Défense II - Livre V
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SECONDE PARTIE.

 

Erreurs sur la matière du péché originel et de la grâce.

 

SECONDE PARTIE.

LIVRE V.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XIX.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

CHAPITRE XXIII.

 

LIVRE V.

 

M.  SIMON, PARTISAN   DES   ENNEMIS DE  LA  GRACE, ET  ENNEMI DE SAINT AUGUSTIN : L'AUTORITÉ  DE CE  PERE.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

Dessein et division de cette seconde partie.

 

Dans cette seconde partie, le pélagianisme de M. Simon sera découvert par deux moyens : premièrement, par une disposition générale qu'il témoigne vers cette hérésie ; secondement, par ses erreurs qu'on marquera en particulier. Cette disposition générale vers l'hérésie de Pelage paraît encore par deux endroits, dont l'un est l'inclination pour ceux qui l'ont défendue, et l'autre est l'aversion répandue dans tout son ouvrage contre le Père qui l'a étouffée. Ses erreurs sur cette matière se rapportent aussi à deux chefs : il erre manifestement sur le péché originel; il erre bien certainement, mais quelquefois d'une manière plus enveloppée, sur la grâce. C'est ce qu'il faudra expliquer par ordre.

 

CHAPITRE II.

 

Hérésie formelle du diacre Hilaire sur les enfants morts sans baptême, expressément approuvée par M. Simon contre l'expresse décision de deux, conciles œcuméniques, celui de Lyon II, et celui de Florence.

 

Premièrement donc, il fait paraître son inclination vers Pelage par celle qu'il a témoignée pour le Commentaire autrefois attribué à saint Ambroise, mais qui constamment n'en est pas, sur les Epîtres de saint Paul. L'auteur de ce Commentaire fait la matière

 

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d'une grande contestation parmi les savants : quelques-uns le font arien, et M. Simon a raison de le justifier de cette hérésie. Si c'est le diacre Hilaire, comme je le veux supposer avec notre auteur, sans préjudice de tout autre sentiment, il est bien certain qu'il a été du schisme des lucifériens, qui n'a pas été moins bizarre que celui des donatistes. On prétend qu'il en est revenu , et je ne vois aucune raison de s'y opposer. M. Simon, au contraire, prétend voir des marques de son erreur ou, comme il parle, « des préjugés de sa théologie» au commencement de son Commentaire (1). Elles sont bien vaines; mais laissons ces raffinements de critique, et venons aux sentiments de cet auteur sur les erreurs de Pélage. M. Simon en produit un passage exprès pour le péché originel, qui aussi a été cité par saint Augustin sous le nom de saint Hilaire (2), qui peut être le diacre Hilaire revenu du schisme et appelé saint selon la coutume du siècle, ou quelqu'autre Hilaire inconnu, puisque constamment le commentaire d'où ces paroles sont tirées, n'est pas du saint évêque de Poitiers. Mais notre critique ajoute deux choses au passage de cet Hilaire, quel qu'il soit, qui font voir trop clairement que cet auteur n'a pas raisonné conséquemment, et que dans la suite il s'est écarté aussi bien que M. Simon de la doctrine de l'Eglise : l'une est qu'Hilaire distingue « deux sortes de mort, dont la première est la séparation de l’âme d'avec le corps, et la seconde est la peine qu'on souffre dans les enfers ; » et il dit de cette dernière « que nous ne la soufrions pas pour le péché d'Adam, mais à son occasion pour nos propres péchés (3). » Sur quoi la décision de M. Simon est, « qu'il n'y a rien en cela qui ne  soit conforme à la créance des anciens Pères, qui ont tous attribué à notre libre arbitre notre salut et notre perte. » C'est là un manifeste pélagianisme, qui ne reconnaît ni « de perte, ni de salut » que par l'exercice du libre arbitre; d'où il s'ensuit que les enfants qui meurent avant le baptême avec le seul péché originel, qui ne dépend pas de leur volonté, ne sont point perdus, mais sauvés. Le péché originel ne leur attire, selon Hilaire et selon M. Simon, que la mort du corps : « la seconde mort ni la peine qu'on souffre dans les enfers » ne sont pas pour eux. Ce grand

 

1 P. 134, 135; In Rom., I, 13 — 2 Ad Bonif., lib. IV, cap. IV, n. 7. — 3 p. 136.

 

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critique ignore la définition de deux conciles œcuméniques, du concile de Lyon sous Grégoire X, et de celui de Florence sous Eugène IV, où les deux Eglises réunies décident comme de foi, «que les âmes de ceux qui meurent ou dans le péché mortel actuel, ou dans le seul originel, descendent incontinent dans l'enfer, ad infernum, pour y être toutefois punies par des peines inégales (1) : » Pœnis disparibm puniendas, d'où le cardinal Bellarmin (2), et après lui tout nouvellement le P. Petau (3) concluent la damnation été; vielle des uns et des autres, sans qu'il soit permis d'en douter. Les voilà donc dans l'enfer, dans la peine, dans la punition, dans la damnation, « dans les tourments perpétuels, » selon saint Grégoire, au rapport du même P. Petau : perpetua tormenta percipiunt (4), « dans la géhenne, » selon saint Avite, cité par ce même théologien; « dans la mort éternelle, » dit le pape Jean cité dans le Droit, et ensuite par Bellarmin qui conclut de ces passages et de beaucoup d'autres que cette doctrine est « de la foi catholique, » et la contraire « hérétique, » condamnant la fausse pitié de ceux qui, pour témoigner « à des enfants morts une affection qui ne leur profite de rien, s'opposent aux Ecritures, aux conciles et aux Pères (5). » Faut-il tant faire l'habile quand on ignore les dogmes de la foi expressément définis et en mêmes termes par deux conciles si authentiques : savoir, dans la Confession de foi de l'Eglise grecque approuvée par le concile de Lyon, et dans le Décret d'union du concile de Florence prononcé du commun consentement des Grecs et des Latins et avec l'approbation de toute l'Eglise?

On voit bien ce qui a trompé M. Simon, c'est qu'il a ouï parler de la dispute des scholastiques sur la souffrance du feu, dont il n'est pas ici question. Car quoi qu'il en soit, n'est-ce rien d'être banni éternellement de la céleste patrie, privé de Dieu pour qui on est fait, et condamné à l'enfer ainsi que l'ont prononcé ces deux conciles? Il est vrai qu'Hilaire a imaginé pour ceux qui n'ont péché qu'en Adam, « un enfer supérieur ; » c'est-à-dire, comme l'explique M. Simon, « dans un lieu où ils ne souffraient point,

 

1 Décret. union. — 2 Bellarm., tom. III, lib. VI, cap. II initio. — 3 Tom. I, Theol. Dog., lib. IX, cap. XI, n. 5. — 4 Lib. IX Moral., cap. XII, q. 30 ad limina. — 5 Bellarm., loc. jam citat.

 

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étant comme en suspens et ne pouvant monter au ciel (1) : » sentiment que notre critique se contente de rejeter par une trop faible censure, en disant : « qu'il pourra paraître singulier. » Mais les conciles de Lyon et de Florence ne distinguent pas ces deux enfers, et mettent également dans l'enfer ceux qui meurent dans le péché actuel ou originel, sans y marquer d'autre différence que l'inégalité de leur supplice.

 

CHAPITRE III.

 

Autre passage du même Hilaire sur le péché originel, également hérétique : vainc défaite de M. Simon.

 

Voilà donc la première erreur du diacre Hilaire approuvée de M. Simon. En voici une autre plus grande : « c'est qu'il insiste, dit-il, sur une diverse leçon (d'un passage de saint Paul) qui semble détruire tout ce qu'on vient d'avancer sur le péché originel (2); » et c'est en vain qu'il veut excuser ce diacre sous prétexte que s'il a ôté sans raison et par une affectation manifeste une négation, « on ne peut nier qu'il n'y eût alors de semblables exemplaires. » Mais cette excuse serait peut-être recevable, si Hilaire n'avait pas tiré du texte, visiblement corrompu comme il le lisait, toutes les mauvaises conséquences qu'on peut en tirer contre la vérité du péché originel, puisqu'il en conclut que la mort du péché n'a point régné sur ceux qui n'ont péché qu'en Adam ; qu'ils n'ont contracté que la première mort qui est celle du corps, et non pas la seconde qui est celle de l’âme ; en sorte « qu'ils étaient réservés avec Abraham en espérance, et qu'il ont été délivrés par indulgence du Sauveur, lorsqu'il est descendu dans les enfers : » paterno peccato ex Dei sententià erant apud Infernos ; gratta Dei abundavit in descensu Salvatoris omnibus dans indulgentiam, cum triumpho sublatis eis in cœlum (3).

M. Simon croit l'avoir sauvé, en disant qu'on ne peut pas «l'accuser d'avoir nié le péché originel qu'il avait établi peu auparavant (4). » Mais c'est assez pour le condamner qu'il soit de ceux à

 

1 In Rom., V, 12-14.— 2 P. 246, in Rom., 14, p, 137. —3 p. 140, in Rom., 15. — 4 P. 137.

 

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qui la foi de l'Eglise et la force de la tradition ayant arraché la confession d'un dogme si établi, l'obscurcissent de telle sorte dans la suite, qu'on ne le reconnaît plus dans leurs discours. Car si Hilaire avait reconnu autant qu'il faut cette corruption de notre origine, il n'aurait pas dit, comme il fait, « qu'elle n'emporte point la mort de l’âme (1) » et il aurait encore moins inféré de là, qu'à cet égard un plus grand nombre d'hommes a reçu la vie par Jésus-Christ, qu'il n'y en a eu qui sont morts par le péché d'Adam : en supposant, comme il fait partout, que la mort de l’âme n'a pas été universelle ; en quoi il a montré le chemin à Pélage, qui explique comme lui le passage de saint Paul (2).

 

CHAPITRE IV.

 

Hérésie formelle du même auteur sur la grâce : qu'il n'en dit pas plus que Félage sur cette matière, et que M. Simon s'implique dans son erreur en le louant.

 

Il n'est pas moins avant-coureur de cet hérétique dans la matière de la grâce, de l'aveu de M. Simon, puisqu'il s'étudie à rapporter les passages où ce diacre montre qu'elle n'est pas prévenante (3) ; au contraire, que la vocation est prévenue par la volonté de l'homme : ce qui est précisément la même erreur qu'on a condamnée dans Pélage, « que la grâce est donnée selon les mérites. »

Je sais que quelques auteurs se sont étudiés à le justifier, en cherchant dans les saints docteurs des locutions semblables aux siennes, afin de nous obliger à prendre en meilleure part celles de ce diacre. Mais je ne puis leur avouer ce qu'ils avancent : au contraire, en recherchant avec soin dans cet auteur tout ce qui pourrait insinuer la vraie grâce de Jésus-Christ, je ne trouve sous le nom de grâce que la loi, la prédication, les sacrements, la rémission des péchés, et en un mot nulle autre grâce que celle qu'on trouve aussi dans les pélagiens et dans Pélage même.

M. Simon a raison de dire de cet hérésiarque « que dans certains endroits de son Commentaire, il parle de la sainteté et de la grâce d'une manière qui ferait croire qu'il n'a eu là-dessus aucun

 

1 P. 137, in Rom., 15, 18. — 2 In Rom., ibid., V, 15.— 3 P. 138.

 

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sentiments particuliers (1). » Mais tout cela ne passe pas la rémission des péchés, qu'il reconnaissait gratuite, fondée et accompagnée de la grâce du Saint-Esprit. On n'en trouvera pas davantage dans Hilaire. Il n'y a aucun auteur, excepté Pélage et ses disciples, qui se soit attaché à dire aussi opiniâtrement et sans s'adoucir jamais, que la volonté prévient la grâce sans en être prévenue, ni qui ait pris plus de soin d'éluder tous les passages par où l'on peut établir la grâce intérieure de la volonté. Par exemple, il n'y a rien de plus formel pour cela que ce passage de saint Paul : « Dieu opère en nous le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir (2). » Mais Hilaire le détourne sans ménagement par cette note : «L'Apôtre rapporte par là toute la grâce de Dieu, en sorte que c'est à nous à vouloir, et à Dieu à parfaire, » ou à achever. On ne pouvait faire une altération plus grossière ni plus hardie que de distinguer le Vouloir d'avec le parfaire, que son texte unissait si clairement. Je ne vois non plus aucun auteur, si ce n'est Pélage, qui ait inculqué avec tant de force et si constamment que les Gentils convertis aient «cru en Dieu et en Jésus-Christ (3) (car c'est ici le mot essentiel) ; en Dieu et en Jésus-Christ, au Père et au Fils : » In Deum et Christum, in Patrem et Filium, par la conduite de la nature : Duce naturà, «par la raison naturelle (4) : » per rationem naturœ, «par leur jugement naturel :» naturali judicio: encore un coup: duce nalurà, «ayant pour guide la nature : » per solam naturam, «par la seule nature. » S'il faut excuser tout cela dans un homme qui tient toujours ce même langage, et qu'on voit d'ailleurs si vacillant, ou, si l'on veut, d'une doctrine si mêlée et si peu suivie dans le dogme du péché originel, on ne sait plus à quoi s'en tenir; et quoi qu'il en soit, je n'ai pas îi considérer ce qu'on peut dire pour excuser un auteur si peu digne d'être ménagé, mais ce qu'en a pensé M. Simon, «qui bien loin de lui savoir mauvais gré de favoriser les sentiments de Pélage, » prend de là occasion de le louer. « Si, dit-il, sa théologie a du rapport en quelques endroits avec celle des pélagiens, on ne peut pas l'accuser pour cela de pélagianisme ; puisqu'il a écrit avant que

 

1 P. 239; Comm. in Rom., III, 24; II Timoth., I, 19. — 2 Philip., II   13  — 3 In Rom., II, 14. — 4 Ibid., II, 26.

 

 

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Pélage eut publié ses sentiments : au contraire, il est louable de n'avoir point eu d'opinions particulières sur des matières aussi difficiles que sont celles qui regardent la prédestination (1). »

La prédestination, qui est un terme odieux pour M. Simon, lui sert à mettre à couvert ce qu'Hilaire a dit contre la grâce et contre le péché originel, et même de son aveu, comme on vient de le voir. Tout cela donc, selon lui, n'empêche pas qu'il ne soit digne de louange plutôt que de blâme. Au reste, dit noire autour, « s'il ne paraît pas toujours orthodoxe à ceux qui font profession de suivre la doctrine de saint Augustin, on doit considérer qu'il a écrit avant que ce Père eût publié ses opinions (2). » Est-ce pour dire qu'il les eût suivies, s'il avait écrit après lui? Point du tout, puisque notre auteur encore à présent enseigne qu'elles sont mauvaises; mais c'est pour confirmer ce qu'il dit partout, que tous ceux qui ont écrit avant saint Augustin sont contraires à ce saint docteur, et n'en sont pas moins orthodoxes, puisque le diacre Hilaire est même loué pour avoir rejeté ses sentiments.

 

CHAPITRE V.

 

M. Simon fait l'injure à saint Chrysostome de le mettre avec le diacre Hilaire au nombre des précurseurs du pélagianisme : approbation qu'il donne à cette hérésie.

 

Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est qu'il défend de la même sorte saint Jean Chrysostome : « Si sa doctrine, dit-il, ne paraît pas toujours orthodoxe à quelques théologiens, qui croient qu'il approche quelquefois des sentiments de Pélage, on doit considérer que lorsqu'il a écrit ses Commentaires, le pélagianisme n'était pas encore dans le monde. Il a combattu avec forcé les hérétiques de son temps, et il ne s'est jamais éloigné de la doctrine des anciens auteurs ecclésiastiques (3). » On voit trois choses importantes dans ce passage : l'une, que notre auteur ne nie pas que saint Chrysostome approche des sentiments de Pélage; l'autre, qu'il ne trouve aucun inconvénient de s'en être ainsi approché; la troisième, qu'en approchant de Pélage, ce Père «ne s'est jamais

 

1 P. 144. — 2 P. 134. — 3 P. 168.

 

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éloigné des anciens auteurs ecclésiastiques : » ce qui induit qu'en suivant cet hérésiarque, on défend l'ancienne doctrine, et qu'on n'a pas dû lui en faire un crime.

Ainsi Hilaire le luciférien et saint Chrysostome sont tous deux sur le même pied : tous deux amis de Pélage : tous deux excusables de l'avoir été. Je sais bien qu'il dit ailleurs « que ce savant Père n'avance rien qui puisse favoriser l'hérésie de Pélage (1). » C'est sans doute qu'il trouvera quelque expédient pour l'en faire approcher sans la favoriser tout à fait, ou plutôt c'est qu'il ne cherche qu'à tout embrouiller, pour obscurcir la tradition et tout réduire à l'indifférence.

 

CHAPITRE VI.

 

Que cet Hilaire préféré par M. Simon aux plus grands hommes de l'Eglise, outre ses erreurs manifestes, est d'ailleurs un faible auteur dans ses autres notes sur saint Paul.

 

Concluons de tout ce discours qu'Hilaire n'était pas un assez grand auteur pour mériter tant de louanges de M. Simon, qui ne met rien, comme on a vu, au-dessus de lui, et qui même l'élève au-dessus de ce qu'il y a eu dans l'Eglise de plus excellent pour interpréter l'Ecriture.

A bien juger de cet auteur, il faudrait dire que son style est faible comme son raisonnement, et qu'il est presque partout au-dessous de son sujet. Pour peu que la matière qu'il trouve soit difficile et l'oblige à sortir du chemin battu, il s'embrouille d'une manière à n'être point entendu, témoin ce qu'on vient de voir sur les deux enfers, qui tient une grande place, et toute pleine de ténèbres et d'égarements, dans son Commentaire. C'est dans ses notes sur ce verset : « En qui tous les hommes ont péché (2) : » In quo omnes peccaverunt, un raffinement particulier de dire que cet in quo signifie Eve : que c'est en elle que saint Paul enseigne que nous sommes tous pécheurs ; et que s'il a dit in quo, quoiqu'il parlât d'une femme, cùm de muliere loquatur, c'est à cause que la femme est homme, en prenant ce mot pour le genre, et qu'en ce sens Eve était Adam : Et ipsa enim Adam est, parce qu'Adam

 

1 P. 188. — 2 Rom., V, 12.

 

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signifie homme : de sorte que c'est merveille qu'au lieu d'un nouvel Adam, saint Paul ne nous a pas donné en Jésus-Christ une nouvelle Eve. Je ne sais pourquoi M. Simon n'a pas relevé une remarque si particulière à ce commentateur, dont il prise tant les rares talents. Il devait encore observer sur ce passage de saint Paul : Peccatum occasione accepta per mandatum fefellit me : « Le péché a pris occasion du commandement pour me tromper et pour me donner la mort (1), » que le péché dans cet auteur, c'est le diable : Peccatum hoc loco diabolum intellige ; ce qu'il inculque bien fortement en un autre endroit (2). C'est aussi l'explication de Pélage, qui ne voulait point entendre que la concupiscence, qu'il croyait bonne, fût appelée péché par le saint Apôtre. Je pourrais relever beaucoup d'autres notes aussi malheureuses de ce commentateur, et en conclure qu'il n'entendait guère son original; mais c'en est assez pour faire voir que cet auteur, si estimé de M. Simon, encore que par sa doctrine mêlée et dans des siècles moins éclairés, il ait longtemps imposé au monde sous le grand nom de saint Ambroise, n'a point eu au fond de meilleur titre pour gagner l'estime de notre critique, et mériter la préférence qu'il lui adjuge au-dessus presque de tous les auteurs ecclésiastiques, du moins de tous les latins, que d'avoir été dans une grande partie de son Commentaire, comme je le nomme sans crainte, un précurseur de Pélage.

 

CHAPITRE VII.

 

Que notre critique affecte de donner à la doctrine de Pélage un air d'antiquité: qu'il fait dire à saint Augustin que Dieu est cause du péché : qu'il lui préfère Pélage, et que partout il excuse cet hérésiarque.

 

Aussi nous avons vu qu'après Hilaire, Pélage est celui des commentateurs que M. Simon estime le plus. Il est vrai qu'il semble excepter ses erreurs. Mais on verra dans la suite qu'il les réduit à si peu de chose, qu'à peine un juge équitable le comptera-t-il parmi les hérésiarques. Certainement saint Augustin, selon notre auteur, n'a pas moins de tort que lui et n'est pas un novateur moins dangereux, puisqu'il favorise (j'ai honte de le répéter) les

 

1 Rom., VII, 2. — 2 Rom., V, 18.

 

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impiétés de Luther : de sorte qu'il se trouvera par la critique de M. Simon que les deux commentateurs les plus clignes de ses louanges parmi les Latins, sont Hilaire très-favorable aux sentiments de Pélage, et Pélage même.

C'est pourquoi il tache partout de le rendre conforme aux anciens et surtout à saint Chrysostome : «L'on prendra garde, dit-il, que pour ne pas s'accorder avec la doctrine qui a été la plus commune après saint Augustin parmi les Latins, Pélage n'est pas pour cela hérétique : autrement il faudrait accuser d'hérésie la plupart des anciens docteurs de l'Eglise (1). » C'est dire assez clairement que la doctrine la plus commune de l'Eglise latine était contraire à l'antiquité. Il poursuit : « Pélage s'accorde , dit-il, avec les anciens commentateurs dans l'interprétation de ces paroles :  Tradidit illos Deus in desideria cordis eorum, encore qu'il soit éloigné de saint Augustin (2). » C'est saint Augustin qui a tort, c'est lui qui innove, c'est Pélage qui s'attachait à la tradition. Mais en quoi? L'auteur le va dire : Cette expression Tradidit, « Dieu a livré, » ne marque pas, dit Pélage, que Dieu ait livré lui-même les pécheurs aux désira de leurs cœurs, comme s'il était cause de leurs désordres. » C'est donc à dire que saint Augustin faisait « Dieu la cause des désordres. » M. Simon l'inculque partout, comme la suite le fera paraître, et Pélage savait mieux que lui condamner cette impiété.

Nous verrons ailleurs qu'il soutient cet hérésiarque, dans la manière dont il élude le plus beau passage de saint Paul pour le péché originel (3). Mais on ne peut pas tout dire à la fois, ni ramener en un seul endroit toutes les erreurs de M. Simon. Nous avons ici à considérer l'air d'antiquité qu'il donne partout à Pélage. Poursuivons donc. «Pélage, dit-il, suit d'ordinaire les interprétations des Pères grecs, principalement celles de saint Chrysostome. » Je le nie; et en attendant l'examen plus particulier de cette matière, on voit l'affectation de justifier Pélage, en le faisant d'ordinaire conforme aux saints docteurs. La même idée se trouve partout (4). « On ne peut nier que l'explication, qui est ici condamnée par saint Augustin, ne soit de Pélage dans son Commentaire sur

 

1 P. 238. — 2 P. 210. — 3 P. 211. — 4 P. 202.

 

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l’Epître aux Romains; mais elle est en même temps de tous les anciens commentateurs.» Voilà un acharnement qui n'a point d'exemple, à adjuger à un hérésiarque la possession de l'antiquité. Ailleurs : «Toute l'antiquité, dit-il, semblait parler en leur faveur, » (de Pélage et de ses disciples dont il s'agit en cet endroit). Ce n'est pas tout : « On trouve, continue-t-il, dans les deux livres de saint Augustin sur la Grâce de Jésus-Christ et sur le Pèche originel, plusieurs extraits des ouvrages de Pélage, dont le langage paraît peu éloigné de celui des Pères grecs (1) ; » et il ajoute «qu'encore que ces expressions pussent avoir un bon sens, elles ont été condamnées par saint Augustin.» Il insinue qu'il n'y avait qu'à s'entendre, et que la dispute était presque toute dans les mots. C'est pourquoi il ajoute encore : « Si saint Augustin s'était contenté de prouver par l'Ecriture qu'outre ces grâces extérieures, il faut nécessairement en admettre d'intérieures, il aurait ruiné l'hérésie des pélagiens sans s'éloigner de la plupart de leurs expressions, qu'il eût été peut-être meilleur de conserver, parce qu'elles sont conformes à toute la théologie. » Voilà une belle idée pour détruire une hérésie. Il n'y a qu'à parler comme elle et conserver la plupart de ses expressions. C'est le conseil que M. Simon aurait donné à saint Augustin, s'il avait vécu de son temps. Il venait pourtant de nous dire, « qu'on a dû rejeter ces expressions des pélagiens, quoiqu'ils eussent pu s'en servir (2). » Nous démêlerons ailleurs ce nouveau mystère que M. Simon a trouvé pour et contre l'hérésie pélagienne. On en voit assez pour entendre qu'il donne, autant qu'il peut, à cette hérésie un air d'antiquité et de bonne foi ; et à saint Augustin, qui défendait la cause de l'Eglise, un air d'innovation, de contention sur les mots, et de chicane.

Il lâche par tous moyens de donner de l'autorité au Commentaire de Pélage sur les Epîtres de saint Paul; et pour inviter à le lire : «Je crois, dit-il, que Pélage l'avait composé avant que d'être déclaré novateur (3). » Vous diriez que ces nouveautés n'y sont pas. On sait cependant que tout en est plein, et M. Simon trouve ce moyen de les insinuer plus doucement. C'est donc un aveuglement manifeste à ce critique d'avoir tant loué Hilaire, même en le

 

1 P. 292. — 2 P. 298. — 3 p. 238.

 

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présupposant si favorable à Pélage : c'en est encore un plus grand de témoigner tant d'estime pour Pélage même ; mais le comble de l'erreur est de les louer l'un et l'autre comme défenseurs de la tradition au préjudice de saint Augustin.

 

CHAPITRE VIII.

 

Que s'opposer à saint Augustin sur la matière de la grâce, comme fait M. Simon, c'est s'opposer à l'Eglise, et que le P. Gamier démontre bien cette vérité.

 

M. Simon est tombé dans ces égarements, faute d'avoir considéré que s'attaquer sur cette matière à saint Augustin, c'est s'attaquer directement à l'Eglise même.

C'est ce qu'un savant jésuite de nos jours aurait appris à M. Simon, s'il avait voulu l'écouter, lorsque en parlant des grands hommes qui ont écrit contre les pélagiens, il commence par le plus âgé, qui est saint Jérôme. « Il leur a, dit-il, fait la guerre comme font les vieux capitaines, qui combattent par leur réputation plutôt que par leur main; mais, poursuit le P. Garnier, ce fut saint Augustin qui soutint tout le combat ; et le pape Hormisdas a parlé de lui avec autant de vénération que de prudence, lorsqu'il a dit ces paroles : «On peut savoir ce qu'enseigne l'Eglise romaine, c'est-à-dire l'Eglise catholique, sur le libre arbitre et la grâce de Dieu dans les divers ouvrages de saint Augustin, principalement dans ceux qu'il a adressés à Prosper et à Hilaire (1). » Ces livres, où les ennemis de saint Augustin trouvent le plus à reprendre, sont ceux qui sont déclarés les plus corrects par ce grand pape : d'où cet habile jésuite conclut, « qu'à la vérité on peut apprendre certainement de ce seul Père ce que la colonne de la vérité, ce que la bouche du Saint-Esprit enseigne sur cette matière; mais qu'il faut choisir ses ouvrages, et s'attacher aux derniers plus qu'à tous les autres ; et encore que la première partie de la sentence de ce pape emporte une recommandation de la doctrine de saint Augustin, qui ne pouvait être ni plus courte, ni plus pleine, la seconde  contient un avis entièrement nécessaire, puisqu'elle marque les endroits de ce saint docteur où il se faut le plus

 

1 Garnier, tom. I, dissert, VI in Mercat., cap. II init., p. 342.

 

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appliquer pour ne s'éloigner pas d'un si grand maître, ni de la règle du sentiment catholique. » Voilà dans un savant professeur du collège des Jésuites de Paris, un sentiment sur saint Augustin bien plus digne d'être écouté de M. Simon que celui de Grotius. Mais pour ne rien oublier, ce docte jésuite ajoute « qu'encore que saint Augustin soit parvenu à une si parfaite intelligence des mystères de la grâce, que personne ne l'a peut-être égalé depuis les apôtres, il n'est pourtant pas arrivé d'abord à cette perfection, mais il a surmonté peu à peu les difficultés, selon que la divine lumière se répandait dans son esprit. C'est pourquoi, continue ce savant auteur, saint Augustin a prescrit lui-même à ceux qui liraient ses écrits, de profiter avec lui et de faire les mêmes pas qu'il a faits dans la recherche de la vérité; et quand je me suis appliqué à approfondir les questions de la grâce, j'ai fait un examen exact des livres de ce Père et du temps où ils ont été composés, afin de suivre pas à pas le guide que l'Eglise m'a donné, et de tirer la connaissance de la vérité de la source très-pure qu'elle me montrait. »

 

CHAPITRE IX.

 

Que dès le commencement de l'hérésie de Pélage, toute l'Eglise tourna les yeux vers saint Augustin, qui fut chargé de dénoncer aux nouveaux hérétiques dans un sermon à Carthage leur future condamnation; et que loin de rien innover, comme l'en accuse l'auteur, la foi ancienne fut le fondement qu'il posa d'abord.

 

Voilà comment parleront toujours ceux qui auront lu avec soin les livres de saint Augustin, et qui sentiront l'autorité que l'Eglise leur a donnée. En effet dès que Pélage parut, les particuliers, les évoques, les conciles, les papes et tout le monde en un mot, tant en Orient qu'en Occident, tournèrent les yeux vers ce Père, comme vers celui qu'on chargeait par un suffrage commun de la cause de l'Eglise. On le consultait de tous côtés sur cette hérésie, dont il découvrit d'abord tout le venin, pendant même qu'elle le cachait sous une apparence trompeuse, et par des termes enveloppés. Il l'attaqua premièrement par ses sermons, et ensuite par quelques livres, avant qu'elle  fût expressément condamnée.

 

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Avant que, l'erreur croissant, on fût obligé d'en venir à une expresse définition, il fit à Carthage par ordre d'Aurèle, évêque de cette ville et primat de toute l'Afrique, le sermon dont nous avons déjà parlé, où il prépara le peuple à l'anathème qui devait partir. Pour cela, après avoir exposé dans les termes que nous avons rapportés ailleurs, la pratique universelle de l'Eglise , il lut en chaire une lettre de saint Cyprien ; et opposant aux nouveaux hérétiques l'ancienne tradition expliquée par ce saint martyr, ancien évoque de l'église où il prêchait, il déclara sur ce fondement aux pélagiens, comme de la part de toute l'Eglise d'Afrique, qu'on ne les souffrirait pas encore longtemps. «Nous faisons, dit-il, ce que nous pouvons pour les attirer par la douceur ; et encore que nous puissions les appeler hérétiques, nous ne le faisons pas encore; mais s'ils ne reviennent, nous ne pourrons plus supporter leur impiété. » On voit par là, non-seulement la modération de l'Eglise catholique, mais encore son attachement à l'ancienne doctrine des Pères, et que saint Augustin fut choisi pour poser d'abord ce fondement. Depuis ce temps loin d'avoir donné, comme on ose l'en accuser, dans des opinions particulières, il a toujours fait profession de joindre à l'Ecriture sainte les sentiments des anciens.

C'est par là que l'on procéda contre les pélagiens dans les conciles d'Afrique reçus unanimement par toute l'Eglise; et tout le monde est d'accord avec saint Prosper que si Aurèle comme primat en était le chef, saint Augustin en était l’âme et le génie : Dux Aurelius ingeniumque Augustinus erat. Il n'en faudrait pas davantage pour montrer que saint Augustin ne pouvait pas être regardé comme un novateur; mais cela demeurera plus clair que le jour par les remarques suivantes.

 

CHAPITRE X.

 

Dix évidentes démonstrations que suint Augustin, loin de passer de son temps pour novateur, fut regardé par toute l'Eglise comme le défenseur de l'ancienne et véritable doctrine. Les neuf premières démonstrations.

 

La première est dans ce qu'on vient de voir, que saint Augustin

 

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était l’âme des conciles d'Afrique, ce qui ne peut convenir qu'à un défenseur de la tradition.

La seconde, que les écrits de ce Père sur cette matière furent jugés si solides et si nécessaires, qu'on lui ordonna de les continuer. On sait l'ordre qu'il en reçut de deux conciles d'Afrique et le soin qu'il eut de leur obéir.

Troisièmement ses écrits furent tellement regardés comme la défense la plus invincible de l'Eglise, que saint Jérôme lui-même, un si grand docteur et le plus célèbre en érudition de tout l'univers, dès qu'il eut vu les premiers ouvrages de ce saint évêque sur cette matière, touché, comme le remarque saint Prosper (1), de la sainteté et de la sublimité de sa doctrine, déclara qu'il cessait d'écrire et lui renvoya toute la cause.

En quatrième lieu saint Augustin s'acquitta si bien et si fort au gré de saint Jérôme, du travail que toute l'Eglise lui avait comme remis entre les mains, que ce grand homme ne se réserva pour ainsi dire autre chose que d'applaudir à saint Augustin. Les petites altercations qu'ils avoient eues sur quelques difficultés de l'Ecriture cédèrent bientôt à la charité et au besoin de l'Eglise : et saint Jérôme écrivit à saint Augustin, que l'ayant toujours aimé, maintenant que la défense de la vérité contre l'hérésie de Pélage le lui avait rendu encore plus cher, « il ne pouvait passer une heure sans parler de lui (2). » Il lui annonçait en même temps de l'extrémité de l'Orient, que « les catholiques le respectaient comme le fondateur de l'ancienne foi en nos jours : » Antiquœ rursùs fidei conditorem ; et il mettait sa louange en ce qu'il était, non l'auteur d'une nouvelle doctrine, mais le défenseur de l'antiquité.

En cinquième lieu c'était une coutume établie comme une espèce de règle, que personne n'écrivait contre les pélagiens qu'avec l'approbation de saint Augustin; ce qui paraît par les deux lettres de ce Père à Sixte, prêtre de l'Eglise romaine et depuis pape, et par celle du même Père à Mercator, qui attendait son consentement pour publier ses ouvrages contre ces hérétiques (3).

 

1 Dial. III, sub fin. — 2 Epist. LXXX.— 3 Epist. CXCI, CXCIV; al. CIV, CV; Epist. excur, nov. edit

 

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En sixième lieu lorsqu'il y avait quelque chose de conséquence à écrire contre Pélage ou ses sectateurs, on le renvoyait à saint Augustin comme d'un commun consentement. On voit sur cela les lettres des plus grands hommes de l'Eglise et de l'Empire, qui se réglaient selon la doctrine de ce grand évêque.

En septième lieu les papes mêmes entraient dans ce concert de toute l'Eglise. Il n'y avait rien de plus important du temps de saint Boniface I, que les deux lettres des pélagiens; mais à l'exemple des autres ce pape, quoique très-docte, comme le témoigne saint Prosper (1), « les renvoya à saint Augustin, et attendait sa réponse : » Cum esset doctissimus, adversus libros tamen pelagianorum beati Augustini responsa poscebat. Ce qui fait dire à Suarez que ce même pape répondit à Julien par saint Augustin : Per Augustinum adversùs pelagianos scripsit (2).

En huitième lieu ses écrits étaient si estimés qu'on les envoyait aux papes, comme cinq évêques assemblés avec Aurèle de Cartilage leur primat, envoyèrent à saint Innocent I, le livre de saint Augustin de la Nature et de la Grâce (3)

En neuvième lieu le dessein de saint Augustin, quand il envoyait ses écrits aux papes, était de les soumettre à leur correction. Ainsi quand il répondit à saint Boniface sur les deux lettres des pélagiens, il lui déclara humblement qu'il lui adressait sa réponse afin qu'il la corrigeât, parce qu'il était résolu de changer tout ce qu'il y trouverait à reprendre (4) ; d'où il résulte trois vérités : la première, l'habileté de saint Augustin, à qui on renvoyait les plus grandes choses; la seconde, son humilité, puisqu'il était si soumis à l'examen du Saint-Siège ; la troisième, l'approbation de ses sentiments, puisque les papes, à qui il les soumettait, n'y ont jamais fait que des réponses favorables, et ont conservé à ce Père toute leur estime.

 

1 Prosp., XXI, n. 57. — 2 Proleg. VI, De Grat., cap. I, n. 6. —  3 Epist. CLXXVII, nov. edit., al. XCV. — 4 Lib. I ad Bonif., cap. I, n. 3.

 

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CHAPITRE XI.

 

Dixième démonstration et plusieurs preuves constantes que l'Orient n'avait pas moins en vénération la doctrine de saint Augustin contre Pélage que l'Occident : actes de l'assemblée des prêtres de Jérusalem : saint Augustin attentif à l'Orient comme à l'Occident : pourquoi il est invité en particulier au concile œcuménique d'Ephèse.

 

En dixième et dernier lieu l'Orient ne cédait en rien à l'Occident dans la profonde vénération qu'on y avait pour saint Augustin. Le témoignage de saint Jérôme, qui vivait en cette partie de l'univers, en est la première preuve. La seconde se tire des Actes des assemblées d'Orient dans la cause de la Grâce chrétienne. Saint Augustin, qui n'y était pas, ne laissa pas d'y poursuivre Pélage et Célestius par ses écrits et par Paul Orose son disciple. Lorsque Jean, évêque de Jérusalem, qui favorisait secrètement ces hérétiques, assembla son presbytère pour les justifier s'il eût pu, ou du moins pour éluder la poursuite que l'on commençait, Paul Orose produisit contre eux la lettre de saint Augustin à Hilaire, et les livres de la Nature et de la Grâce, qui venaient d'être publiés (1). Comme Pélage eut répondu qu'il n'avait que faire de saint Augustin, « tout le monde s'écria contre ce blasphème qu'il avait proféré contre un évêque par la bouche de qui Dieu avait guéri toute l'Afrique du schisme des donatistes, et on dit qu'il fallait chasser Pélage, non-seulement de cette assemblée, mais même de toute l'Eglise. » Sur quoi Jean de Jérusalem ayant dit : « Je suis Augustin, » pour insinuer que c'était à lui à venger l'injure et à soutenir la cause d'un évêque, Orose lui répondit : « Si vous voulez représenter la personne d'Augustin, suivez-en aussi les sentiments. » Dès lors donc, c'est-à-dire dès le commencement de la querelle et dans une assemblée qui servit de préliminaire au concile de Diospolis, on commençait à presser Pélage par l'autorité de saint Augustin : « Voilà, disait-on, ce que le concile d'Afrique a détesté dans la personne de Célestius : voilà ce que l'évêque Augustin a eu en horreur dans les écrits qu'on a produits, etc. » En même temps on déclarait « qu'on s'attachait à la foi des Pères

 

1 Apol. Oros., cap. III et IV.

 

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qui étaient en vénération par toute l'Eglise (1), » et par là on déclarait que saint Augustin en était le défenseur (2). C'est donc ainsi qu'on parlait de ce grand homme en Orient à l'ouverture, pour ainsi parler, de la dispute. Mais à la fin et quinze ans après, l'Orient rendit encore un témoignage plus authentique à la doctrine de ce Père, lorsque l'empereur Théodose, sans aucune recommandation que celle de sa doctrine, l'invita au concile œcuménique d'Ephèse par une lettre particulière : honneur qu'aucun évêque, ni en Orient ni en Occident, n'a jamais reçu. On sait que les empereurs, lorsqu'ils écrivaient de telles lettres, le faisaient avec le conseil et très-souvent par la plume des plus grands évoques qu'ils eussent aux environs. Dans la lettre que nous avons, Théodose reconnaissait saint Augustin pour la lumière du monde, pour le vainqueur des hérésies et comme celui en particulier dont les écrits avoient triomphé de celle de Pélage. Mais comme plusieurs la rejettent comme supposée, sans nous arrêter à cette critique, le fait allégué dans cette lettre est assez constant d'ailleurs; et personne n'ignore ni ne nie ce qu'a écrit saint Prosper, « que durant vingt ans de guerre avec les pélagiens, l'armée catholique n'avait combattu ni triomphé que par les mains de saint Augustin, qui ne leur avait pas laissé le loisir de respirer (3). »

En effet, en quelque endroit de l'univers qu'ils se remuassent, saint Augustin les prévenait. Pour découvrir les artifices par lesquels ils tâchaient d'abuser l'Orient, il adressa à Albinus, à Pinien et à Mélanie qui étaient à Jérusalem, ses livres de la Grâce de Jésus-Christ et du Péché originel (4). Ainsi malgré leurs finesses et la protection de Jean de Jérusalem, leurs efforts furent inutiles : saint Augustin fut le vengeur de l'Eglise grecque comme de la latine, et il défendit le concile de Palestine avec le même zèle et la même force que les conciles de Carthage et de Milève.

Il ne faut donc pas permettre à M. Simon de diviser l'Orient d'avec l'Occident sur le sujet de ce Père; et au contraire on doit reconnaître avec saint Prosper «que non-seulement l'Eglise Romaine

 

1. Apol. Oros., cap. III et IV. — 2 Garn., diss. II, p. 235. — 3 Liberat Breviar., cap, V, de Conc. Éphes., Capreol., Epist. ad Conc. Ephes.; Act., I, Contr. Collat., cap. I, n. 2, tom. X, in app., August., p. 171.— 4 August., tom. X, p. 230.

 

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avec l'Africaine, mais encore par tout l'univers, les enfants de la promesse ont été d'accord avec lui dans la doctrine de la grâce, comme dans tous les autres articles de la foi (1). »

Ainsi ses travaux et ses services étant célèbres autant qu'utiles par toute la terre, il ne faut pas s'étonner qu'il ait été appelé en Orient au concile universel, avec la distinction qu'on vient de voir.

La force et la profondeur de ses écrits, les beaux principes qu'il avait donnés contre toutes les hérésies et pour l'intelligence de l'Ecriture, ses lettres qui volaient par tout l'univers et y étaient reçues comme des oracles, ses disputes où tant de fois il avait fermé la bouche aux hérétiques, la conférence de Carthage dont il avait été l’âme et où il avait donné le dernier coup au schisme de Donat, lui acquirent cette autorité dans toutes les églises et jusque dans le synode des prêtres de Jérusalem, jusque dans la cour de Constantinople ; et l'on peut juger maintenant si les Orientaux auraient fait cet honneur à un évêque qu'ils auraient cru opposé aux sentiments de leurs Pères, dont ils étaient si jaloux.

 

CHAPITRE XII.

 

Combien la pénétration de saint Augustin était nécessaire dans cette cause. Merveilleuse autorité de ce Saint. Témoignage de Prosper, d'Hilaire, et du jeune Arnobe.

 

Ce fut donc pour ces raisons que l'Eglise se reposa, comme d'un commun accord, sur saint Augustin de l'affaire la plus importante qu'elle ait peut-être jamais eue à démêler avec la sagesse humaine; à quoi il faut ajouter qu'il était «le plus pénétrant de tous les hommes à découvrir les secrets et les conséquences d'une erreur (2) » (je me sers encore ici des paroles du savant jésuite dont je viens de rapporter les sentiments) : en sorte que l'hérésie pélagienne étant parvenue au dernier degré de subtilité et de malice où put aller une raison dépravée, on ne trouva rien de meilleur que de la laisser combattre à saint Augustin pendant vingt ans.

 

1 Ad Ruf., n. 3, tom. X, App. August., p. 165. — 2 Garn., Diss., VII, cap. III, n. 3.

 

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Mais s'il avait outré la matière en défendant la grâce; s'il avait affaibli le libre arbitre; en un mot, si dans une occasion si importante il avait, par quelque endroit que ce fût, altéré l'ancienne doctrine et introduit des nouveautés dans l'Eglise, il eût fallu l'interrompre et ne pas permettre qu'il combattît des excès par d'autres excès peut-être aussi dangereux.

On ne le fit pas : au contraire son autorité fut si grande, non-seulement dans les siècles suivants où le temps amortit l'envie, mais dans le sien même, qu'on la crut seule capable d'abattre les adversaires de la grâce. « Ce n'est pas assez, lui disait-on, de leur alléguer des raisons, si on n'y joint une autorité que les esprits contentieux ne puissent mépriser (1).» Personne n'avait dans l'Eglise un si haut degré de cette sorte d'autorité que la vie et la doctrine concilie aux évoques. On le priait donc d'en user. Les gens de bien lui disaient, par la bouche d'Hilaire : » Tout ce que vous voudrez ou pourrez nous dire pour cette grâce que nous admirons en vous, petits et grands, nous le recevrons avec joie comme décidé par une autorité qui nous est également chère et vénérable : » tamquam à nobis charissimà et reverendissimâ auctoritate decretum (2). Saint Prosper lui disait en même temps : « Puisque par la disposition particulière de la grâce de Dieu en nos jours, nous ne respirons en cette occasion que par la vigueur de votre doctrine et de votre charité, usez d'instruction envers les humbles, et d'une sévère répréhension envers les superbes (3).» C'est ce qu'on lui écrivait de nos Gaules. Quand on écrit à travers les mers de cette sorte à un évêque, c'est qu'on le regarde comme l'apôtre de son temps. C'est pourquoi le même Prosper lui disait encore : « Tous tant que nous sommes, qui suivons l'autorité sainte et apostolique de votre doctrine, sommes restés très-instruits par vos derniers livres (4); » ce qui préparait la voie au jeune Arnobe, auteur du même âge, médiocre dans ses pensées, mais naturel et simple, pour dire à Sérapion dans son Dialogue : « Vous m'ôterez tout doute, si vous m'alléguez le témoignage de saint Augustin, parce que je tiendrais pour hérétique celui qui le

 

1 Epist. Hil. ad August., inter Epist. August., Epist. CCXXVII, n. 9. — 2 Ibid., n. 10. —  3 Inter Epist. August.; Epist. CCXXV, n. 9. — 4 Ibid., n. 2.

 

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reprendrait (1) ; » à quoi il répond : « Vous parlez selon mon cœur ; car je crois, je reçois et je défends ses paroles comme les écrits des apôtres. » Ce qu'on ne peut dire avec cette confiance d'aucun auteur particulier, que lorsqu'on est assuré par l'approbation de l'Eglise qu'il s'est nourri du suc des Ecritures, et ne s'est pas écarté de la tradition.

 

CHAPITRE XIII.

 

On expose trois contestations formées dans l'Eglise sur la matière de la grâce, et partout la décision de l'Eglise en faveur de la doctrine de saint Augustin. Première contestation devant le pape saint Célestin, où il est jugé que saint Augustin est le défenseur de l'ancienne doctrine.

 

La doctrine de la grâce qui atterre tout orgueil humain et réduit l'homme à son néant, aura toujours des contradicteurs ; et ce qui fait que quelquefois elle en a trouvé même dans de saints personnages, c'est la difficulté de la concilier avec le libre arbitre, dont la créance est si nécessaire. De là donc il est arrivé que la doctrine de saint Augustin a souvent été l'occasion de grands démêlés dans l'Eglise : les uns l'ayant affaiblie, les autres l'ayant outrée, et tout cela étant l'effet naturel de sa sublimité.

Mais ce qui en fait voir la vérité, c'est que parmi toutes ces disputes on s'est toujours attaché de plus en plus à ce Père, comme on le verra par la suite de ces contestations.

Premièrement donc, la doctrine de ce Père fut attaquée même de son temps par des catholiques; mais il faut observer ici trois circonstances : la première, qu'elle ne le fut qu'en un endroit particulier et dans une petite partie de nos Gaules, à Marseille et dans la Provence; la seconde, qu'encore que saint Augustin, dans le livre de la Prédestination des saints, l'ait soutenue avec une force inimitable et tout ensemble avec une humilité qui fait dire au cardinal Baronius qu'il ne mérita jamais mieux l'assistance du Saint-Esprit que dans ces ouvrages, la querelle ne s'assoupit ni par sa doctrine ni par sa douceur; la troisième, que Dieu le permit ainsi pour un plus grand éclaircissement de la vérité, puisque saint Augustin étant mort sur ces entrefaites, Dieu lui suscita des

 

1 Dial. cum Serap., ap. Iren.

 

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défenseurs dans saint Prosper et saint Hilaire ses dignes disciples, qui portèrent la question devant le Saint-Siège que le pape saint Célestin remplissent alors, et il y fut décidé :

Premièrement, que la doctrine de saint Augustin était sans reproche ; et pour me servir des propres termes de ce pape « qu'il ne s'était élevé contre ce saint pas même le moindre bruit d'un mauvais soupçon : » Nec cum sinistrœ suspicionis saltem rumor aspersit ».

Secondement, que c'était aussi pour cette raison « qu'il avait toujours été mis au rang des plus excellents maîtres de l'Eglise par ses prédécesseurs, qui loin de le tenir pour suspect, l'avoient toujours aimé et honoré; » ce qu'en effet on a vu par les lettres du pape saint Innocent et du pape saint Boniface, qui le consultaient sur la matière de la grâce. Le pape saint Célestin confirme leur témoignage par le sien, et nous y pouvons ajouter celui de saint Sixte, prêtre alors de l'Eglise Romaine, et depuis successeur de saint Célestin dans la chaire de saint Pierre  (2).

Et parce qu'on objectait à saint Augustin « que sa doctrine était opposée à presque tous les anciens (3), » il fût décidé en troisième lieu, loin que saint Augustin fût novateur, que c'était au contraire ses adversaires «qui attaquaient l'Eglise universelle par leurs nouveautés; qu'il leur fallait résister (4);» que les évêques des Gaules, à qui saint Célestin adressait sa lettre, «devaient lui montrer que ces entreprises (contre  la doctrine de saint Augustin) leur déplaisaient ; » et tout cela était appuyé sur cette sentence qu'il avait posée d'abord pour fondement : Desinat incessere novitas vetustatem, «Que la nouveauté cesse d'attaquer l'antiquité (5) : » c'était-à-dire que les ennemis de saint Augustin cessent d'attaquer ce Père ; qui par conséquent est proposé comme le défenseur de la tradition, dont M. Simon le fait l'adversaire.

Vincent de Lérins cite ce passage du décret de saint Célestin, et il assure qu'il y reprenait « les évêques des Gaules, de ce qu'abandonnant par leur silence l'ancienne doctrine, ils laissaient élever

 

1 Epist. Cœlest. pop. Pro Prosp. et Hil., in append. tom. X, August. cap. II, p. 132. — 2 Vid. in Epist. August., CXCI.— 3 Epist. Prosp. ad August., sup. cit.— 4 Epist. Cœlest., cap. II. — 5 Cap. I.

 

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des nouveautés profanes (1). » C'était donc saint Augustin qui était, principalement dans ses derniers livres dont il s'agissait alors, le défenseur de l'ancienne doctrine, et c'était ses adversaires que ce saint pape réprimait comme des novateurs.

 

CHAPITRE XIV.

 

Quatre raisons démonstratives qui appuyaient te jugement de saint Célestin.

 

Le fondement de cette sentence de saint Célestin ne pouvait pas être plus solide pour ces raisons.

Premièrement il était certain que saint Augustin avait toujours été attaché à la tradition dont il avait soutenu les fondements, qui sont ceux de l'autorité de l'Eglise, dans ses livres contre les donatistes.

Secondement dans ses livres de la Grâce, il prend soin partout d'appuyer chaque partie de sa doctrine de l'autorité des Pères précédents, grecs et latins, comme on le peut voir dans tous ses ouvrages et en particulier dans les derniers, où on l'accuse d'innovation.

Troisièmement il est bien certain que ces murmures qu'on faisait dans les Gaules contre ces derniers livres, firent le principal sujet de la plainte qui fut portée au Saint-Siège par saint Prosper et saint Hilaire (2) et par conséquent la véritable matière du jugement du pape.

En quatrième et dernier lieu il n'est pas moins assuré, comme saint Prosper le démontre, qu'au fond il n'y a rien dans ces derniers livres, dans celui de la Grâce et du Libre arbitre, dans celui de la Correction et de la Grâce, dans ceux de la Prédestination des Saints et du don de la Persévérance, que ses adversaires accusaient, qui ne fût très-clairement établi dans les ouvrages précédents qu'ils faisaient profession d'approuver. La seule Lettre à Sixte en peut faire foi, aussi bien que le livre à Boniface, que le P. Garnier appelle avec raison un des plus excellents de saint Augustin (3), et qui est en même temps un de ceux où il établit le plus clairement la prédestination gratuite et l'efficace de

 

1 Commonit., II. — 2 Contr. Coll., cap. XXI, n. 59. — 3 Diss. VI, tap. II.

 

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la grâce. On ne peut pas dire que la lettre à Sixte n'ait pas été connue à Rome, où elle était adressée. Saint Augustin y faisait voir à ce docte prêtre, qui est devenu un si grand pape, que la doctrine dont il s'agissait était la propre doctrine de l'Eglise Romaine , que saint Paul lui avait adressée avec l’Epître aux Romains (1). Les livres à Boniface avoient été envoyés à ce savant pape pour les soumettre expressément à sa correction. C'était donc avec connaissance de cause et avec une pleine instruction, que les papes, prédécesseurs de saint Célestin, avoient estimé saint Augustin et ses ouvrages ; et il était trop tard de blâmer les derniers livres de ce Père, après que les premiers avoient passé avec approbation.

On pourrait ici ajouter la Lettre à Vital, dont le P. Garnier a écrit « qu'elle ne cédait à aucune de celles de saint Augustin, et qu'en découvrant le sacré mystère de la grâce prévenante, elle donnait douze règles où la doctrine catholique sur cette matière était contenue (2). » C'est pourtant une de celles où ces prétendues innovations de saint Augustin se trou voient le plus fortement et le plus affirmativement défendues. On ne les trouve pas moins clairement dans le Manuel à Laurent, que ce grand homme avait composé, pour être selon son titre entre les mains de tout le monde ; et de tout cela on peut conclure, comme une chose déjà jugée par le Saint-Siège avec le consentement de toute l'Eglise, qu'il n'y a aucun endroit dans saint Augustin par où on puisse le soupçonner d'être novateur.

Il faut encore ajouter, pour bien entendre le fond de ce jugement, que les chapitres attachés à la décrétale de saint Célestin condamnent ceux qui accusent saint Augustin et ses disciples comme s'ils avoient excédé, tamquam necessarium modum excesserint (3), et c'est de quoi M. Simon et ses semblables accusent encore aujourd'hui ce saint Docteur : de sorte que notre dispute avec ce critique, dès la première contestation, est vidée à l'avantage de saint Augustin, puisqu'il est jugé qu'il n'a point été novateur et qu'il n'est point sorti des justes bornes.

 

1 Epist. CXCIV, al. CV, cap. I, n. 1. — 2 Diss. VI, cap. II, ad an. 420, p. 350. — 3 Cap. III.

 

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CHAPITRE XV.

 

Seconde contestation sur la matière de la grâce émue par Fauste de Riez, et seconde décision en faveur de saint Augustin par quatre papes. Réflexions sur le décret de saint Hormisdas.

 

Soixante ans après, On vit s'élever la seconde contestation contre les écrits de ce Père, et en même temps le second jugement de toute l'Eglise en sa faveur. Fauste, évêque de Riez, en donna l'occasion. Ceux qui ont tâché de l'excuser en nos jours, l'ont fait à l'opprobre du jugement de quatre papes et de quatre conciles.

Le premier pape est saint Gélase, dont nous verrons les décrets en parlant des conciles.

Le second pape est saint Hormisdas, qui fit deux choses (1) : l'une de condamner Fauste et l'autre de se déclarer plus ouvertement que jamais pour saint Augustin qu'on attaquait, jusqu'à dire, comme on a vu, que qui voudrait savoir la doctrine de l'Eglise Romaine sur la grâce et le libre arbitre, n'avait qu'à consulter ses ouvrages, surtout les derniers, qu'il désigne expressément par leur titre, comme les livres adressés à Prosper et à Hilaire (2).

Les adversaires de ce Père chicanaient sur l'approbation de saint Célestin, où ils prétendaient que ces derniers livres n'étaient pas compris. Quoique cette chicane fût vaine par deux raisons : l'une que la contestation était formée sur ces livres, comme on a vu; l'autre, comme on a vu semblablement, que les autres livres de saint Augustin ne différaient en rien de ceux-ci : saint Hormisdas ôta tout prétexte à cette distinction des livres de saint Augustin, en désignant expressément les derniers comme les plus corrects, et en leur donnant une approbation si authentique. Il accompagne cette approbation d'une expresse déclaration, «que les Pères ont fixé la doctrine, que leur doctrine montre le chemin que tous les fidèles doivent suivre ; » par où il montre qu'en approuvant la doctrine de saint Augustin, il ne fait que suivre les Pères, et par conséquent qu'il n'y a rien de plus insensé que d'accuser saint Augustin d'être novateur.

 

1 Epist. ad Posses., in app., tom. X August., p. 150. — 2 Ibid., p. 151.

 

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Le troisième et le quatrième pape sont Félix IV et Boniface II, dont le premier a envoyé les chapitres dont a été composé le second concile d'Orange, et le second a confirmé le même concile, où la doctrine de saint Augustin a reçu une approbation qu'on verra bientôt (1).

 

CHAPITRE XVI.

 

Des quatre conciles qui ont prononcé m faveur de la doctrine de saint Augustin, on rapporte les trois premiers, et notamment celui d'Orange.

 

Pour les conciles, le premier est celui de soixante-dix évêques tenu a Rome par le pape saint Gélase, en 491, où saint Augustin et saint Prosper sont mis au rang des orthodoxes : au contraire les livres de Cassien, le plus grand adversaire de saint Augustin, sont réprouvés ; « et Fauste, son autre adversaire est rangé avec Pélage, Julien et les autres qui sont rejetés par les anathèmes de l'Eglise Romaine, catholique et apostolique. »

Le second concile est celui des saints évêques d'Afrique, bannis dans File de Sardaigne pour avoir confessé la foi de la Trinité (2). La lettre synodique de ces saints confesseurs porte une expresse condamnation de la doctrine de Fauste, et déclare que pour savoir ce qu'il faut croire, «on doit s'instruire avant toutes choses des livres de saint Augustin à Prosper et à Hilaire (3), » en faveur desquels ils citent le témoignage de saint Hormisdas qu'on vient de voir.

Le troisième concile tenu sur cette affaire fut celui d'Orange II, le plus authentique de tous (4). Je passe sur ces matières le plus légèrement qu'il m'est possible, à cause qu'elles sont connues, et selon la même méthode, je n'observerai que cinq ou six choses sur le concile d'Orange.

 

CHAPITRE XVII.

 

Huit circonstances de l'Histoire du concile d'Orange, qui font voir que saint Augustin était regardé par les papes et par toute l'Eglise comme le défenseur de la foi ancienne. Quatrième concile en confirmation de la doctrine de ce Père.

 

La première observation est que ce concile assemblé principalement

 

1 Vid. ibid., p. 157 et seq. — 2 In ead. append., p. 152 — 3 Cap. XVII. — 4 ibid., p. 157.

 

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de la province d'Arles et des lieux où les écrits de Fauste avoient réveillé les restes des pélagiens qui y étaient demeurés cachés depuis trente ans, traita les matières de la grâce «par l'autorité et par un avertissement particulier du Saint-Siège : » secundum auctoritatem et admonitionem Sedis apostolicœ (1).

Secondement le Saint-Siège et le pape Félix IV qui y présidait, non contents d'exciter la diligence de saint Césaire, archevêque d'Arles et de ses collègues, leur avoient envoyé « quelques chapitres tirés des saints Pères pour l'explication des saintes Ecritures (2), » ce qui montre en tout et partout le désir de conserver l'ancienne doctrine.

Troisièmement le pape Hormisdas avait déjà parlé dans la querelle de Fauste «de ces chapitres conservés dans les archives de l'Eglise (3),» qu'il offrit même d'envoyer à un évêque d'Afrique, qui semblait favoriser les écrits de Fauste.

Quatrièmement on voit par là qu'outre les décisions des conciles, où l'on exprimait les principes les plus généraux pour la condamnation de l'erreur, le Saint-Siège conservait des instructions plus particulières tirées des écrits des Pères, pour les faire servir dans le besoin à un plus grand éclaircissement de la vérité ; et ce fut apparemment ces mêmes chapitres que Félix IV envoya à saint Césaire «pour être souscrits de tous (4), » ainsi qu'il est marqué dans la préface du concile d'Orange.

Cinquièmement il est bien constant que ces chapitres du concile d'Orange contiennent le pur esprit de la doctrine de saint Augustin et pour la plupart sont extraits de mot à mot de ses écrits, ainsi que l'ont remarqué le P. Sirmond dans ses notes sur ce concile, et tous les savants.

C'est aussi pour cette raison, et c'est la sixième observation, que le pape saint Boniface II, qui dans ce temps succéda à Félix IV, fait une expresse mention dans la confirmation de ce concile, « des écrits des Pères, principalement de ceux de saint Augustin et des décrets du Saint-Siège (5), » pour marquer les sources d'où la doctrine de ce concile était tirée.

 

1 Prœf. — 2 Ibid. — 3 Epist. ad Posses., sup. citat. — 4 Conc. Araus., Prœf. — 5 Epist. Ad Cœsar., ibid., p. 161.

 

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En septième lieu on trouve dans ce concile tous les principes dont le même saint Augustin s'est servi pour établir la doctrine de la prédestination et de la grâce, comme la suite le fera paraître.

En huitième et dernier lieu, loin qu'on soupçonnât ce Père d'avoir innové, c'était ses écrits qu'on employait à combattre les nouveautés; et c'était lui qu'on citait, lorsqu'il s'agissait de soutenir la tradition des saints Pères, et on croyait la doctrine renfermée et recueillie dans ses ouvrages : ce qui est quant à présent tout ce que je prétends prouver.

Il est encore à remarquer que le concile d'Orange fut confirmé par un concile de Valence, où saint Césaire ne put assister à cause de son indisposition (1), mais où il envoya seulement des évêques (de la province) avec des prêtres et des diacres; et ce fut de là qu'on envoya demander la confirmation au pape saint Boniface : ce qui nous fait voir encore un quatrième concile pour saint Augustin et contre Fauste, après quoi les semi-pélagiens ne furent plus ni écoutés ni soufferts.

Il faut remarquer que dans l'ancien manuscrit d'où le P. Sirmond a tiré la lettre qu'on vient de voir de Boniface II, ces mots étaient à la tête : « On trouve dans ce volume le concile d'Orange, que le pape saint Boniface a confirmé par son autorité ; et ainsi quiconque croit autrement de la grâce et du libre arbitre que ne l'exprime cette autorité (cette confirmation authentique du concile d'Orange), ou qu'il n'a été décidé dans ce concile, qu'il sache qu'il est contraire au Saint-Siège apostolique et à l'Eglise universelle répandue par tout l'univers (2). » En effet personne ne doute que ce concile ne soit universellement reçu, et par conséquent n'ait la force d'un concile œcuménique.

 

1 Cypr., In vit. Cœsar. Arel., n. 33; vid. in append. jam cit., p. 162. — 3 Apud August., tom. X append., p. 161.

 

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CHAPITRE XVIII.

 

Troisième contestation sur la matière de la grâce à l'occasion de la dispute sur Gotescalc, où les deux partis se rapportaient également de toute la question à l'autorité de saint Augustin.

 

La troisième contestation sur les matières de la grâce, est celle du IXe siècle à l'occasion de Gotescalc. Les soutenants des deux côtés étaient orthodoxes, également attachés à l'autorité et à la doctrine de saint Augustin. C'est de quoi on ne peut douter à l'égard de saint Rémi archevêque de Lyon, de Prudence évêque de Troyes, et des autres qui entreprirent en quelque façon la défense de Gotescalc (1); car tous leurs livres ne sont remplis que des louanges de saint Augustin ; et ils posaient tous pour fondement la doctrine inviolable de ce Père, approuvée par les papes, et reçue par toute l'Eglise. Mais Hincmar archevêque de Reims, et les autres chefs du parti contraire, n'étaient pas moins affectionnés à ce saint docteur, à qui Jean Scot, dans son écrit de la Prédestination contre Gotescalc, donne l'éloge « de très-pénétrant dans la recherche de la vérité (2). » Il allègue ses derniers ouvrages de la Grâce, en disant :« Que se soumettre à l'autorité de ce Père, c'était par elle se soumettre à la vérité même. Qui, dit-il, osera résister à cette trompette du camp des chrétiens ? » Prudence lui disait aussi : « Vous avez suivi saint Augustin, et si vous vous étiez opposé à ses discours très-véritables, aucun des catholiques n'aurait imité votre folie (3) ; » tant les paroles de saint Augustin étaient réputées authentiques. Scot avait écrit son traité par ordre d'Hincmar et de Pardule, évêque de Laon, comme il paraît par sa Préface. On voit donc par son sentiment combien ces évêques étaient attachés à la doctrine de saint Augustin. Aussi Hincmar le cite partout dans sa lettre à saint Rémi de Lyon et dans son grand livre de la Prédestination, où il établit à la tête l'autorité de ce Père en cette matière par les mêmes preuves et avec autant de

 

1 Prud., ad Hincm. Et Pardul. Vindic, tom. II, p. 6; Lup. Léon., q. 2; De prœd., I, 31 ; Rem. De Trib., epist. CVIII; Defens. Script, ver., cap. XLIX, etc. — 2 De prœdest., cap. XI, XV, XVIII. — 3 Prud., De prœdest., cap. IV.

 

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force que ses adversaires. Le principal fondement des défenses de Gotescalc était le livre intitulé Hypognosticon ou Hypomnesticon, auquel ils ne donnaient cette autorité qu'à cause qu'ils présuppo-soient qu'il était de ce saint docteur. Ainsi dans une occasion dans laquelle il s'agissait ou d'excuser, ou de combattre les excès et les duretés de (Jotescalc, saint Augustin, dont il abusoit, demeura la règle des deux partis ; et sa doctrine sur la grâce et la prédestination subsista partout en son entier : ce qui est le témoignage le plus assuré qu'on puisse produire de l'autorité qu'elle avait acquise dans tout l'Occident ; et ce qui fait le plus à notre sujet, c'est qu'elle n'était si révérée que parce qu'on supposait comme indubitable que ce Père avait parlé dans cette matière, « en conformité des Pères ses prédécesseurs : » Juxta Scripturœ veritatem et prœcedentium Patrum reverendam auctoritatem (1).

 

CHAPITRE XIX.

 

Quatrième contestation sur la matière de la grâce à l'occasion de Luther et de Calvin, qui outraient la doctrine de saint Augustin; le concile de Trente n'en résout pas moins la difficulté par les propres termes de ce Père.

 

La quatrième et dernière contestation sur la matière de la grâce, est celle qui fut suscitée au siècle passé par Luther et Calvin, qui se servaient du nom de saint Augustin pour détruire le libre arbitre, outrer la doctrine de la prédestination et de la grâce, et faire Dieu auteur du péché. Mais le concile de Trente sut démêler leur artifice ; et loin de donner atteinte à la doctrine de suint Augustin, il a composé ses décrets et ses canons des propres paroles de ce Père. C'est ce qui n'est ignoré d'aucun catholique, et c'est ce qui a fait dire au savant P. Petau, « que saint Augustin, après l'Ecriture, est la source d'où le concile de Trente a puisé sur le libre arbitre, et la forme des sentiments et la règle des expressions : » Hic fons est à quo post canonicas Scripturas Tridentinum concilium et sentiendi de libero arbitrio formant et loquendi regulam accepit (1) : de sorte que la matière où l'on prétend trouver les

 

1 Remig., cap. IV, IX. — 2 Theolog. dogm. Tom. III De opif. sex dier., lib. IV, cap. V, n. 9.

 

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innovations de saint Augustin, qui est l'affaiblissement du libre arbitre, est précisément celle où le concile de Trente a choisi les termes de ce saint pour affermir L'ancienne et saine doctrine, ce que la suite fera paraître plus amplement.

 

CHAPITRE XX.

 

L'autorité de saint Augustin et de saint Prosper son disciple, entièrement

établie : autorité de saint Fulgence, combien révérée ; ce Père regardé comme un second Augustin.

 

Après le concile d'Orange, les adversaires de la doctrine de saint Augustin, qui depuis la décrétale de saint Célestin murmuraient encore sourdement, se turent. Saint Prosper qui l'avait si bien défendu eut part à sa gloire : tout l'univers apprit à révérer avec lui « l'autorité sainte et apostolique» d'un si grand docteur (1), et à recevoir agréablement avec Hilaire « tout ce qui se trouverait décidé par une autorité aussi chère et aussi vénérable que la sienne (2). » On acquérait de l'autorité en défendant sa doctrine. De là viennent ces paroles de saint Fulgence évêque de Ruspe, dans le livre où il explique si bien la doctrine de la prédestination etde la grâce : « J'ai inséré, disait-il, dans cet écrit quelques passages des livres de saint Augustin et des réponses de Prosper, afin que vous entendiez ce qu'il faut penser de la prédestination des saints et des méchants, et qu'il paroisse tout ensemble que mes sentiments sont les mêmes que ceux de saint Augustin (3). »

Ainsi les disciples de saint Augustin étaient les maîtres du monde. C'est pour l'avoir si bien défendu, que saint Prosper est mis en ce rang par saint Fulgence : mais pour la même raison saint Fulgence reçoit bientôt le même honneur; car c'est pour s'être attaché à saint Augustin et à saint Prosper qu'il a été si célèbre parmi les prédicateurs de la grâce : ses réponses étaient respectées. Quand il revint de l'exil qu'il avait souffert pour la foi de la Trinité, « toute l'Afrique crut voir en lui un autre Augustin, et chaque église le recevait comme son propre pasteur (4). »

 

1 Epist. Prosper. ad August. — 2 Epist. Hil. — 3 Lib. De praded. ad Monim., cap. XXX. — 4 Vid. Vit. Fulgent.

 

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Personne ne contestera qu'on n'honorât en lui son attachement à suivre saint Augustin, principalement sur la matière de la grâce. Il le disait ouvertement dans le livre de la Vérité de la Prédestination (1) ; et il déclarait en même temps que ce qui l'attachait à ce Père, c'est que lui-même il avait suivi les Pères ses prédécesseurs : « Cette doctrine, dit-il, est celle que les saints Pères grecs et latins ont toujours tenue par l'infusion du Saint-Esprit avec un consentement unanime, et c'est pour la soutenir que saint Augustin a travaillé plus qu'eux tous. » Ainsi on ne connaissait alors ni ces prétendues innovations de saint Augustin, ni ces guerres imaginaires entre les Grecs et les Latins, que Grotius et ses sectateurs tachent d'introduire à la honte du christianisme : on croyait que saint Augustin avait tout concilié, et tout l'honneur qu'on lui faisait, c'était « d'avoir travaillé plus que tous les autres, » parce que la Providence l'avait fait naître dans un temps où l'Eglise avait plus besoin de son travail.

 

CHAPITRE XXI.

 

Tradition constante de tout l'Occident en faveur de l'autorité et de la doctrine de saint Augustin. L'Afrique, l'Espagne, les Gaules, saint Césaire en particulier, l'Eglise de Lyon, les autres docteurs de l'Eglise gallicane, l'Allemagne, Haimon et Rupert, l'Angleterre et le vénérable Bédé, l'Italie et Rome.

 

Tout l'Occident pensait de même. On a vu le témoignage de l'Afrique. En Espagne, saint Isidore de Se ville, que les conciles de Tolède célèbrent comme le plus excellent docteur de son siècle, se déclarait le disciple de saint Augustin et le défenseur de saint Fulgence : saint Ildefonse de Tolède dans un sermon , « cite saint Augustin comme celui qu'il n'est pas permis de contredire (2). » Dans les Gaules, où les écrivains ecclésiastiques paraissent en foule dans le septième, dans le huitième, dans le neuvième, dans le dixième et le onzième siècle, il eut autant de disciples qu'il y avait de docteurs ; saint Prosper est à la tête, et après lui saint Césaire d'Arles. Il n'avait pas seulement de l'attachement, mais encore de

 

1 Lib. II, cap. XXVIII. — 2 Serm. II De B. Virg.,

 

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la dévotion pour saint Augustin ; et nous voyons dans sa Vie écrite par un de ses disciples, que dans sa dernière maladie, il se réjouissait de voir approcher la fête de saint Augustin, parce que « comme j'ai aimé autant que vous le savez, disait-il à ses disciples qui l'environnaient, ses sentiments très-catholiques, autant j'espère que, tout inférieur que je suis à ses mérites, ma mort ne sera pas éloignée de la sienne (1).» Il mourut la veille, et on voit que sa dévotion était attachée, comme il convenait à la gravité d'un si grand évêque, à la vérité de la doctrine de saint Augustin, qu'il avait, comme on a vu, si bien défendue dans le concile d'Orange.

Par les soins de ce saint évêque les provinces gallicanes, où saint Augustin avait eu tant d'adversaires, furent celles où il eut ensuite le plus de disciples. Saint Amolon de Lyon reconnait saint Augustin pour le principal docteur de la prédestination et de la grâce, après saint Paul (2) : saint Rémi de Lyon et son Eglise parlent de l'autorité de saint Augustin sur la grâce « comme de celle qui est vénérée et reçue de toute l'Eglise (3). »

Loup Servat prêtre de Mayence au neuvième siècle, dans la seconde question de la prédestination, appelle le livre du Bien de la Persévérance, « un livre très-exact (4). » C'est celui où les critiques modernes trouvent les plus grands excès. Nous avons vu les autres auteurs dans la querelle du neuvième siècle. Au même siècle Rémi d'Auxerre met saint Augustin, pour l'intelligence de l'Ecriture, au-dessus de tous les autres docteurs (5). Nous avons parlé de saint Rernard. Dans le même siècle Pierre le Vénérable, abbé de Clugni, appelle saint Augustin le maître de l'Eglise après saint Paul (6). Nous nommerons pour l'Allemagne Haimon d'Halberstadt du neuvième siècle, qui met sans hésiter saint Augustin « au-dessus de tous les docteurs, pour éclaircir les questions sur l'Ecriture. » L'abbé Rupert appelle ce Père la colonne de la vérité, et il en suit les explications sur la matière de la grâce. On nomme toute l'Angleterre en la personne du vénérable de Bède, qui est son historien et son second docteur après saint Grégoire. Saint Anselme,

 

1 Vita Caes., ap. Suid., ad 27 August., cap. XXII. — 2 Frag., Epist. Ad Hincm. — 3 Remig., De fin. Script., auct. II. — 4 Quest. II, n. 32. — 5 In Epist. II ad Cor. — 6 Lib. I Epist.

 

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archevêque de Cantorbéry, déclare qu'il suit en tout les saints Pères, « principalement saint Augustin. »

En Italie nous avons au sixième siècle le docte Cassiodore, qui dans la matière de la grâce regarde saint Augustin comme le docteur de toute l'Eglise ; car on ne veut pas ici nommer les papes saint Célestin, saint Boniface, saint Sixte, saint Léon, saint Gélase, saint Horsmisdas, saint Grégoire et tant d'autres qu'on pourrait citer, parce que leur autorité ne regarde pas plus l'Italie que toute l'Eglise.

 

CHAPITRE XXII.

 

Si après tous ces témoignages il est permis de ranger saint Augustin parmi les novateurs : que c'est presque autant que le ranger au nombre des hérétiques, ce qui faisait horreur à Facundus et à toute l'Eglise.

 

On a beau dire que d'autres saints ont aussi reçu de grands éloges. On n'a point vu un si grand concours, ni des marques si éclatantes de préférence, ni une plus expresse approbation, je ne dis pas de la doctrine en général, mais d'une certaine doctrine et de certains livres. Enfin, disait Facundus évêque d'Afiique du sixième siècle : « Ceux qui oseront appeler saint Augustin hérétique ou le condamner avec présomption, apprendront quelle est la piété et la constance de l'Eglise latine que Dieu a éclairée par ses instructions, et ils seront frappés de ses anathèmes. »

On dira qu'il ne s'agit pas de le traiter d'hérétique : mais c'est en approcher bien près, de l'accuser d'innovation dans des points de doctrine si importans, de lui faire son procès, comme on a vu, par les règles de Vincent de Lérins, de lui reprocher d'avoir affaibli la doctrine du libre arbitre et de favoriser Luther et Calvin ; et pour n'avoir pas osé l'appeler hérétique, on ne laisse pas d'être coupable d'un grand attentat, de mettre au rang des novateurs celui que toute l'Eglise d'Occident a reconnu comme son maître.

Il ne s'agit pas d'examiner jusqu'où l'on est obligé par toutes ces autorités, à pousser l'approbation de ses sentiments. Je me suis déjà expliqué que tout ce que je prétends ici, c'est seulement (pour ne rien outrer) que le corps de la doctrine de saint Augustin, surtout dans ses derniers ouvrages pour qui tous les siècles

 

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suivants se sont le plus déclarés, est au-dessus de toute atteinte, et que ce serait accuser toute l'Eglise catholique de se démentir elle-même, que de persister davantage à trouver des innovations dans ces livres.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Témoignage des Ordres religieux, de celui de Saint-Dominique et de Saint-Thomas, de celui de Saint-François et de Scot. Saint Thomas, recommandé par les papes pour avoir suivi saint Augustin : concours de toute l'Ecole : le Maître des Sentences.

 

Il ne serait pas inutile d'alléguer ici en particulier les témoignages de l'Ordre de Saint-Benoît, puisque durant huit ou neuf siècles il a comme présidé à la doctrine, et rempli les plus grands sièges de l'Eglise. Mais cette preuve est déjà faite, dès qu'on a rapporté le sentiment de ce grand Ordre, tant dans sa tige, comme on l'a vu par Bède et les autres, que dans ses branches et dans ses réformes, comme dans celle de Clugni par Pierre le Vénérable, et dans celle de Citeaux par saint Bernard.

L'Ordre de Saint-Dominique n'est pas moins affectionné à saint Augustin, puisque saint Thomas qui est le docteur de cet ordre, à vrai dire, n'est autre chose dans le fond, et surtout dans les matières de la prédestination et de la grâce, que saint Augustin réduit à la méthode de l'Ecole. C'est même pour avoir été le disciple de saint Augustin qu'il s'est acquis dans l'Eglise un si grand nom, comme le pape Urbain V l'a déclaré dans la bulle de la translation de ce saint, où il met sa grande louange en ce que « suivant les vestiges de saint Augustin, il a éclairé par sa doctrine l'ordre des frères Prêcheurs et L'Eglise universelle. »

L'Ecole de Scot et l'Ordre de Saint-François n'a pas un autre sentiment. Nous trouvons, dans l'Histoire générale de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, une célèbre dispute sur le sujet d'un serment par lequel on prétendait obliger l'université de Salamanque à suivre conjointement les sentiments de saint Augustin et de saint Thomas, qu'on croyait les mêmes (1). Les franciscains dirent alors que c'était faire injure à saint Augustin que d'exiger ce

 

1 Petr. Del Campo, lib III, cap. III.

 

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serment : qu'il était le docteur commun de toutes les Ecoles : que celle de Scot ne lui était pas moins soumise que celle de saint Thomas, et que le docteur subtil avait tiré toutes ses conclusions de ce Père, et les avait soutenues par plus de huit cents passages qu'il en avait allégués dans ses écrits.

Ainsi il n'y eut jamais aucune dispute sur l'autorité de saint Augustin : les deux écoles contraires conviennent de s'y soumettre : quelques Ordres religieux, comme celui des carmes déchaussés; quelques universités, comme celle de Salamanque, s'y sont obligées par serment ou par délibération : d'autres ont cru inutile de se faire une obligation particulière d'un devoir commun.

On peut juger par là des sentiments de l'Ecole ; et, si l'on veut remonter à Pierre Lombard, on trouvera que son livre, sur lequel roulait toute l'ancienne scolastique, n'est qu'un tissu des passages des Pères, et c'est pourquoi il lui donna le nom de Sentences, pour montrer le dessein qu'il s'y proposait de mettre un abrégé de leurs sentiments entre les mains des étudiants en théologie, principalement de ceux de saint Augustin et surtout dans la matière de la prédestination et de la grâce, où il le suit pied à pied. On trouve à la fin de son livre des Sentences, les articles où ce maître de l'Ecole a été repris, mais on n'y trouve rien sur cette matière qui soit noté ; et au contraire, l'autorité de saint Augustin est demeurée inviolable à toute l'Ecole.

 

 

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