Défense I - Livre III
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LIVRE III.

 

M. SIMON,   PARTISAN   ET  ADMIRATEUR   DES  SOCINIENS,   ET  EN  MÊME TEMPS  ENNEMI DE TOUTE  LA  THÉOLOGIE  ET  DES  TRADITIONS  CHRÉTIENNES.

 

LIVRE III.

CHAPITRE I.

CHAPITRE II

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

CHAPITRE XX.

CHAPITRE XXI.

CHAPITRE XXII.

CHAPITRE XXIII.

CHAPITRE XXIV.

CHAPITRE XXV.

CHAPITRE XXVI.

CHAPITRE XXVII.

CHAPITRE XXVIII.

CHAPITRE XXIX.

CHAPITRE XXX.

 

CHAPITRE I.

 

Faux raisonnement de l'auteur sur la prédestination de Jésus-Christ : son affectation à faire trouver de l'appui à la doctrine socinienne dans saint Augustin, dans saint Thomas, dans les interprètes latins, et même dans la Vulgate.

 

Nous avons encore à découvrir un autre mystère du livre de M. Simon : c'est l'épanchement, et si ce mot m'est permis, la secrète exaltation de son cœur, lorsqu'il parle des sociniens. Il avait trop d'intérêt à cacher cette pernicieuse disposition pour n'y avoir pas employé tout son art. Cet art consiste, non-seulement à leur donner toutes les louanges qu'il peut sans se déclarer trop ouvertement, mais encore, et c'est ce qu'il a de plus dangereux, à proposer leur doctrine sous les plus belles couleurs et avec le tour le plus spécieux qu'il lui est possible. Pendant que l'explication de leurs dogmes qui flattent les sens, est longue et accompagnée de tout ce qui est capable de les insinuer, on y trouve assez souvent, des réfutations, mais faibles pour la plupart; et quelquefois un zèle si outré qu'il en devient suspect, comme est celui des amis cachés, qui affectent même à contre-temps de s'opposer l'un à l'autre, pour couvrir leur intelligence.

Qui n'admirerait le zèle de notre auteur contre les erreurs de Socin ? Ce critique, pour établir la divinité de Jésus-Christ, va plus loin que saint Augustin et que saint Thomas, qu'il reprend comme favorables à cet hérésiarque. « Saint Thomas, dit-il (dans son Commentaire sur l’Epître aux Romains) s'étend d'abord assez au long sur ces mots : Qui prœdestinatus est Filius Dei in virtute. Il paraît tout rempli de l'explication de saint Augustin et de la plupart des autres commentateurs qui l'ont suivi sur ce passage, et il enchérit même par-dessus eux (1). » Voilà la première faute qu'il

 

1 P. 173 et 474.

 

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remarque dans saint Thomas d'être rempli partout de saint Augustin, dans les endroits mêmes où il est suivi de la plupart des interprètes ; et notre critique conclut ainsi que, « pour être trop subtil, saint Thomas (et par conséquent saint Augustin, d'où saint Thomas a tiré son explication) semble appuyer les sentiments de Socin. » C'est ainsi que M. Simon montre son zèle contre les sociniens, et il n'épargne ni saint Augustin ni saint Thomas.

On lui pourrait dire en ce lieu avec le Sage : « Ne soyez pas plus sage qu'il ne faut (1) : » ne présumez pas de votre sagesse jusqu'à l'élever au-dessus de deux aussi grands théologiens, que tous les autres, ou pour parler comme vous, la plupart des autres ont suivi. Mais notre auteur a encore ici un autre dessein ; et pour découvrir le fond de ses malheureuses finesses, il faut remarquer que Crellius, le plus habile des sociniens, se sert en effet de ce passage de saint Paul contre la divinité de Jésus-Christ, par cette raison que s'il est destiné ou prédestiné par sa résurrection à être Fils de Dieu, il ne l'est donc pas par nature : il ne l'est pas éternellement, mais il est fait tel dans le temps. Tel est le raisonnement de Crellius, que M. Simon rapporte au long (2). Il n'y a rien de plus pitoyable.

Titelman, dont notre critique nous rapporte l'explication (3) sur cette parole de saint Paul : « Jésus-Christ a été prédestiné à être Fils de Dieu (4), » n'y avait laissé aucune difficulté, lorsqu'il avait expliqué dans sa paraphrase, que Jésus-Christ était celui « dont il avait été prédestiné, qu'en demeurant ce qu'il était (dans le temps et selon la chair) il serait tout ensemble le Fils de Dieu, de même puissance que son Père. » Qu'y a-t-il de plus littéral et de plus net que cette interprétation de Titelman? Cependant M. Simon la rejette comme étant l'explication « d'un théologien de profession, qui substitue les préjugés de la théologie en la place des paroles de saint Paul (5) ; » et sans alléguer aucune raison de son mépris, il se contente de dire : « Que tout le monde ne demeurera pas d'accord que ce soit là le véritable sens des paroles de l'Apôtre. » Assurément les sociniens, qui nient la divinité du Fils de Dieu, ne conviendront pas d'une paraphrase où elle est si

 

1 Eccle., VII, 17. — 2 P. 848. — 3 P. 564. —  4 Rom., I, 4. — 5 P. 564.

 

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clairement expliquée. Mais enfin M. Simon, malgré qu'il en ait, ne pourra s'empêcher d'en convenir. Car il faut bien qu'il avoue, puisqu'il fait profession d'être catholique, qu'il y a une incarnation qui est une œuvre de Dieu; mais il est bien certain que Dieu n'a rien fait que ce qu'il avait prévu et prédestiné auparavant; s'il a donc fait l'Homme-Dieu, cet Homme-Dieu est prévu et prédestiné. Qui le peut nier ? Saint Augustin a donc enseigné une vérité constante, quand il a dit : « Jésus a été prédestiné, afin que devant être selon la chair le fils de David , il fût aussi en vertu le Fils de Dieu (1), » qui est précisément la même chose que Titelman avait exposée dans sa paraphrase.

Laissant donc à part Crellius et les réponses bonnes ou mauvaises qu'a faites M. Simon à son misérable argument, et laissant encore à part toutes les disputes qu'on peut faire sur le mot grec oristheis, soit qu'il veuille dire déclaré, comme il semble que quelques Grecs l'aient entendu ; soit qu'il veuille dire destiné ou prédestiné, comme traduit la Vulgate selon le sens de saint Chrysostome, et après elle saint Augustin et tous les Latins, on ne peut dire, comme fait M. Simon, que ce terme prœdestinatus appuie Socin, sans avoir le dessein malicieux de lui faire trouver de l'appui dans saint Augustin, dans saint Thomas, dans tous les auteurs et commentateurs latins, et même dans la Vulgate, dont les anciens Pères se sont servis comme nous.

 

CHAPITRE II

 

Nouvelle chicane de M. Simon pour faire trouver dans saint Augustin de l'appui aux sociniens.

 

Voici encore un nouveau zèle de ce grand critique contre les sociniens, et toujours aux dépens de saint Augustin : « Ce Père , dit-il, donne à saint Paul une explication qui indique que Jésus-Christ n'est pas véritablement Dieu, mais seulement par participation , et qui nous éloigne d'une preuve solide de la divinité (2). » On doit beaucoup à M. Simon qui relève saint Augustin d'une faute si capitale. Mais enfin, sur quoi est fondée une accusation si

 

1 De Prœdest., cap. XV, n  31. — 2 P. 257.

 

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griève ? « C'est, dit-il, que saint Augustin en expliquant ces premiers mots de l’Epitre aux Galates : Paul apôtre, non par les hommes ni par l’homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l'a ressuscité des morts (1) » marque l'avantage de l'apostolat de saint Paul, en ce que les autres apôtres avaient été choisis par Jésus-Christ encore mortel et tout à fait homme, sans que la divinité éclatât encore; au lieu que saint Paul « l'avait été par Jésus-Christ ressuscité, c'est-à-dire par Jésus-Christ tout à fait Dieu et entièrement immortel, » totum jam Deum et ex omni parte immortalem (2). Quel aveugle n'entendrait pas dans cette expression de saint Augustin, que Jésus-Christ est tout à fait Dieu, lorsqu'il est tout à fait déclaré tel, et qu'il ne reste plus rien de faible ni de mortel dans sa personne adorable? Mais le sévère M. Simon ne lui pardonne pas une expression si innocente et même si noble; et toujours prêt à redresser saint Augustin, non-seulement sur la matière de la grâce, mais encore sur celle de la divinité de Jésus-Christ, il en veut paraître plus jaloux qu'un Père qui l'a défendue avec tant de force.

« Mais enfin, dit ce faux critique, ce Père éloigne une preuve de la divinité de Jésus-Christ. » Au contraire il la fait valoir ; lorsqu'il montre en quelle sorte l'Apôtre a pu dire que Jésus-Christ, lorsqu'il l'appelle du haut du ciel, n'était plus un homme mortel, mais qu'il était pleinement déclaré Dieu; et il n'y avait point d'autre moyen de prouver, par ce passage de saint Paul, la divinité de Jésus-Christ.

Le critique continue, et il objecte à saint Augustin qu'il a dit : totum jam Deum : « Jésus-Christ ressuscité est tout à fait Dieu ; » ce qui nous marque que dans les jours de sa vie mortelle, il ne l'était qu'en partie. Chicaneur, ne voyez-vous pas que cette totalité dont parle ce saint docteur, n'est que la totalité de la manifestation ; et si saint Augustin doit être repris d'avoir parlé de cette sorte, il faut donc reprendre aussi ceux qui chantent à Jésus-Christ dans l’Apocalypse, après sa résurrection : «L'Agneau qui immolé est digne de recevoir la force, la divinité, la sagesse et la puissance (3), » comme s'il n'avait pas toujours eu cette force,

 

1 Galat., I, 1. — 2 Comm. in Epist. Ad Golat., n. 2. — 3 Apocat., V, 12.

 

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cette sagesse, cette puissance et même la divinité, selon la leçon présente de notre Vulgate : il faut reprendre Jésus-Christ même lorsqu'il dit : « Mon Père, je retourne à vous (1) : » et encore : « Donnez-moi la gloire dont je jouissais dans votre sein devant que le monde fût (2) : » M. Simon lui devrait dire qu'il ne parle pas correctement, puisqu'il n'a voit jamais été privé de cette gloire et qu'il avait toujours été avec son Père.

Le critique s'oublie lui-même et la bonne foi, jusqu'à tirer avantage de ce que saint Augustin, dans ses Rétractations, a retouché ces paroles de son Commentaire sur l’Epître aux Galates, et que reconnaissant son expression « comme peu exacte il a tâché de l'adoucir (3). » Il se trompe : saint Augustin ne change rien, il n'adoucit rien, son explication était correcte ; mais parce qu'il prévoyait que des chicaneurs ou des ignorants pourraient abuser de ses paroles, ce Père qui dans ses Rétractations pousse, comme on sait, jusqu'au scrupule l'examen qu'il fait de lui-même, va au-devant des plus légères difficultés, jusqu'à n'y vouloir laisser aucune ouverture, pas la moindre; et sous un si mauvais prétexte, viendra un téméraire censeur avec une fausse critique et une aussi fausse sévérité , pour lui reprocher « qu'il a lui-même reconnu qu'il ne parlait pas exactement. » N'est-ce pas là faire un beau profit des précautions et de la prudence d'un si grand homme?

 

CHAPITRE III.

 

Affectation de M. Simon à étaler les blasphèmes des sociniens, et premièrement ceux de Servet.

 

Mais parlons d'un peu plus près à M. Simon, et voyons si ce grand antisocinien, qui renchérit sur le zèle de saint Augustin et de saint Thomas, soutient partout son caractère. Je lui demande quel esprit l'a pu porter à nous donner une si ample explication de la méthode des nouveaux antitrinitaires? Pourquoi ce détail si exact, si étudié de leurs dogmes, de leurs preuves, de leurs solutions, qui fait à proportion du reste du livre une des plus longues parties et sans doute la plus recherchée de tout l'ouvrage ? C'est

 

1 Joan., XVII, 11. — 2 Ibid., 5. — 3 Retract., lib. I, cap. XXIV.

 

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une entreprise qui jusqu'ici n'avait point d'exemple ; et cette curieuse déduction de tant d'erreurs sans dessein de les réfuter, n'en peut être qu'une dangereuse et secrète insinuation. Pourquoi, par exemple, se donner la peine d'exposer le détail des disputes de Servet contre la divinité de Jésus-Christ? Quel bien peut-il arriver à ses lecteurs de la connaissance qu'il leur donne des arguments et des réponses de cet impie? Et pourquoi employer à ce détail plus de temps qu'il n'en a donné à saint Athanase et à saint Basile? Que servait d'étaler tous les embarras que trouve cet hérétique dans le mot de personne usité dès l'origine du christianisme, et si nécessaire à démêler le dogme de la Trinité des chicanes de ses adversaires? Est-ce assez de répondre en général « qu'il a fallu donner de nouveaux sens à plusieurs mots, pour expliquer avec plus de netteté les mystères de la religion (1) ? » Si l'on n'en dit pas davantage, on autorise Servet à donner aussi à ce mot son nouveau sens, qui réduit tout le mystère de la Trinité à diverses apparitions extérieures d'une seule et même personne. Pourquoi donner toutes ces idées ? ignore-t-on combien dangereux sont les pièges qu'on tend aux petits esprils dans ces embarras de mots d'où ils ne peuvent sortir? Mais pourquoi accoutumer les oreilles aux blasphèmes, et les façonner à entendre dire « que c'est quelque démon qui a suggéré aux hommes ces personnes imaginaires , mathématiques et métaphysiques (2) ? » Je répète ces mots avec horreur ; mais je suis contraint de reprendre l'audace effrénée d'un auteur qui y prend plaisir, et les rapporte sans nécessité. Quelle utilité de savoir comment on élude les passages où Jésus-Christ est appelé Dieu et Fils de Dieu, et ceux où est marquée sa préexistence? A-t-on peur que les blasphèmes qui flattent le sens humain ne viennent pas assez tôt à la connaissance du peuple? Servet était ignoré de toute la terre; on n'en entendait parler qu'avec horreur, ses livres réduits à quinze ou seize exemplaires cachés dans quelque coin de bibliothèque ne paraissaient plus ; M. Simon les remet au jour. Il rend inutile le seul bien que Calvin eût fait, qui était la suppression des ouvrages de cet hérésiarque; et les déchargeant des absurdités les plus grossières et

 

1 P. 822.— 2 Ibid.

 

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des blasphèmes les plus odieux contre la nature divine, il nous les donne dans un extrait où il n'y a que la quintessence de leur poison.

 

CHAPITRE IV.

 

Trois mauvais prétextes du critique pour pallier cet excès.

 

Il en use de même à l'égard des autres semblables novateurs ; et prévoyant le reproche que lui en feraient ses lecteurs, il rapporte dans sa préface trois raisons pour s'en excuser. La première est que cela est de son sujet. Pourquoi de votre sujet? Aviez-vous entrepris de composer un catalogue des hérésies? Est-ce à cause que ces impies ont proféré leurs blasphèmes en expliquant l'Ecriture, que vous vous croyez obligé de les mettre au jour? Il n'y aura donc qu'à traiter sous ce prétexte toutes les raisons des athées et des libertins contre la prescience de Dieu, contre son immensité et sa providence, contre sa justice qui punit le crime d'un feu éternel, et contre ses autres attributs, sans y faire aucune réponse : car c'est en expliquant l'Ecriture sainte que les sociniens les ont attaqués.

La seconde raison de notre auteur est que les Pères se sont servis utilement de quelques bonnes pensées qu'on trouve dans les ouvrages des hérétiques. Qu'il nous montre donc quel profit on peut tirer de la longue déduction des arguments de Servet, et qu'il y choisisse un seul endroit d'où nous puissions recueillir quelque utilité.

Mais enfin, dit notre critique, et c'est sa troisième raison, les écrits des novateurs « servent contre eux-mêmes. » Je l'avoue ; et c'est aussi par où je conclus que si l'on n'entre point cet avantage, à quoi H. Simon ne songe pas dans ce qu'il dit de Servet et des autres semblables auteurs, on les étale plutôt qu'on ne les combat : on leur attire de favorables spectateurs plutôt que des adversaires, on les fait passer pour des gens dont les sentiments méritent d'être connus. Le monde n'est déjà que trop porté à vouloir croire que ceux qu'on a condamnés ont eu leurs raisons, et il n'y arien de si aisé que de faire dire à un libertin ignorant :

 

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Servet qu'on fait passer pour un si mauvais auteur et les autres qu'on a décriés n'a voient pas tant de tort qu'on le publiait.

C'est ce qu'on gagne à rapporter les écrits des hérétiques, sans en même temps en inspirer de l'horreur par une solide réfutation. Mais quand notre critique en est venu là, il s'en tire en parlant ainsi : « Ce serait ici le lieu de combattre les fausses idées de ce patriarche des nouveaux antitrinitaires, si Calvin n'en avait déjà montré la fausseté dans un ouvrage séparé (1). » Il a bien senti que le public lui demandait la réfutation des principes de Servet, qu'il avait si bien déduits ; mais il renvoie son lecteur à Calvin, afin peut-être qu'en évitant le poison de l'un on avale celui de l'autre, et qu'on apprenne à blasphémer d'une autre manière. En effet il n'ignore pas et il le remarque lui-même (2), qu'en défendant la doctrine catholique sur la Trinité, Calvin en avait détruit une partie, jusqu'à oser renverser le fondement du concile de Nicée, outre les autres erreurs qui sortent naturellement d'une source si empoisonnée.

Voilà toute la ressource qu'on laisse à ceux que l'exposition qu'on leur donne des sentiments de Servet touchera peut-être de quelque pitié envers lui : on les renvoie à Calvin qui l'a fait brûler. Qu'ils se contentent s'ils veulent de cette réponse.

 

CHAPITRE V.

 

Le soin de M. Simon à faire connaître et à recommander Bernardin Ochin, Fauste Socin et Crellius.

 

Bernardin Ochin vient après. M. Simon ne nous en apprend que « la grande réputation, les mœurs louables et la bonne conduite (3), » sans nous parler des désordres qui éclatèrent depuis son apostasie. Il ne faut pas oublier qu'il écrivait, dit M. Simon, contre la foi de la Trinité, sous prétexte de la défendre. Il devait encore ajouter que cette dissimulation a passé dans toute la secte, et que les plus pernicieux ennemis de la Trinité sont ceux qui l'attaquent sous cette couleur.

Mais les deux favoris de M. Simon sont Fauste Socin et Crellius,

 

1 P. 827. — 2 P. 829. — 3 P. 830, 833.

 

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dont il vante si bien partout les explications littérales et le bon sens, qu'il donne envie de les lire, et j'ajouterai de les suivre.

Il nous donne d'abord Fauste Socin comme un homme « qui cherche les explications les plus simples et les plus naturelles (1) ; » ce qui est non-seulement pour M. Simon, mais en général pour tous les hommes de bon sens, la véritable méthode, pourvu qu'on entende bien la bonne et naturelle simplicité. Quoi qu'il en soit, Socin a déjà l'avantage de l'avoir recherchée. En général il lui donne toutes les louanges qu'on peut lui donner sans paraître ouvertement son disciple. Il loue son exactitude sur ta manière de traduire, et son équité dans la justice qu'il fait ordinairement à la Vulgate. Qui ne serait porté à présumer bien d'un homme si équitable? Si M. Simon est forcé en quelque endroit de l'attaquer (car aussi comment sans cela soutenir la profession de catholique), il le fait si mollement, qu'on voit bien qu'il ne craint rien tant que de le blesser, témoin l'endroit où, en parlant de Brenius, un des principaux antitrinitaires, il en dit ces mots : « Il détourne plusieurs endroits, où il est parlé du  Fils et du Saint-Esprit; et s'il ne s'accorde pas toujours avec Socin, dont les interprétations sont quelquefois forcées et trop subtiles, il n'abandonne pas pour cela la doctrine des antitrinitaires (2). » Quel fruit ne peut-on pas retirer de cette curieuse remarque de M. Simon ? On y apprend en premier lieu les endroits où l'on trouve l'art de détourner les passages de l'Ecriture, non sur un sujet commun et indifférent, mais sur le sujet du Fils et du Saint-Esprit : on y apprend en second lieu que c'est quelquefois seulement que les interprétations de Socin sur une telle matière sont forcées et trop subtiles; c'est-à-dire que partout ailleurs et pour l'ordinaire elles sont simples et naturelles ; et ce qu'il y a de plus remarquable, on y apprend que si quelquefois on ne se débarrasse pas trop facilement des passages de l'Ecriture par les interprétations de Fauste Socin, il ne faut point pour cela se désespérer, puisqu'on y trouve un bon supplément dans celles de Brenius, qui sans le secours de Socin et sans ses explications, quelquefois trop fines et comme tirées par les cheveux, demeure toujours un

 

1 P. 835. — 2 P. 863.

 

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parfait antitrinitare. Que ne doivent donc pas les sociniens aux précautions de M. Simon, qui enseigne de si bons moyens de suppléer au défaut de leur maître même, lorsque la force lui manque?

Que si vous voulez savoir parfaitement la doctrine socinienne , vous recevrez de M. Simon toutes les instructions nécessaires. Le dénouement le plus essentiel de toute la secte, est de bien entendre la force de ce nom : Dieu, afin qu'on ne soit pas effrayé quand on le lui verra donner tant de fois à Jésus-Christ et dans des circonstances si particulières. C'est ce que vous apprendrez de Socin dans son commentaire sur le premier chapitre de saint Jean (1). M. Simon va continuer ses graves leçons : « Ceux, dit-il, qui voudront connaître plus à fond (car c'est une chose fort importante au public) la méthode et la doctrine de Socin, joindront aux commentaires dont nous venons de parler, deux autres ouvrages, dont le premier a pour titre : Lectiones sacrœ , et l'autre : Prœlectiones theologicœ ; parce qu'il y explique un grand nombre de passages du Nouveau Testament, et qu'il y éclaircit plusieurs difficultés (2). » Vous pouvez croire comment il les éclaircit, et si c'est selon la saine doctrine. Quoi qu'il en soit, ce que veut ici enseigner M. Simon, c'est non-seulement que ces livres sont bons aux sociniens, mais encore qu'il faut inviter les catholiques à les lire ; «parce que, dit-il, si l'on met à part les endroits où Socin tâche d'appuyer ses nouveautés, c'est-à-dire sans difficulté presque tous ses livres , ils peuvent leur être utiles (3). » Mais à quoi utiles ? Montrez-le-nous une fois : racontez-nous quelques-uns de ces avantages qu'on peut tirer de cette lecture. Il n'en dit pas un seul mot : son livre serait trop gros : il a du temps pour nous réciter toutes les impiétés et les adresses des sociniens : il n'en a point pour montrer aux catholiques les avantages qui leur en reviennent, c'est-à-dire qu'il a pour but de satisfaire les uns, et non pas d'instruire les autres. C'est le contraire de ce qu'il fallait ; car s'il y avait quelque utilité à tirer des sociniens, c'est ce qu'il fallait extraire de leurs écrits, afin de sauver aux catholiques la peine et le péril de les lire; mais c'est qu'il a bien senti que ces utilités prétendues sont trop minces pour mériter d'être étalées. Il est vrai,

 

1 P. 841. — 2 P. 845. — 3 P. 846.

 

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il y aura dans Fauste Socin quelques-unes de ces bonnes choses, de ces principes communs qu'on trouve dans les plus mauvais livres, qu'on trouverait beaucoup mieux ailleurs, et qu'on trouve encore dans Socin tournés d'une manière qui porte à l'erreur; ce n'est pas la peine d'aller chercher cette utilité telle quelle d'ans des livres si remplis de malignité, au hasard d'y boire à pleine bouche le venin du socinianisme, Dieu permettant qu'on s'aveugle, en punition de ce que sous la conduite d'un M. Simon on ira chercher dans les sociniens plutôt que dans les orthodoxes les principes de la religion et les manières d'interpréter l'Ecriture sainte.

On voit donc qu'en suivant un si bon guide , on ne manquera d'aucun secours pour apprendre cette curieuse et rare doctrine de Socin ; et afin qu'on en puisse être plus facilement informé, on avertit que « ceux qui n'ont pas le temps de parcourir ses ouvrages, qui sont imprimés en deux tomes in-folio à la tête de la Bibliothèque des frères Polonais, peuvent consulter leur Catéchisme, dont il y a diverses éditions, et qui a pour titre : Catechesis Ecclesiarum Polonicarum, etc. Ce petit livre, continue-t-il, qui enferme en peu de mots les articles de leur doctrine avec les preuves, est un abrégé de ce qu'il y a de plus considérable dans les écrits de Socin (1). »

Qui prit jamais plus de soin d'expliquer les moyens de bien entendre saint Augustin et saint Chrysostome, que M. Simon en a pris pour faire entendre Socin et sa doctrine et ses preuves , et dans toute leur étendue, et en abrégé pour la plus grande facilité du lecteur? Après cela, rien n'empêche qu'on ne devienne bon socinienen peu de temps ; et ce critique veut encore que nous sachions qu'il prend tout ce soin pour les catholiques, « qui dit-il en peuvent tirer quelque avantage s » qu'il ne marque pas Fallait-il donc tant de peine pour faire trouver ce peu d'avantage (car il n'ose dire beaucoup) dans la doctrine de Socin, et ne fallait-il pas plutôt penser combien de gens y trouveraient leur perte assurée? Mais c'est de quoi ce critique se met peu en peine, et un dessein si utile n'est pas l'objet de ses études.

 

1 P. 835. — 2 Ibid.

 

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CHAPITRE VI.

 

La réfutation de Socin est faible dans M Simon : exemple sur ces paroles de Jésus-Christ : Avant qu'Abraham fût fait, je suis. (Joan., VIII.)

 

Il est vrai qu'il réfute quelquefois Socin en passant et par manière d'acquit ; mais loin d'avouer qu'il le fasse bien , si l'on regarde de près on verra qu'il le fait toujours par les raisons les plus faibles, ou en poussant faiblement celles qui sont fortes. Je n'ai trouvé dans tout son livre aucun endroit, pour établir la divinité et l'éternité de Jésus-Christ comme Verbe et comme Fils. J'avoue qu'il a parlé un peu plus de sa préexistence. Mais en cela il sait bien qu'il ne fait rien contre les ariens, qui en avouant que le Fils de Dieu était devant Abraham et dès le commencement du monde, ne l'en mettaient pas moins au rang des créatures. Voyons encore comment il traite la préexistence. Le passage le plus formel pour l'établir est celui-ci de Notre-Seigneur : « Je suis avant qu'Abraham fût fait (1). » Mais de la manière dont M. Simon traite une parole si expresse, il n'en tire aucun avantage, puisque tout ce qu'il en conclut est « qu'elle est si claire d'elle-même, que Socin a été obligé pour l'accommoder avec ses paradoxes, d'inventer je ne sais quel sens qui n'a pu être goûté que de ceux de cette secte (2); » ce qui est la chose du monde la plus faible, pour deux raisons : la première, qu'il n'y a rien de fort surprenant qu'un chef de secte ne soit suivi que de ses partisans, ni rien qu'on ne doive dire de toutes les sectes bonnes ou mauvaises qui furent jamais. Les sociniens et tous les hérétiques rétorqueront aisément cette expression contre les orthodoxes, et diront que leurs explications sur la Trinité ou sur la transsubstantiation sont de mauvais sens, parce qu'elles ne sont suivies que de ceux de leur sentiment. Ce sont donc là de ces expressions où en voulant paraître dire quelque chose contre l'erreur, dans le fond on dit moins que rien, et on voit d'abord que M. Simon ne donne là aucun avantage aux catholiques. Mais secondement, ce qu'il semble leur en donner, il le leur ôte aussitôt, en faisant voir que ce ne sont pas

 

1 Joan., VIII, 58.— 2 P. 849.

 

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seulement les sociniens qui goûtent l'interprétation de Socin sur ces paroles : « Avant qu'Abraham fût fait, je suis ; » mais que c'est encore un Erasme, un Bèze, un Grotius, qui selon lui-même ne sont rien moins que sociniens. Ainsi loin qu'il affaiblisse l'interprétation de Socin, il donne des moyens de la défendre , puisque même elle est embrassée par des gens habiles, qui ne sont pas du sentiment de cet hérésiarque, ni ennemis comme lui de la divinité de Jésus-Christ. Voilà comme il soutient la cause de l'Eglise. Jamais il ne dit rien qui paroisse à son avantage, qu'il ne le détruise. Ç'aurait été quelque chose dédire, comme fait souvent M. Simon, que les sociniens avancent des choses nouvelles et inouïes; mais ce n'est rien dans la bouche de cet auteur, dont nous avons vu tant d'endroits et dont nous en verrons tant d'autres qui n'inspirent que du mépris pour l'antiquité.

 

CHAPITRE VII.

 

M. Simon vainement émerveillé des progrès de la secte socinienne.

 

La manière dont il loue Fauste Socin est étrange : « Il est surprenant, dit-il, qu'un homme qui n'avait presque aucune érudition et qu'une connaissance très-médiocre des langues et de la théologie, se soit fait un parti si considérable en si peu de temps (1). » Sans doute ce sera ici une espèce de miracle pour notre critique. Socin est un grand génie, un homme extraordinaire ; peu s'en faut qu'on ne l'égale aux apôtres , qui sans secours et sans éloquence ont converti tout l'univers. M. Simon est étonné de ses progrès : il devait dire au contraire qu'il aurait sujet de s'étonner que cette gangrène, que la doctrine de cet impie qui flatte les sens , qui ôte tous les mystères, qui sous prétexte de sévérité affaiblit par tant d'endroits la règle des mœurs et qui en général lâche la bride à tous les mauvais désirs, en éteignant dans les consciences la crainte de l'implacable justice de Dieu, ne gagne pas plus promptement. Car après tout, où est ce progrès qui étonne M. Simon? Dans ce « parti si considérable, » le peu qu'il y avait de prétendues églises n'ont pu se soutenir : il n'y a plus de sociniens

 

1 P. 834

 

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qui osent se déclarer, tant le nom en est odieux au reste des chrétiens. Ce sont des libertins, des hypocrites, qui boivent de « ces eaux furtives » dont parle le Sage (1), que la nouveauté et une fausse liberté font trouver plus agréables. Y a-t-il tant à s'étonner des progrès cachés d'une secte de cette sorte? Ce que devait remarquer M. Simon est que si cette secte ne trouve point d'établissement, c'est qu'autant qu'elle est appuyée des sens, aussi manifestement elle est contraire à l'Evangile ; c'est qu'elle dégénère visiblement en indifférence de religion, en déisme ou en athéisme; de sorte que M. Simon aurait autant de raison de faire paraître son savoir en indiquant les livres où l'on peut apprendre à être athée, que de se montrer curieux en indiquant ceux où l'on peut apprendre à être socinien.

 

CHAPITRE VIII.

 

Vaine excuse de M. Simon, qui dit qu'il n'écrit que pour les savants : quels sont les savants pour qui il écrit.

 

Mais il n'écrit, dit-il, que pour les savants qui en peuvent tirer quelque avantage. Pourquoi donc, puisqu'il y a parmi nous une langue des savants, ne parle-t-il pas plutôt en celle-là? Pourquoi met-il tant d'impiétés, tant de blasphèmes entre les mains du vulgaire et des femmes qu'il rend curieuses , disputeuses et promptes à émouvoir des questions, dont la résolution est au-dessus de leur portée. Car par les soins de M. Simon et de nos auteurs critiques, qui mettent en toutes les mains indifféremment leurs recherches pleines de doutes et d'incertitudes sur les mystères de la foi, nous sommes arrivés à des temps semblables à ceux que déplore saint Grégoire de Nazianase (2), où tout le monde et les femmes même se mêlent de décider sur la religion, et tournent en raisonnement et en art la simplicité de la croyance. On a cette obligation à notre auteur et à ses semblables, qui réduisent l'incrédulité en méthode, et mettent encore en français cette espèce de libertinage, afin que tout le monde devienne capable de cette science. Et pour ce qui est des savants, à qui le critique se vante

 

1 Prov., IX, 17. — 2 Orat. XXXIII.

 

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de profiter , de quels savants veut-il parler ? Les véritables savants n'ont que faire ni de Socin ni de Crellius, que pour apprendre leurs sentiments lorsqu'il faut les réfuter. La critique de ces auteurs n'est pas si rare, leur méthode n'est pas si nécessaire qu'on en puisse tirer un grand secours. Pour quels savants écrit donc M. Simon, si ce n'est pour ces esprits aussi faibles et aussi vains que curieux qui ne trouvent rien de savant s'il n'est extraordinaire et nouveau. M. Simon a écrit pour satisfaire, ou plutôt pour irriter leur cupidité et l'insatiable démangeaison qu'ils ont de savoir ce qui n'est bon qu'à les perdre.

 

CHAPITRE IX.

 

Recommandation des interprétations du socinien Crellius.

 

C'est à quoi servent les louanges que notre auteur donne à Crellius. Elles sont d'abord précédées par celles dont Grotius,le premier des commentateurs (dans l'idée de M. Simon (1)) relève cet unitaire, qui l'ont entraîné lui-même dans les explications sociniennes. Voilà déjà un grand avantage pour Crellius : dans la suite on n'entend parler M. Simon (2) que de la grande réputation, que du discernement, du bon choix, de l'attachement au sens littéral qu'on trouve dans cet auteur, qui est tout ensemble «grammairien, philosophe et théologien, et qui cependant n'est pas beaucoup étendu (3) ; » c'est-à-dire qu'on y trouve tout, et dans le fond et dans les manières, avec la brièveté qui est le plus grand de tous les charmes dans des écrits qu'on représente si pleins. C'est tout ce qu'on pouvait proposer d'attraits pour le faire lire; et pour disposer à le croire, qu'y avait-il de plus engageant que de dire, non-seulement « qu'il va presque toujours à son but par le chemin le plus court; mais encore que, sans s'arrêter à examiner les diverses interprétations des autres commentateurs, il n'oublie rien pour établir les opinions de ceux de sa secte? ce qu'il fait, poursuit notre auteur, avec tant de subtilité qu'aux endroits mêmes où il tombe dans l'erreur il semble ne dire rien de lui-même (4) » Que prétendez-vous après cela, M. Simon? Vous avez frappé les

 

1 P. 802, 805. — 2 P. 847 et seq. — 3 P. 846. — 4 P. 851.

 

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firmes d'un coup mortel : dites-leur tant qu'il vous plaira, que le socinianisme est nouveau, qu'il est mauvais : votre lecteur demeure frappé de l'idée que vous lui donnez des explications de cette secte. Ce qui en rebute, c'est la violence qu'elle fait partout à l'Ecriture et à l'idée universelle du christianisme; mais vous levez cette horreur en faisant paraître les interprétations de Crellius si naturelles, si concluantes, qu'on croit les voir sortir comme d'elles-mêmes de la simplicité du texte sacré; en sorte qu'on est porté à regarder l'auteur comme un homme qui ne dit rien de lui-même. Encore si vous releviez en quelques endroits les absurdités manifestes de ses explications, ce que vous en dites d'avantageux pourrait inspirer quelques précautions contre ses artifices; mais en ne montrant que les avantages d'un auteur qui a séduit Grotius, on pousse dans ses lacets, non-seulement les esprits vulgaires , mais encore les savants curieux que la nouveauté tente toujours.

Je ne finirais jamais, si je voulais raconter tous les tours malins de Crellius soigneusement rapportés par M. Simon pour éluder la divinité de Jésus-Christ, sa qualité de Fils de Dieu, et l'adoration qu'elle lui attire '. Il devait expliquer du moins ce qu'il trou-voit dans les Pères, pour montrer les caractères particuliers de cette adoration qui la distinguent de toutes les autres; mais non, par les soins de M. Simon, nous apprendrons bien les difficultés et les détours; et cependant nous ignorerons les solides solutions des saints docteurs. C'est la critique à la mode, et la seule qui peut contenter les curieux.

 

CHAPITRE X.

 

Le critique se laisse embarrasser des opinions des sociniens, et les justifie par ses réponses.

 

Parmi une infinité de passages de notre auteur, que j'omets, je n'en puis dissimuler quelques-uns, qui à la fin feront connaître de quel esprit il est animé. «Schilflitingius, dit-il, donne un nouveau sens aux paroles de saint Jean, Verbum erat apud Deum. Car il croit que Jésus-Christ était avec Dieu (apud Deum), parce

 

1 P. 847 et seq.

 

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qu'il était monté en effet au ciel, et il le prouve par cet autre passage du même évangéliste : « Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, » etc. Sur quoi il s'étend au long-dans la note sur cet endroit, comme si Jésus-Christ avait voulu prouver en ce lieu qu'il était au-dessus de Moïse et des prophètes, parce qu'il n'y a que lui qui soit véritablement monté au ciel et qui en soit descendu ; en sorte qu'il aura appris dans le ciel même la doctrine qu'il enseignait aux hommes. Ce qu'il répète sur le chapitre VI, verset 63 du même évangéliste, où nous lisons : «Si donc vous voyez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant l. » Je rapporte au long ce passage de M. Simon, afin qu'on voie le grand soin de ce critique à mettre dans tout son jour la doctrine des unitaires. Pour ne rien laisser à deviner, il rapporte encore les conséquences de son auteur, qui dit que Jésus-Christ né sur la terre ne pouvait descendre du ciel, ni en être envoyé, s'il n'y montait; d'où il conclut qu'en effet il y montait et en descendit souvent, et que c'est l'unique raison pour laquelle saint Jean a pu dire « qu'il était au commencement avec Dieu, » apud Deum. Il n'y a rien de plus pitoyable que tout le raisonnement de cet auteur. Il suppose que Jésus-Christ montait et descendait souvent du ciel. C'est sans fondement, et l'Evangile ne nous fait connaître qu'une seule ascension de Jésus-Christ, non plus qu'une seule descente actuellement accomplie. Le socinien suppose encore que Jésus-Christ n'est né que sur la terre ; c'est la question. Il sait bien que les catholiques le reconnaissent né dans le ciel comme Verbe. Il n'y a donc rien de plus naturel ni de moins embarrassant à un catholique que de répondre à cet hérétique : Qu'en effet le Fils de Dieu est né dans le ciel, et qu'il en est descendu quand il s'est fait homme. C'est aussi à quoi nous conduit la suite du texte sacré. C'était au commencement et avant l'incarnation que le Verbe était avec Dieu : c'est dans la suite a qu'il s'est fait homme et qu'il a habité au milieu de nous; » et depuis qu'il a commencé à habiter, c'était à Nazareth ou à Capharnaüm qu'il avait son habitation, et non pas dans le ciel avec son Père. Il n'y a rien là que de clair et de littéral; et M. Simon, qui à

 

1 P. 804.

 

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cette fois fait semblant de vouloir répondre à ce socinien, n'a-voit que ce mot à dire pour trancher nettement la difficulté; mais comme si cette réponse, qui est celle de toute l'Eglise, était vaine ou obscure, M. Simon n'en dit rien ; et comme embarrassé de l'objection, il tire la chose en longueur par ce circuit : « L'interprétation paradoxe et inconnue à toute l'antiquité de ce socinien a été approuvée de plusieurs unitaires, parce qu'elle a du rapport avec leurs préjugés, et qu'elle exprime simplement et sans aucune métaphore les paroles du texte; mais il est nécessaire en beaucoup d'endroits, surtout dans l'évangile de saint Jean, de recourir aux métaphores pour trouver le sens véritable et naturel. Ainsi sans nécessité il abandonne au socinien la simplicité de la lettre, pendant que le texte même est évidemment pour les catholiques. Il se réserve, comme pressé par la lettre, à se sauver par la métaphore. Son recours à l'antiquité dans cette occasion aide encore à faire penser qu'il n'a que cette ressource, et il ne travaille qu'à rendre l'erreur invincible du côté de l'Ecriture.

 

CHAPITRE XI.

 

Faiblesse affectée de M. Simon contre le blasphème du socinien Eniédin : la tradition toujours alléguée pour affaiblir l'Ecriture.

 

C'est encore ce qui lui fait remarquer ce discours de Georges Eniédin, qui reproche aux catholiques «que n'y ayant rien de Lien formel dans l'Ecriture, d'où l'on puisse prouver clairement la divinité de Jésus-Christ, ils ont tort, ou pour mieux traduire, ils n'ont ni prudence ni pudeur d'appuyer un mystère de cette importance sur des conjectures faibles et sur des passages très-obscurs (1). » Est-il permis de rapporter ces paroles, et de les laisser sans réplique? Quoi! nous n'avons que des conjectures, et encore des conjectures faibles et des passages obscurs? Peut-on s'empêcher de démontrer à ce téméraire socinien qu'il n'y a rien de plus évident que les passages que nous produisons, ni rien de plus forcé et de plus absurde que les détours qu'on y donne dans sa secte? Mais M. Simon aime mieux faire cette réponse

 

1 P. 865.

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embarrassée : «Sans qu'il soit besoin de venir au détail de cette objection (vous voyez déjà comme il fuit), je remarquerai seulement poursuit-il, qu'elle est (cette objection d'Eniédin) beaucoup plus forte contre les protestons que contre les catholiques, qui ont associé à l'Ecriture des traditions fondées sur de bons actes (1).» Quelle mollesse! Que la cause de l'Eglise catholique est ravilie dans la bouche de notre critique ! Il n'ose dire nettement et absolument à un socinien que son objection est faible, qu'elle est nulle, qu'elle est sans force : il dit seulement qu'elle a plus de force contre les protestants que contre les catholiques; et elle en aurait autant contre les derniers que contre les autres, sans le secours de la tradition. C'est la méthode perpétuelle de notre auteur, et nous voyons que toujours, et de dessein prémédité, il allègue la tradition pour montrer que l'Ecriture ne peut rien. Les preuves de l'Ecriture tombent ici; la tradition tombe ailleurs-tout l'édifice est ébranlé, et ce malheureux critique n'y veut pas laisser pierre sur pierre.

 

CHAPITRE XII.

 

Affectation de rapporter te ridicule que Volzogue, socinien, donne à l'enfer.

 

Je suis encore contraint d'observer que les objections qu'il affecte le plus de rapporter sont celles où les sociniens ont répondu je ne sais quoi, qui donne un air fabuleux et par conséquent ridicule à la doctrine catholique. Telle est celle-ci de Volzogue : «Si on l'en croit, dit M. Simon, tout ce qu'on dit de l'enfer est une fable, qui a passé des Grecs aux Juifs, et ensuite aux Pères de l'Eglise (2). » Qu'est-ce que cela faisait à la critique ? On sait assez que les sociniens rejettent l'éternité des peines; et si M. Simon ne le voulait pas laisser ignorer à ceux qu'il instruit si bien de cette religion, il pouvait dire leur sentiment en termes plus simples, mais de choisir un passage où l'on affecte de donner l'idée d'aller chercher dans la fable l'origine des enfers, pour insinuer tout le ridicule qu'on y peut trouver, et représenter les saints Pères dès l'origine du christianisme comme de débiles

 

1 P. 865 et 366 — 2 P. 860.

 

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cerveaux, qui ont reçu des mains des poètes et de celles des Juifs un conte sans fondement, c'est vouloir gratuitement répéter un blasphème contre le précepte du Sage : « Ne répétez point une parole malicieuse : » Ne iteres verbum nequam (1). Ne le faites pas sans nécessité, ne le faites pas sans y joindre une solide réfutation : autrement la répétition de cette parole maligne, comme celle des médisants, sera un moyen de l'insinuer et un art de la répandre. Il ne suffit pas, après l'avoir répétée, de dire en passant et très-froidement que l'Evangile y est contraire, ce que personne n'ignore et que vous n'appuyez d'aucune preuve. Ce n'est pas ainsi qu'il faut rejeter les idées qui flattent les sens; il faut ou s'en taire ou les foudroyer.

 

CHAPITRE XIII.

 

La méthode de notre auteur à rapporter les blasphèmes des hérétiques est contraire à l'Ecriture et à la pratique des saints.

 

Pour moi, je ne comprends pas comment M. Simon a osé répéter tant d'impiétés et tant de blasphèmes sans aucune nécessité, le plus souvent sans réfutation et toujours, lorsqu'il les réfute, en le faisant très-faiblement et par manière d'acquit. « Dieu commandait de lapider le blasphémateur hors du camp (2) » pour en abolir la mémoire et celle de ses blasphèmes. Lorsqu'on accusa Naboth « d'avoir maudit Dieu et le roi (3), » on n'osa point répéter le blasphème qu'on lui imputait, et on en changea, selon la phrase hébraïque, le terme de malédiction, en l'exprimant par son contraire. Saint Cyrille d'Alexandrie, écrivant contre Julien l'Apostat, déclare qu'il en rapporte tout l'écrit pour le réfuter, à la réserve de ses blasphèmes contre Jésus-Christ. Ainsi l'esprit de ce Père était que nous eussions une réponse à cet Apostat sans en avoir les blasphèmes; et l'esprit de M. Simon est que nous ayons les blasphèmes sans réfutation.

Pour tout remède contre les écrits des sociniens, il dit à la fin que « s'il n'était pas obligé de renfermer dans un seul volume ce qu'il a à dire sur leur sujet, il aurait examiné plus à fond les raisons sur lesquelles ils appuient leurs nouveautés ; ce qu'on pourra,

 

1 Eccli., XIX, 7. — 2 Levit., XXIV, 14. — 3 III Reg., XXI, 10.

 

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dit-il, exécuter dans une autre occasion (1). » En attendant, nous aurons tout le poison de la secte dans l'espérance que M. Simon pourra dans la suite, non point réfuter ni convaincre, car ce serait se trop déclarer, mais examiner plus à fond les raisons dont ils soutiennent leurs nouveautés : ce qui leur donne autant d'espérance qu'aux catholiques. Le terme de nouveautés dont on qualifie leurs opinions ne fait rien, puisqu'on en dit bien autant de celles de saint Augustin, qu'on ne prétend pas pour cela proposer comme condamnables, et nous avons tout sujet de craindre que si ce qu'a dit M. Simon est pernicieux, ce qu'il promet ne le soit encore davantage.

 

CHAPITRE XIV.

 

Tout l'air du livre de M. Simon inspire le libertinage et le mépris de la théologie, qu'il affecte partout d'opposer à la simplicité de l'Ecriture.

 

Outre les passages particuliers qui appuient ouvertement les sociniens, tout l'air du livre leur est favorable, parce qu'il inspire une liberté, ou plutôt une indifférence qui affaiblit insensiblement la fermeté de la foi. Ce n'est point cette force des saints Pères, qui sans rien imputer aux hérésies qui ne leur convienne, découvrent dans leurs caractères naturels quelque chose qui fait horreur. M. Simon au contraire, par une fausse équité que les sociniens ont introduite, ne veut paraître implacable envers aucune opinion, et paraît vouloir contenter tous les partis. Il inspire encore partout une certaine simplicité que les mêmes sociniens ont tâché de mettre à la mode. Elle consiste à dépouiller la religion de ce qu'elle a de sublime et d'impénétrable, pour la rapporter davantage au sens humain. Dans cet esprit il ne fait paraître que du dégoût et du dédain pour la théologie, je ne dis pas seulement pour la théologie scholastique, qu'il méprise au souverain degré mais pour toute la théologie en général ; ce qui est encore une partie de cet esprit socinien qu'il a fait régner dans tout son livre.

Pour l'entendre, il faut remarquer que dans son style le littéral est opposé au théologique. Par exemple, il blâme Servet de s'être attaché à réfuter certains passages dont se servait Pierre Lombard

 

1 P. 872.

 

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« sans considérer, dit-il, que les anciens docteurs de l'Eglise ont appliqué à la Trinité certains passages plutôt par un sens théologique que littéral et naturel (1); » comme si la théologie, c'est-à-dire la contemplation des mystères sublimes de la religion n'était pas fondée sur la lettre et sur le sens naturel de l'Ecriture, ou que les sens qu'inspire la théologie fussent forcés et violents, et que ce fussent choses opposées d'expliquer théologiquement l’ Ecriture, et de l'expliquer naturellement et littéralement. C'est ce qu'il inculque en un autre endroit d'une manière encore plus forte, lorsqu'en parlant de saint Augustin, il ose dire : « Qu'il se faut précautionner contre lui, en lisant dans ses écrits plusieurs passages du Nouveau Testament, qu'il a expliqués par rapport à ses opinions sur la grâce et sur la prédestination ; » ce qu'il conclut en disant : « Que ses explications sont plutôt théologiques que littérales (2) ; » ce qui est dans le style de cet auteur le comble de ce qu'on peut dire pour les décrier. C'est le langage ordinaire de notre critique, et on le trouvera semé dans tout son livre.

Ainsi l'idée qu'il attache aux explications théologiques est d'avoir je ne sais quoi de subtil et d'alambiqué, qui s'écarte du droit sens des Livres saints, qui par conséquent doit être suspect, puisqu'il se faut précautionner contre. C'est ce qu'il attribue perpétuellement à saint Augustin, qui est devenu l'objet de son aversion, parce qu'on trouve dans ses écrits, plus peut-être que dans tous les autres, cette sublime théologie qui nous élève au-dessus des sens et nous introduit plus avant dans le cellier de l'Epoux, c'est-à dire dans la profonde et intime contemplation de la vérité.

 

CHAPITRE XV.

 

Suite du mépris de M. Simon pour la théologie : celle de saint Augustin et des Pères contre les ariens méprisée : M. Simon qui prétend mieux expliquer l’Ecriture qu'ils n'ont fait, renverse les fondements de la foi et favorise l’arianisme.

 

Les endroits où M. Simon fait le plus semblant de louer la théologie , et sous le nom de théologie la doctrine même de la foi, sont ceux où par de sourdes attaques il travaille le plus à sa ruine. En

 

1 P. 821. — 2 P. 291.

 

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parlant encore de saint Augustin et de ses Traités sur saint Jean : «Il y établit, dit-il, plusieurs beaux principes de théologie et c'est ce qu'on y doit plutôt chercher que l'interprétation de son Evangile (1). » Ainsi les principes de la théologie sont quelque chose de séparé de l'interprétation de l'Evangile : c'est une production de l'esprit humain plutôt que le fruit naturel de l'intelligence du texte sacré. Remarquez qu'il s'agit ici de ces beaux principes de théologie par lesquels saint Augustin concilie avec l'origine et la mission du Fils de Dieu sa divinité éternelle. Au lieu que ces grands principes de saint Augustin font la principale partie du sens littéral de l'Evangile de saint Jean, et en font le plus pur esprit, M. Simon les fait voir comme distingués du sens de cet Evangile. Encore s'il nous avait dit quelque part que par le sens de l'Evangile, ou par le sens de la lettre, il entend celui qu'on appelle le grammatical et la simple explication des mots, bien qu'il ne parlât pas correctement, on le pourrait supporter, puisque la saine doctrine demeurerait en son entier ; mais non, il fait partout le théologien, et il travaille seulement à nous insinuer que sa théologie qui est, comme on a vu et comme on verra, l'arienne et la socinienne peut-être un peu déguisée , est fondée sur le texte, pendant que celle de saint Augustin, qui en ce point comme dans les autres, est celle de toute l'Ecole et des interprètes, n'est plus qu'un discours en l'air et détaché de la lettre; et tout cela s'insinue en faisant semblant de louer ces beaux principes de théologie et saint Augustin qui les débite. On n'entend partout que ces beaux mots :  «Ce grand homme, ce saint évêque, ce savant évêque, ces belles leçons de théologie, ces beaux principes. » Telles sont les louanges de M. Simon, semblables à celles des Juifs et des Gentils, qui saluaient Notre-Seigneur dans sa passion. Comme eux il salue les Pères en qualité de prophètes à condition d'être happés, et les coups suivent de près la génuflexion. Et pour montrer avec encore plus d'évidence que ces beaux principes, comme il les appelle, sont l'objet de son mépris, il ne faut que considérer ce qu'il en dit dans un autre endroit : « Saint Augustin explique dans son second Livre de la Trinité plusieurs

 

1 P. 210, 220.

 

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passages du Nouveau Testament, où il est parlé du Fils et du Saint-Esprit, comme s'ils étaient inférieurs au Père (1) » ( ce sont ceux où il est parlé du Fils de Dieu comme n'ayant rien de lui-même, et les autres de même nature). Là il rapporte en abrégé les principes de saint Augustin, qui constamment sont les mêmes dans ce second Livre de la Trinité, que dans les Traités sur saint Jean; et sans qu'il soit nécessaire d'entrer ici dans le détail de ces principes, voici à quoi M. Simon les fait aboutir : « Il propose en même temps cette règle qu'on doit toujours se remettre devant les yeux, qu'il n'est pas dit en ce lieu-là que le Fils soit inférieur au Père, mais seulement qu'il est né de lui : ces expressions ne marquent pas son inégalité, mais seulement son origine (2). » Voilà sans doute la théologie de saint Augustin expliquée en termes clairs (car l'auteur n'en manque pas, quand il veut). Il faudrait donc l'approuver aussi clairement qu'il l'énonce, puisque sans elle la foi ne subsiste plus. Mais voyons ce que dira notre auteur, et apprenons de plus en plus à le connaître. Voici les paroles qui suivent incontinent après celles que nous venons de rapporter : « Il y a beaucoup d'esprit et beaucoup de jugement dans ces réflexions : elles donnent un grand jour à plusieurs passages du Nouveau Testament qui paraissent embarrassés (3). » On voit ici la louange, et pour ainsi dire la salutation de M. Simon; et voici le coup aussitôt après : «Mais après tout, poursuit-il, elles ne sont point capables de résoudre toutes les difficultés des ariens. » Il faut que M. Simon prête la main à saint Augustin et à l'Eglise, qui jusqu'à lui constamment se défendait de cette sorte. Je n'ai que faire d'entrer en raisonnement avec lui sur ses prétendues défenses. Un homme qui prétend défendre la foi contre l'hérésie arienne mieux que les Pères ne faisaient, lorsque l'Eglise était toute en action pour la combattre, dès là doit être suspect; et il ne faut pas aller bien loin pour trouver dans notre auteur l'arianisme à découvert. « Pour faire voir, dit-il, que ce passage : « Ma doctrine n'est pas ma doctrine (4),» se peut entendre, en Jésus-Christ, de la nature divine, saint Augustin rapporte pour exemple cet autre endroit de saint Jean, où il est dit que le Père a

 

1 P. 272, 273.— 2 Ibid. — 3 Ibid. et 274. — 4 Joan. VII, 16.

 

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donné la vie au Fils (1) ; et comme cela signifie qu'il a engendré le Fils qui est la vie, de même lorsqu'il dit qu'il a donné la doctrine au Fils, on entend facilement qu'il a engendré le Fils qui est la doctrine (2). » Voilà encore une fois la doctrine de saint Augustin bien expliquée ; mais pour être plus clairement censurée par les paroles suivantes : « Cela, dit-il, parait plutôt appuyé sur un raisonnement que sur les paroles du texte (3). » Ainsi, cette parole du Sauveur : « Le Père a donné la vie au Fils (4), » ou comme porte le texte : « De même que le Père a la vie en lui, de même aussi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, » ne veut pas dire naturellement que le Fils reçoit la vie de son Père aussi parfaitement et aussi substantiellement que le Père même la possède ; cette explication est de l'homme plutôt que du texte sacré. Saint Augustin, et non-seulement saint Augustin, mais saint Athanase , mais saint Basile, mais saint Grégoire de Nazianze et les autres Pères de cet âge (car ils sont tous d'accord en ce point) n'ont pas dû presser les ariens par un passage si formel. Après treize cents ans H. Simon leur vient faire leur procès avec une autorité absolue, et leur apprendre que le sens qu'ils ont opposé aux ariens n'est qu'un raisonnement humain. Jusqu'à quand ce hardi critique croira-t-il que celui qui garde Israël sommeille et dort ? Jusqu'à quand croira-t-il qu'il peut débiter un arianisme tout pur et mépriser tous les Pères, à cause qu'il mêle avec des louanges les opprobres dont il les couvre? car écoutons comme il continue : « On peut expliquer sur le même pied  le premier passage : « Comme le Père a la vie en soi, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. » Il est vrai que la plupart des commentateurs l'entendent de la divinité ; mais le sens le plus naturel est de l'entendre de Jésus-Christ en qualité d'envoyé (5). » C'est l'arrêt de M. Simon, qui en sait plus lui seul que tous les commentateurs, que saint Augustin, que tous les Pères. Mais pendant que ce téméraire critique veut mieux dire qu'eux tous, visiblement il ne dit rien. Son dénouement est que dans ces passages il faut regarder le Fils, non pas comme Dieu ou comme homme, « mais comme l'envoyé du Père pour annoncer aux hommes la nouvelle

 

1 Joan. V, 20.— 2 P. 272 et 274.— 3 Ibid. — 4 Joan., V, 26. — 5 P. 272 et 275.

 

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loi (1). » Or ce n'est pas là le dénouement, mais le nœud même et la propre difficulté qui est à résoudre, et que les Pères voulaient éclaircir. Il s'agissait, dis-je, d'expliquer, non pas que Jésus-Christ fût l'envoyé de son Père; mais comment étant son envoyé, il était en même temps son égal. Les prophètes étaient envoyés; et comme Jésus-Christ était envoyé selon la définition de M. Simon pour annoncer aux hommes la nouvelle loi, Moïse était envoyé pour leur annoncer la loi ancienne ; mais Moïse ne disait pas pour cela : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en soi ; » et encore : « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait semblablement (2), » et avec une égale perfection ; et encore : a Tout ce qui est à vous est à moi, et tout ce qui est à moi est à vous (3) ; » et enfin : « Moi et mon Père nous ne sommes qu'une même chose (4) » Il fallait donc distinguer l'envoyé qui parlait ainsi et qui s'égalait à Dieu dans sa nature comme son Fils unique et proprement dit, d'avec les autres envoyés et Moïse même, qui parlaient comme simples serviteurs. C'est ce que les Pères ont fait parfaitement, en disant que le Fils de Dieu est envoyé à même titre qu'il est Fils, sorti du sein paternel pour venir aux hommes; en sorte que sa mission n'a point d'autre fondement ni d'autre origine que son éternelle naissance. C'est le principe des Pères pour expliquer le particulier de la mission de Jésus-Christ, et par le même principe ils ont encore développé comment il est Dieu, et comment en même temps il reçoit tout. Car même parmi les hommes, le Fils n'en est pas moins homme pour avoir reçu de son Père la nature humaine; au contraire c'est ce qui fait qu'il est homme : ainsi Jésus-Christ est Dieu, parce qu'il est Fils de Dieu, non point par adoption, autrement il ne serait pas le Fils unique, mais par nature; ce qui ne peut être qu'il ne soit de même nature que son Père. Cette doctrine des Pères conciliait tout et expliquent par un seul et même principe, tous les passages de L'Evangile qui paraissaient opposés. Si M. Simon n'a pas approuve cette explication qui allait jusqu'au principe de la mission Jésus-Christ : et si sans se mettre en peine qu'il soit ou Dieu ou un pur homme, il ne veut regarder en lui dans tous ces passages

 

1 P. 272. — 2 Joan. V, 19. — 3 Joan. XVII, 10. — 4 Joan. X, 30.

 

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que le simple titre d'envoyé, qui lui est commun avec Moïse et tous les prophètes, il est aisé de comprendre le dessein d'un tel discours. C'est que son auteur ne veut qu'embrouiller la divinité de Jésus-Christ; et en un mot la différence qu'il y a entre les Pères et lui, c'est que les Pères se mettaient en peine de distinguer Jésus-Christ des autres envoyés qui ne sont pas Dieu, et qu'au contraire M. Simon ne s'en soucie pas.

Ainsi quand ce censeur téméraire s'élève au-dessus des Pères, quand il dit avec son audace ordinaire : lis disent bien, ils disent mal, ou qu'il faut aller plus avant qu'eux, et que leur explication n'est pas suffisante, ou qu'elle est forcée et subtile, ou que ce n'est, comme il dit ici, « qu'un raisonnement humain, » il ne faut pas regarder dans ces superbes manières un orgueil commun , mais apprendre à y remarquer un dessein secret de saper le fondement de la foi.

Lors aussi que le même auteur donne de beaux titres aux Pères, ou qu'il semble louer leur théologie, il ne faut pas oublier que les louanges sont l'introduction de quelque attaque ou cachée ou à découvert et que ce mot de théologie a dans sa bouche une autre signification que dans la nôtre. C'est une secrète intelligence et un chiffre pour ainsi dire de notre auteur avec les sociniens, qui, sous le nom d'interprétations théologiques, leur fait entendre un raisonnement de pure subtilité, qui n'a point de fondement sur le texte.

 

CHAPITRE XVI.

 

Que les interprétations à la socinienne sont celles que M. Simon autorise, et que celles qu'il blâme comme théologiques sont celles où l'on trouve la foi de la Trinité.

 

Il ne sert de rien d'objecter que M. Simon nous avait donné d'abord et dans sa Préface d'autres idées de la théologie et des explications théologiques. Je ne m'en étonne pas. Il fallait bien trouver un moyen d'introduire ses nouveautés par des manières spécieuses ; mais il change bientôt de langage, et dans toute la suite de son livre le nom de théologien devient un nom de mépris, témoin ce qu'il dit de Titelman, savant cordelier du siècle passé,

 

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dont les Paraphrases sur saint Paul et sur les Epitres canoniques sont estimées de tout le monde. Cependant M. Simon lui lance ce trait : « Comme il était théologien de profession, il substitue souvent les préjugés de sa théologie en la place des paroles de saint Paul (1) ; » c'est-à-dire à le bien entendre, que les théologiens sont des entêtés qui attribuent à saint Paul leurs sentiments, leurs préjugés, leur théologie. C'est déjà un trait assez piquant contre les théologiens ; mais entrons un peu dans le fond : voyons quels sont ces préjugés de Titelman, et quelle est la théologie qu'y blâme notre critique. C'est entre autres choses qu'en expliquant ces paroles de saint Jean : Et hi très unum sunt ; « Ces trois ne sont qu'un (2), » il y fait voir l'unité parfaite des trois Personnes divines, « tant en substance que dans leur concours à témoigner que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. » Tout catholique doit approuver cette explication; mais M. Simon la critique. Selon lui, ce mot de substance est de trop dans la paraphrase de Titelman : il fallait laisser indécis si les trois Personnes divines ont la même essence. Voilà le crime de ce savant religieux, et c'est pourquoi on le traite de théologien qui substitue sa théologie et ses préjugés à la place des paroles de l'Ecriture.

Ce passage de M. Simon qui découvre si bien son fond, mérite d'être transcrit tout au long. Après avoir rapporté la paraphrase de ces paroles : Non est volentis, etc., qui lui paraît « plutôt d'un théologien que d'un paraphraste qui ne doit point s'éloigner de la lettre de son texte, » ce critique continue en cette manière : « Il a suivi la même méthode sur les Epitres canoniques, qu'il explique à la vérité clairement et en peu de mots ; mais il ne satisfait point les personnes qui cherchent des interprétations purement littérales et sans aucune restriction (3). » Nous allons voir qui sont ces personnes que M. Simon veut qu'on satisfasse : « Il ne pouvait par exemple, poursuit-il, exposer avec plus de netteté ce passage de l'Epître de saint Jean, chapitre V, verset 7 : Ces trois ne sont qu'un, que par cette autre expression : Et ces trois Personnes ne sont qu’une même chose, tant dans leur substance que dans le témoignage qu'elles rendent unanimement à Jésus-Christ, qu'il est le

 

1 P. 564. — 2 I Joan., V, 7. — 3 P. 564 et 565.

 

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vrai Fils de Dieu. » Cette paraphrase est donc nette : il se faut bien garder d'en blâmer le fond, car ce serait se déclarer trop ; mais voici le mal : « Titelman donne cependant occasion aux antitrinitaires de dire qu'il a trop limité le sens de ce passage dans l'idée qu'il s'est proposée de ne donner que de simples éclaircissements. » Sans doute les antitrinitaires trouvent très-mauvais, et M. Simon avec eux, que Titelman ait interprété un en substance. Il se fallait bien garder de trouver cette unité dans ce passage. M. Simon veut qu'on satifasse ces judicieux interprètes les sociniens, et que jamais on ne trouve le mystère de la Trinité dans l'Ecriture. Y trouver l'unité de substance, c'est faire le théologien, et cela n'est pas littéral. On dira que je lui impose, et qu'il rapporte seulement le goût des sociniens sans l'approuver. Achevons donc la lecture de notre passage, qu'il finit ainsi : « Mais il est difficile de trouver des paraphrastes qui ne soient point tombés dans ce défaut, dont les antitrinitaires mêmes, qui veulent passer pour exacts, ne sont pas exempts. » Laissons à part la louange qu'il veut donner eu passant à ses antitrinitaires, et concluons que, selon lui, c'est un défaut à Titelman d'avoir expliqué un en substance. Cela n'est pas de son texte. Dorénavant on ne pourra pas, en interprétant la lettre de l'Ecriture, y trouver la foi de l'Eglise ; ce sera un défaut en interprétant : a Moi et mon Père nous ne sommes qu'un (1), » de dire que cette unité est dans l'essence : il sera aussi peu permis, en interprétant cet autre passage : « Baptisez au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, » d'exposer qu'on est baptisé au nom de ces trois Personnes comme étant égales ; encore moins en interprétant : « Le Verbe était Dieu, » d'ajouter qu'il l'est proprement et par nature : tout cela doit être banni pour satisfaire ceux qui cherchent les interprétations littérales et sans restriction. Ainsi la véritable méthode est de laisser tout en l'air, et de permettre aux sociniens leurs faux-fuyants aussi absurdes qu'impies, à peine d'être déclaré théologien de profession, attaché à ses préjugés et incapable d'expositions littérales. En un mot, les théologiens sont trop entêtés ; ils veulent trouver leur théologie, c'est-à-dire la foi de l'Eglise et la doctrine des Pères, dans l'Ecriture : ce sont de

 

1. Joan., X, 30.

 

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mauvais commentateurs : il faut remettre l'intelligence du texte sacré entre les mains des critiques à qui tout est indifférent, et c'est à eux qu'on doit laisser ce sacré dépôt.

 

CHAPITRE XVII.

 

Mépris de l'auteur pour saint Thomas, pour la théologie scholastique, et sous ce nom pour celles des Pères.

 

On sera bien aise de voir ce que notre auteur a pensé de saint Thomas; mais il se garde bien de se déclarer d'abord, et l'on croirait qu'il lui veut donner les louanges qui lui sont dues. « On attribue, dit-il, à ce saint un autre ouvrage sur le Nouveau Testament, qui n'est pas moins digne de lui que le premier: c'est un ample Commentaire sur toutes les Épitres de saint Paul (1). » Arrêtons-nous un moment. On attribue. M. Simon saurait-il quelqu'un qui ôtât ce livre à saint Thomas? Cela jusqu'ici n'est pas venu à la connaissance des hommes ; mais les critiques découvrent par leur art des choses que les autres ne soupçonnent pas. Passons sur ces vanités, venons au fond. « On attribue donc à saint Thomas un Commentaire sur saint Paul, où il fait paraitre beaucoup d'érudition. Le fond de ce livre est pris des Pères et des autres commentateurs qui l'ont précédé, mais il en rapporte plutôt le sens que les paroles (2). » Jusqu'ici il paraît le vouloir louer, mais c'est par là qu'un lin détracteur introduit sa maligne critique, et il tourne tout court en disant : « Sa méthode étant de raisonner sur les matières de la religion (remarquez ce style) il a mêlé plusieurs leçons de son art dans ses explications,» qui deviendront par conséquent fort théologiques, c'est-à-dire peu véritables, aussi bien que peu littérales, selon le langage de M. Simon ; et c'est pourquoi il conclut ainsi : « En un mot son Commentaire sur saint Paul est l'ouvrage d'un habile théologien, mais scholastique. » Remarquez encore : ce n'est pas absolument un habile théologien, c'est un habile théologien scholastique, « qui, poursuit-il, traite un grand nombre de questions qui ne sont guère d'usage que dans les écoles, et qui éloignent même quelquefois du véritable sens de saint Paul. »

 

1 P. 473. — 2 Ibid.

 

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Voilà où notre auteur en voulait venir ; c'était à insinuer qu'un théologien, mais scholastique est né pour éloigner du vrai sens de l'Ecriture, et que c'est en quoi consiste son habileté. C'est pourquoi il donne d'abord cette idée vague de saint Thomas, et sous le nom de saint Thomas des théologiens scholastiques, que leur méthode est déraisonner sur les matières de religion, comme si cela leur était particulier. Quoi qu'il en soit, saint Thomas est un raisonneur sur la religion, et encore sans distinguer qu'il y a là du bien et du mal, du bien à raisonner pour l'éclaircir, du mal à raisonner, ou pour en douter, ou pour en venir à des discussions trop curieuses. Mais il n'en demeure pas là. Il voulait mener son lecteur au mépris de la scholastique, pour le pousser plus avant encore, c'est-à-dire jusqu'au mépris de la théologie plus ancienne de saint Augustin et des Pères ; et pour cela il ajoute : « C'est sur ce pied-là (sur le pied d'un habile théologien scholastique qui éloigne du vrai sens de l'Ecriture et de saint Paul); c'est donc, dit-il, sur ce pied-là que saint Thomas s'étend d'abord assez au long sur ces mots de l’Epitre aux Romains : Qui prœdestinatus est Filius Dei. Il paraît tout rempli de l'explication de saint Augustin et des autres commentateurs (1), » qui veulent que Jésus-Christ soit prédestiné. Car il en revient souvent là; et la prédestination de Jésus-Christ, qui doit faire la consolation des fidèles, est l'objet de son aversion. Mais sans entrer maintenant dans cette dispute, on voit par cet exemple que M. Simon n'attaque pas seulement la théologie scholastique, mais sous le nom de la scholastique la théologie de saint Augustin, quoiqu'elle soit celle des autres commentateurs.

Au reste c'est à cet auteur téméraire un argument contre saint Thomas d'avoir suivi saint Augustin : c'est de quoi lui faire blâmer la théologie de ce chef de l'Ecole. Pour être bon théologien au gré de M. Simon, il eût fallu comme lui mépriser saint Augustin, l'abandonner principalement sur l’Epitre aux Romains et sur cette haute doctrine de la grâce et de la prédestination, qui est née pour atterrer l'orgueil humain ; c'est ce que M. Simon inculque : il fallait enfin commencer par assurer que Jésus-Christ, qui est le

 

1 P. 473, 474.

 

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chef et le modèle des prédestinés, n'a point été prédestiné lui-même ; c'est-à-dire que le mystère de l'incarnation n'a été ni prévu, ni défini, ni préordonné, ni prédestiné de Dieu; ce qui n'est pas seulement une impiété, mais encore une absurdité manifeste, comme il a déjà été dit.

 

CHAPITRE XVIII.

 

Historiette du docteur d'Espense, relevée malicieusement par l'auteur, pour limiter Rome et mépriser de nouveau la théologie comme induisant à l’erreur.

 

Voici encore sous le nom du docteur d'Espense un trait de malignité contre la théologie ou plutôt contre la religion : « Il nous apprend, dit-il, qu'un gentilhomme romain, qui n'était pas ignorant, lui disait souvent que ceux de son pays avaient un grand éloignement de l'étude de la théologie, de peur de devenir hérétiques ; qu'ils s'appliquaient seulement au droit civil et au droit canon, qui leur ouvrait le chemin dans la Rote, pour parvenir aux évêchés, au cardinalat, et aux plus grandes nonciatures (1). » On m'avouera que ni le discours de ce gentilhomme, ni le récit de d'Espense ne servait de rien à la critique, si ce n'est à celle qui fait les moqueurs, qui se livrent à l'esprit de dérision tant réprouvé dans l'Ecriture, sans même épargner la religion et l'Eglise. Cette remarque de M. Simon n'est bonne qu'à faire penser aux libertins qu'en étudiant la théologie, c'est-à-dire en approfondissant la doctrine chrétienne, on s'en dégoûte et on devient hérétique; que c'est là le sentiment de l'Italie et de Rome même, et que toute l'étude de ce pays-là n'est que politique et intérêt. Peut-on faire une plus sanglante et plus insolente satire, je ne dirai pas seulement de Rome, mais encore de la religion et de la foi? Mais de peur qu'on ne s'imagine que cette satire de notre critique ne regarde Rome que pour le temps de d'Espense, ce moqueur continue en cette sorte : « Je me trompe fort si cet esprit ne règne encore présentement à Rome, et même dans toute l'Italie. » Tout le monde y est dans l'esprit de ce prétendu gentilhomme de d'Espense. Que les sociniens, que les protestants seront contents de M. Simon:

 

1 P. 593.

 

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qu'il sait flatter agréablement leur goût et cet esprit de satire qui les a poussés dans le schisme ! Cependant ce satirique malin fait cette morsure en jouant. Ce n'est pas lui, c'est d'Espense, c'est un gentilhomme qui n’était pas ignorant; car il en fallait encore marquer ce petit éloge, afin que ses sentiments fussent mieux reçus; et pour conclusion, une satire si mordante se tourne en forme d'avertissement par ces dernières paroles : « Peut-être, continue M. Simon, serait-il à désirer qu'en France les personnes de qualité, qui sont élevées aux plus grandes dignités de l'Eglise, étudiassent un peu moins de théologie scholastique. et qu'ils s'appliquassent davantage à l'étude du droit et de la pratique des affaires ecclésiastiques. » C'est ainsi qu'après avoir satisfait à sa malignité, il fait encore semblant de vouloir servir ceux qu'il déchire, et entrer dans leur sentiment.

Au reste s'il agissait avec un peu de sincérité et de bonne foi, après avoir attaqué obliquement à sa manière la théologie scholastique, il n'aurait pas tourné tout court à la pratique et au droit; il aurait marqué au moins en un mot à ces gens de qualité, qu'il veut instruire pour la prélature, qu'il y a une théologie encore plus nécessaire aux prélats que tous les canons, qui est celle de l'Ecriture et des Pères, à moins qu'on ne mette avec notre auteur l'étude de l'Ecriture aussi bien que celle des Pères uniquement dans la critique.

 

CHAPITRE XIX.

 

L'auteur, en parlant d'Erasme, continue de mépriser la théologie, comme ayant contraint l'esprit de la religion.

 

On voit encore une belle idée de la scholastique, et de toute la théologie en général dans la remarque de notre critique sur Erasme. Cet auteur avait expliqué ces paroles : « Vous êtes Pierre, » et les autres qui établissent la primauté de saint Pierre et de ses successeurs, d'une manière qui ne laissait dans l'Ecriture aucun vestige de cette primauté. On le reprit avec raison d'une affectation si dangereuse. M. Simon observe « qu'il représentait que ce qu'il avait écrit de la primauté du pape, précédait les disputes qui étaient depuis survenues là-dessus, et qu'il n'avait même

 

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rien dit qu'il n'eût en même temps prouvé par les témoignage des anciens Pères; mais on ne l'écoutait point ». » Sur quoi notre auteur fait cette réflexion : « Il devait avoir appris que depuis que la théologie avait été réduite en art par les docteurs scholastiques, il fallait se soumettre à de certaines règles et à de certaines manières de parler : qu'il ne s'agissait plus de savoir ce qu'on lisait dans les anciens écrivains ecclésiastiques, puisqu'il demeurait lui-même d'accord qu'ils ne convenaient point entre eux ; outre qu'il n'avait produit dans ses notes que de simples extraits de leurs ouvrages, qui ne découvraient pas toujours leurs véritables pensées. » L'artifice avec lequel il mêle ici le bien et le mal, ne peut pas être plus dangereux. Il est vrai, c'est tromper le monde que de lui faire espérer une instruction suffisante de la pensée des saints Pères, lorsqu'on n'en produit que des extraits, et c'est une illusion que M. Simon fait souvent à ses lecteurs. Il fallait donc s'en tenir à cette réponse pour convaincre Erasme ; mais ce n'est pas ce que voulait notre critique, et il fallait que la scholastique reçût une atteinte. Il la taxe donc premièrement d'avoir réduit la théologie en art, expression qui d'abord présente à l'esprit un sens odieux, comme si on avait dégénéré de la simplicité primitive de la doctrine chrétienne. La théologie n'est pas un art. C'est la plus sublime des sciences ; et pour s'être astreinte à une certaine méthode, elle ne perd ni son nom, ni sa dignité. Mais passons à M. Simon un terme ambigu, quoique suspect dans sa bouche. Le reste de son discours enveloppe dans sa confusion tout ce qui se peut penser de plus malin. Car que veut dire, que depuis la scholastique, il fallait se soumettre à de certaines règles et à de certaines manières de parler? Est-ce que la théologie n'avait point de règle avant les docteurs scholastiques, et que les conciles et la tradition n'en prescrivaient point aux fidèles et aux docteurs? Pourquoi donc donner cette idée de la scholastique, comme si c'était elle qui eût commencé à devenir contraignante ei a gêner les esprits? N'avait-on pas auparavant des règles même pour les expressions? Tout le monde pouvait-il parler comme il voulait? Ne fallait-il pas accommoder son langage aux décrets que faisait l'Eglise pour

 

1 P. 535.

 

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la condamnation des hérésies? M. Simon le pourrait nier, lui qui a Marné, comme on a vu, les expositions où l'on ajoutait quelques mots à la lettre de l'Ecriture, pour en fixer plus précisément le sens; mais l'Eglise n'a jamais été de ce sentiment. Cette règle tant répétée par les scholastiques, par Gerson, par tous les autres docteurs : Nobis ad certam regulam loqui fas est, n'était pas des scholastiques : elle était de saint Augustin, de Vincent de Lérins, des autres Pères, et aussi ancienne que l'Eglise.

Ce qu'ajoute M. Simon, que « depuis la scholastique il ne s'agissait plus de savoir ce qu'on lisait dans les anciens Pères, qui même ne s'accordaient pas entre eux, » donne encore cette danoise idée, qu'on n'a plus d'égard aux discours des Pères, et qu’il n'est plus permis de parler comme eux; ce qui prononcé infiniment, ainsi qu'a fait notre auteur, induit un changement dans la doctrine. Mais au contraire les scholastiques veulent qu'on parle toujours comme les Pères ; et si l'on ajoute quelque chose au langage de ces saints docteurs, ce n'est que pour empêcher qu'on n'en abuse, et pour expliquer plus à fond ce qu'ils n'ont dit qu'en passant; et alors ce qu'on ajoute contre les hérésies venues depuis eux, est non-seulement de même parure, mais encore de même force et de même sens que ce qu'ils ont dit. Mais la dernière remarque par laquelle M. Simon prétend établir qu'il ne s'agit plus de savoir ce qu'on lisait dans les Pères, à cause « qu'ils ne convenaient point entre eux, » est l'endroit où il y a le plus de venin, puisque c'est insinuer, c'est définir en général qu'il n'y a rien de certain à tirer de la doctrine des Pères, et en particulier que par rapport à la primauté de saint Pierre, dont il s'agit en ce lieu, les Pères ne conviennent pas qu'elle soit dans l'Ecriture.

On voit donc que tous les traits de M. Simon contre la théologie scholastique portent plus loin et que le contre-coup en retombe sur la théologie des Pères. En effet selon ses maximes, il ne faut plus de théologie : tout sera réduit à la critique : c'est elle seule qui donne le sens littéral, parce que sans rien ajouter aux termes de l'Ecriture pour en faire connaître l'esprit, elle s'attache seulement à peser les mots : tout le reste est théologique, c'est-à-dire peu littéral et peu recevable.

 

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CHAPITRE XX.

 

Audacieuse critique d'Erasme sur saint Augustin, soutenue par M. Simon : suite du mépris de ce critique pour saint Thomas : présomption que lui inspirent, comme à Erasme, les lettres humaines : il ignore profondément ce que c'est que la scholastique, et la blâme sans être capable d'en connaître l'utilité.

 

C'est aussi pour cette raison que M. Simon , après avoir rapporté ce que dit Erasme, pour montrer « que saint Augustin n'a pu acquérir une connaissance solide des choses sacrées, solidam cognitionem rerum sacrarum, et qu'il est bien inférieur à saint Jérôme, » conclut en cette manière. « En effet, avant que l'étude des belles-lettres et de la critique fût rétablie en Europe, il n'y avait presque que saint Augustin qui fût entre les mains des théologiens. Il est même encore présentement leur oracle, parce qu'il y en a très-peu qui sachent d'autre langue que la latine, et que la plupart suivent saint Thomas , sans prendre garde qu'il a vécu dans un siècle barbare (1). »

Il n'y a personne en vérité à qui l'envie de rire ne prenne d'abord, lorsqu'on voit un Erasme et un Simon, qui sous prétexte de quelque avantage qu'ils auront dans les belles-lettres et dans les langues, se mêlent de prononcer entre saint Jérôme et saint Augustin, et d'adjuger à qui il leur plaît le prix « de la connaissance solide des choses sacrées. » Vous diriez que tout consiste à savoir du grec ; et que pour se désabuser de saint Thomas, ce soit assez d'observer qu'il a vécu dans un siècle barbare ; comme si le style des apôtres avait été fort poli, ou que pour parler un beau latin, on avançât davantage dans la connaissance des choses sacrées.

Parmi les Pères, saint Augustin est un de ceux qui a le mieux reconnu les avantages qu'on peut tirer de la connaissance des langues, et qui a donné les plus belles leçons pour en profiter. Mais il ne laisse pas de déplorer avec raison la faiblesse et la vanité de ceux qui ont tant d'horreur de l'inélégance ou de l'irrégularité du langage (2); et il faut que M. Simon, malgré qu'il en ait, cède à la vérité, qui dit par la bouche de ce Père, « que les

 

1 P. 531. — 2 De Doct. Christ., lib. II, cap. XII, XIII.

 

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âmes sont d'autant plus faibles et d'autant plus ignorantes qu'elles sont plus frappées de ce défaut (1). »

Je me réjouis donc, aussi bien que M. Simon , de la politesse que l'étude des belles-lettres et des langues a ramenée dans le monde, et je souhaite que notre siècle ait soin de la cultiver. Mais il y a trop de vanité et trop d'ignorance à faire dépendre de là le fond de la science, et surtout de la science des choses sacrées. Et pour ce qui est de la scholastique et de saint Thomas, que M. Simon voudrait décrier à cause du siècle barbare où il a vécu, je lui dirai en deux mots, que ce qu'il y a à considérer dans les scholastiques et dans saint Thomas, est ou le fond, ou la méthode. Le fond, qui sont les décrets, les dogmes et les maximes constantes de l'Ecole, ne sont autre chose que le pur esprit de la tradition et des Pères : la méthode, qui consiste dans cette manière contentieuse et dialectique de traiter les questions, aura son utilité, pourvu qu'on la donne, non comme le but de la science, mais comme un moyen pour y avancer ceux qui commencent; ce qui est aussi le dessein de saint Thomas dès le commencement de sa Somme, et ce qui doit être celui de ceux qui suivent sa méthode. On voit aussi par expérience que ceux qui n'ont pas commence par là, et qui ont mis tout leur fort dans la critique, sont sujets à s'égarer beaucoup, lorsqu'ils se jettent sur les matières théologiques. Erasme dans le siècle passé, Grotius et M. Simon dans le nôtre, en sont un grand exemple. Pour ce qui regarde les Pères, loin d'avoir méprisé la dialectique, un saint Basile, un saint Cyrille d'Alexandrie, un saint Augustin, dont je ne cesserai point d'opposer l'autorité à M.  Simon et aux critiques, quoi qu'ils puissent dire, pour ne point parler de saint Jean de Damas et des autres Pères grecs et latins, se sont servis souvent et utilement de ses définitions, de ses divisions, de ses syllogismes, et pour tout dire en un mot, de sa méthode, qui n'est autre que la scholastique dans le fond. Que le critique se taise donc, et qu'il ne se jette plus sur les matières théologiques , où jamais il n'entendra que l'écorce.

 

1 De Doct. Christ., cap. XIII, n. 20.

 

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CHAPITRE XXI.

 

Louanges excessives de Grotius, encore qu'il favorise les ariens, les sociniens et vue infinité d'autres erreurs.

 

J'ai réservé à Grotius un chapitre à part pour ne le pas confondre avec les sociniens, dont il s'est pourtant laissé imprimer d'une manière dont M. Simon n'a pu se taire. Car il remarque « qu'il a fait l'éloge de Crellius et des sociniens, et que le socinien Volzogue a emprunté beaucoup de choses de Grotius. Grotius, de son côté, est redevable d'une partie de ses notes à Socin et à Crellius (1). » A vrai dire, l'affinité qui est entre eux est extrême; et afin de comprendre jusqu'où elle va, il ne faut qu'écouter Grotius lui-même, « qui fait des vœux, dit M. Simon, pour la conservation de Crellius et des frères Polonais ( on entend bien que c'est-à-dire les sociniens), afin qu'ils puissent continuer à travailler avec succès sur l'Ecriture (2). »

Mais comme on pouvait croire que cette prévention de Grotius pour les sociniens n'irait pas à ce qui regarde la divinité de Jésus-Christ , M. Simon demeure d'accord qu'il favorise « quelquefois ( il fallait dire très-souvent ) l'ancien arianisme, ayant trop élevé le Père au-dessus du Mis, comme s'il n'y avait que le Père qui fût Dieu souverain, et que le Fils lui fût inférieur même à l'égard de la divinité (3). » Il me semble que c'est assez évidemment être arien que d'enseigner de telles choses. Mais Grotius passe encore plus avant; « et, continue M. Simon, il a détourné et affaibli, par ses interprétations, le sens de quelques passages (il devait dire de presque tous, et des principaux et des plus clairs) qui établissent la divinité de Jésus-Christ. » Il fallait encore ajouter qu'il affaiblit la préexistence, puisqu'il détourne jusqu'au passage où Jésus-Christ dit « qu'il est avant qu'Abraham eût été l'ait, » qui est celui que M. Simon, quand il veut parler en catholique, regarde comme le plus clair de tous.

Voilà ce que dit M. Simon touchant Grotius; et ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'incontinent après avoir rapporté toutes ces

 

1 Simon, p. 803. — 2 P. 804. — 3 P. 805.

 

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erreurs, il continue en cette sorte : « Nonobstant ces défauts (comme si c'étaient des fautes de rien), on doit lui rendre cette justice, que pour ce qui est de l'érudition et du bon sens, il surpasse tous les autres commentateurs qui ont écrit avant lui sur le Nouveau Testament  (1). » S'il ne louait en lui que l'érudition, cette louange ne tirerait pas à conséquence , et ferait voir seulement que personne n'a plus cité de passages des auteurs sacrés et profanes que Grotius, puisqu'il en est chargé jusqu'à l'excès ; mais donner la préférence du bon sens à un homme qui préfère en tant d'endroits et dans les plus essentiels les interprétations ariennes et sociniennes aux catholiques, c'est insinuer trop ouvertement que le bon sens se trouve dans ses interprétations. M. Simon ajoute à tout cela (2) « qu'encore que Grotius ne soit pas controversiste, il éclaircit en plusieurs endroits la théologie des anciens par de petites dissertations qu'il fait entrer de temps en temps dans ses notes (3). » Ces petites dissertations peuvent être , par exemple, si l’on veut ; celles où il anéantit le précepte contre l'usure et la doctrine de l'immortalité de l'âme. On pourrait encore remarquer celles où il a si bien éclairci la théologie des anciens, qu'on ne sait plus quel Verbe il a reconnu, si c'est celui de saint Jean et des chrétiens, ou celui des platoniciens et d'un Philon Juif. Par ces curieuses dissertations de Grotius, on pourrait douter si le Verbe et le Saint-Esprit sont deux Personnes distinguées, et en particulier si le Saint-Esprit est quelque chose de subsistant et de coéternel à Dieu. On y pourrait apprendre aussi que les endroits où Jésus-Christ est appelé Dieu, sont plutôt des manières de parler inventées pour relever Jésus-Christ, que des paroles qu'on doive prendre littéralement. Grotius n'oublie du moins aucun endroit des anciens par où l'on puisse embrouiller cette matière, sans qu'on y puisse trouver une claire résolution de cette question. C'est ce qu'on pourrait démontrer, si c'en était ici le lieu. Ainsi louer ces dissertations dans un auteur en qui on fait indéfiniment prédominer le bon sens, et à qui on donne la gloire d'avoir éclairci

 

1 P. 805;.— 2 Ibid.— 3 Grotius in Luc., M, 36; in Genes., II, 7; in Job, XXXIV, 14; in Eccles., XII, 7; in Sapient., XX, 2; in Luc., XX, 38; in Matth., XXVIII; in Joan., I.

 

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la théologie des anciens, c'est, non-seulement induire les simples en erreur, mais encore tendre des pièges aux demi-savants.

 

CHAPITRE XXII.

 

L'auteur entre dans les sentiments impies de Socin, d'Episcopius et de Grotius, pour anéantir la preuve de la religion par les prophéties.

 

Parmi ces dissertations de Grotius (a), qui ont mérité la louange et l'approbation de M. Simon, il faut compter celle où parlant des passages de l'Ancien Testament dont se servent les évangélistes et les écrivains sacrés, il prétend, comme le récite M. Simon, « que les apôtres n'ont point eu dessein de convaincre les Juifs par ces seules autorités que Jésus fût le véritable Messie. Car il y en a peu, dit Grotius, qu'ils rapportent à cette fin, et ils se contentent, pour prouver la mission de Jésus-Christ, de sa résurrection et de ses miracles (1). » Voilà en effet le premier sentiment de Grotius, à qui Calovius, dit M. Simon, a a objecté qu'il rend douteux par cet artifice ce qu'il y a de plus clair dans l'Ancien Testament en faveur du Messie (2). »

Il n'y arien de plus juste que cette censure de Calovius. Cependant après l'avoir considérée, M. Simon passe par-dessus, en approuvant le sentiment de Grotius, qui prétend que ces passages sont allégoriques; c'est-à-dire qu'ils ont un double sens qui leur ôte la force de prouver, et ensuite qu'ils ne sont propres qu'à confirmer dans la foi ceux qui y sont déjà bien disposés, et non pas à y amener ceux qui en ont l'esprit éloigné.

Il est vrai qu'en favorisant ce sentiment de Grotius, M. Simon fait semblant d'y apporter quelques restrictions à sa mode ; c'est-à-dire des restrictions vaines et enveloppées, par où il se prépare des échappatoires, quoiqu'elles soient en effet des convictions de son erreur. « Il se peut faire, dit-il, que Grotius ait trop étendu son principe (des allégories) ; mais on ne doit pas le condamner absolument, comme s'il appuyait le judaïsme. C'est au contraire

 

1 P. 807.— 2 P. 808.

(a) Le fond de tout ce qui est dit dans ce chapitre se trouve dans la Dissertation sur Grotius.

 

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la seule voie de répondre solidement aux objections des Juifs (1). » On voit déjà combien faiblement il attaque Grotius, en disant : Il se peut faire. Il n'y arien qui favorise plus une objection hardie qu'une réponse molle. Pendant que Grotius tranche le mot et qu'il ravit aux chrétiens les principales preuves de leur religion, on se contente de le réfuter, en disant : qu'il se peut faire qu'il ait trop étendu son principe; mais quel principe? Qu'il y a des allégories dans l'Ecriture, ou que quelques-unes des prophéties que les apôtres appliquent à Jésus-Christ sont fondées sur des allégories ? Qui jamais s'est avisé de le nier? Son principe donc est de dire que ces allégories doivent avoir lieu dans les principaux passages dont Notre-Seigneur et les apôtres se sont servis pour établir la venue et les mystères du Messie. Voilà en effet le principe de Grotius ; d'où il conclut que, pour prouver la mission de Jésus-Christ, les apôtres se contentaient de sa résurrection et de ses miracles. Et M. Simon, loin de combattre un principe si pernicieux, trouve que c'est là au contraire la seule voie de répondre solidement aux objections des Juifs; c'est-à-dire, que la seule voie de leur répondre est de montrer que les principales preuves dont Jésus-Christ et les apôtres se sont servis n'ont point de force. Un sentiment si propre à excuser les Juifs, était digne de Socin et d'Episcopius. Socin, en parlant des prophéties, se contente de dire avec une extréine froideur, qu'il y en a quelques-unes dans lesquelles il était parlé « en quelque façon » du Messie qui devait venir, et qu'on pouvait entendre assez clairement de Jésus de Nazareth. C'est ce qu'il dit dans ce livre des Leçons théologiques dont M. Simon a tant recommandé la lecture (2). On ne pouvait pas parler plus faiblement des prophéties que cet auteur. En effet il met si peu dans les prophéties le fondement de la religion chrétienne, qu'il ne croit pas même la lecture du Vieux Testament nécessaire aux chrétiens. Episcopius a suivi ses pas. On sait que ce défenseur de L'arianisme était un socinien un peu plus modéré, ou plutôt un peu plus couvert que les autres, qui enseigne au reste assez nettement l'indifférence des religions, et ne fait du christianisme qu'une espèce de philosophie peu nécessaire au salut. Un tel homme, qui prenait

 

1 P. 808. — 2 Instit. Theolog., praef., part. I.

 

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si peu d'intérêt à la religion chrétienne, ne devait être guère touché des prophéties, qui en font la gloire aussi bien que le fondement ; et voici en effet ce qu'il en pense, au rapport de M. Simon : « Il examine, dit ce critique, les prophéties et les autres passages de l'Ancien Testament qui sont rapportés dans le Nouveau ; et comme la plupart y sont cités par forme d'allégories, il ne peut souffrir l'opinion de ceux qui croient que les évangélistes et les apôtres ont employé ces allégories pour prouver que Jésus-Christ était le Messie; ce qui est, dit-il, contraire au bon sens, et même à la pensée de ceux qui se sont servis les premiers de ces sens mystiques. Ils se sont contentés des miracles et de la résurrection de Jésus-Christ, pour prouver aux fidèles qu'il était le Messie, ayant proposé ces sortes d'interprétations à ceux qui l'avaient reconnu (1).»

Voilà donc d'où nous est venu le mépris des prophéties. Fauste Socin a commencé de les affaiblir : Episcopius leur a ôté toute leur force, jusqu'à ne pouvoir souffrir, dit M. Simon, qu'on les fit servir de preuves : Grotius a copié Episcopius, et a tâché d'établir son sentiment par toutes ses notes, et M. Simon marche sur leurs pas.

La manière dont il répond à Episcopius découvre le fond de son cœur. Car après avoir déclaré que cet auteur ne peut souffrir la preuve des prophéties, au lieu de confondre son impiété par quelque chose de fort, M. Simon ne lui oppose que cette faible défense : « Mais il semble qu'une bonne partie de ces autorités de l'Ancien Testament pouvaient aussi faire quelque impression sur l'esprit des Juifs mêmes, qui n'étaient point encore convertis, voyant que leurs docteurs les avaient aussi appliquées au Messie (2). »

C'est ainsi qu'il a coutume de fortifier les arguments des sociniens, auxquels il ne répond qu'en tremblant. Il semble, dit-il, il n'en sait rien, qu'une bonne partie de ces passages, il ne dit pas même que c'est la plus grande, pouvaient faire, non pas même une forte impression, mais quelque impression. Mais peut-être qu'ils pourront faire du moins cette impression telle quelle par la force même des

 

1 P. 801. — 2 P. 802.

 

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passages? Point du tout ; c'est à cause que les docteurs juifs, en les appliquant à d'autres, les ont aussi appliques au Messie. La belle ressource pour l'Evangile ! Toute la force des prophéties consiste à faire peut-être quelque impression sur les Juifs, non par les paroles mêmes, mais à cause que leurs docteurs leur auront donné un double sens, dont ils auront appliqué un au Messie, sans y être forcés par le texte; comme si le Saint-Esprit avait craint de parler trop clairement par lui-même.

 

CHAPITRE XXIII.

 

On démontre contre Grotius et M. Simon, que Jésus-Christ et les apôtres ont prétendu apporter les prophéties comme des preuves convaincantes auxquelles les Juifs n'avaient rien à répliquer.

 

Je ne pense pas qu'on s'attende ici à une pleine réfutation de cette erreur, que tout chrétien doit détester dès là qu'elle tend à faire voir premièrement que Jésus-Christ et les apôtres ont mal prouvé ce qu'ils voulaient; secondement, que les Juifs ont raison contre eux; et enfin, que l'Evangile n'est pas clairement fondé sur les prophéties.

Et en vérité on ne comprend pas comment Episcopius et Grotius ont pu dire que les preuves que les apôtres et Jésus-Christ même tiraient de l'Ancien Testament ne fussent pas convaincantes 1, puisqu'il est écrit en termes formels que Paul et Apollos même « convainquaient les Juifs en ne disant rien que ce qui est écrit dans les prophètes (2); » ni pourquoi il a plu à ces auteurs de réduire à un petit nombre les passages qu'on opposait aux Juifs, puisque saint Paul les en accablait durant tout un jour, depuis le matin jusqu'au soir (3); assurant en un autre endroit, qu'on les trouvait indifféremment dans « toute la lecture des sabbats (4), » tant ils étaient fréquents et pour ainsi dire entassés dans tout le corps de l'Ecriture; en sorte qu'il ne restait aucune réplique aux Juifs, ni autre chose à saint Paul qu'à s'étonner de leur aveuglement (5). Enfin on ne comprend pas ce qui a pu encore obliger ces

 

1 Voyez Dissert, sur Grotius. — 2 Act., IX, 22. — 3 Act., XXVIII, 22. — 4  Act., XIII, 27. — 5 Act., XXVIII, 25.

 

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mêmes auteurs à réduire la force de la preuve à la résurrection et aux miracles de Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ lui-même, après avoir dit aux incrédules : « Mes œuvres rendent témoignage de moi, » ajoute aussitôt après dans le même endroit : « Sondez les Ecritures, car elles rendent aussi témoignage de moi (1), » leur montrant les deux témoignages et les deux preuves de fait sensibles et incontestables, par lesquelles il les convainquait, les miracles et les prophéties ; témoignages où la main de Dieu était si visible, qu'on ne les pouvait reprocher sans reprocher la vérité même. Et tant s'en faut qu'on doive affaiblir la force des prophéties, qu'au contraire il les faut considérer comme la partie la plus essentielle et la plus solide de la preuve des chrétiens, puisque saint Pierre ayant allégué la transfiguration de Jésus-Christ comme un miracle dont il avait lui-même été témoin avec deux autres disciples, ajoute incontinent : «Et nous avons quelque chose de plus ferme dans les paroles des prophètes, que vous faites bien de regarder comme un flambeau qui luit dans un endroit obscur (2) ; » en sorte qu'on trouve dans ce témoignage les deux qualités qui rendent une preuve complète, la fermeté et l'évidence.

De nous réduire après cela au témoignage des rabbins, comme a fait M. Simon, c'est une erreur manifeste, puisque ni Jésus-Christ, ni saint Pierre, ni Apollos, ni saint Paul ne produisaient point ces docteurs : non que je veuille rejeter le témoignage qu'on tire de leur consentement, qui est un argument, comme on l'appelle , ad hominem contre les Juifs, et une nouvelle preuve de l'évidence de l'Ecriture. C'est aussi une raison pour prouver qu'il y avait dans la Synagogue une tradition non écrite du sens qu'il fallait donner à plusieurs passages pour y trouver Jésus-Christ ; mais de se servir de ces arguments pour affaiblir celui de l'Ecriture et les preuves des prophéties, c'est avoir avec les Juifs, comme dit saint Paul, «les sens obscurcis, l'esprit bouché à la vérité, et le voile devant les yeux pour ne pas voir et ne pas sentir la gloire de l'Evangile (3).»

 

1 Joan., V, 36, 39. — 2 II Petr., I, 18, 10. — 3 II Cor., III, 14, 15.

 

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CHAPITRE XXIV.

 

La même chose se prouve par les Pères : trois sources pour en découvrir la tradition : première source, les apologies de la religion chrétienne.

 

M. Simon allègue les Pères en faveur du sentiment de Grotius (1), mais il n'en a pu nommer un seul ; et nous pouvons, au contraire, les nommer tous contre lui. Mais pour ne pas entreprendre contre notre auteur une dissertation immense, et ne laisser pas cependant sa témérité impunie, nous lui marquerons seulement trois sources où il aurait pu découvrir, non pas le sentiment des particuliers, mais celui de toute l'Eglise.

Je lui nommerai premièrement les apologies de la religion chrétienne, qu'on présentait aux empereurs et au sénat, au nom de tout le corps des chrétiens.

La plus ordinaire objection qu'on leur faisait, c'est qu'ils croyaient en Jésus-Christ sans raison : mais saint Justin répondait au nom d'eux tous que ce n'est pas croire sans raison « que de croire ceux qui n'ont pas dit simplement, mais qui ont prédit toutes les choses que nous croyons, longtemps avant qu'elles fussent arrivées (2); » ce qui, selon lui, n'est pas seulement une preuve, mais encore, pour me servir de ses propres termes bien opposés à ceux de M. Simon et de Grotius, la plus grande et la plus forte de toutes les preuves, une véritable démonstration, comme ce Saint l'appelle ailleurs.

Tertullien (a), un autre fameux défenseur de la religion chrétienne, dans l'apologie qu'il en adresse au sénat et aux autres chefs de l'empire romain, exclut comme saint Justin tout soupçon de légèreté de la croyance des chrétiens: «A cause, dit-il, qu'elle est fondée sur les anciens monuments de la religion judaïque. » Que cette preuve fût démonstrative, il le conclut en ces termes : «  Ceux qui écouteront ces prophètes trouveront Dieu ; ceux qui prendront soin de les entendre seront forcés de les croire : » Qui

 

1 P. 808. — 2 Justin., Apol. II.

(a) Les réflexions suivantes jusqu'au chapitre XXVII, se trouvent dans la Dissertation sur Grotius.

 

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studuerint intelligere, cogentur et credere (1). Ce n'est donc pas ici une conjecture, mais une preuve qui force, cogentur : ce qu'il confirme en disant ailleurs : « Nous prouvons tout par dates, par les marques qui ont précédé, par les effets qui ont suivi : tout est accompli, tout est clair (2).» Cène sont pas des allégories ni des ambiguïtés, ce n'est pas un petit nombre de passages; c'est une suite de choses et de prédictions qui démontrent la vérité.

Origène dans son Livre contre Celse (3), qui est une autre excellente apologie de la religion chrétienne, ajoute aux preuves des autres ses propres disputes, où il a fermé la bouche aux contre-disants, et il répond pied à pied aux subterfuges des Juifs, qui dé-tournoient à d'autres personnes les prophéties que les chrétiens appliquaient à Jésus-Christ. « Pour nous, continue-t-il, nous prouvons, nous démontrons que celui en qui nous croyons a été prédit; et ni Celse, ni les gentils, ni les Juifs, ni toutes les autres sectes, n'ont rien à répondre à cette preuve (4). »

 

CHAPITRE XXV.

 

Seconde et troisième source de la tradition de la preuve des prophéties dans les professions de foi, et dans la démonstration de l'authenticité des livres de l'Ancien Testament.

 

Saint Irénée, dont on sait l'antiquité, n'a point fait d'apologie pour la religion ; mais il nous fournit une autre preuve de la créance commune de tous les fidèles dans la confession de foi qu'il met à la tête de son Livre des Hérésies, où nous trouvons ces paroles : « La foi de l'Eglise dispersée par toute la terre est de croire en un seul Dieu Père tout-puissant, et en un seul Jésus-Christ Fils de Dieu incarné pour notre salut, en un seul Saint-Esprit qui a prédit par les prophètes toutes les dispositions de Dieu, et l'avénement, la nativité, la passion, la résurrection, l'ascension et la descente future de Jésus-Christ pour accomplir toutes choses (5). » Les prédictions des prophètes et leur accomplissement entrent donc dans la profession de foi de l'Eglise, et le caractère par où

 

1 Tertull., Apolog., n. 18. — 2 Adv. Jud., VIII, p. 164. — 3 Lib. I, p. 38, 42, 13, 78, 80 ; lib. III, p. 127. — 4 Lib. I, p. 38. — 5 Lib. I, p. 2.

 

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l'on désigne la troisième Personne divine , c'est de les avoir inspirées. C'était un style de l'Eglise, qui paraît dès le temps d'Athénagoras, le plus ancien des apologistes de la religion chrétienne. C'est aussi ce qu'on a suivi dans tous les conciles. On y a toujours caractérisé le Saint-Esprit, en l'appelant l'Esprit prophétique, ou, comme par le Symbole de Nicée expliqué à Constantinople dans le second concile général, l’Esprit qui a parlé par les prophètes. L'intention est de faire voir qu'il a parlé de Jésus-Christ, et que la foi du Fils de Dieu, qu'on exposait dans le Symbole, était la foi des prophètes comme celle des apôtres.

Théodore de Mopsueste ayant détourné les prophéties en un autre sens, comme si celui où elles étaient appliquées à la personne et à l'histoire de Jésus-Christ était impropre, ambigu et peu littéral, mais au contraire attribué au Sauveur du monde par l'avènement seulement, sans que ce fût le dessein de Dieu de les consacrer et approprier directement à son Fils, scandalisa toute l'Eglise et fut frappé d'anathème comme impie et blasphémateur, premièrement par le pape Vigile(1), et ensuite par le concile cinquième général (2) ; de sorte qu'on ne peut douter que la foi de la certitude des prophéties et de la détermination de leur vrai sens à Jésus-Christ, selon l'intention directe et primitive du Saint-Esprit, ne soit la foi de toute l'Eglise catholique.

Cette foi paraît en troisième lieu dans la preuve dont on a soutenu contre Marcion et les autres hérétiques l'authenticité de l'Ancien Testament. Dès l'origine du christianisme, saint Irénée les confondait par les prophéties de Jésus-Christ, qu'on y trouvait dans tous les livres qui composoient l'ancienne alliance. Il faisait consister sa preuve en ce que ce n'était point par hasard « que tant de prophètes avaient concouru à prédire de Jésus-Christ les. mêmes choses ; qu'ils avaient pu faire encore moins que ces prédictions se fussent accomplies en sa personne, n'y avant, dit-il, aucun des anciens, ni aucun des rois, ni en un mot aucun autre que Notre-Seigneur, à qui elles soient arrivées (3). »

 

1 Constit. Vig., tom. V, Conc, pag. 3.37, edit. Labb., in extractis Theod., cap. XXI, XXII, XXIII et seq. — 2 Ibid., in extractis Theod., cap. XX, XXI, XXII et seq. — 3 Iren., lib. IV, cap. LXVII.

 

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CHAPITRE XXVI.

 

Les marcionites ont été les premiers auteurs de la doctrine d'Episcopius et de Grotius, qui réduisent la conviction de la fui en Jésus-Christ aux seuls miracles, à l'exclusion des prophéties : passages notables de Tertullien.

 

On sait qu'Origène et Tertullien ont employé la même preuve ; mais il ne faut pas oublier que le dernier nous fait voir la source de la doctrine d'Episcopius et de Grotius dans l'hérésie de Marcion. Les marcionites soutenaient que la mission de Jésus-Christ ne se prouvait que par ses miracles, per documenta virtutum, quas solas ad fidem Christo tuo vindicas. « Vous ne voulez, dit-il, que les miracles pour établir la foi de votre Christ. » Mais Tertullien leur démontre (1) qu'il fallait que le vrai Christ fût annoncé par les ministres de son Père dans l'Ancien Testament, et que les prédictions en prouvaient la mission plus que les miracles, qui sans cela pouvaient passer pour des illusions ou pour des prestiges (a).

Voilà donc par Tertullien deux vérités importantes qu'il faut ajouter à celles que nous avons vues : l'une, que les marcionites sont les précurseurs des sociniens et des socinianisants, dans le dessein de réduire aux seuls miracles la preuve de la mission de Jésus-Christ; la seconde, que bien loin de la réduire aux miracles à l'exclusion des prédictions, Tertullien estime au contraire que la preuve des prophéties est celle qui est le plus au-dessus de tout soupçon.

 

CHAPITRE XXVII.

 

Si la force de la preuve des prophéties dépendait principalement des explications des rabbins, comme l’insinue M. Simon : passage admirable de saint Justin.

 

Enfin, pour rapporter les passages qui détruisent la prétention des sociniens, de Grotius et de M. Simon , il faudrait transcrire,

 

1 Contra Marc., III, 3.

(a) Dans l'esprit de ceux qui n'en auraient pas examiné à tend la nature et les circonstances. (Note de la 1ère édit.)

 

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non-seulement tout Origène, mais encore toutes les apologies des chrétiens. Quant aux rabbins dans lesquels M. Simon voudrait mettre toute la force de la preuve, il est vrai que saint Justin se sert quelquefois de leur témoignage , mais ce n'est pas pour conclure que les preuves tirées du texte fussent faibles ou ambiguës; car saint Justin les fait valoir sans ce secours (1) ; et l'avantage qu'il en tire, c'est d'avoir convaincu les Juifs, non-seulement par démonstration, ce qu'il attribue aux prophéties, mais encore par leur propre consentement, ce qui convient aux passages des rabbins, meta apodeixeos kai sunkatatheseos, qui est aussi précisément ce que nous disons.

 

CHAPITRE XXVIII.

 

Prodigieuse opposition de la doctrine d'Episcopius, de Grotius et de M. Simon avec celle des chrétiens.

 

De cette sorte (a), on voit clairement qu'il n'y a rien de si opposé que l'esprit des chrétiens de la primitive Eglise et celui de nos critiques modernes. Ceux-ci soutiennent que les passages dont se sont servis les apôtres sont allégués par forme d'allégorie , ceux-là les allèguent par forme de démonstration ; ceux-ci disent que les apôtres n'ont employé ces passages que pour confirmer ceux qui croyaient déjà, ceux-là les emploient à convaincre les Juifs, les gentils, les hérétiques et en un mot ce qu'il y avait de plus incrédule ; ceux-ci ôtent la force de preuve aux prophéties, ceux-là disent qu'ils n'en ont point de plus fortes; ceux-ci ne travaillent qu'à trouver dans les prophéties un double sens qui donne moyen aux infidèles et aux libertins de les éluder, et ceux-là ne travaillent qu'à leur faire voir que la plus grande partie convenait uniquement à Jésus-Christ ; ceux-ci tâchent de réduire toute la preuve aux miracles, ceux-là en joignant l'une et l'autre preuve, trouvent avec les apôtres quelque chose d'encore plus fort dans les prophéties, d'autant plus qu'elles étaient

 

1 Justin., Dial. adv. Triph., p. 376. — 2 Ibid., p. 352.

(a) Le premier alinéa de ce chapitre se trouve dans la Dissertation sur Grotius. C'est encore la première édition qui le remarque en d'autres termes.

 

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elles-mêmes un miracle toujours subsistant, n'y ayant point, dit Origène, un pareil prodige que celui de voir Moïse et les prophètes prédire de si loin un si grand détail de ce qui est arrivé à la fin des temps (1).

Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Origène (2) et les autres Pères déclaraient que s'ils entraient dans la preuve des prophéties pour en établir la force invincible , c'était en suivant ce commandement de Notre-Seigneur : « Sondez les saintes Ecritures (3) : » c'était en imitant les apôtres, qui ont réduit les prophéties en preuves formelles (4), en repoussant toutes les chicanes et les objections des Juifs : de sorte que renoncer à la force de cette preuve, c'est renoncer à l'esprit que toute l'Eglise a reçu dès son origine de Jésus-Christ et de ses disciples.

 

CHAPITRE XXIX.

 

Suite de la tradition sur la force des prophéties : conclusion de cette remarque en découvrant sept articles chez M. Simon, où l'autorité de la tradition est renversée de fond en comble.

 

Si l'Eglise est née dans ces principes, si elle a été bâtie sur ce fondement, elle s'est aussi conservée par la même voie. Tout est plein dans l'antiquité, je ne dis pas de passages, mais de traités faits exprès pour soutenir la preuve des prophéties comme invincible et démonstrative : témoin le livre d'Eusèbe qui porte pour titre : Démonstration évangélique, et qui n'est qu'un tissu des prophètes; et cet admirable discours de saint Alhanase (5) où il prouve que la religion a d'évidentes démonstrations delà vérité contre les Juifs et les gentils : témoins encore les discours de saint Chrysostome contre les Juifs (6), principalement depuis le troisième ; et ceux de saint Augustin contre Fauste, où l'on trouverait un traité complet sur le sujet des prophéties, et une infinité d'autres de tous les lieux et de tous les temps que je pourrais rapporter. Il faut bien que M. Simon, qui ne songe qu'à la critique, ne les

 

1 Orig., Contra Cels., lib. I, cap. XLI. — 2 Ibid., lib. III. —  3 Joan., V, 39.— 4 Ad., II, 28, etc. — 5 Orat. I adv. Gent., et II, de Incarn. — 6 Chrysost., adv. Jud, Orat. III.

 

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ait pas lus ou les ait lus sans attention, pour s'être si aisément laissé séduire par Episcopius et par Grotius. On ne doit pas s'étonner qu'Episcopius, à qui les principaux mystères de la religion et la religion elle-même sont indifférons, en abandonne les preuves; que Grotius qui n'avait point de principes et qui avait si peu de théologie, qu'en sortant de celle de Calvin, il n'a rien trouvé de meilleur que celle des sociniens, soit entré dans leur esprit : mais on ne peut assez déplorer que M. Simon, nourri dans l'Eglise catholique et élevé à la dignité du sacerdoce , ait appuyé ces deux auteurs, et qu'il ait été à leur exemple si fort entêté du rabbinisme et de la critique pleine de chicane où il s'est plongé, qu'il ait oublié les Pères et les traditions les plus constantes du christianisme. Quand après cela il fera semblant de louer la tradition, nous lui dirons qu'il nous veut tromper sous cette apparence, puisque déjà nous la lui avons vu détruire par sept moyens : le premier, en disant qu'elle a varié sur la matière de la grâce du temps de saint Augustin ; le second, en soutenant qu'elle nous trompoit en établissant du temps de ce Père la nécessité absolue de la communion; le troisième, en permettant d'expliquer le sixième chapitre de saint Jean sans y trouver l'Eucharistie contre le sentiment de tous les Pères, de son propre aveu; le quatrième, en affaiblissant sous prétexte de favoriser la tradition, toutes les preuves de l'Ecriture que la tradition elle-même proposait comme les plus fortes ; le cinquième, en détruisant l'autorité de l'Eglise catholique, sans laquelle il n'y a point de tradition ; le sixième, en décriant la théologie , et non-seulement la scholastique, mais encore celle des Pères dès l'origine du christianisme ; et le septième , qui surpasse tous les autres en impiété, en affaiblissant avec les sociniens et les libertins la preuve des prophéties, qui est la chose du monde la plus constamment opposée à la tradition et à tout l'esprit du christianisme.

 

CHAPITRE XXX.

 

Conclusion de ce livre par un avis de saint Justin aux rabbinisants.

 

Quant aux critiques modernes qui s'imaginent faire les savants

 

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et les grands hébreux en soutenant les solutions des rabbins contre les Pères, et même leur en fournissant de nouvelles à l'exemple de Grotius, nous disons avec saint Justin « que s'ils ne méprisent ceux qui s'appellent rabbi, rabbi, comme Jésus-Christ le leur reproche, ils ne tireront jamais aucune utilité des prophètes (1); » ce qui, pour des chrétiens, est une perte irréparable, puisqu'elle entraîne avec elle celle de la foi, et nous empêche de nous établir, comme nous l'enseigne saint Paul, « sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ est la principale pierre de l'angle (2). »

 

1 Dial. cum Tryph., p. 339. — 2 Ephes., II, 30.

 

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