sont devenues un lacet et un ravage
inévitable : mon œil a ouvert des canaux sur mon visage à cause de la ruine de
la fille de mon peuple : mes yeux affligés n'ont cessé de pleurer et n'ont eu de
repos ni nuit ni jour, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de nous regarder en pitié
du plus haut des cieux : mes regards ont livré mon âme en proie à la douleur,
pendant que j'ai vu périr toutes les villes sujettes à Jérusalem (3). »
C'est ainsi qu'il pleurait les
maux de ce peuple ingrat ; de ce peuple qui avait tant de fois machiné sa mort,
et qui l'avait enfoncé dans le cachot, dans le dessein de le faire mourir. Ainsi
au milieu de sa passion, Jésus traîné au Calvaire parle même peuple et portant
sa croix, se retourna vers celles qui pleuraient ses douleurs, et leur dit : «
Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous et sur vos enfants
(4). » Lui-même en regardant la ville où il devait être crucifié dans peu de
jours, pleura sur elle, en disant : « Ah! si tu sa vois, » ville ingrate et
malheureuse, «ce qui te pouvait donner la paix ! mais ton malheur est caché à
tes yeux : viendront les jours, » et ils sont proches, « que tu seras ruinée de
fond en comble, parce que tu n'as pas connu le jour où je te venais visiter (5).
» Et enfin : « Jérusalem, Jérusalem, qui fais mourir les prophètes, combien de
fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits
(6) ? » Et le reste que nous venons de réciter.
C'est ainsi que Jésus pleurait
Jérusalem ; et il n'a point de plus parfaite figure de ses douleurs que celles
de Jérémie, et ces tristes lamentations où il a si amèrement déploré la ruine de
sa patrie ,
1 Hebr., V, 7. — 2 Lament., III, 6, 7 et seq.
— 3 Ibid, 47, 51. — 4 Luc, XXIII, 28. — 5 Luc., XIX, 41, 44.— 6
Matth., XXIII, 37.
299
et pendant qu'il la prédisait, et après qu'il l'eut vu
accomplir, qu'encore aujourd'hui on ne peut refuser des larmes à des chants si
lugubres.
Pleurons à cet exemple sur nous-mêmes ; pleurons la perte
de notre âme, et tâchons de la réparer en la déplorant.
Ces larmes de Jérémie étaient
une continuelle intercession pour son peuple : « Que mes yeux deviennent une
fontaine de larmes, et ne cessent ni jour ni nuit de verser des pleurs, parce
que la fille de mon peuple est affligée d'une très-mauvaise plaie. Si je vas aux
champs, je ne trouve que des gens passés au fil de l'épée; et si je rentre dans
la ville, je n'y vois que des visages pâles et exténués par la faim : est-ce
donc, ô Seigneur, que vous avez rejeté Juda, ou que vous avez Sion en
abomination? Pourquoi donc les avez-vous frappés, en sorte qu'il n'y reste rien
de sain? Nous avons attendu la paix, et il n'y a aucun bien à espérer : nous
avons cru que le temps de notre guérison allait venir, et il ne nous a paru que
trouble. Seigneur, nous avons connu nos impiétés et les iniquités de nos pères :
nous avons péché contre vous. Toutefois ne nous faites pas l'opprobre des
nations à cause de votre saint nom : et ne renversez pas le troue de votre
gloire (1) : si nos iniquités nous répondent » et s'opposent à la miséricorde
que nous vous demandons, « faites-la-nous néanmoins, non point pour l'amour de
nous et à cause de nos mérites, mais à cause de votre saint nom qui a été
invoqué sur nous. Car souvenez-vous de l'alliance que vous avez contractée avec
nous, et ne la rendez pas inutile. Hélas! ô Seigneur, trouverons-nous un Dieu
semblable à vous parmi les peuples où vous nous dispersez? Quelqu'une de leurs
idoles nous donnera-t-elle la pluie, où cette eau
1 Jerem., XIV, 17, 21.
300
bienfaisante tombera-t-elle du ciel toute seule et sans
votre ordre ? N'êtes-vous pas le Seigneur notre Dieu, dont nous avons attendu
les miséricordes? C'est vous qui avez fait toutes ces choses ». »
C'est ainsi que Jérémie priait
nuit et jour avec larmes et gémissements pour un peuple qui ne cessait de
l'outrager et de le poursuivre à mort, en figure de Jésus-Christ notre grand
pontife , « qui dans les jours de sa chair, de ses faiblesses, de ses
souffrances, de sa vie mortelle, offrant des prières et des supplications à son
Père, fut exaucé selon que le méritait son respect (2) ; » et qui enfin à la
croix où ce même peuple l'avait attaché, criait à son Père : « Mon Père,
pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3). »
Dieu lui apprenait à accomplir
le précepte que Jésus-Christ de-voit un jour publier : « Priez pour ceux qui
vous persécutent (4), » Car il disait : « Rend-on ainsi le mal pour le bien,
puisqu'ils m'ont creusé une fosse pour m'y enterrer, » moi qui étais sans cesse
occupé du soin de leur bien faire? « Souvenez-vous, ô Seigneur, que j'étais
toujours devant vous pour vous demander du bien pour eux, et détourner d'eux
votre colère (5) ? » A la vérité, ce discours de Jérémie semble être suivi de
terribles imprécations contre ce peuple; mais on sait que, selon le style des
prophètes, cela même sous la figure d'imprécation, n'est qu'une manière de
prédire les malheurs futurs de ces ingrats. Et c'est pourquoi nous voyons le
même prophète, quand il eut vu tomber sur eux les maux qu'il leur avait prédits
; loin d'en ressentir de la joie, comme il aurait fait s'il leur avait souhaité
du mal, fond en larmes à la vue de leur désastre, et finit ses lamentations par
cette prière : « Souvenez-vous, Seigneur, de ce qui nous est arrivé :
regardez-nous : voyez notre honte : pourquoi nous oubliez-vous à jamais? Vos
délaissements dureront-ils encore longtemps ? Convertissez-nous à vous, et nous
serons convertis, et vous nous pardonnerez : rendez-nous les jours où nous
étions si heureux : rétablissez-nous en l'état où nous étions au commencement.
Mais vous nous avez rejetés, et la colère que vous avez contre nous est extrême
(6). »
1 Jerem., XIV, 7, 21, 22. — 2
Hebr., V, 7. — 3 Luc., XXIII, 34. — 4 Matth., V, 44. — 5
Jerem., XVIII, 20. — 6 Lament., V, 1, 20-22.
301
Il est vrai que Dieu déclarait à
ce saint prophète qu'il ne voulait plus l'écouter : « Cesse de prier pour ce
peuple : n'emploie pour eux ni la prière, ni les cantiques de louange ; et ne
t'oppose point à mes volontés :.car je ne t'écouterai pas (1). » Et il lui
disait encore : « Si Moïse et Samuel se mettaient devant moi, j'ai ce peuple en
exécration : chasse-le de devant ma face. Et s'ils te demandent : Où irons-nous
: tu leur répondras : A la mort, celui qui doit aller à la mort : A l'épée,
celui qui doit être percé par son tranchant : A la captivité, celui qui doit
aller en captivité : » et que chacun suive son mauvais sort; je ne veux pas l'en
tirer. « Car, qui aura pitié de toi, ô Jérusalem, ou qui s'affligera pour toi,
ou qui ira prier pour ton repos? Tu as laissé le Seigneur ton Dieu (2) ! » Mais
cela même, que le saint prophète retenait ses gémissements et ses prières, était
une espèce de gémissement et de prière cachée : et s'il n'osait plaindre les
malheurs de ce peuple justement puni, il en pleurait les péchés : « Qui
remplira, disait-il, ma tête d'eaux, et qui fera couler de mes yeux une fontaine
de larmes, afin que je pleure nuit et jour ceux de mon peuple qui ont été tués
dans leur iniquité ? » Car qui pourrait excuser leurs crimes? qui pourrait
demeurer davantage parmi eux? « qui me fera trouver dans la solitude une petite
cabane, de » celles que les « voyageurs » y bâtissent pour leur y servir de
retraite ? « et que je laisse mon peuple, et que je me retire d'avec eux ? Car
ce n'est plus qu'une troupe d'adultères et de prévaricateurs : leur langue
ressemble à un arc tendu, d'où il ne sort que mensonge et calomnie : ils se
fortifient sur la terre , parce qu'ils vont d'un mal à un autre, et soutiennent
le crime par un autre crime ; ils ne me connaissent plus, dit le Seigneur. Ils
se moquent les uns des autres : ils ont appris à leur langue à ajuster un
mensonge :
1 Jerem., VII, 16.— 2 Jerem., XV, 1, 3, 5, 6.
302
ils se sont beaucoup tourmentés, mais à mal faire : leur
demeure est au milieu de la tromperie (1), » et le reste qui n'est pas moins
déplorable.
Mais encore qu'il ne put
dissimuler leur malice, il les excusait le mieux qu'il pouvait ; et lorsque Dieu
touché de leur rébellion , qui les faisait soulever contre lui malgré toutes ses
menaces, lui défendait de prier pour eux, « parce que, disait-il, je les veux
perdre et je ne regarderai ni leurs jeûnes , ni leurs prières, ni leurs
holocaustes (2) : » il leur disait en tremblant et en bégayant, comme un homme
qui n'osait parler : «A, a, a, Seigneur Dieu: leurs prophètes les séduisent :
vous ne verrez, leur disent-ils, ni la peste, ni la famine ; mais vous jouirez
d'une véritable paix (3). » Il priait, sans oser prier : il excusait ces
ingrats, et portait leurs iniquités devant le Seigneur.
Jésus, comme Jérémie, semblait
vouloir s'éloigner des Juifs : « Race incrédule et maligne, jusqu'à quand
serai-je avec vous et vous souffrirai-je (4) ? » Mais comme lui, et plus que lui
sans comparaison , il conserve toute sa bonté malgré leur malice, et se laisse
arracher les grâces , comme il paraît dans le même lieu qu'on vient de voir:
«Race infidèle, serai-je encore longtemps parmi vous, et contraint de vous
supporter? Amenez ici votre fils, » que je le guérisse.
Ce peuple ingrat sentit enfin
que Jérémie lui était donné pour intercesseur ; et après la prise de Jérusalem ,
ils dirent au saint prophète : « Que l'humble prière que nous faisons à Dieu à
vos pieds, vienne jusqu'à vous : priez le Seigneur votre Dieu pour ces restes de
son peuple, et qu'il nous annonce la voie où il veut que nous marchions. Jérémie
leur répondit : Je m'en vais prier le Seigneur votre Dieu selon vos paroles : je
vous déclarerai
1 Jerem., IX, 1-3, 5, 6. — 2
Jerem., XIV. 11, 12. — 3 Ibid., 13. — 4 Matth., XVII, 16.
303
toutes ses réponses et ne vous cacherai rien. » Et ils lui
promirent d'exécuter de point en point tout ce que le Seigneur lui ordonnerait
pour eux : « Que le Seigneur, dirent-ils, soit un témoin de vérité et de bonne
foi entre vous et nous : nous obéirons au Seigneur à qui nous vous envoyons,
soit que vous ayez à nous dire du bien ou du mal de sa part (1). » Et Jérémie
revint « après dix jours : » et leur défendit de la pari «le Dieu d'aller en
Egypte, où il voyait qu'ils seraient séduits par les idoles de ce peuple : «
Voilà, leur dit-il, ce que vous prescrit le Dieu d'Israël, à qui vous m'avez
envoyé pour porter vos prières à ses pieds : » et il les avertit en toute
douceur et patience de se souvenir de leur parole, et d'obéir au Seigneur à qui
ils l'avaient envoyé, comme ils l'avaient promis. Et après qu'il leur eut tenu
ce pressant discours, « Azarias et Johanan, et les autres superbes lui dirent:
Vous mentez : le Seigneur ne vous a point envoyé et ne nous a point défendu
d'aller en Egypte : mais Raruch vous irrite contre nous pour nous livrer aux
Chaldéens, et nous faire périr à Babylone (2). » Après lui avoir fait cette
réponse, ils allèrent tous ensemble en Egypte ; et ils arrivèrent à Taphnis et à
Memphis et à Magdalo, et dans toute la terre de Phaturès : et sans se rebuter de
leurs injures et de leur désobéissance, Jérémie les y suivit avec une patience
infatigable, pour les empêcher de périr dans leur idolâtrie. Ils s'obstinèrent à
adorer les faux dieux de cette nation infidèle : et le saint prophète vit périr
encore ces malheureux restes de Juda, dans le lieu qu'ils avaient choisi pour
leur retraite, avec Pharaon Ephrée qui les y avait reçus (3).
Une sainte et véritable
réflexion se présente ici : Jérémie était donné pour intercesseur à ce peuple :
il ne cesse de prier pour lui et de détourner, autant qu'il peut; la colère de
Dieu de dessus sa
1 Jerem., XLII, 2, 9, etc. — 2 Jerem., XLIII,
2-7 et seq. ; XLIV, 1-4 et seq. — 3 Jerem., XLIV, 15-18 et seq., 29, 30.
301
tête : mais Dieu ne le veut pas écouter : Moïse et Samuel
étaient aussi d'agréables intercesseurs, dont David même avait chanté le pouvoir
par ces paroles : « Moïse et Aaron sont remarquables parmi ses sacrificateurs :
et Samuel est renommé entre ceux qui invoquent son nom : ils invoquaient le
Seigneur, et il les écoutait (1). » Mais en celte occasion nous avons vu que
Dieu ne voulait pas les entendre (2). Qu'y a-t-il de plus saint que Noé, qui est
sauvé du déluge, afin de réparer le monde perdu et le genre humain anéanti : que
Job, dont la patience a été vantée de Dieu comme un prodige, et qui pour cette
raison a été nommé de Dieu comme intercesseur de ses infidèles amis : « Allez,
disait le Seigneur, et priez mon serviteur Job de prier pour vous : et je
recevrai sa face, afin que votre folie ne vous soit point imputée (3) : » que
Daniel, « l'homme de désirs, » à qui il envoya son ange pour lui déclarer que
ses vœux pour ses frères et pour tout son peuple, et pour la sainte montagne, et
ce qui est bien plus admirable, pour la venue du Messie, étaient reçus devant
Dieu (4)? Et néanmoins ces trois hommes ne sont pas jugés dignes d'être écoutés
pour le peuple juif : c'est Ezéchiel qui le dit : « Si ces trois hommes, Noé,
Daniel, et Job étaient au milieu de ce peuple, ils délivreraient leurs âmes dans
leur justice : dit le Seigneur des armées : mais ils ne délivreront ni leurs
fils ni leurs filles (5) : » oui, je le dis encore un coup, « ils ne délivreront
ni leurs fils ni leurs filles, » loin du pouvoir délivrer les étrangers : mais «
ils seront délivrés seuls : » non , « Noé, Daniel et Job, » je le dis pour la
troisième fois, « ne délivreront pas leurs propres enfants. » Afin que nous
entendions qu'il n'y a qu'un seul saint et un seul juste, qui étant juste pour
lui et pour les autres, sera écouté pour tous. « Le frère, disait le Psalmiste ,
ne rachètera pas son frère : L'homme ne rachètera pas un autre homme, ni
n'offrira pour lui une digne propitiation , ou le prix de son rachat et de sa
vie (6). » Nul ne peut offrir ce prix, que le Juste par excellence et le Saint
des saints, qui est non-seulement homme, mais Dieu et homme, qui donnera son âme
pour nous et expiera nos péchés par son sang.
1 Psal. XCVIII, 6. — 2 Jerem.,
XV, 1. — 3 Job, XLII, 8. — 4 Dan., IX, 21-23.— 5 Ezech., XIV, 14, 10, 18,
20. — 6 Psal. XLVIII, 8-10.
305
Un des effets les plus
remarquables de la douceur et de la bonté de Jérémie, c'est le regret qu'il
avait de n'avoir à annoncer que des malheurs à ses citoyens et à ses frères : «
Ma mère, disait-il, malheur à moi : pourquoi m'avez-vous enfanté, homme de
querelles que je suis, homme de discorde par toute la terre ? » Je suis séparé
de tout commerce : «je ne prête à personne, et personne ne me prête : ils me
chargent tous de malédiction (1) : » et encore avec le transport d'un cœur outré
: « Maudit soit le jour où je suis né : maudit l'homme qui a annoncé à mon père
: Il vous est né un fils, et qui lui a donné cette joie trompeuse! que ne
m'a-t-il plutôt donné la mort dans le sein de ma mère, en sorte qu'elle me fût
un sépulcre , ou que ne demeurât-elle grosse éternellement sans enfanter?
Pourquoi suis-je sorti de ses entrailles, pour ne voir que peine et que douleur,
et passer tous mes jours en confusion (2). »
Ce qui lui causait ces
transports, c'est qu'il voyait que ses prophéties ne faisaient qu'accroître les
péchés du peuple. Dieu lui mettait dans la bouche des paroles pressantes, comme
si le mal allait arriver : et après se ressouvenant de ses miséricordes et de sa
longue patience, il attendait de jour en jour son peuple à résipiscence. Ce
peuple ingrat abusait de ses bontés, et insultait à Jérémie, en lui disant : «
Où est la parole de Dieu, que vous nous annoncez depuis si longtemps? Qu'elle
vienne donc (3) » Le saint prophète s'en plaignait avec amertume : « Seigneur,
vous m'avez trompé! Quelle merveille que vous ayez prévalu contre moi! J'ai été
en dérision à ce peuple tout le long du jour : tous m'insultent et se moquent de
mes prédictions : parce que je ne fais que crier iniquité et malheur, et
inévitable ravage : » et cependant il n'arrive rien ; « et la parole du Seigneur
me tourne en
1 Jerem., XV, 10. — 2 Jerem.,
XX, 14, 18. — 3 Jerem., XVII, 15.
306
dérision et en opprobre. Et j'ai dit » en moi-même : « Je
ne veux plus me souvenir du Seigneur, ni prophétiser en son nom, » ni exposer sa
parole à la moquerie, et aggraver l'iniquité de ce peuple. Mais « vous êtes »
toujours « le plus fort : » cette parole que je voulais retenir « dans mon cœur,
y a été un brasier ardent : elle s'est renfermée dans mes os : les forces me
manquent, et je n'en puis plus soutenir le poids (1). » Il faut qu'elle sorte.
Dieu prévaut de nouveau sur le saint prophète , et après ces agitations il faut
qu'il cède.
Les âmes prophétiques qui sont
sous la main de Dieu, reçoivent des impressions de sa vérité, qui leur causent
des mouvements que le reste des hommes ne connaît pas. Deux vérités se
présentent tour à tour à Jérémie : l'une qu'il fallait annoncer au peuple tout
ce que Dieu ordonnait, quelque dur qu'il fût et quoi qu'il en coûtât, car il est
le maître, et qu'il fallait prendre pour cela un front d'airain : l'autre, que
prophétiser à un peuple qui se moquait de la prophétie à cause que l'effet n'en
était pas assez prompt; loin de !e convertir, c'était non-seulement aggraver son
crime et augmenter son supplice, mais encore exposer la parole de Dieu à la
dérision et au blasphème. Dans les endroits qu'on vient de voir, Dieu lui
imprime cette dernière vérité d'une manière si vive, qu'il ne peut dans ce
moment être occupé d'une autre pensée. Car il imprime tout ce qu'il lui plaît,
principalement dans les âmes qu'il s'est une fois soumises par des opérations
toutes-puissantes. A la vérité, quand il veut , il sait bien les ramener à lui
et les tenir sous le joug; mais dans le temps qu'il les veut pousser d'un côté,
ils paraissent avoir tout oublié, excepté l'objet dont ils sont pleins. Car Dieu
pour certains moments les laisse à eux-mêmes et aux grâces ordinaires pour tout
autre objet; et pour celui dont il lui plaît de les remplir, l'impression en est
si forte, le caractère si vif et si enfoncé dans le cour, qu'il semble n'y
rester plus d'attention ni de mouvement pour les autres choses, ni aucune
capacité de s'y appliquer. Par un transport de cette nature Jérémie, qui se voit
contraint à n'être premièrement qu'un prophète de malheurs à tout son peuple,
c'est-à-dire au seul objet de son amour et de sa
1 Jerem., XX, 7, 8, 9. .
307
tendresse sur la terre; et ce qui lui paraissait encore
d'une plus insupportable rigueur, à ne faire plus autre chose, en second lieu,
qu'en accroître en quelque façon l'iniquité et le supplice; ne veut plus vivre
en cet état, il voudrait n'avoir jamais été, et ne trouve point d'expression
assez forte pour expliquer ce désir. Un troisième objet se présente à lui : la
prophétie méprisée , la parole de Dieu en dérision, ses prophètes décriés, son
nom blasphémé et sa justice exposée t u mépris des hommes à cause de sa bonté
dont ils abusent. C'est le comble de la douleur : et après avoir voulu effacer
du nombre des jours celui de sa nativité, puisqu'il ne peut point s'empêcher
d'avoir l'être, il fait un effort secret pour ne plus écouter la prophétie qui
se présente à lui avec une force qu'il ne peut éluder. Il ne faut donc plus
s'étonner si ses agitations sont, si violentes. C'est Dieu de tous côtés qui le
presse, qui lui donne, pour ainsi parler, des forces contre lui-même; et à la
fin le réduit, après des tourments inexplicables, à continuer ses funestes et
fatales prédictions.
Il ne convient pas au Sauveur
d'être agité de cette sorle : car son âme est tellement dilatée et d'une
capacité si étendue, que toutes les impressions divines y exercent pour ainsi
dire au large et tranquillement leur efficace : mais néanmoins il a dit: « Si je
n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé , si je n'avais pas fait en
leur présence des miracles qu'aucun autre n'a-voit jamais faits, ils seraient
sans péché : mais maintenant ils n'ont plus d'excuse; et ils baissent
gratuitement et moi et mon Père (1), » ainsi que David l'avait prédit (2). C'est
donc lui qui leur ôte toute excuse : sa parole les jugera et les condamnera au
dernier jour : lui qui venait ôter le péché du monde, a donné lieu au plus grand
de tous les péchés , qui est celui de mépriser et de poursuivre jusqu'à la mort
de la croix la vérité qui leur apparaissait en sa personne : les blasphèmes se
sont multipliés, et on lui a insulté jusque sur sa croix et dans son agonie : sa
passion, sa mort, son sang répandu , sont la matière de l'ingratitude de ses
disciples et leur tournent à mort et à péché : les crimes s'augmentent par les
grâces : c'est la grande douleur du Sauveur :
1 Joan., XV, 22 et seq. — 2 Psal. XXIV, 19.
308
c'est le calice qu'il voudrait pouvoir détourner de lui :
c'est ce qui lui perce le cœur : c'est enfin ce qui l'abat devant son Père ; ce
qui lui fait suer du sang, ce qui est le véritable sujet de cette profonde
tristesse qui pénètre son âme sainte jusqu'à la mort et enfin de son agonie.
Il n'en est pas de Jésus comme
des prophètes, à qui Dieu défend de le prier , et à qui il dit, comme à Jérémie
: « Je ne vous exaucerai pas (1) » Car au contraire il dit à son Père : « Je
sais que vous m'écoutez toujours (2) : » et afin de nous donner en la personne
de notre prophète une figure quoique imparfaite de l'intercesseur qui est
exaucé, il lui parla en cette sorte, pendant qu'il était arrêté dans le
vestibule de la prison : « Crie maintenant, élève ta voix et je t'exaucerai : et
je t'apprendrai des choses grandes et d'une inébranlable fermeté, que tu ne sais
pas (3). » C'est que la Judée et Jérusalem seraient rétablies : qu'il y
ramènerait son peuple : qu'il en guérirait les plaies : qu'il les purifierait de
tous leurs péchés (4). Il répandit alors « un esprit de prière (5) » dans tout
son peuple : « Réjouissez-vous, ô Jacob ! hennissez contre les gentils et contre
Babylone, qui en est le chef; et dites : Sauvez, Seigneur, les restes de votre
peuple : et je vous rappellerai de la terre où je vous avais envoyés en
captivité (6). » Jérémie annonça au peuple ce glorieux rétablissement : il leur
en marqua le temps, et leur déclara qu'à la soixante-dixième année de leur
servitude, il ferait éclater ce grand ouvrage. « Car je sais, dit le Seigneur,
les pensées que j'ai pour vous : des pensées de paix et non d'affliction, pour
vous donner la fin de vos maux et la patience en attendant pour les endurer ; et
vous m'invoquerez et vous irez en votre patrie : et vous me prierez et je vous
exaucerai : et vous me chercherez, et vous
1 Jerem., VII, 16. — 2 Joan.,
XI, 42. — 3 Jerem., XXXIII, 1-3. — 4 Ibid., 4 et seq. — 5 Zachar.,
XII, 10. — 6 Jerem., XXXI, 7, 8.
309
me trouverez lorsque vous m'aurez cherché de tout votre
cœur (1).» Ainsi le prophète Jérémie n'annonça pas seulement au peuple sa
désolation : mais pour être une parfaite figure de Jésus-Christ, il leur annonça
encore sa délivrance, qui devait être la figure de celle de son Eglise : et il
fut choisi pour la demander à Dieu et pour exciter dans tout le peuple l'esprit
de prière. Et s'il annonça à son peuple sa prise , sa ruine , sa captivité , ce
ne fut pas pour toujours. Il n'en fut pas ainsi des autres nations, auxquelles
Dieu lui ordonna de prophétiser : « Va, lui dit le Seigneur Dieu des armées :
prends de ma main la coupe de ma colère, et présente-la à tous les peuples
auxquels je t'enverrai : et je la pris, et je la portai à Jérusalem et aux
villes de Juda : à ses rois et à ses princes : et à Pharaon roi d'Egypte et à
ses serviteurs : à ses princes et à tout son peuple : et généralement à tous les
rois : aux rois d'Orient, aux rois des Philistins et d'Ascalon et de Gaza et
d'Idumée et de Moab : et à tous les rois de Tyr et de Sidon et aux rois des îles
éloignées et à tous les rois d'Arabie et à tous les rois d'Occident et aux rois
de Perse et aux rois de Mèdes et à tous les rois du Nord de près et de loin : et
le roi de Babylone boira après eux, » lui qui fait boire ce calice de la colère
de Dieu à tous les autres : a Buvez, buvez, leur dira le Seigneur : buvez, et
enivrez-vous, et vomissez, et tombez, et vous ne vous relèverez jamais (2).
Voilà le tourbillon du Seigneur : sa colère part : son orage tombe et il se
reposera sur la tête de ses ennemis (3). »
Ainsi sont traités les rois et
les peuples idolâtres. Le prophète, qui leur dénonce leurs maux , ne leur laisse
aucune espérance : Sion seule est frappée en ses miséricordes, comme un enfant
que son père châtie : le prophète lui montre son retour : il porte ses yeux plus
loin, et lui prédit son libérateur : ce nouveau David dont le règne sera éternel
: cet homme parfait en sagesse, qui se trouvera environné des entrailles d'une
femme , et enfermé dans son sein : et la nouvelle alliance que Dieu fera par son
entremise avec le peuple racheté (4). Elevez la voix, ô Jérémie! prophète
sanctifié dès le ventre de votre mère : prophète vierge et figure
1 Jerem., XXV, 11; XXIX, 10-13. —
2 Jerem., XXV, 15, 27. — 3 Jerem., XXX, 23. — 4 Jerem.,
XXXI, 22, 31.
310
du grand prophète vierge aussi et fils d'une vierge (1) :
chantez-nous les miséricordes de notre Dieu : reprochez-nous nos ingratitudes :
faites-nous rougir de nos crimes : donnez-nous l'exemple d'humilité, de
patience, de douceur : entrez encore à nos yeux dans votre affreux cachot en
figure de la sépulture de Jésus-Christ : sortez-en aussi en figure de sa
résurrection : exprimez ses persécutions dans les vôtres. Et nous, Seigneur, en
attendant que nous méditions plus à loisir les mystères de votre passion et de
votre résurrection triomphante , nous nous y préparerons en contemplant avec foi
les prophètes qui leur ont servi de figure.
Agité d'un de ces transports que
nous avons remarqué dans les prophètes, et que nous avons vu dans Jérémie, Jonas
ne veut point aller prêcher aux Ninivites leur perte prochaine (2), de peur que
si Dieu leur pardonnait, comme son immense bonté l'y portait toujours, les
peuples païens ne se confirmassent dans leur incrédulité et ne méprisassent ses
menaces et les discours de ses prophètes : et pressé par cet esprit prophétique
qui le poussait au dedans avec une force invincible à annoncer la ruine de
Ninive, il lui dit : Voilà, Seigneur, une parole que je ne puis porter. « Je
sais que vous êtes un Dieu clément, plein de miséricorde et de patience, d'une
compassion infinie et toujours prêta pardonner aux hommes leur malice (3) : »
vous pardonnerez encore à cette ville infidèle. On ne nous écoutera plus, quand
nous parlerons en votre nom : nous annoncerons en vain à Juda et à Israël la
rigueur de vos jugements : votre facilité et votre indulgence ne fera
qu'endurcir les hommes dans le mal : car il faut suppléer tout ceci, puisque
nous l'avons déjà trouvé dans Jérémie : « O Seigneur ! ôtez-moi la vie,
continuait Jonas; : car il vaut mieux mourir » que d'être trouvé un prophète
menteur et exposer la prophétie à
1 Jerem., I, 5 ; XVI, 2. — 2
Joan., 1, 2, 3. — 3 Joan., IV, 2. — 4 Ibid., 3.
311
la dérision. On voit, en pissant, que les âmes touchées de
ces impressions divines, sont élevées au-dessus de tout, et la mort ne leur
coûte rien. Dans cette extrême détresse, non-seulement il tâcha, comme Jérémie,
de ne point écouter la prophétie et de s'étourdir lui-même contre cette voix;
mais pressé par cet esprit prophétique, il s'enfuit de devant le Seigneur, et
s'embarque à Joppé (1) pour aller de la Terre sainte où il était à l'autre
extrémité du monde. Car encore qu'on ne sache pis précisément quelle était la
ville de Tharsis, on convient qu'elle était extrêmement éloignée du côté de
l'Occident.
Il ne faut pas se persuader que
le saint prophète crût que Dieu ne le verrait plus ou qu'il sortirait de son
empire, lorsqu'il irait dans les terres lointaines : car nous l'entendrons
bientôt dire aux nautoniers : « Je suis Hébreu, et je révère le Dieu du ciel qui
a fait la mer et la terre (2). » De sorte qu'il voyait bien qu'on ne pouvait
échapper à sa puissance, ni sortir de son domaine. Cette face de Dieu, qu'il
tâche de fuir, cette présence qu'il veut éviter, c'est la face que Dieu montrait
intérieurement à ses prophètes; c'est la présence dont il éclairait leur esprit,
lorsqu'il daignait les inspirer : c'est cette face que Jonas crut pouvoir éviter
en s'éloignant de la Terre sainte et du milieu du peuple d'Israël, où Dieu avait
accoutumé de répandre la prophétie. Il s'éloigna donc tout ensemble et de la
Terre sainte et de Ninive, où il ne crut pas que Dieu voulût le ramener malgré
lui d'un pays si éloigné. Mais il ne fut pas plutôt embarqué, que « Dieu fit
souffler un vent impétueux, et la tempête fut si violente, qu'on craignait à
chaque moment que le vaisseau ne s'entr'ouvrît. » Pendant que « chacun invoquait
son Dieu avec des cris effroyables, et qu'on jetait dans la mer toute la charge
du vaisseau, Jonas » sans s'étonner d'un si grand péril, car nous avons vu
souvent que ces âmes fortes qui sont sous la main de Dieu, ne craignent rien que
lui seul, « descendit au fond du vaisseau, et dormait d'un profond sommeil (3).
» C'est quelque trait de Jésus, qui dans une semblable tempête dort
tranquillement sur un coussin, et laisse remplir de flots le vaisseau où il
était avec ses disciples (4). Par un semblable mystère et
1 Joan., I, 3. — 2 Ibid., 9. — 3 Ibid.,
4, 5. — 4 Marc., IV, 37, 38.
312
pour montrer qu'on n'a rien à craindre, quand on a Dieu
avec soi, et qu'il n'y a en tout cas qu'à s'abandonner à sa volonté, Jonas
dormait parmi tant de cris et tant d'horribles sifflements des vents et des
flots, jusqu'à ce qu'on l'éveilla, à peu près de la même manière qu'on fit le
Sauveur, en lui disant : « Pourquoi dormez-vous? invoquez aussi votre Dieu, afin
qu'il se souvienne de nous et que nous ne périssions pas (1). » La main de Dieu
ne quittait pas le saint prophète : il sentit d'abord que la tempête était
envoyée contre lui : il vit jeter tranquillement le sort que les passagers
jetaient entre eux, pour découvrir le sujet de la tempête : il le vit tomber sur
lui sans s'effrayer : car il avait toujours dans l'esprit que la mort lui était
meilleure que d'aller prophétiser pour être dédit et faire blasphémer la
prophétie (2) : et il dit hardiment aux nautonniers, qui le voulaient épargner :
« Jetez-moi dans la mer » sans hésiter, « et la tempête cessera ; car je sais
bien que c'est pour moi qu'elle est excitée (3). » Cependant ils le
respectèrent, étonnés de sa prodigieuse tranquillité et encore plus de la
grandeur du Dieu qu'il servait. Car comme on lui demanda qui il était, « il
avait répondu qu'il était Hébreu et que le Dieu qu'il craignait était le Dieu du
ciel, et le Créateur de la terre et de la mer : » et ils faisaient les derniers
efforts « pour arriver à terre, » sans qu'il en coûtât la vie à un si grand
homme. Mais plus « ils ramaient, » plus « la mer s'enflait : » en sorte qu'ils
furent contraints de « jeter Jonas dans la mer, » en prenant Dieu à témoin que
c'était à regret qu'ils le noyaient et qu'ils étaient innocents de sa mort : «
et aussitôt l'agitation de la mer cessa (4). » Et voilà déjà en figure de notre
Sauveur tout ce peuple sauvé par la mort, comme l'on croyait, du saint prophète,
à laquelle il s'était lui-même volontairement offert. Mais ce n'est pas là tout
le mystère ; et le reste nous est expliqué par le Sauveur même, lorsqu'il dit :
« Cette mauvaise race demande un signe, et il ne lui en sera point donné d'autre
que le signe du prophète Jonas : car comme Jonas fut trois jours et trois nuits
dans les entrailles de la baleine, ainsi le Fils de l'homme sera trois jours et
trois nuits dans le cœur de la terre (5). »
1 Jon., I, 6. — 2 Jon.,
IV, 3.— 3 Jon., I, 12, 13.— 4 Ibid., 9, 13, 15.— 5
Matth., XII, 39, 40.
313
L'esprit de prophétie ne quitta
point Jonas dans le ventre de cet énorme poisson : car il y chanta ce divin
cantique : « J'ai crié du fond de l'abîme, et vous avez écouté ma voix : les
eaux m'ont environné : tous vos gouffres et tous vos flots ont passé sur moi :
et j'ai dit : Je suis rejeté de devant vos yeux : mais je reverrai encore votre
saint temple (1). » Il sent donc qu'il sortira de cet abîme ; et il le
recommence encore en cette sorte : « Les eaux m'ont pénétré jusqu'au fond :
l'abîme m'a entouré : la mer a couvert ma tête : j'ai descendu au fond de la mer
et jusqu'à la racine des montagnes : je suis enfermé pour toujours dans les
soutiens de la terre (2) : » il n'y a point de ressource dans la puissance
créée. « Mais vous, ô Seigneur mon Dieu, vous me relèverez » d'un si grand mal
et vous me préserverez « de la corruption. Au milieu de mes angoisses, je me
suis ressouvenu du Seigneur, afin que ma prière parvînt jusqu'à votre saint
temple. Ceux qui mettent leur confiance dans de fausses divinités, abandonnent
la miséricorde » qui les peut sauver et renoncent à la sainteté : « mais moi je
vous ai immolé par ma voix un sacrifice de louange : vous me sauverez, et je
rendrai au Seigneur les vœux que je lui ai faits pour ma délivrance. Et le
Seigneur commanda au poisson, et il jeta Jonas sur la terre (3), » en figure de
notre Sauveur, dont il est écrit « qu'il fut libre entre les morts (4), » comme
Jonas l'avait été dans cet abîme vivant qui l'avait englouti, et à qui David a
fait dire au milieu des ombres de la mort : « J'avais toujours le Seigneur en
vue, parce qu'il est à ma droite pour m'em pêcher d'être ébranlé : c'est pour
cela que mon cœur a tressailli, que ma langue a été remplie de joie, et que mon
corps s'est reposé en paix, parce que vous ne laisserez pas mon âme dans
l'enfer, et que vous ne permettrez pas que votre saint éprouve la corruption. »
Au milieu de la mort « vous m'avez montré le chemin pour retourner à la vie, et
vous me remplirez de la joie que donne la vue de votre face (5). » C'est à peu
près et avec la force qui convenait au Sauveur plus qu'à Jonas, accomplir ce
qu'avait dit ce prophète : « Je reverrai votre saint temple (6). »
1 Jon., II, 2, 3. — 3 Jon., II, 6. — 3
Ibid., 7 et seq. — 4 Psal. LXXXVII, 6. — 5 Psal. XV, 8;
Act., II, 15. — 6 Jon., II, 5.
314
Il n'appartenait pas à Jonas,
qui n'était que la figure, d'avoir tous les traits de la vérité, ni d'avoir
parmi les morts cette liberté qui était réservée au Sauveur, ni de prédire
lui-même sa mort et sa résurrection. Mais à cela près, il n'y avait rien qui
ressemblât mieux à la mort et au tombeau que le ventre de ce poisson, ni rien
qui représentât plus vivement une véritable et parfaite résurrection que la
délivrance de Jouas. Adorons donc celui qui n'a laissé aucun trait, ni aucun
iota dans les prophètes, non plus que dans la loi, qu'il n'ait parfaitement
accompli : et apprenons à ne perdre jamais l'espérance dans quelque abîme de
maux où nous soyons plongés, puisque Jonas est sorti du ventre de la baleine, et
Jésus-Christ notre chef du tombeau et de l'enfer, assurant ses membres, qui sont
ses fidèles, d'une semblable délivrance.
Pour achever l'histoire de
Jonas, puisque celle de notre Sauveur nous y a conduits, aussitôt que la baleine
l'eut rejeté sur le rivage, le voilà de nouveau repris par l'esprit de la
prophétie, et le Seigneur lui ordonne d'aller prêcher à Ninive qu'elle périrait
dans quarante jours (1). Dieu ne voulut point que Jonas y mît la condition : Si
elle ne faisait pénitence. Cette ville la fit toutefois dans le sac et dans la
cendre ; et Dieu voulut faire voir qu'il était toujours prêt par sa bonté à
rétracter sa sentence, sans même l'avoir promis. Ecoutons sur ce sujet la parole
de Jésus-Christ : « Les gens de Ninive s'élèveront contre cette race dans le
jugement et la condamneront, parce qu'ils ont fait pénitence à la prédication de
Jonas : et celui-ci est plus que Jonas (2). » Faisons donc pénitence, puisque
Jésus même nous y exhorte par son Evangile, par les pressantes et continuelles
impulsions de son Saint-Esprit, et n'attendons pas que les Ninivites s'élèvent
contre nous au dernier jour; car la conviction serait trop forte, la confusion
trop inévitable.
1 Jon., III, 1, 5. — 2 Matth., XII, 41.
315
Jonas ne résista point à cette fois (1) : la main de Dieu
le serroit de trop près : mais après la miséricorde que Dieu eut exercée envers
Ninive, le prophète fut affligé d'une affliction extrême ; et transporté de
colère, il pria le Seigneur et il lui dit : «Je vous prie, Seigneur, n'est-ce
pas là ce que je disais, pendant que j’étais encore en mon pays, que vous étiez
bon et indulgent jusqu'à l'infini (2) : » qu'ainsi vous pardonneriez à Ninive :
que les paroles de vos prophètes seraient méprisées, et que sans se soucier de
vos menaces ni rompre le cours de leurs crimes, les peuples s'attendraient
toujours à vous fléchir par la pénitence, après avoir impunément accompli leurs
mauvais désirs. « Seigneur, je vous prie, faites-moi mourir : la mort me sera
plus douce que la vie. En même temps il se retira de la ville (3), » et
attendait dans le voisinage quel en serait le sort. Car à peine voulut-il croire
que Dieu pardonnât tant de crimes, et augmentât la licence par cet exemple
d'impunité. Mais Dieu qui le voulait revêtir de l'esprit de la nouvelle
alliance, qui est une alliance de miséricorde, de réconciliation et de pardon,
et lui ôter cet esprit dur qui devait comme régner en ce temps-là à cause de la
dureté du cœur de l'homme, sécha, comme on sait, la branche verte qu'il avait
fait élever sur la tête de Jonas, pour le défendre de l'ardeur brûlante du
soleil et des vents de ces pays-là, qu'il avait excités exprès (4). Et comme
Jonas s'en affligea jusqu'à désirer la mort : « Tu t'affliges, lui dit le
Seigneur, de ce rameau vert que tu n'as pas fait et la naissance duquel ne t'a
coûté aucun travail ; et tu ne veux pas que j'aie pitié de l'ouvrage de mes
mains, et de cette ville immentse (5), » si digne de compassion, quand ce ne
serait qu'à cause du nombre infini des « enfants qui ne connaissent pas le bien
et le mal, et de tant d'animaux! » Car, ô Seigneur, votre bonté s'étend jusqu'à
eux, conformément à cette parole du Psalmiste : « Vous sauverez les hommes et
les animaux, parce qu'il vous a plu, ô mon Dieu ! de multiplier votre
miséricorde (6). » Prenons donc l'esprit de douceur, et ne nous laissons point
transporter par ce zèle qu'on voit paraître même dans les saints de l'Ancien
Testament. Car Jésus dit
1 Jon., III, 3. — 2 Jon., IV, 2. — 3 Ibid.,
3, 5. — 4 Ibid., 8, 9. — 5 Ibid., 10, 11. — 6 Psal. XXXV, 7, 8.
316
à ses disciples qui le voulaient imiter, et à l'exemple
d'Elie », faire descendre le feu du ciel : « Vous ne savez de quel esprit vous
êtes (2). »
Ne blâmons donc pas le zèle de
Jonas, qui était convenable au temps ; et louons Dieu au contraire de lui avoir
inspiré la douceur qui devait un jour paraître en Jésus-Christ, et de l'avoir
forcé à prêcher sa miséricorde. Ne condamnons pas aisément le saint prophète,
parce que ces mouvements des prophètes et la communication de Dieu avec eux sont
un grand mystère, qu'il ne nous est pas permis de pénétrer. Non que je m'attache
opiniâtrement à vouloir excuser de faute ce saint homme : car Dieu se plaît
quelquefois à faire paraître son bras dans le crime même et à s'assujettir les
âmes les plus rebelles. Mais c'est que ce qui se passe entre Dieu et ses
prophètes est bien caché, et qu'il leur fait sentir sa secrète volonté par des
voies bien éloignées des nôtres. Et il ne faut s'étonner ni de ses paroles, ni
même de sa fuite. Car Dieu pousse ces âmes qu'il tient sous sa main, et les
ramène lui-même ; et il veut leur faire sentir par des expériences réelles, la
force invincible de cette main souveraine sous laquelle ils sont. Souvenons-nous
du saint homme Job, que Dieu reprend avec tant de force, de son ignorance et des
paroles qu'il avait proférées (3); et de qui néanmoins il dit ensuite par deux
et trois fois, qu'il a parlé droitement (4). Suspendons donc notre jugement dans
les violentes agitations de ces âmes prophétiques; et gardons-nous bien de tirer
à conséquence ce qui se passe en elles, soit que ce qui leur arrive soit une
simple permission de Dieu ; soit qu'on y puisse trouver , en approfondissant la
matière , une réelle influence de sa main dans tout ce qui nous paroit un grand
péché. Si Jonas paraît si troublé des miséricordes de Dieu , croyons que c'était
selon l'esprit de ces temps un zèle pour la justice et pour la vérité de sa
parole. S'il fuit devant Dieu, entendons qu'il vou-droit pouvoir se fuir
lui-même plutôt que de fournir aux hommes une occasion de mépriser Dieu : et en
quelque sorte qu'il faille juger de cette fuite , admirons la main de Dieu qui
le soutient;
1 IV Reg., I, 10.— 2 Luc, IX,
53.— 3 Job, XXXVIII, XXXIX, XL, XLI.— 4 Job, XLII, 7, 8.
317
qui lui envoie parmi la tempête ce sommeil mystérieux qui
témoigne la tranquillité de son âme et figure celui de Jésus-Christ dans la
nacelle. Imitons son intrépidité à la vue de la mort présente ; sa charité,
lorsqu'il veut mourir pour sauver les compagnons de son voyage ; sa prière et sa
prophétie jusque dans le ventre de la baleine. Prions donc avec lui, et à son
exemple , en quelque état que nous soyons, en quelque abîme que nous nous
sentions plongés. Admirons aussi l'efficace de sa prédication ; et ne faisons
pas moins pour Jésus-Christ, nous qui sommes chrétiens, que les Ninivites, qui
n'étaient que des infidèles éloignés de l'alliance de Dieu, firent pour Jonas.
Enfin en contemplant ces vives figures que le Saint-Esprit nous a tracées de
Jésus-Christ, préparons-nous à entendre la vérité qui a été accomplie en sa
personne. Amen. Amen.
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